Allan Kardec. Etude sur les possédées de Morzine. Les causes de l’obsession et les moyens de la combattre. Deuxième article. Article parut dans la Revue spirite. Journal d’études psychologiques, (Paris), 6e année, n°1, janvier 1863, pages 1-9.
[Allan Kardec. Allan-Kardec [pseudonyme de Rivail Hippolyte-Léon-Denizard] [1804-1869]. Fondateur du Spiritisme et de la Philosophie Spirite.
Ceci est le troisième article sur les six, qu’Allan Kardec écrivit dans l’organe dont il fut le fondateur, la Revue spirite. Journal d’études psychologiques, de 1862 à 1864. Mais c’est le deuxième de la sérié intitulée : Etude sur les possédés de Morzine.
Pour l’ensemble de l’histoire, et comme introduction, nous conseillons à l’article de Margain, extrait de la Nouvelle iconographie de la Salpêtrière », (Paris), 1905, pp. 471-479., 1 planche hors texte (planche LI), que vous trouverez sur notre site.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
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Etude sur les possédés de Morzine.
Les causes de l’obsession et les moyens de la combattre.
(Deuxième article)
Dans notre précédent article (1), nous avons exposé la manière dont s’exerce l’action des Esprits sur l’homme, action pour ainsi dire matérielle. Sa cause est tout entière dans le périsprit, principe non-seulement de tous les phénomènes spirites proprement dits, mais d’une foule d’effets moraux, physiologiques et pathologiques incompris avant la connaissance de cet agent, dont la découverte, si l’on peut s’exprimer ainsi, ouvrira des horizons nouveaux à la science quand celle-ci voudra bien reconnaître l’existence du monde invisible.
Le périsprit, comme on l’a vu, joue un rôle important dans tous les phénomènes de la vie ; il est la source d’une multitude d’affections dont le scalpel cherche en vain la cause dans l’altération des organes, et contre lesquelles la thérapeutique est impuissante. Par son expansion, s’expliquent encore les réactions d’individu à individu, les attractions et les répulsions instinctives, l’action magnétique etc. Chez l’Esprit libre, c’est-à-dire désincarné, il remplace le corps matériel ; c’est [p. 2]l’agent sensitif, l’organe à l’aide duquel il agit. Par la nature fluidique et expansive du périsprit, l’Esprit atteint l’individu sur lequel il veut agir, l’entoure, l’enveloppe, le pénètre et le magnétise. L’homme vivant au milieu du monde invisible est incessamment soumis à ces influences comme à celles de l’atmosphère qu’il respire, et cette influence se traduit par des effets moraux et physiologiques dont il ne se rend pas compte, et qu’il attribue souvent à des causes toutes contraires. Cette influence diffère naturellement selon les qualités bonnes ou mauvaises de l’Esprit, ainsi que nous l’avons expliqué dans notre précédent article. Celui-ci est-il bon et bienveillant, l’influence, ou si l’on veut l’impression, est agréable, salutaire : c’est comme les caresses d’une tendre mère qui enlace son enfant dans ses bras ; est-il mauvais et malveillant, elle est dure, pénible, anxieuse et parfois malfaisante : elle n’embrasse pas, elle étreint. Nous vivons dans cet océan fluidique, incessamment en butte à des courants contraires, que nous attirons, que nous repoussons, ou auxquels nous nous abandonnons selon nos qualités personnelles, mais au milieu desquels l’homme conserve toujours son libre arbitre, attribut essentiel de sa nature, en vertu duquel il peut toujours choisir sa route.
