Lafontaine Charles-Léonard [1803-1892]. Les possédées de Morzine. Chapitre XII, pp. 301-351. in « Mémoires d’un magnétiseur, suivis de l’examen phrénologie de l’auteur par le Docteur Castle. » Paris et Genève, Germer-Baillière et l’auteur, 1866. 2 vol. 12.5/18.5, (4 ffnch., 383 p.) + (2 ffnch., 409 p.).
Charles Lafontaine, citoyen franco-suisse, nait à Vendôme en 1803 et décéde à Genève en 1892, où il aura vécu presque toute sa vie, et y exerça comme magnétiseur, après avoir suivi expériences du marquis Armand Marie Jacques de Chastenet de Puységur [1751-1825]. C’est après avoir suivi une démonstration de Lafontaine à Manchester en novembre 1841, que James Braid [1795-1860] s’intéressa médicalement scientifiquement au magnétisme animal et qu’il dégagera rapidement le concept d’Hypnotisme, dans son ouvrage : Neurypnology; or the rationale of nervous sleep, considered in relation with animal magnetism. Illustrated by numerous case of its successful application in the relief and cure of disease, 1843, (Trad. française : Hypnose ou Traité du sommeil nerveux, considéré dans ses relations avec le magnétisme animal, 1883, Rééd. L’Harmattan, Paris, 2004.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original. – Les images on été ajoutées par nos soins. -Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
Chapitre XII
SOMMAIRE. – GENÈVE. – Contrariétés. – Séances. – Guérisons. – Compte-rendus du Journal de Genève. – Strasbourg. – Séances. – Guérisons. – Les tables tournantes et parlantes. – Retour à Genève. – Sivori, un grand talent sauvé. – Les maladies nerveuses. – Les possédées de Morzine. – Une ascension en ballon. – Conclusion.
[p. 331] J’ai pu observer, pendant mon séjour à Genève, cette épidémie de démoniaques répandue dans un canton de la Savoie et qu’on appelait les possessions de Morzine, maladie nerveuse [p. 332] encore, provoquée par la frayeur, l’imagination, l’ignorance, la superstition, et l’imitation chez les jeunes filles; par l’ignorance et la croyance stupide au démon chez le prêtre. Comment, dans les séminaires, peut-on laisser subsister de pareilles hérésies ? Comment les prêtres instruits (et il yen a) ne cherchent-ils pas à déraciner ces folles idées d’autrefois, si contraires à la religion ? Comment peut-on laisser croire à Satan et à ses diablotins, des jeunes gens qu’on destine à diriger moralement les populations ? Ne sont-ils pas bien coupables envers la société, ceux qui, par leur autorité scientifique et religieuse, ne détruisent pas de pareilles stupidités, et les laissent non seulement subsister, mais encore encouragent des superstitions aussi absurdes ? Comment veulent-ils que l’on croie à leurs paroles, à leur sagesse, quand ils viennent parler raison, moralité, religion, après avoir propagé des idées pareilles à celles de la possession par le démon de toute une population, et quand, avec des exorcismes et un peu d’eau bénite, ils prétendent les expulser ? Au reste le succès n’est pas même venu leur donner une apparence de raison, car la maladie née [p. 333] chez une jeune fille a envahi la population entière de plusieurs villages des montagnes de la Savoie, malgré tout ce qu’ils ont pu faire. Il n’y aurait pas eu d’épidémie s’il n’y avait pas eu d’exorcismes, et il ne devait pas y en avoir, puisque Monseigneur Rendu, évêque d’Annecy, les avait défendus au prêtre, qui les continua malgré cet ordre. Le 18 Juin 1860, mon domicile fut troublé, à l’heure de midi, par des cris qui n’avaient rien d’humain : c’était Marie Tavernier, conduite par son mari, Alexis Veuillet, qui, possédée par plusieurs démons, était descendue d’un hameau près Morzine pour que je la guérisse, comme, en 1858, j’avais guéri quelques autres femmes du pays. Depuis plusieurs mois cette femme, âgée de 47 ans, souffrait de violents maux d’estomac ; les fonctions de cet organe ne se faisaient point ; aussi il y avait impossibilité complète de manger quoi que ce fût. Cette pauvre malade éprouvait des tremblements nerveux par tout le corps; elle souffrait de douleurs très vives dans la