U. de Medonça. Essai de psychologie individuelle ou psychologie négative. Partie 2. Extrait de la « Revue anthropologique », (Paris), quarante-deuxième année, 1933, pp. 224-242.
La première partie est en ligne sur notre site Internet.
Nous avons trouvé ce long texte en 2 parties dans la Revue anthropologique, tout à fait par hasard. Il n’est répertorié nulle part ; ni par Olivier Douville, ni par Alain de Mijolla, ni par Elisabeth Roudinesco.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’ouvrage. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
[p. 224]
ESSAI DE PSYCHOLOGIE INDIVIDUELLE
OU PSYCHOLOGIE NÉGATIVE
(Suite)
par U. de MEDONCA
Membre de l’I. I. A. et de la Société Hellénique d’Anthropologie.
LA LIBIDO.
Freud la définit comme suit : « L’énergie (considérée comme grandeur quantitative mais non encore mesurable) des tendances se rattachant à ce que nous résumons dans le mot amour. »
Si cet élément, dont je reconnais la valeur, entre dans une certaine mesure dans les éléments constitutifs de la société ou de la foule, je ne peux que regretter que les psychologues antérieurs à Freud aient négligé de le dégager, l’analyser, le mettre en relief. Mais de là à le rencontrer partout, dans les actes les plus infimes de la vie quotidienne comme dans les travaux les plus spéculatifs de l’esprit humain, il y a un grand pas qui est sans doute très difficile à franchir. Si Freud reconnaît honnêtement et non pas pour « les besoins de la cause » que tout son travail psychologique et son immense production littéraire et philosophique n’est que le produit de sa libido « refoulée » comme il dit et transformée en d’autres tendances (phénomène de la sublimation) alors je me mettrai pieds nus et la corde au cou à sa merci. On pourrait également faire la démonstration par l’absurde de ce que j’avance à l’exemple de la fameuse histoire de l’âne de Buridan, supposer un individu qui aurait extrêmement faim et qui serait également désireux de satisfaire ses besoins sexuels. Ce serait très curieux de savoir ce qu’il ferait en une telle occurrence.
Oh ! j’admets que l’Amour et toutes les tendances qui s’y rattachent constituent à l’intérieur de l’Individu un Dynamisme qu’il est imprudent de refouler outre mesure, puisqu’il éclate sous la forme de maladies neurotiques d’une gravité parfois exceptionnelle. Mais [p. 225] de là à admettre que toutes les névroses et psychoses ont la même cause libidineuse, il y a loin (1). D’après moi, le refoulement de tous les autres instincts primaires peut également provoquer de telles maladies. L’homme qui souffre longtemps de la faim, ou de toute autre privation, finit par perdre la raison. Plusieurs suicides n’ont pas d’autre cause que la misère. Parlant avec un de mes amis M. C… psychanalyste lui-même et qui se vante d’avoir été guéri par la psychanalyse d’une « manie de la persécution », parlant, dis-je, avec cet ami de sa situation matérielle présente, fort précaire, il m’a dit : « Oh moi, vous savez, je me suis mis tout en tête, et si elle empire, alors » laissant entendre par là que le règlement définitif de la situation était confié par lui au revolver.
De même, un individu qui cesse d’avoir confiance en la protection qu’il exige de la société (Instinct de conservation ou de défense) finit aussi par perdre la raison. C’est ce qui explique la panique (qui n’est au fond qu’une psychose) qui s’empare parfois d’une armée en campagne. Freud reconnaît ce phénomène et il cite lui-même l’exemple de la Parodie d’une Tragédie allemande intitulée : « Judith et Holopherne » dans laquelle il suffit à un soldat de crier : « Holopherne a perdu sa tête » pour que tous ses camarades perdent aussitôt la leur. Enfin, que dirait-on d’un médecin qui, imitant Freud en ce qu’il ramène toutes les maladies de l’âme à une cause unique La libido, prétendrait lui aussi ramener toutes les maladies du corps à une seule et même cause ?
LE MOI.
On s’étonnera peut-être de ce que nous ayons attendu jusqu’à présent pour parler du Moi, faire l’analyse de l’âme humaine ou, suivant l’expression consacrée par les psychanalystes, « faire l’indispensable descente dans les profondeurs. »
Je peux répondre pour me disculper, que si je ne l’ai pas fait c’est que le développement de ma thèse ne m’en a pas fait sentir la nécessité. En effet, il ne faut pas perdre de vue l’objet que la présente étude se propose d’atteindre. Démontrer qu’il existe des différences notables entre les Psychiques ou, si l’on veut mieux, les Ames des Individus qui nous entourent et que, dans l’état actuel de la Psychologie, [p. 226] en tant que Science, il est impossible d’en faire des applications autres qu’individuelles.
Pour atteindre ce but, l’examen du Psychique de l’Individu, pris dans son ensemble, suffit.
Si nous nous occupons maintenant du Moi, c’est pour le définir et relever d’autres confusions que l’Ecole psychanalytique n’a pas manqué de créer dans les esprits.
J’avoue que jusqu’à un certain moment, suivant l’emploi fait de ce terme par la Psychologie classique et même par les simples littérateurs, je comprenais par le mot Moi « l’individualité psychique d’une personne donnée ».