Ceci, comme on le voit, est tout à fait indépendant de la faculté médianimique telle qu’on la conçoit vulgairement. L’action du monde invisible, étant dans l’ordre des choses naturelles, s’exerce sur l’homme, abstraction faite de toute connaissance spirite ; on y est soumis comme on l’est à l’influence de l’électricité atmosphérique sans savoir la physique, comme on est malade sans savoir la médecine. Or, de même que la physique nous apprend la cause de certains phénomènes, et celle de la médecine, la cause de certaines maladies, l’étude de la science spirite nous apprend la cause des phénomènes dus aux influences occultes du monde invisible, et nous explique ce qui, sans cela, nous paraissait inexplicable. La médiumnité est le moyen direct d’observation ; le médium – qu’on nous passe cette comparaison – est l’instrument de laboratoire par lequel l’action du monde invisible se traduit d’une manière patente ; et, par la facilité qu’il nous donne de répéter les expériences, il nous permet d’étudier le mode et les diverses nuances de cette action ; c’est de cette étude et de ces observations qu’est née la science spirite.
Tout individu qui subit d’une manière quelconque l’influence des Esprits est, par cela même, médium, et c’est à ce titre qu’on peut dire que tout le monde est médium ; mais c’est par la médiumnité effective, consciente et facultative qu’on est arrivé à constater [p. 3] du monde invisible, et par la diversité des manifestations obtenues ou provoquées qu’on a pu s’éclairer sur la qualité des êtres qui le composent, et sur le rôle qu’ils jouent dans la nature ; le médium a fait pour le monde invisible ce que le microscope a fait pour le monde des infiniment petits.
C’est donc une nouvelle force, une nouvelle puissance, une nouvelle loi, en un mot, qui nous est révélée. Il est vraiment inconcevable que l’incrédulité en repousse même l’idée, parce que cette idée suppose en nous une âme, un principe intelligent survivant au corps. S’il s’agissait de la découverte d’une substance matérielle et inintelligente, ils l’accepteraient sans difficulté ; mais une action intelligente en dehors de l’homme, c’est pour eux de la superstition. Si, de l’observation des faits qui se produisent par la médiumnité, on remonte aux faits généraux, on peut, par la similitude des effets, conclure à la similitude des causes ; or, c’est en constatant l’analogie des phénomènes de Morzine avec ceux que la médiumnité met tous les jours sous nos yeux, que la participation d’Esprits malfaisants nous paraît évidente dans cette circonstance, et elle ne le sera pas moins pour ceux qui auront médité sur les nombreux cas isolés rapportés dans la Revue Spirite. Toute la différence est dans le caractère épidémique de l’affection ; mais l’histoire rapporte plus d’un fait semblable, parmi lesquels figurent ceux des religieuses de Loudun, des convulsionnaires de Saint-Médard, des camisards des Cévennes et des possédés du temps du Christ ; ces derniers surtout ont une analogie frappante avec ceux de Morzine ; et une chose digne de remarque, c’est que partout où ces phénomènes se sont produits, l’idée qu’ils étaient dus à des Esprits a été la pensée dominante et comme intuitive chez ceux qui en étaient affectés.
Si l’on veut bien se reporter à notre premier article, à la théorie de l’obsession contenue dans le Livre des Médiums, et aux faits relatés dans la Revue, on verra que l’action des mauvais Esprits sur les individus dont ils s’emparent, présente des nuances extrêmement variées d’intensité et de durée selon le degré de malignité et de perversité de l’Esprit, et aussi selon l’état moral de la personne qui leur donne un accès plus ou moins facile. Cette action n’est souvent que temporaire et accidentelle, plus malicieuse et désagréable que dangereuse, comme dans le fait que nous avons relaté dans notre précédent article. Le fait suivant appartient à cette catégorie.
