Désiré Monnier. La Chauche-Vieille ou Cauchemar. Chapitre CXIII. Traditions populaires comparée. Mythologie. Règnes de l’air et de la terre .Paris, J.-B. Dumoulin, 1854, pp. 681-684.
Monnier Désiré-Hippolyte est né et mort à Lons-le-Saunier (1788-1869). Folkloriste et érudit il donnera plusieurs travaux consacrés aux traditions populaires sur la Franche-Comté. Quelques travaux retenus :
— Du culte des Esprits dans la Séquanie. Lons-le-Saulnier, 1834, 1 vol. in-8°, avec 8 planches hors-textes lithographiées.
— Traditions populaires comparée. Mythologie. Règnes de l’air et de la terre. Correspondant historique des ministres de l’Intérieur et de l’Instruction publique, aidé de la collaboration de M. Marie-Emile-Aimé Vingtrinier. 1 vol. in-8. [Ouvrage excellent pour tout ce qui, dans les traditions locales, touche au satanisme, à la magie, à la sorcellerie, etc. Malheureusement ce travail n’a pas été continué. — Yve-Plessis, n°553.]
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original. – Par souci de clarté et commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Autant que faire se peut, nous avons également respecté la présentation. – Les images ont été ajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.
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LA CHAUCHE-VIEILLE OU CAUCHEMAR.
Ils ne savaient pas trop au XVe siècle, ce que c’était que le cauchemar qu’on appelait aussi chauche-Poulet. On en fit un monstre, c’était un moyen prompt de résoudre la difficulté.
Dict. Infernal.
Dans le partage général qui se fit au berceau du monde, des divers attributs que devaient avoir tes Eons et les fées, il y eut un démon femelle à qui fut dévolu le lot des terreurs nocturnes, de l’angoisse et de la suffocation, c’était la Chauche-Vieille.
Tel est le nom que le peuple du Bugey et celui de la Bresse voisine de Lyon (1) ont imposé à l’Incube qui va nous occuper ; en Franche-Comté, la Chauche-Vieille est redoutée sous celui de Chauce-Paille ; nos vieux romanciers qui la comprenaient dans le nombre des monstrueux fantômes de la nuit, rappelaient Chasse-mare (2) ; pour le peuple péri-[p. 682]gourdin, cet accident est un esprit malfaisant qui passe par le trou de la serrure et vient se jeter sur les gens quand ils sont endormis ; il porte dans le Périgord un nom semblable à ceux que nous venons de citer, celui de Chauco-Vieillo. Puisqu’il faut enfin en venir là, Cauchemar est aujourd’hui son nom dans le dictionnaire de l’Académie.
Un des érudits de nos jours, M. Coquebert-Montbret, a publié (3) une dissertation sur l’étymologie du mot cauchemar : il y démontre que ce terme a sa racine dans la langue suio-gothique, parlée dans le nord de l’Europe, et qu’il a été probablement introduit chez nous par les Normands, comme le Nigtemar l’a été dans les iles Britanniques, par les Anglo-Saxons.
L’Anglais et le Français lui ont fait perdre le genre féminin avec lequel il était né ; mais le patois de nos provinces ne l’admet pas au masculin .
C’est par suite d’une équivoque (car le mot mahu en Tudesque veut dire une haridelle ou une jeune fille) que l’on s’est peint le nigtmar ou le nactmar sous la figure d’une cavale, qui, dans la nuit, vient s’appesantir de tout son poids sur le sein de l’homme, equa calcans. « Mais, dit plaisamment M. de Montbret, outre qu’il n’est pas bien naturel de se représenter une jument à cheval sur un homme, je n’aime pas ces mots hybrides que l’on suppose composés de [p. 683] parties aussi hétérogènes que le latin et l’allemand. » Aussi, la forme équestre attribuée au cauchemar n’a été rêv6e qu’en Allemagne ou en Angleterre (4). Chez les nations où la syllabe équivoque n’est pour rien dans le nom qu’on lui donne, le vulgaire n’en sait pas un mot. Il ne se la figure ni comme une jeune fille, ni comme une haridelle, mais sous les traits d’une vieille femme au front jaunissant, comme il l’exprime d’ailleurs par ces noms de Chauche-Vieille et de Chauce-Paille, car la vieillesse et la pâleur sont deux choses inséparables dans nos idées (5).
Quant à la première partie de tous ces noms de Chasse-mare, de Cauche-mar, de Chauce-paille et de Chauche-vieille, elle se lire sans plus d’efforts de l’ancien mot français Chaucer, qui veut dire fouler (6). Ce malaise est appelé partout de son action [p. 684] de fouler, de peser, d’écraser en se couchant : c’est pourquoi les Grecs le nommaient Ephialtès, qui saute par dessus ; les Latins Incubus, qui se couche sur ; c’est aussi pourquoi les Espagnols lui donnent le nom de Pesadilla ; les Italiens celui de Pesaruolo ; les habitants de quelques provinces de France ceux d’Appesant, d’Appesard , de Foulon et peut-être de Follet.
Ainsi donc notre chauce-paille, c’est la fouleuse au pâle visage, et la chauche vieille, c’est la vieille qui foule.
Il est bon maintenant de dire un mot de ses prouesses.
A minuit de Noël, la vieille incube va méchamment se coucher sur ceux qui, au lieu d’assister à la messe de minuit, se permettent d’aller jouir des douceurs du sommeil dans leurs draps, peu soucieux de laisser la maison livrée à l’invasion des mauvais Esprits, qui s’y précipitent dans ce moment solennel.
NOTES
(1) Ménage dit Cauche-Vieille.
(2) Dict. du vieux langage.
(3) Mém. De la Soc. Roy. Des Ant. De Fr.
(4) Dans tout l’Occident, on prononce mar, mais dans tout l’Orient de l’Europe on prononce mor. Ainsi les élèves de Notogorod avaient une déesse des songes appelée Kikimora dont ils faisaient un spectre horrible, où l’on reconnaît aisément le cauchemar divinisé. Smora, Mory, Mora, Mor sont l’expression de la même angoisse dans l’Illyrie, la Croatie et la Hongrie.
(5) Bullet (Dict. celt. au mot Baith) induit que la balle ct la paille du blé sont ainsi nommées de leur couleur pâle. Le cheval Baillet a sa robe de la même nuance, ct tel est celui des chevaux de l’Apocalypse (equus pallidus) que monte l’ange de la mort. Le cheval baillard est celui qui a sur le front une tache blanche.
(6) La Combe au mot Chaucer. Bullet au mot Chaugat. On disait aussi cauquer dans un sens à peu près semblable : Le Petit Albert indique un secret pour faire que le coq ne cauque pas la poulle.
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