Ouvrons ici une petite parenthèse le mot Moi à lui seul indique déjà parfaitement que l’individu ou le Psychologue ne peut connaître que son propre psychique seulement. S’il pouvait connaître en même temps celui de ses semblables, pourquoi n’aurait-on pas employé de préférence le terme Nous ?
Or, la Psychanalyse entend par le mot Moi non pas toute l’individualité psychique mais seulement une partie de celle-ci, celle qui vient en contact avec le monde extérieur.
L’autre partie, celle qui est la plus profonde, et la plus importante, les psychanalystes la désignent sous le nom de Soi ou de Cela (das ES).
Cette distinction, m’objectera-t-on, est déjà ancienne puisque la Psychologie classique reconnaît ces deux parties de l’âme humaine : le conscient et l’inconscient.
Nous maintiendrons ces deux divisions pour la clarté de notre exposé, tout en notant la différence essentielle qui existe entre le Conscient classique et le Moi psychanalytique. Pour les psychanalystes, en effet, le Moi est la partie de l’être psychique, variable par essence, qui règle les rapports entre le Soi et le monde extérieur. Comme on le voit, il y a une notable différence entre une telle conception du Moi et le concept classique du Conscient.
Quant à l’Inconscient, il serait aussi intéressant de déterminer d’une façon rigoureuse sa signification. Pour Freud et son Ecole, le Soi est « le réservoir de tous les instincts, de tous les penchants antisociaux refoulés, de toutes les mauvaises tendances ». L’Inconscient classique est autre chose c’est la partie du Psychique qui se manifeste mécaniquement, par suite de la répétition et de l’habitude. II faut le comprendre dans le sens que le Dr Gustave Le Bon lui accorde dans cette phrase qu’il a mise en exergue dans son ouvrage « Psychologie de l’Education » : « L’Education est l’art de faire passer le Conscient dans l’Inconscient ». [p. 227]
Que dire maintenant des diverses subdivisions de l’Inconscient freudien le Préconscient, le soi, l’Inconscient et le Refoulé ?…
L’Inconscient est à la base de la Psychanalyse, aussi bien et au même titre que la libido.
Nous avons dit plus haut que le Moi est essentiellement variable. Ce qui est invariable, c’est le Soi, autrement dit l’Inconscient. Le Moi, sous l’influence, la pression, les nécessités extérieures, se modifie. C’est ainsi que l’on peut expliquer que le Moi d’un individu à 20 ans est différent du Moi du même individu à 30 ans.
Ce qui est invariable, c’est le Soi, l’Inconscient.
Pourquoi l’Inconscient est-il invariable ?
Parce qu’il est le produit de l’hérédité individuelle, ce que nous avons précédemment appelé le pli héréditaire que, tout naturellement, ni l’Education, ni l’Instruction, ni la Société ne peuvent effacer. L’Inconscient est la partie du Psychique qui lui appartient en propre, qui lui est spécifique, qui se trouve dans l’individu et qui est dirigé du dedans vers le dehors.
Le Conscient, au contraire, est le produit des circonstances extérieures de l’Ecole, de l’Armée, de la Morale, de la Religion, en un mot de la Société. Il est formé des assimilations successives de l’individu, comme nous les avons appelées plus haut. Si l’on se rappelle bien ce phénomène, qui a été déjà décrit, on comprendra facilement que lorsque l’individu a assimilé par exemple la notion a, son Moi pourrait être représenté par la lettre x. Lorsqu’il assimile la notion b, son Moi prend forcément une autre forme qui pourrait être représentée par la lettre y. Et ainsi de suite.
Or, ce que l’individu peut assimiler de cette façon est évidemment infini.
En résumé
L’Inconscient est le produit de l’hérédité. Il constitue pour moi ce que j’ai appelé « le pli héréditaire » il est invariable par rapport à l’individu.
Le Conscient est le produit de la Société ou de ce que nous avons nommé l’« Assimilation ». Il est essentiellement variable par rapport au même individu.
Or, une chose qui a échappé à la Psychanalyse et qui ne nous échappe pas si nous avons toujours bien clairement devant nos yeux la théorie des antécédentes, est bien celle de l’hérédité psychologique que nous devons ajouter à l’hérédité biologique.
Pour Freud le Soi, comme exactement pour nous aussi, ce que nous avons appelé le « pli héréditaire » n’est autre chose que l’Inconscient [p. 228] biologique. Or, il est incontestable que ce que nous nommons Civilisation, c’est-à-dire l’élargissement du champ de notre Connaissance, de notre Conscience, la montée continue de l’individu vers les hauteurs spirituelles, s’il est vrai qu’elle ne laisse aucune trace mnémonique dans le cerveau de l’enfant qui vient de naître, imprime cependant à son cerveau l’aptitude à comprendre rapidement notre Civilisation, à en parcourir le cycle et à le dépasser.
Cela est si clair qu’à notre avis cela se passe de tout commentaire. Cependant, l’exemple des peuples non-civilisés ou à demi-civilisés est là pour illustrer ce qui précède. C’est dans ce sens aussi je crois qu’il faut interpréter la célèbre pensée de Pascal d’après laquelle « l’Humanité peut être considérée comme un seul homme qui apprend toujours et qui n’oublie jamais » (2).
Donc, au pli héréditaire, d’ordre biologique, nous sommes forcés d’ajouter l’hérédilé psychologique.