M. Indermühle, de Berne, membre de la Société Spirite de Paris, nous a raconté que, dans sa propriété de Zimmerwald, son fermier, homme d’une force herculéenne, se sentit une nuit saisir par un [p. 4] individu qui le secouait vigoureusement. C’était un cauchemar, dira-t-on ; non, car cet homme était si bien éveillé qu’il se leva et lutta quelque temps contre celui qui l’étreignait ; lorsqu’il se sentit libre, il prit son sabre accroché à côté de son lit, et se mit à sabrer dans l’ombre, mais sans rien atteindre. Il alluma sa chandelle, chercha partout et ne trouva personne ; la porte était parfaitement close. A peine recouché, le jardinier, qui était dans la chambre à côté, se mit à appeler au secours en se débattant et en criant qu’on l’étranglait. Le fermier court chez son voisin, mais, comme chez lui, on ne trouve personne. Une servante qui couchait dans le même bâtiment avait entendu tout ce tapage. Tous ces gens effrayés vinrent le lendemain rendre compte à M. Indermühle de ce qui s’était passé. Celui-ci, après s’être enquis de tous les détails et s’être assuré qu’aucun étranger n’avait pu s’introduire dans les chambres, fut d’autant plus porté à croire à un mauvais tour de quelque Esprit, que depuis quelque temps des manifestations physiques non équivoques et de diverse nature se produisaient dans sa propre maison. Il tranquillisa ses gens et leur dit d’observer avec soin ce qui se passerait, si pareille chose se renouvelait. Comme il est médium, ainsi que sa femme, il évoqua l’Esprit perturbateur, qui convint du fait, et s’excusa en disant : « Je voulais vous parler, parce que je suis malheureux et que j’ai besoin de vos prières ; depuis longtemps je fais tout ce que je peux pour appeler votre attention ; je frappe chez vous ; je vous ai même tiré par l’oreille (M. Indermühle se rappela la chose) : rien n’y a fait. Alors j’ai pensé qu’en faisant la scène de la nuit dernière, vous songeriez à m’appeler ; vous l’avez fait, je suis content ; mais je vous assure que je n’avais aucune mauvaise intention. Promettez-moi de m’appeler quelquefois et de prier pour moi. » M. Indermühle lui fit une verte semonce, renouvela l’entretien, lui fit de la morale qu’il écoutait avec plaisir, pria pour lui, dit à ses gens d’en faire autant, ce qu’ils firent en gens pieux qu’ils sont, et depuis lors tout est resté dans l’ordre.
Malheureusement tous ne sont pas d’aussi bonne composition ; celui-ci n’était pas mauvais ; mais il en est dont l’action est tenace, permanente, et peut même avoir des conséquences fâcheuses pour la santé de l’individu, nous dirons plus : pour ses facultés intellectuelles, si l’Esprit parvient à subjuguer sa victime au point de neutraliser son libre arbitre, et de la contraindre à dire et à faire des extravagances. Tel est le cas de la folie obsessionnelle, bien différente dans ses causes, sinon dans ses effets, de la folie pathologique.
Nous avons vu, dans notre voyage, le jeune obsédé dont il est parlé [p. 5]dans la Revue de janvier 1861 sous le titre de l’Esprit frappeur de l’Aube, et nous avons acquis de la bouche du père et de témoins oculaires la confirmation de tous les faits. Ce jeune homme a présentement seize ans ; il est frais, grand, parfaitement constitué, et cependant il se plaint de maux d’estomac et de faiblesse dans les membres, ce qui, dit-il, l’empêche de travailler. A le voir on peut croire aisément que la paresse est sa principale maladie, ce qui n’ôte rien à la réalité des phénomènes qui se sont produits depuis cinq ans, et qui rappellent, à beaucoup d’égards, ceux de Bergzabern (Revue : mai, juin et juillet 1858). Il n’en est pas ainsi de sa santé morale ; étant enfant il était très intelligent et apprenait à l’école avec facilité ; depuis lors ses facultés ont sensiblement faibli. Il est bon d’ajouter que ce n’est que depuis peu que lui et ses parents ont connaissance du Spiritisme, et encore par ouï-dire et très superficiellement, car ils n’ont jamais rien lu ; auparavant, jamais ils n’en avaient entendu parler ; on ne saurait donc y voir une cause provocatrice. Les phénomènes matériels ont à peu près cessé, ou du moins sont plus rares aujourd’hui, mais l’état moral est le même, ce qui est d’autant plus fâcheux pour les parents qu’ils ne vivent que de leur travail. On connaît l’influence de la prière en pareil cas ; mais comme on ne peut rien attendre de l’enfant sous ce rapport, il faudrait le concours des parents ; ils sont bien persuadés que leur fils est sous une mauvaise influence occulte, mais leur croyance ne va guère au-delà, et leur foi religieuse est des plus faibles. Nous dîmes au père qu’il faudrait prier, mais prier sérieusement et avec ferveur. « C’est ce qu’on m’a déjà dit, a-t-il répondu ; j’ai prié quelquefois, mais ça n’a rien fait. Si je savais qu’en priant une bonne fois pendant vingt-quatre heures et que ça soit fini, je le ferais bien encore. » On voit par-là de quelle manière on peut être secondé dans cette circonstance par ceux qui y sont le plus intéressés.