tête et dans tous les membres, et elle jetait des cris effrayants. [p. 334] Elle prétendait (et c’était la croyance du pays) qu’elle avait en elle un démon qui la secouait intérieurement et la faisait trembler convulsivement, et qui, dans d’autres moments, la forçait à crier ainsi qu’elle le faisait ? C’était encore le même diable qui l’empêchait de marcher et même de se soutenir sur ses jambes. Son mari l’avait, pour ainsi dire, portée jusque chez moi. En l’entendant ainsi jeter des cris, je quittai le malade que je magnétisais dans mon cabinet, et j’allai trouver cette femme dans la chambre d’attente, où elle était entrée avec plusieurs autres malades qui s’effrayaient de ses cris perçants. Je lui imposai une main sur la tête et je lui ordonnai se taire. Je touchai légèrement l’estomac ; aussitôt les cris et les tremblements cessèrent, et elle redevint calme. Je retournai près du malade que j’avais abandonné, et, lorsque j’eus fini avec celui-ci, je fis venir cette femme et son mari. Ils me racontèrent leur détresse, et comme quoi la femme avait la maladie régnante à Morzine, maladie qui avait résisté aux traitements [p. 335] qu’ils avaient pu faire et à l’eau bénite que le curé lui donnait. Je les encourageai et promis de guérir promptement la malade. Je la magnétisai par les pouces et par les grandes passes, sans chercher le sommeil ; je localisai l’action sur l’estomac et sur le cerveau par l’imposition des mains et par des frictions ; bientôt cette femme put respirer librement. Le lendemain, après l’avoir magnétisée de la même manière, je lui donnai à boire de l’eau magnétisée, qui fit plus d’effet que l’eau bénite du curé, car, dès ce jour, elle commença à manger un peu de soupe et le soir elle put dormir. Bref, en sept séances, cette femme fut guérie entièrement de ses maux d’estomac réels et de ceux de son imagination ; elle repartit le 25 Juin dans l’enchantement de se trouver aussi bien, et convaincue que Satan n’avait plus prise sur elle. Les démons avaient donc été chassés par la puissance du magnétisme, comme autrefois par l’imposition des mains. Nous ne sommes pas encore très éloignés de l’époque où la possibilité de la présence du diable dans le corps de certains malades était généralement admise, et cependant nous nous représentons [p. 336] mal ce qu’étaient les possédés ; ce mot ne réveille dans notre esprit que le souvenir des convulsions dont étaient tourmentés les malheureux qu’on croyait livrés à l’ennemi du genre humain, des blasphèmes qui sortaient de leur bouche, et de leur antipathie pour les choses sacrées. Il y avait pourtant bien autre chose. Pendant la longue période où la croyance aux possessions a été dominante, aussitôt qu’une maladie présentait des symptômes extraordinaires, on ne manquait jamais de concevoir des doutes sur sa cause, et l’usage était de procéder aux exorcismes pour savoir ce qu’on devait en penser. Les affections hystériques des femmes, par la singularité et la bizarrerie de leurs symptômes, étaient celles qui se prêtaient le plus à la supposition d’une cause surnaturelle ; et comme, d’un autre côté, elles prédisposent éminemment à la production du somnambulisme et de l’extase, l’exorciste, qui voyait paraître à sa voix ces états extraordinaires, ne pouvait guère échapper à l’illusion qui le portait à croire que quelque chose de surnaturel se passait dans la personne soumise à son examen. [p. 337] En effet, qu’on se figure une jeune fille nerveuse, tourmentée par une maladie bizarre, et déjà troublée par l’idée qu’elle peut être au pouvoir de Satan, amenée devant un prêtre, qui, revêtu de ses ornements sacerdotaux, se dispose à conjurer cet esprit de ténèbres, et on ne s’étonnera pas que son imagination troublée la jette dans cet état de somnambulisme extatique, qu’une exaltation morale un peu forte produit presque constamment chez les personnes qui s’y trouvent prédisposées. Ces considérations expliquent pourquoi, dans tous les temps, la grande majorité des possédés a toujours été composée de femmes jeunes plutôt qu’âgées. Les