Quelle en est la conséquence ?
C’est que toute connaissance nouvelle, ou pour parler notre propre langage, toute notion nouvellement assimilée, toute conséquente, devient pour nous une antécédente qui nous permet l’assimilation de nouvelles notions (V. p. 12) et pour notre descendance, polir nos enfants, une aptitude à assimiler rapidement ces mêmes notions.
Ne fût-ce que cela seulement, la Civilisation ne serait pas un vain mot. Et ici, ma façon de voir est essentiellement opposée à celle de Freud, qui est foncièrement pessimiste, tandis que pour moi une lueur d’espoir brille toujours au fond de l’abîme, puisque si nous admettons l’hérédité psychologique nous pouvons nous attendre à voir les hommes, un beau jour, devenir meilleurs.
C’est dans ce sens plus profond, qu’il faut interpréter la proposition de Le Bon : « L’Education est l’art de faire passer le Conscient dans l’Inconscient ». Le contraire est aussi vrai l’Inconscient peut à son tour devenir conscient. C’est là d’ailleurs le principe même de la Thérapeutique psychanalytique.
Retenons donc ces deux points, à savoir :
1° Toute notion (idée, concept, proposition) venant du dehors et pénétrant en nous par la voie de la Conscience, devient pour les générations futures une trace, une aptitude. Et toutes les traces ou aptitudes ensemble forment l’Inconscient ou ce que nous avons nommé l’hérédité psychologique, [p. 229] différente du Soi freudien, de l’Inconscient biologique ou de l‘hérédité biologique.
2° Toute notion (idée, etc.) qui monte du fond de l’Inconscient et qui se projette dans le champ de la Conscience, devient consciente. La cloison entre le Moi et le Soi n’est donc pas étanche, autrement dit l’impénétrabilité entre le Conscient et l’Inconscient n’est donc pas absolue.
Ce qui est étonnant, c’est que Freud, pour élever son édifice psychologique, prend comme point de départ l’Inconscient biologique et néglige l’hérédité psychologique (3). Arrivé à l’Individu adulte, il transforme l’Inconscient en Psychologie pure, c’est-à-dire que toute la Vie psychique de l’individu n’est pour lui que l’Inconscient, et néglige l’hérédité biologique de l’Individu. Or, nous avons établi que le biologique et le psychique, c’est-à-dire l’Inconscient et le Conscient, le Soi et le Moi, ne forment qu’un tout indivisible, puisqu’ils peuvent aisément se résoudre l’un dans l’autre.
Or, supposons ainsi que le prétend Freud que le Soi, et plus spécialement, la libido, est tout.
Tout est dans le tout. Donc, les circonstances extérieures aussi.
Exemple : Quand je dis que l’Amour est tout, je dois admettre que les circonstances extérieures, les conditions économiques et sociales par exemple sont en lui. Or, Freud lui-même admet que ces circonstances extérieures provoquent le refoulement de la libido. Pour provoquer ce refoulement, cela veut dire qu’elles lui sont extérieures, qu’elles ne sont pas en elle. Que devons-nous donc penser, qu’elles sont en elle ou qu’elles sont hors d’elle ? C’est là une chose absurde. Freud dit encore que le Refoulé fait partie de l’Inconscient (se reporter au schéma de la boule de Freud). Pourquoi une tendance individuelle est-elle refoulée ? Evidemment, parce qu’elle entre en conflit avec le monde extérieur. Or, nous avons établi que tout ce qui provient du monde extérieur fait partie du Moi, c’est-à-dire est conscient. Donc, tout ce qui est refoulé est à l’origine conscient. Le problème est là. Est-ce conscient ou inconscient ? Freud dit : inconscient. Je prétends pour ma part que cela est bien conscient et la meilleure preuve c’est que l’individu analysé peut très bien le projeter à [p. 230] nouveau sur le champ de sa Conscience. C’est ce que démontre la Thérapeutique psychanalytique. Le contraire même serait la négation de la Psychanalyse. On me demandera : Pourquoi ? Simplement, parce qu’il est impossible de faire revenir à la conscience des choses qui n’y ont jamais été, au moins une fois.
Par exemple : Je peux très bien me replacer dans l’état psychologique où je me trouvais lorsque je reçus une bonne raclée du père de ma jeune voisine que je voulus un beau jour embrasser sous la violente poussée de mes instincts sexuels. Il me suffit pour cela de dégager ce fait, de le ramener à ma conscience.
Mais je n’ai aucune conscience des mouvements péristaltiques de mon estomac qui ne sont jamais tombés sous le coup de ma conscience.
On pourrait m’objecter que les malades soignés par Freud ne peuvent ramener immédiatement à la conscience, à volonté, les faits conscients qu’ils ont dû refouler dans leur enfance. Pourquoi ?
S’ils ne peuvent point dégager la libido, en d’autres termes ramener à la Conscience les tendances refoulées, cela provient simplement du fait qu’ils ne peuvent pas se replacer exactement par la pensée dans les circonstances extérieures de temps et d’espace qui ont provoqué ou accompagné le refoulement. Le rôle du médecin est justement d’aider le malade à reconstituer ces circonstances, à le mettre dans la bonne voie, à lui faire comprendre les faits qui, pour lui, étaient jusqu’alors inexplicables. Ces faits inexplicables sont nombreux. Nous en trouverons l’explication plus bas dans notre chapitre sur « Le vrai et le vraisemblable ».