Voici la contre-partie de ce fait, et une preuve de l’efficacité de la prière quand elle est faite avec le cœur et non avec les lèvres.
Une jeune femme, contrariée dans ses inclinations, avait été unie à un homme avec lequel elle ne pouvait sympathiser. Le chagrin qu’elle en conçut amena un dérangement dans ses facultés mentales ; sous l’empire d’une idée fixe elle perdit la raison, et l’on fut obligé de la séquestrer. Cette dame n’avait jamais entendu parler du Spiritisme ; si elle s’en fût occupée, on n’aurait pas manqué de dire que les Esprits lui avaient tourné la tête. Le mal provenait donc d’une cause morale accidentelle toute personnelle, et, en pareil cas, on conçoit que les remèdes ordinaires ne pouvaient être d’aucun secours ; comme il n’y [p. 6]avait aucune obsession apparente, on pouvait douter également de l’efficacité de la prière.
Un membre de la Société Spirite de Paris, ami de la famille, crut devoir interroger à son sujet un Esprit supérieur, qui répondit : « L’idée fixe de cette dame, par sa cause même, attire autour d’elle une foule d’Esprits mauvais qui l’enveloppent de leur fluide, l’entretiennent dans ses idées, et empêchent les bonnes influences d’arriver à elle. Les Esprits de cette nature abondent toujours dans les milieux semblables à celui où elle se trouve, et sont souvent un obstacle à la guérison des malades. Cependant vous pouvez la guérir, mais il faut pour cela une puissance morale capable de vaincre la résistance, et cette puissance n’est pas donnée à un seul. Que cinq ou six Spirites sincères se réunissent tous les jours, pendant quelques instants, et prient avec ferveur Dieu et les bons Esprits de l’assister ; que votre ardente prière soit en même temps une magnétisation mentale ; vous n’avez pas, pour cela, besoin d’être auprès d’elle, au contraire ; par la pensée, vous pouvez porter sur elle un courant fluidique salutaire dont la puissance sera en raison de votre intention et augmentée par le nombre ; par ce moyen, vous pourrez neutraliser le mauvais fluide qui l’environne. Faites cela ; ayez foi et confiance en Dieu, et espérez. »
Six personnes se dévouèrent à cette œuvre de charité, et ne faillirent pas un seul jour, pendant un mois, à la mission qu’elles avaient acceptée. Au bout de quelques jours la malade était sensiblement plus calme ; quinze jours après, l’amélioration était manifeste, et aujourd’hui cette femme est rentrée chez elle dans un état parfaitement normal, ignorant encore, ainsi que son mari, d’où lui est venue sa guérison.