possessions se sont tellement multipliées à certaines époques, qu’elles sont devenues de véritables épidémies. C’est ainsi que, pendant les persécutions des protestants, de 1700 à 1710, les trembleurs des Cévennes devinrent si nombreux sous l’exaltation religieuse qui les dominait. Les femmes, les jeunes gens, les enfants mêmes, tombaient dans un état fort curieux, que l’on qualifiait d’extatique (mais qui, pour nous, était ce que nous appelons l’état mixte pendant lequel la [p. 338] partie instinctive de l’âme se dégage), qui leur permettait de voir et de prédire au milieu de leurs mouvements convulsifs. En 1730, et jusqu’en 1750, ce furent les convulsionnaires du cimetière de Saint-Médard, à Paris, qui présentèrent des phénomènes si extraordinaires de guérison et d’insensibilité. Plus tard, ce fut Gassner, curé de Ratisbonne, qui guérissait par les exorcismes. — Il était suivi par une foule qui campait dans les champs et qui, d’après les historiens, était de 8 à 10,000 personnes. Et maintenant, au milieu du 19me siècle, tout près de la Rome protestante, à Morzine en Chablais, nous avons aussi notre épidémie, et ces petites possédées ne le cèdent en rien à leurs aînées ; elles présentent les mêmes phénomènes aussi extraordinaires. Nos lecteurs de Suisse ont été mis au courant de cette épidémie par une note que nous avons envoyée au Journal de Genève, et qu’il inséra le 21 Juillet 1858 ; mais nos lecteurs de France et de l’étranger ne savent probablement pas qu’il a existé et qu’il existe encore des possédées à Morzine. [p. 339] Nous nous permettrons donc de donner quelques détails sur cette étrange maladie, que nous avons été à même d’observer. Ce fut en Mars 1857 qu’à la suite d’une frayeur, une jeune fille de neuf à dix ans tomba dans un état particulier. C’était un sommeil profond qui durait de 15 à 30 minutes chaque jour, et dont rien ne pouvait la tirer ; pendant ce temps, il ne se produisait aucun mouvement : si on levait un membre, il retombait flasque et inerte, et l’on aurait pu croire cette jeune fille morte, si la respiration n’avait continué d’une manière normale. Cet état changea au bout d’un mois ; les yeux commencèrent à se remuer sous les paupières et à s’ouvrir ; ils se convulsèrent fortement en haut et tournèrent dans leur orbite avec une vitesse extrême ; puis la figure, qui était impassible, exprima une grande frayeur, et tout à coup la jeune fille jeta des cris, inintelligibles d’abord, puis elle parla en criant et en forçant sa voix. Tout le monde dans le village venait voir cette enfant quand elle était dans cet état singulier; chacun faisait ses réflexions, et il y avait accord parfait chez tous ces bons montagnards [p. 340] ignorants, pour accuser un sort jeté par méchanceté sur cette jeune fille, et reconnaître qu’elle était en la puissance du diable. À cette même époque (Mai 1857), une seconde jeune fille de onze ans fut prise à son tour ; les mêmes phénomènes se déclarèrent, et après quelques jours de crise celle-ci parla comme la première. Rendues à la vie habituelle, ces deux jeunes filles entendaient raconter tout ce qu’elles disaient et faisaient pendant cet état particulier, et assurer qu’elles étaient en la puissance du diable ; aussi leur imagination se frappa de plus en plus, et dans leurs crises elles prétendaient que ce n’étaient point elles qui agissaient et qui vociféraient, mais que c’étaient les démons qui étaient en elles et qui les dominaient. Aussi parlaient-elles toujours de serpents, de diables, et juraient-elles à plaisir. On les crut décidément possédées, et le curé eut l’imprudence de les exorciser ; mais elles se moquèrent de lui, lui dirent des injures et déclarèrent qu’il y aurait bientôt d’autres jeunes filles qui seraient, comme elles, possédées par les démons. Il n’en fallut pas davantage au milieu de cette [p. 341] population peu éclairée ; l’imagination des autres enfants se frappa, s’exalta, et bientôt, en effet, par imitation, par frayeur, trois autres jeunes filles, dont une de sept ans, tombèrent dans cet état singulier.
