Un cas de folie religieuse. Article paru dans la revue « Annales médico-psychologiques », (Paris), quarante-cinquième année, septième série, tome sixième, 1887, pp. 50-53. Par Le Dr Taguet. 1887.

TAGUETFOLIE0001Dr Taguet – Un cas de folie religieuse à cinq. Article paru dans la revue « Annales médico-psychologiques », (Paris), quarante-cinquième année, septième série, tome sixième, 1887, pp. 50-53.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original mais avons corrigé quelques fautes de frappe. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

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ARCHIVES CLIQUES

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ASILE DE LESVELLEC. — M. LE Dr TAGUET

Un cas de folie religieuse à cinq.

Sommaire. — Mère et quatre de ses enfants (deux filles et deux garçons). — Enfants d’une intelligence peu développée. — Exaltation religieuse. — Une fille, hallucinée de la vue, est prise d’idées de possession démoniaque. — Elle est tuée par ses frères et sa sœur à l’aide d’un maillet. – Mort de l’aîné cinq jours après. — Continuation du délire mystique chez les survivants.

Au mois de novembre dernier, la famille J… se composait de la mère, de deux filles, de trois garçons, dont le plus jeune, élève du grand séminaire de Vannes, n’assistait pas au drame que nous allons décrire sommairement. Le père est mort, il y a quelques années, emporté par une apoplexie cérébrale ; un frère et ses deux enfants aliénés.

Elevés dans un milieu où les pratiques religieuses sont conservées dans toute leur intégrité, les enfants J…, d’une intelligence peu développée, ne tardèrent pas à tomber dans une piété exagérée, en même temps qu’ils devenaient la frayeur de leurs voisins parleur colère et leurs emportements. L’aîné de la famille, Ange, donna le premier, les signes d’une véritable exaltation religieuse, négligeant son état de meunier, passant tout son temps en prière, ne prenant que très peu de nourriture. A leur tour, sa mère, son frère et sa sœur tombèrent dans les mêmes excès. Un de leurs voisins était entré, un jour, au moulin, les avait trouvés tous les trois à genoux, la face contre terre ; Ange [p. 51] s’était levé et l’avait obligé, sous peine de mort, à prier avec eux. On ajouta peu d’importance au danger que la famille J… faisait courir au voisinage, aussi put-elle continuer, sans être inquiétée, ses pratiques religieuse. Sur ces entrefaites arrive au moulin Esther, la plus jeune des filles J… qui venait de passer quelques semaines chez un de ses oncles. On l’aimait peu dans la famille, on l’accusait d’être jolie, coquette, d’être recherchée en mariage ; de là à la considérer comme un suppôt du démon il n’y avait qu’un pas, il fut vite franchi. Dès le lendemain de son retour, elle tombait elle-même dans le même état de mysticisme que son entourage. Ce fut elle qui, la première, vit la sainte Vierge, nous dit sa sœur aînée. Elle déclare bientôt qu’elle ne peut plus prier, qu’elle est possédée du démon. Dès ce moment, sa mort fut résolue par Ange qui, seul, semble avoir joué, ici, un rôle réellement actif. La nuit s’était passée en prières, il était près de sept heures du matin, lorsque Esther J… sur ordre de son frère, se mit à genoux, laissant tomber sa tête sur un banc. « Tu vas renoncer, disait Ange, au démon, à ses œuvres et à ses pompes. » « Tuez-loin répondit la malheureuse fille, je mérite la mort. » Ange ordonna à sa sœur aînée d’aller chercher une de ces grosses épingles dont les femmes de la Bretagne attachent leurs fichus à la collerette, en même temps il mettait un maillet entre les mains de son frère. Après avoir mis deux clefs en croix sur la tempe gauche de la victime, qui ne faisait aucun mouvement, il donna l’ordre de frapper. La mort semble avoir été instantanée. Tous les trois s’acharnent sur le cadavre ; pendant que sa sœur lui traverse le cou, la cuisse, les pieds et les mains avec sa longue épingle, Ange pratique trois ouvertures avec un vilebrequin pour donner issue au démon.

La mère avait assisté en priant à cette scène sauvage ; [p. 52] tout à coup Ange et sa sœur s’étaient jetés sur elle pour l’étrangler, leur frère fut assez heureux pour leur en faire lâcher prise. Aucun des deux n’a pu donner un mobile à leur tentative d’assassinat sur leur mère.

« Encore un peu de temps vous ne me verrez plus, encore un peu de temps et vous me reverrez » avait dit Ange à son frère et à sa sœur, et il était sorti armé d’une hache. Il était entré dans la première maison qui s’était présentée à lui, avait obligé les habitants à se lever et pendant qu’ils priaient, à genoux, sous la hache qu’il brandissait sur leurs têtes, un enfant vint jeter l’alarme au village. Ange se laissa prendre sans opposer aucune résistance. Au même moment, le facteur de Mauron étant entré au moulin avait relevé la mère J… gisant près du feu ; dans une pièce voisine le frère et la sœur récitaient leur chapelet à haute voix.

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Ange succombait cinq jours après à la prison de Ploërmel, pendant que son frère et sa sœur étaient séquestrés à l’asile d’aliénés ; la mère, trop faible pour supporter le voyage, était restée sous la garde de son dernier fils, qui, nous l’avons dit, était absent au moment de ce drame.

Contrairement à ce qui se produit dans les autres formes de folie, le délire des persécutions, par exemple, la perpétration du crime n’a amené aucune détente dans le délire de la fille J…, les hallucinations sont persistantes, la sainte Vierge continue à lui apparaître, à l’inspirer, à lui donner des ordres ; elle lui a appris que sa sœur Esther est ressuscitée, elle-même lui avait apparu quelques instant après sa mort. Elle se montre gaie, satisfaite, n’exprime aucun regret. Cet état de béatitude, de calme disparaît tout à coup et la malade présente des accès d’agitation d’une violence excessive.

Chez son frère, au contraire, le délire est intermittent, il passe, parfois, plusieurs semaines dans un état de [p. 53] calme parfait pendant lequel le drame, auquel il a pris part, se déroule devant ses yeux avec toutes ses horreurs ; il ne sait à quoi attribuer un délire qu’il n’aurait subi que pendant quelques heures. Cette accalmie passée, J…, cesse de s’occuper, se met à genoux dans tous les coins, la nuit on le trouve étendu sur le plancher, son chapelet roulé autour de son bras, bientôt il refuse toute alimentation et il faut le nourrir à la sonde. Il n’oppose à son introduction que peu de résistance, les yeux sont fixes et élevés vers le ciel, le mutisme est complet.

Cette observation est une nouvelle conformation 1° de l’influence du milieu dans lequel on vit sur la production de la folie et plus spécialement du délire religieux ; aussi cette forme de délire est-elle très commune en Bretagne, où tout ce qui touche à la religion et à la superstition est poussé jusqu’à ses dernières limites : 2° de l’influence contagieuse du délire religieux pour peu qu’il existe une prédisposition héréditaire ; 3° de la transformation, chez le même sujet, du délire religieux avec ses béatitudes en démonomanie avec ses terreurs.

 

 

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