Par exemple : un enfant qui trouvait un plaisir quelconque à caresser ses organes sexuels est brusquement grondé par son père qui le surprend et qui lui interdit sévèrement ces pratiques. L’enfant ne peut pas s’expliquer pourquoi et trouve pour le moins bizarre cette sévère défense de son père. Mais comme malgré tout l’esprit humain a besoin de chercher le pourquoi des choses, la cause, que fait alors l’enfant ? Il rattache cette interdiction aux connaissances qu’il possède, quitte à l’expliquer autrement plus tard, au fur et à mesure que ses connaissances se développeront. Tout le monde peut très bien se rendre compte de ce phénomène. Pour ma part, je sais parfaitement que le sens que j’attribuais à certaines fables de La Fontaine que j’étudiais à l’école, étant encore enfant, est totalement différent de celui que je leur accorde aujourd’hui que l’expérience de la vie m’a complètement formé.
Pour revenir à ce que nous disions, remarquons que « dégager sa [p. 231] libido », ramener à la conscience les tendances refoulées, autrement dit : « se replacer par la pensée dans des circonstances données de temps et d’espace », c’est une seule et même chose, d’ordre nettement mnémonique. Si l’on se rappelle la distinction que nous avons établie au début de ce même chapitre entre l’Inconscient de Freud et celui du Dr Gustave Le Bon, on est en droit de se demander : « Où en sommes-nous ?… Nous arrivons à l’Identification des deux Inconscients, au sein de la Mémoire… »
C’est un désespérant non-sens.
Pour ma part je suis convaincu qu’en ce qui concerne particulièrement les instincts sexuels, la Libido, l’auto-érotisme, le Narcissisme, etc. ceux-ci sont dûs au défaut d’éducation sexuelle rationnelle plutôt qu’à un véritable impératif physiologique ou psychologique.
Si la société s’impose le devoir sacré d’instruire les jeunes générations dans les questions sexuelles, de leur expliquer et de leur faire comprendre exactement pourquoi certaines tendances sexuelles et anti-sociales doivent être refoulées, je suis certain que bien des névroses disparaîtront du même coup.
Naturellement, les différences psychologiques individuelles ne disparaîtront pas elles aussi du même coup. Mais la Psychologie individuelle aura déjà atteint son plus beau résultat pratique si elle parvient à faire sentir aux parents, aux éducateurs, aux professeurs, aux médecins la nécessité de comprendre le psychique spécial de chaque être avec lequel ils viennent en contact pour pouvoir lui expliquer ensuite, rationnellement, les phénomènes extérieurs sans que ceux-ci provoquent des refoulements désordonnés, sources de toutes les névroses.
LE VRAI ET LE VRAISEMBLABLE.
Arrivés à ce point de notre exposé, si nous nous donnons la peine de jeter un coup d’œil sur le chemin parcouru, il pourrait nous sembler que nous nous sommes sensiblement écartés de la voie tracée par le titre même de ce modeste essai, surtout dans ces derniers chapitres. Je pourrais prétendre qu’il n’en est rien. Qui me croirait ? La Psychologie est quelque chose de si attrayant, et en même temps de si vague, de si illimité, c’est un domaine si peu entouré de frontières définitives, fixes, immuables et infranchissables, qu’on pourrait aisément passer toute sa vie à en discuter. J’ai voulu tenter de limiter son domaine au seul individu. Si j’ai quelquefois critiqué [p. 232] Freud, si même parfois je me suis opposé à ses conceptions, c’est moins dans un esprit de vaine témérité ou dans l’idée d’amoindrir sa prodigieuse valeur que dans le désir sincère de prouver que les généralisations en ce domaine sont plutôt hasardeuses et parfois même néfastes. Le point de départ de Freud c’est bien ces cas individuels de névroses qu’il a été appelé à traiter. II reconnaît à tel point que le traitement psychanalytique n’est utile que pour autant qu’il est individuel, qu’il interdit catégoriquement au médecin psychanalyste d’intervenir ou de conseiller. Le malade doit parler, comprendre lui-même son propre état en dégageant ses refoulements, c’est-à-dire en les ramenant dans le champ de sa Conscience, en somme, c’est lui-même qui opère sa propre guérison, ce qui démontre que le traitement est bien individuel. Or, partant de ces quelques cas, Freud veut édifier une Psychologie générale, applicable à tous les individus. Non seulement cela, mais se laissant prendre à son propre mirage, il oublie les quelques cas sur lesquels son édifice se pose, élève une Psychologie collective, une Philosophie sociale, voire même une Métaphysique sexuelle. De la constatation des mêmes instincts sexuels chez tous les individus examinés par lui, pourrait-il logiquement s’élever aux généralisations que l’on connaît et prétendre, par exemple, que la libido est un moteur universel ? Là est la question.
N’oublions pas que Freud n’a eu à soigner que des malades, c’est-à-dire précisément des personnes dont les refoulements d’ordre libidineux avaient justement détraqué le Psychique. Or, ces mêmes refoulements sont opérés par tous les individus vivant en société. Pourrait-on jamais m’expliquer pourquoi tous les autres sont considérés comme des « normaux » autrement dit : « Pourra-t-on jamais tracer la limite entre la Folie et la Raison ? »
Je le sais, Freud a la réponse toute prête : la Sublimation. Et le voilà lancé dans une théorie d’après laquelle toute la production intellectuelle, et même le Génie (4), indistinctement, est d’ordre libidineux.