C’était fini, l’épidémie nerveuse était déclarée ; aussi le nombre des possédées s’éleva bientôt à vingt-deux, parmi lesquelles il n’y eut que deux filles de vingt ans : les garçons étaient préservés de l’épidémie, et il n’y en eut, à notre connaissance, qu’un seul qui en fut atteint ; il était âgé de treize ans. En même temps, l’intensité des phénomènes augmenta, puis ils se diversifièrent et se produisirent sous différentes formes : les petites possédées se mirent à courir les bois, à monter aux arbres avec une agilité extraordinaire et à se balancer tout au haut des sapins les plus élevés. Mais si la crise cessait pendant qu’elles étaient montées, rien de plus singulier que leur embarras pour redescendre. Ces enfants, d’ailleurs, ne se souvenaient point au réveil de ce qui s’était passé pendant la crise. Elles présentaient, comme les possédées des épidémies plus anciennes, la faculté de parler les langues étrangères. [p. 342] L’une prétendait que le démon qui la possédait était un Autrichien, et elle parlait un baragouin auquel personne ne comprenait mot, mais qu’on déclara être de l’allemand le plus pur. Le curé parla latin à une autre qui lui répondit en bon français, et des réponses de laquelle il fut très satisfait. Nous ferons observer ici que la plupart du temps, relativement aux possédés comme aux inspirés, quand on a dit qu’ils avaient le don de parler les langues inconnues, on n’a pas voulu dire qu’ils devinssent capables de parler telle ou telle langue usitée chez une nation déterminée : il n’était question que de la facilité qu’ils montraient à articuler, pendant un assez long temps, une suite de sons bizarres qu’on supposait arbitrairement appartenir à la langue de quelque peuple. Il paraît, de plus, que les crisiaques, pendant qu’ils prononçaient ces prétendus discours, avaient une suite d’idées qu’ils croyaient exprimer. Carré de Montgeron donne des détails très curieux sur ce singulier phénomène dans son ouvrage intitulé : La vérité des miracles de Paris, 3 vol. in-4°, 1737-48. » — « J’ai déjà observé, dit-il, que c’est dans le [p. 343] plus fort de leurs extases que plusieurs convulsionnaires font ces discours en langue inconnue ou étrangère. Je dois ajouter qu’ils n’en comprennent eux-mêmes le sens que dans l’instant, à mesure qu’ils les prononcent, et qu’ils ne s’en ressouviennent plus, ou du moins que d’une manière générale, aussitôt que leurs discours sont finis. » Il ajoute « que la seule preuve qu’on ait que les convulsionnaires comprennent leurs discours, c’est qu’ils les accompagnent de gestes très-expressifs. » Pour nous, il y a plusieurs explications à ce phénomène. Il consiste chez les uns, dans un développement de la mémoire, qui rend l’extatique capable de parler facilement une véritable langue qui lui est non pas entièrement étrangère, mais peu familière : tel était le phénomène que présentaient ces deux religieuses de Loudun, la supérieure et la sœur Claire, qui, pendant que durait leur état d’extase, répondaient en latin aux questions qui leur étaient faites dans la même langue par les exorcistes, tandis qu’elles étaient incapables de le faire dans leur état normal. Toutefois, ces deux femmes n’étaient pas absolument étrangères à la langue latine ; elles [p. 344] avouèrent elles- mêmes qu’elles l’entendaient assez pour expliquer aux novices le Pater et le Credo. La seconde explication concerne les somnambules magnétiques. On leur a fait parler les langues étrangères, ce qui était une erreur. Les somnambules, lorsqu’ils étaient lucides, et qu’ils possédaient la faculté de la transmission de pensée, répondaient en français, s’ils ne connaissaient que cette langue, aux questions qu’on leur adressait dans tout autre langage, et cela, parce qu’ils ne s’attachaient point aux mots qui étaient prononcés, mais à la pensée qu’on exprimait, et dont ils prenaient connaissance dans le cerveau de l’interrogateur. Mais revenons à nos possédées : l’une d’elles, Victoire Vuillet, âgée de seize ans, d’une figure et d’un caractère très doux, était la plus exaltée; non seulement elle courait les champs pendant des heures entières sans en être fatiguée, parlant et gesticulant toujours, montait ensuite au haut des plus grands arbres, en descendait avec une rapidité extrême, mais encore lorsqu’elle était au haut des plus grands pins, elle se balançait et s’élançait d’un pin sur un autre, comme l’aurait fait un écureuil ou un singe. [p. 345] Lors de la grande cérémonie d’exorcisme, dans l’église, en Février 1858, où le curé avait réuni toutes les possédées, au nombre de trente, c’était elle, Victoire, qui, attachée à la table de communion, avec l’étole du curé, se roulait dans