Le mode d’action est ici clairement indiqué, et nous ne saurions rien ajouter de plus précis à l’explication donnée par l’Esprit. La prière n’a donc pas seulement l’effet d’appeler sur le patient un secours étranger, mais celui d’exercer une action magnétique. Que ne pourrait donc pas le magnétisme secondé par la prière ! Malheureusement, certains magnétiseurs font trop, à l’exemple de beaucoup de médecins, abstraction de l’élément spirituel ; ils ne voient que l’action mécanique, et se privent ainsi d’un puissant auxiliaire. Nous espérons que les vrais Spirites verront dans ce fait une preuve de plus du bien qu’ils peuvent faire dans une pareille circonstance.
Une question d’une grande importance se présente naturellement ici : L’exercice de la médiumnité peut-il provoquer le dérangement de la santé et des facultés mentales ? [p. 7]
Il est à remarquer que cette question ainsi formulée est celle que posent la plupart des antagonistes du Spiritisme, ou, pour mieux dire, au lieu d’une question, ils formulent le principe en axiome en affirmant que la médiumnité pousse à la folie ; nous parlons de la folie réelle et non de celle, plus burlesque que sérieuse, dont on gratifie les adeptes. On concevrait cette question de la part de celui qui croirait à l’existence des Esprits et à l’action qu’ils peuvent exercer, parce que, pour eux, c’est quelque chose de réel ; mais pour ceux qui n’y croient pas, la question est un non-sens, car, s’il n’y a rien, ce rien ne peut pas produire quelque chose. Cette thèse n’étant pas soutenable, ils se retranchent sur les dangers de la surexcitation cérébrale que, selon eux, peut causer la seule croyance aux Esprits. Nous ne reviendrons pas sur ce point déjà traité, mais nous demanderons si l’on a fait le dénombrement de tous les cerveaux tournés par la peur du diable et les effrayants tableaux des tortures de l’enfer et de la damnation éternelle, et s’il est plus malsain de croire qu’on a près de soi des Esprits bons et bienveillants, ses parents, ses amis et son ange gardien, que le démon.
La question formulée de la manière suivante est plus rationnelle et plus sérieuse, dès lors qu’on admet l’existence et l’action des Esprits : L’exercice de la médiumnité peut-il provoquer chez un individu l’invasion de mauvais Esprits et ses conséquences ?
Nous n’avons jamais dissimulé les écueils que l’on rencontre dans la médiumnité, c’est pourquoi nous avons multiplié les instructions à ce sujet dans le Livre des Médiums, et nous n’avons cessé d’en recommander l’étude préalable avant de se livrer à la pratique ; aussi, depuis la publication de ce livre, le nombre des obsédés a sensiblement et notoirement diminué, parce qu’il épargne une expérience que les novices n’acquièrent souvent qu’à leurs dépens. Nous le disons encore, oui, sans expérience, la médiumnité a des inconvénients dont le moindre serait d’être mystifié par des Esprits trompeurs ou légers ; faire du Spiritisme expérimental sans étude, c’est vouloir faire des manipulations chimiques sans savoir la chimie.
Les exemples si nombreux de personnes obsédées et subjuguées de la manière la plus fâcheuse, sans avoir jamais entendu parler de Spiritisme, prouvent surabondamment que l’exercice de la médiumnité n’a pas le privilège d’attirer les mauvais Esprits ; bien plus, l’expérience prouve que c’est un moyen de les écarter, en permettant de les reconnaître. Toutefois, comme il y en a souvent qui rôdent autour de nous, il peut arriver que, trouvant une occasion de se manifester, ils en profitent, s’ils rencontrent dans le médium une prédisposition [p. 8] physique ou morale qui le rende accessible à leur influence ; or, cette prédisposition tient à l’individu et à des causes personnelles antérieures, et ce n’est pas la médiumnité qui la fait naître ; on peut dire que l’exercice de la faculté est une occasion et non une cause ; mais si quelques individus sont dans ce cas, on en voit d’autres qui offrent aux mauvais Esprits une résistance insurmontable, et auxquels ces derniers ne s’adressent pas. Nous parlons des Esprits réellement mauvais et malfaisants, les seuls vraiment dangereux, et non des Esprits légers et moqueurs qui se glissent partout.