Si M. Edouard Herriot a prononcé à Paris un discours sur la Crise économique et ses causes et si le dernier paysan lettré de France, d’une commune éloignée et perdue, l’ayant lu, trouve que M. Herriot [p. 233] se trompe s’il écrit dans son petit journal local un petit article, produit de son naturel bon-sens, pour exposer ce qu’il croit, lui, être la vérité… libido. Instinct de domination…
Ce modeste essai de Psychologie individuelle que j’écris maintenant… libido.
Le savant qui fait des fouilles, pour restaurer les civilisations lointaines, qui reconstitue l’histoire des siècles passés, qui déchiffre l’écriture cunéiforme ou les hiéroglyphes… Libido. Libido partout et toujours. Instinct de Domination. Allons donc…
Supposons le cas suivant : Un savant géographe qui s’en est allé faire des recherches en Afrique centrale, se perd dans les sables du désert. Il marche un jour, deux, trois. Rien que l’immensité déserte et nue. La faim le tenaille, la soif le torture. Il mourra d’inanition, sans doute. Mais avant de mourir, ne peut-on pas penser qu’il deviendra fou ? Voilà une paranoïa provoquée exclusivement par la faim et la soif et qui n’est pas d’origine libidineuse.
En ces jours angoissants et sombres de Crise économique, nous voyons chaque jour dans les journaux des suicides qui n’ont aucune autre cause que la Misère.
Enfin, ce qui est encore plus inexplicable c’est qu’à notre époque où l’Amour connaît une certaine liberté, où le mariage monogamique tendant à disparaître, a opéré un déplacement des anciennes valeurs, où le Mariage n’est plus le seul rêve de toute jeune fille, où les jeunes filles travaillent et égalent leurs camarades de l’autre sexe, où les unions libres sont aussi nombreuses que tolérées, eh bien, c’est justement à notre époque, dis-je, qu’on remarque un accroissement du nombre des névroses, à tel point que le siècle pourrait être appelé : « Le siècle de la Névrose. »
Certes, il faut savoir gré à Freud d’avoir dégagé et élevé à la hauteur d’une Science, l’amour. Sa phrase : « Je ne trouve pas qu’il y ait un certain mérite à avoir honte de la sexualité » est d’une très grande beauté. Il n’en est pas moins vrai que sa Théorie, mal assimilée par des cerveaux faibles et bourrés de lectures livresques, peut produire des effets délétères et contraires à l’esprit de l’auteur qui, au fond, n’a voulu être qu’un bienfaiteur de l’Humanité.
Il faut, pour l’étudier avec profit, faire la discrimination nécessaire des erreurs qui se sont glissées dans son exposé.
Qu’est-ce que l’erreur en Psychologie ?
Est-elle possible ?
Le fait qu’elle se rencontre dans un cerveau aussi puissant que celui de Freud est la meilleure preuve de son existence. Son explication [p. 234] la plus rationnelle me paraît être la-suivante : « Souvent nous prenons pour Vrai ce qui n’est que Vraisemblable » (5).
Quelle est la différence entre le Vrai et le Vraisemblable ?
Au point de vue de la Psychologie individuelle, cette différence est nulle. On pourrait sur ce point établir une belle Théorie de la Relativité des Valeurs psychologiques humaines. En effet, toute notion (concept, idée, etc.) n’a une certaine valeur et n’est vraie que par rapport à un individu donné. Or, ce qui est vrai pour l’un peut ne pas l’être pour l’autre. C’est ce que nous remarquons lorsque deux hommes qui sont en conflit viennent successivement nous raconter leurs griefs. Nous constatons que l’un a aussi bien raison que l’autre. Pourquoi ? C’est bien simple à expliquer si l’on a la bonté de se rapporter à ce que nous avons dit au sujet de l’assimilation d’une nouvelle notion. Nous avons vu que parfois, dans le mécanisme de cette assimilation, il semble à première vue que quelques antécédentes manquent à la chaîne de celles qui, logiquement, doivent conduire à l’assimilation de la nouvelle notion. Or, l’esprit humain est capable d’opérer tout seul des déductions, autrement dit de tirer des antécédentes qu’il possède des conséquentes déductives. Le cas le plus typique est celui de l’Individu qui résout un problème, en se basant sur les notions mathématiques qu’il possède déjà.
Je me rappelle très bien l’événement suivant, parce qu’il a produit alors en moi une certaine impression. J’avais 10 à 12 ans, lorsqu’un soir, je ne sais comment cela se fit, peut-être parce que la conversation roulait sur cette question-là, mon père me demanda à brûle-pourpoint si je savais comment on fabriquait les allumettes. Je n’avais jamais vu jusqu’alors une fabrique d’allumettes. Cependant, je lui répondis oui, sans broncher. Et aussitôt, je me mis à faire la description de cette fabrication, en suivant le développement logique de ma pensée, dont voici en détail le mécanisme
Pour les allumettes, il faut en premier lieu des petits morceaux d’un bois sec et rapidement inflammable. Je savais que les pins et les sapins, arbres résineux, peuvent remplir cette première condition. Le premier résultat de l’utilisation de mes documents internes était donc le suivant Nécessité, tout d’abord, pour la fabrique de se procurer le bois dont elle a besoin. [p. 235]
Les allumettes ont ensuite, au bout, une matière inflammable comprenant surtout du phosphore. Deuxième point : Nécessité pour la fabrique de préparer la pâte phosphorée.