des convulsions atroces, et, l’écume à la bouche, vociférait : « Tu ne peux pas me guérir, mauvais calotin ! tu n’es pas le plus fort, les démons se f…. de toi ; ils te font la grimace ! » Toutes les autres possédées jetaient aussi des cris épouvantables, et c’était un spectacle affreux que de voir toutes ces malheureuses filles se tordre dans des convulsions horribles, injurier et blasphémer les choses les plus saintes, et tout cela, par suite de l’ignorance d’un prêtre qui faisait intervenir les choses de la religion là où la religion n’avait absolument rien à faire. Ceci est si vrai que feu l’évêque d’Annecy, monseigneur Rendu, fit défendre au curé de continuer à exorciser toutes ces possédées. Quant à ces jeunes filles, elles accusaient, dans leur délire, un individu du pays, fort innocent de ce fait, d’avoir reçu 1,200 francs pour introduire en elles tous ces démons. Mais les crises augmentèrent de durée et se [p. 346] présentèrent plusieurs fois chaque jour, par suite de l’imprudence qu’on eut de les provoquer pour les faire voir à des étrangers qui venaient pour les observer en curieux : on voulait leur faire reconnaître et constater que ces filles étaient réellement possédées par les démons. Depuis 1857, époque où cette épidémie se déclara, elle a continué à gagner les hameaux voisins. Nous voici en 1860, elle se propage dans la montagne, et elle frappe maintenant les femmes âgées, car dans tous ces pays la superstition est répandue à un degré qu’on ne peut concevoir. Devons-nous voir une cause surnaturelle dans cette épidémie et dans les précédentes ? Pouvons-nous admettre que le diable, QUI N’EXISTE PAS, puisse entrer dans le corps des humains et le dominer ? Nous pouvons répondre négativement, nous qui avons observé scrupuleusement cette épidémie et tous ses phénomènes sur plusieurs jeunes filles que nous avons guéries ; nous osons déclarer hardiment qu’aucune de ces filles n’était possédée par les démons. [p. 347] Nous osons dire que c’est en réalité le curé qui, par son ignorance et par ses exorcismes, a causé tout le mal et le cause encore en entretenant, par des cérémonies à domicile, un état de frayeur et d’exaltation chez des gens peu éclairés. Il n’y avait là que des effets tout naturels, bien des fois observés, dépendant d’un ébranlement nerveux sur des enfants chez lesquels la frayeur et l’irritation avaient exalté l’imagination, et nous ne saurions y voir autre chose que des accidents d’hystérie et de somnambulisme naturel spontané. Les maux de tête et d’estomac que toutes ces jeunes filles accusaient, les sensations de la boule hystérique qui leur montait au gosier et les étouffait, le cercle de fer autour de la taille, les tremblements nerveux, les crises de sommeil et de somnambulisme pendant lesquelles elles parlaient, couraient les champs, etc., etc., en sont des preuves évidentes qui se sont corroborées des guérisons produites à l’aide du magnétisme sur les malades qui sont descendues de la montagne pour venir nous trouver à Genève. [p. 348] zzz C’est ce qui est arrivé pour Victoire Vuillet, âgée de seize ans, qui était la plus exaltée, et dont nous avons parlé plus haut. Lorsque nous la vîmes pour la première fois chez nous, le 3 Avril 1858, elle était en crise ; elle parlait d’une voix creuse et sépulcrale, elle qui avait la voix douce et claire. Elle débitait des phrases telles que celles-ci : « Je suis un démon de l’enfer, dont je suis sorti pour tourmenter Victoire jusqu’à ce que je l’emporte avec moi ; entendez-vous le bruit des chaînes ? entendez-vous le feu qui pétille et les cris des damnés qui brûlent ? ça réjouit le cœur, ça fait plaisir. » Puis elle sautait à une hauteur étonnante, jetait des cris rauques, se tordait le corps au point que la tête venait toucher les talons ; ensuite elle se roulait par terre; d’un bond elle était debout, tournait, tournait avec une vitesse étonnante et s’arrêtait instantanément; puis elle faisait de grands gestes, articulait des sons qu’on ne comprenait pas, et sautait sur les bras d’un fauteuil, puis bondissant tout à coup, elle se trouvait suspendue au dossier de ce meuble, dans une position impossible à décrire. Ensuite elle courait sur tous les meubles, [p. 349] posant un pied sur le dos d’un fauteuil, l’autre sur le dossier d’une chaise, puis s’élançant sur une table, sautant sur d’autres meubles, et faisant ainsi, sans perdre l’équilibre, le tour de notre cabinet et de notre salon, et toujours en parlant. Nous ne saurions vraiment décrire toutes les contorsions et l’agilité dont cette fille était susceptible, et nous avouons franchement que des gens superstitieux et peu éclairés pouvaient croire au surnaturel.