La présomption de se croire invulnérable contre les mauvais Esprits a plus d’une fois été punie d’une manière cruelle, car on ne les brave jamais impunément par l’orgueil ; l’orgueil est la porte qui leur donne l’accès le plus facile, parce que nul n’offre moins de résistance que l’orgueilleux quand on le prend par son côté faible. Avant de s’adresser aux Esprits, il convient donc de se cuirasser contre l’atteinte des mauvais, comme lorsqu’on marche sur un terrain où l’on craint la morsure des serpents. On y parvient d’abord par l’étude préalable qui indique la route et les précautions à prendre, puis par la prière ; mais il faut bien se pénétrer de vérité que le seul préservatif est en soi, dans sa propre force, et jamais dans les choses extérieures, et qu’il n’y a ni talismans, ni amulettes, ni paroles sacramentelles, ni formules sacrées ou profanes qui puissent avoir la moindre efficacité si l’on ne possède pas en soi les qualités nécessaires ; c’est donc ces qualités qu’il faut s’efforcer d’acquérir.
Si l’on était bien pénétré du but essentiel et sérieux du Spiritisme, si l’on se préparait toujours à l’exercice de la médiumnité par un appel fervent à son ange gardien et à ses Esprits protecteurs, si l’on s’étudiait soi-même en s’efforçant de se purifier de ses imperfections, les cas d’obsessions médianimiques seraient encore plus rares ; malheureusement, beaucoup n’y voient que le fait des manifestations ; non contents des preuves morales qui surabondent autour d’eux, ils veulent à tout prix se donner la satisfaction de communiquer eux-mêmes avec les Esprits, en poussant au développement d’une faculté qui souvent n’existe pas en eux, guidés en cela plus souvent par la curiosité que par le désir sincère de s’améliorer. Il en résulte qu’au lieu de s’envelopper d’une atmosphère fluidique salutaire, de se couvrir des ailes protectrices de leurs anges gardiens, de chercher à dompter leurs faiblesses morales, ils ouvrent à deux battants la porte aux Esprits obsesseurs qui les eussent peut-être tourmentés d’une autre façon et dans un autre temps, mais qui profitent de l’occasion qui leur est offerte. Que dire [p. 9] alors de ceux qui se font un jeu des manifestations et n’y voient qu’un sujet de distraction ou de curiosité, ou qui n’y cherchent que les moyens de satisfaire leur ambition, leur cupidité ou des intérêts matériels ? C’est dans ce sens qu’on peut dire que l’exercice de la médiumnité peut provoquer l’invasion des mauvais Esprits. Oui, il est dangereux de jouer avec ces choses-là. Que de personnes lisent le Livre des Médiums uniquement pour savoir comment on s’y prend, parce que la recette ou le procédé est la chose qui les intéresse le plus ! Quant au côté moral de la question, c’est l’accessoire. Il ne faut donc pas imputer au Spiritisme ce qui est le fait de leur imprudence.
Revenons aux possédés de Morzine. Ce qu’un Esprit peut faire sur un individu, plusieurs Esprits peuvent le faire sur plusieurs individus simultanément, et donner à l’obsession un caractère épidémique. Une nuée de mauvais Esprits peut faire invasion dans une localité, et s’y manifester de diverses manières. C’est une épidémie de ce genre qui sévissait en Judée du temps du Christ, et, à notre avis, c’est une épidémie semblable qui a sévi à Morzine.
C’est ce que nous chercherons à établir dans un prochain article, où nous ferons ressortir les caractères essentiellement obsessionnels de cette affection. Nous analyserons les mémoires des médecins qui l’ont observée, entre autres celui du docteur Constant, ainsi que les moyens curatifs employés soit par la médecine, soit par la voie des exorcismes.
(1) Voy. décembre 1864
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