Troisième point : Il s’agit de faire adhérer la pâte au bout de l’allumette.
Voilà pourquoi, sans lui expliquer le mécanisme de ma pensée, je dis à mon père : « Le bûcheron abat les arbres de la forêt que des machines spéciales, sans doute, découpent en petits morceaux de la même forme et de la même longueur. Ensuite, les ouvriers préparent une pâte spéciale contenant surtout du phosphore et d’autres matières qui lui permettent d’adhérer parfaitement au bout des petits morceaux de bois. On plonge ensuite les allumettes dans la pâte et on les laisse sécher. »
J’avoue que je fus bien content d’entendre mon père s’écrier : « Bravo ! » Naturellement, entre ce que je venais de dire et la réalité industrielle, une énorme différence devait exister. Mais le fait est que j’avais découvert seul, grâce à mes documents internes, le principe de la fabrication des allumettes. Et cela nous suffit pour illustrer ce qui précède.
Or, dans ce genre de raisonnements, chaque individu suit une voie différente, conforme à son individualité psychique (6). On remarque très bien ce phénomène lorsqu’on a par exemple à corriger les devoirs de mathématiques d’une classe de 40 élèves. On voit que par des voies différentes, par des raisonnements divergents, presque tous les élèves arrivent sur base des connaissances acquises, à en trouver la solution. Les autres, c’est-à-dire ceux qui ne parviennent pas à résoudre ce même problème n’en font pas moins un raisonnement conforme à leur tournure d’esprit mais qui est étayé sur des connaissances mal assimilées ou sur des déductions défectueuses.
La preuve de la Vérité est la Réalité extérieure, tant qu’on peut se reporter à elle. Si cette preuve fait défaut, surtout lorsqu’il s’agit de déductions spéculatives, philosophiques et autres, le raisonnement déductif prend le nom d’hypothèse.
Remarque importante : Vrai ou faux, surtout lorsque la preuve par la réalité objective fait défaut, l’individu croit fermement à la justesse de son raisonnement, puisqu’il est conforme à son Psychique, à son Etre intime. [p. 236]
Le Vraisemblable par contre est une notion qui vient du dehors. C’est ainsi que l’Inquisition condamne Galilée parce que, ce que ce dernier considérait comme vrai conformément à son Individualité psychique, était pour les autres faux ou tout au moins invraisemblable.
Ici encore, nous devons tenir le plus grand compte de chaque Individualité psychique, prise en particulier. Si nous avions l’ambition de pousser à l’extrême ce petit traité de Psychologie individuelle et d’édifier une morale nouvelle, quelle belle leçon de tolérance n’aurions-nous pas tirée de cette constatation. A la base de notre édifice moral, nous aurions posé le respect absolu de l’Individu, de la Personnalité psychique qui constitue un monde en soi si complexe, si vaste et surtout, malheureusement, si incompris aujourd’hui… (7)
LA VIE DES IDÉES.
Donc, à côté de tant de Sciences qu’on enseigne aujourd’hui dans tant d’Ecoles et d’Universités du monde entier, et dont l’importance peut être plus ou moins contestée, il faudrait placer celle plus vivante, plus intéressante, plus importante parce qu’humaine de la Psychologie.
Certes, cet enseignement se fait aujourd’hui. Je ne le conteste point. Si l’on peut jamais m’objecter une telle chose, c’est qu’on ne comprend pas bien ma pensée. Je veux entendre par là non point un ensemble de lois applicables à tout le monde et qui ne s’appliquent en fait à personne non point ces idées abstraites sur la logique, la Mémoire ou la Volonté non point ce Verbalisme aussi classique que creux qui bourre le crâne de nos étudiants d’idées et de principes pratiquement inapplicables. Mais bien cet Art nouveau qui, par l’exemple, la répétition, l’explication, permettra à chacun de comprendre et de connaître son prochain (8).
Prévenir vaut mieux que guérir.
La Psychanalyse, par sa méthode thérapeutique qui est excellente, puisqu’elle est individuelle, et qui doit être la nôtre, permet de guérir les névroses. Pour guérir celles-ci ou mieux encore pour les [p. 237] faire disparaître, le meilleur moyen encore est de les prévenir. Pour cela, il nous faut non point créer des Psychanalystes mais tout simplement former des Psychologues, c’est-à-dire des gens capables aussi bien de se comprendre (9) que de comprendre leurs proches leurs enfants, leurs élèves, leurs malades.
Ici, la belle phrase du philosophe athénien acquiert toute sa majestueuse ampleur « Connais-toi toi-même. »
Le mari doit connaître sa femme la femme, le mari.
Les parents, leurs enfants.
Les maîtres, leurs élèves.
Les médecins, leurs malades.