Mais après que nous eûmes bien observé cette crise, lorsque nous posâmes une main sur la tête de la jeune fille, et l’autre sur son estomac, tout ce merveilleux tomba aussitôt, et nous n’eûmes plus devant nous qu’une malade qui râlait et se tordait dans des convulsions que nous fîmes cesser presque instantanément ; puis après l’avoir magnétisée par de grandes passes pendant trente minutes, et l’avoir dégagée, Victoire se trouva très bien. Depuis lors elle n’eut plus une seule crise: nous la magnétisâmes pendant quinze jours, et nous fîmes cesser, pendant ce temps, tous les maux de tête et d’estomac, ainsi que tous les accidents hystériques. Elle remonta à [p. 350] Morzine le 18 ou le 19 Avril, et depuis cette époque elle n’a jamais eu le plus petit malaise. Nous en avons eu plusieurs fois des nouvelles, et entre autres ces jours-ci par son oncle Alexis Vuillet. Nous avons observé, à la même époque, des phénomènes analogues, mais un peu moins prononcés, sur Françoise Vuillet, âgée de dix ans, sœur de Victoire ; sur Marie Baud, âgée de quatorze ans ; Françoise Taberlet, âgée de trente-cinq ans ; Claudine Tavernier, âgée de vingt-cinq ans ; Marie Bron, âgée de vingt-deux ans. Ces six personnes ont été magnétisées par nous pendant quinze jours, trois semaines au plus ; nous n’avons employé que le magnétisme et l’eau magnétisée, et leur guérison a été si complète que, depuis deux ans qu’elles sont remontées à la montagne, elles n’ont pas eu le plus petit malaise ni la moindre rechute, et cependant la maladie n’a pas cessé dans la montagne ; elle y règne, au contraire, plus forte que jamais. Cette épidémie a pour principe la frayeur, la superstition, l’imitation et l’exaltation, comme celle des convulsionnaires du cimetière Saint-Médard, au tombeau du diacre Pâris ; — comme [p. 351] celle des jeunes camisards, et une autre plus récente qui eut lieu, il y a quelques années, en Allemagne, où toute la population d’un village chantait du matin au soir, et du soir au matin, jusqu’à ce que chacun tombât épuisé. Celle-ci avait aussi commencé par une seule jeune fille, et s’était promptement propagée. Des phénomènes que nous ont présenté ces jeunes filles, nous pouvons déduire avec assurance que, dans les épidémies précédentes, comme dans celle-ci, il n’y avait pas de cause surnaturelle, et que le fait d’être possédé par les démons ou par d’autres esprits n’a jamais existé. Notre conviction est bien positive et bien entière. Nous n’admettons pas que des esprits, des démons, des êtres invisibles et supérieurs puissent communiquer avec nous et nous tenir dans leur dépendance ; de même que nous n’admettons pas que nous puissions faire venir à volonté, près de nous, pour répondre à nos questions, des êtres supérieurs, esprits, démons ou âmes de personnes mortes, qui, selon notre bon plaisir, seraient forcés de venir s’installer dans une table ou dans un crayon pour répondre à nos demandes.
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Je vous remercie pour ce que je prends pour un compliment, qui m’encourage à continuer en essayant de m’améliorer encore. Bien cordialement.