Qu’il est étrange de voir, — en ce monde où tout déjà nous est étranger, — les hommes vivre côte à côte, à l’intérieur des frontières d’un pays, dans la même ville, sous le même toit, aussi étrangers l’un à l’autre que deux mondes différents et infiniment distants. Et pourtant, quelles beautés ne découvrirait-on pas en ce faible « roseau-pensant » qu’est l’homme, si l’on se donnait la peine de l’examiner soigneusement. J’ai entendu des savants parler de la « poésie que représentent pour eux les Microbes qu’ils examinent au microscope. De combien supérieure serait-elle, cette poésie, si elle se dégageait de l’analyse de l’Homme !
Oui, certes. Mais.
Sans doute, ce que je dis là est bien difficile à faire, plus difficile que ne le fut pour Colomb la découverte de l’Amérique. Car, celui-là n’avait trouvé qu’un seul monde tandis que nous, puisque chaque individu représente un monde, c’est à la découverte de plusieurs inondes qu’il nous faudrait partir.
Oui. Mais en tenant compte du plaisir qui est attaché à tout effort et de la bienveillance de la Nature qui a établi entre tous les hommes, comme nous l’avons vu, bien des points communs, quelle pure satisfaction n’éprouverions-nous pas à l’idée que nous contribuons, pour notre modeste part, au progrès et au Bonheur de l’Humanité.
Ici, une question se pose Celle de savoir si les hommes sont perfectibles, autrement dit s’il est possible de les rendre meilleurs.
Pour ma part, je n’en doute point. Je n’exprimerai pas à fond cette question qui n’est pas à sa place ici et dont l’importance n’est pas grande pour notre thèse. Mais je ne peux m’empêcher de faire remarquer qu’en dépit de la barbarie dans laquelle nous a plongés la [p. 238] dernière guerre, de la folie qui semble s’être emparée de l’Europe, du déchaînement des passions et des vices, du tumulte des conflits d’intérêts, les quelques consciences qui se révoltent, les rares protestations qui s’élèvent, les quelques cris de paix qui éclatent, les appels à la Raison, à la Conscience européennes, constituent sans conteste la preuve de cette Perfectibilité.
Les progrès humains sont lents, d’une lenteur parfois même désespérante, justement à cause des différences psychologiques individuelles. Cela ne les empêche pas cependant d’exister. Ils seront sans doute plus réels encore et plus féconds si nous tenons compte, dans les idées que nous lançons, dans les édifices sociaux, moraux, économiques ou philosophiques que nous élevons, du principal facteur du problème l’homme, en tant qu’Individualité psychique.
Le laboureur, avant de lancer sa graine, analyse bien la composition de la terre qu’il veut féconder. Pourquoi voudrions-nous donc qu’une idée, quelle qu’elle soit, germe dans tous les esprits humains, indistinctement ?
Cela est d’autant moins probable que les idées vivent d’une vie qui leur est propre, en ce sens qu’elles sont indépendantes de nous, de l’Individu.
Elles naissent, vivent et meurent. Elles sont d’abord, pour l’individu qui les met en circulation (le Génie) des conséquentes produites par les antécédentes précédemment assimilées par lui, conformément à son Psychique spécial, à son hérédité biologique et psychologique. Une fois lancées, les idées font leur chemin. Elles pénètrent dans les cerveaux de tous les hommes, s’accrochent aux idées existantes, s’implantent, se fixent, se rendent maîtresses du terrain. Ou bien, si elles n’y trouvent pas des antécédentes de même nature, elles en sont impitoyablement repoussées.
Mais, une fois là, elles y prennent racine, germent, donnent des branches, des fleurs et des fruits. Bons ou mauvais, c’est égal. Pour l’individu qui les assimile, il n’y a point d’idées qui sont bonnes et d’autres qui ne le sont point (Voir le chapitre précédent). La volonté de l’homme est impuissante à les maîtriser. Alors qu’elle croit les avoir soumises, pleines de vitalité, les idées s’élancent, font des tours et des détours, telles des marionnettes que la main serait impuissante à tenir enfermées.
Qui n’a point remarqué ce phénomène ?
Pendant que j’écris, des idées bizarres que M. Mussolini a exposées [p. 239] dans l’« Encyclopédie italienne » se présentent, je ne sais trop pourquoi, à mon esprit.
Je dors, et dans mon sommeil des idées que je croyais mortes et qui se tiennent éveillées, se dressent, s’enlacent, s’enchaînent, et me font voir tant d’étranges rêves.
Je me promène avec un ami. Tout à coup, je m’aperçois qu’il accélère son pas, qu’il me devance, qu’il ne m’écoute plus. Il est déjà loin de moi, par la distance et par la pensée.
Ah, s’il était tout à fait comme moi, semblable à moi, superposable à moi. Il ne m’aurait sans doute pas devancé il aurait marché du même pas, pensé la même chose que moi. Rien à faire, il est différent…
Il a sa Psychologie. J’ai la mienne.
Il a son âme.
Je ne le comprends plus. Je m’efforcerai cependant de le comprendre. Je me mettrai dans sa peau. Je l’aimerai.
Ah ! comme ce serait beau si la Nature m’avait doué d’un sens spécial qui me permettrait de voir, à travers les circonvolutions du cerveau, la naissance, le développement, la marche, la trame, le mécanisme de la Pensée aussi aisément que lorsque, voulant me rendre compte de l’état du moteur de mon auto, je n’ai qu’à en soulever le couvercle.
Salonique, juillet 1932.
APPENDICE
Je considère de mon devoir de fournir ici quelques éclaircissements sur certains points obscurs de la présente étude, devoir qui m’est d’autant plus sacré qu’en l’accomplissant il me permet de témoigner publiquement toute la reconnaissance que je dois à M. le Dr G. Papillault qui a eu la bonté de me lire, de me juger et de me conseiller.
1° Dans le chapitre I de cette étude (Définition, p. 1) que je consacre à l’exposé du but de mon travail, je dis : « La Psychologie individuelle ne nie que la Psychologie officielle… » M. le Dr Papillault me conseille de l’appeler « Psychologie Spiritualiste » car, dit-il, « elle [p. 240] a bien perdu chez nous en France ce caractère officiel ». Pour ma part, je ne vois aucun inconvénient à ce changement.
2° M. le Dr Papillault me fait remarquer plus loin que « comme dans toute science biologique, il faut commencer par observer les faits. » Et où peut-on les observer, sinon chez les individus ?
« Mais le but de toute science est d’utiliser ces observations individuelles pour dégager des lois générales qui forment le corps même de la Science, ce que nous appelons tous des connaissances scientifiques. Toute observation, toute expérience, tend à ce seul et unique but.
« Et Freud lui-même n’a fait que cela : Qu’est-ce que ses « Rêves typiques et sa théorie de la Libido, et son intellectualisation de la Libido, le refoulement, etc ?… Ce ne sont que des hypothèses tendancieuses, plus que douteuses. Seulement, l’intention y est évidente de ses observations, il voulait tirer des lois générales.
« Une description psychique, qui resterait purement individuelle, ne mériterait jamais le titre de Science. Elle doit tendre à des lois générales, qui se mêlent avec d’autres lois en proportions variables dans chaque cas individuel.
« Un exemple banal pour me faire bien comprendre le corps thyroïde, la glande surrénale, sont des excitants puissants de l’activité psychique.
Avec la connaissance de leurs variations, je puis comprendre déjà plusieurs psychismes individuels.
« Et, en somme, vous arrivez vous-même à le dire. (p. 8.) »
S’il m’arrivait de remanier mon exposé, quelles autres phrases pourrais-je employer meilleures que celles de mon très cher et respecté maître qui, d’ailleurs, ne fait que refléter ma propre pensée d’une façon si lumineuse ? J’ai toujours désiré être aussi clair que possible car j’apprécie hautement cette qualité du génie scientifique français. Si cependant quelque doute pouvait encore subsister sur ce point dans l’esprit de mes lecteurs, je pense qu’il me suffira de répéter ici, en le soulignant, ce que j’ai déjà précédemment dit, à savoir (p. 3) : é »Pour moi, la Psychologie est la science du psychique de chaque être humain pris en particulier et si, dans la recherche de l’âme individuelle, appliquée à plusieurs personnes, nous trouvons des points de ressemblance, des points communs, ce ne sera qu’un pas en avant fait dans la Connaissance de tous les êtres humains en général et dans l’élaboration des lois psychiques humaines. »
M.le Dr Papillault semble avoir — bien à tort d’après moi — l’impression que « j’ai été trop influencé par les idées de Freud ». Je m’en défends, non parce que ce serait une honte mais parce que telle [p. 241] est ma conviction intime, du moins sur certains points. Je suis certain que mes lecteurs en auront la preuve et verront eux-mêmes, au cours de mon exposé, les points sur lesquels je combats Freud.
3° M. le Dr Papillault me demande si je suis certain « que les hommes primitifs n’avaient pas d’instinct grégaire, alors que tant de singes vivent aujourd’hui en groupes. » Mes lecteurs me permettront — et me sauront gré — de les renvoyer, pour un examen plus approfondi de la question, à l’ouvrage même de mon éminent collègue « Des instincts grégaires à la personnalité morale. » (N. Maloine, édit). Pour ma part, je dois faire ressortir le rôle particulièrement modeste joué par cette question dans la présente étude. Je n’ai pas examiné la question à fond et je ne l’ai pas étudiée. Je prie seulement mes lecteurs de me permettre de leur faire part de ces quelques questions que je me pose à ce sujet
- a) Est-il absolument indispensable de comparer les hommes aux animaux ? Ne se peut-il point que l’évolution de leurs agrégats ait été différente au cours des âges ?
- b) Si les singes vivent aujourd’hui en groupes, sommes-nous certains qu’ils aient toujours vécu de la sorte ?
4° Par Hérédité psychique je n’entends pas quelque chose de tout à fait indépendant de l’hérédité biologique, mais bien ce qu’ailleurs je désigne par le terme d’Aptitude. Ce n’est pas un résidu, mais une possibilité.
5° Enfin, je tiens à mettre en garde mes aimables lecteurs qui ont eu la patience de me suivre jusqu’ici contre la tentation d’attribuer un sens platonicien au phénomène que je désigne sous le nom de VIE DES IDÉES. C’est un sens relatif qu’il faut plutôt lui accorder puisque je ne désire pas reconnaître aux idées une Vie indépendante mais seulement faire relever, parfois, leur affranchissement à l’égard de notre volonté.
Pour terminer, je citerai deux passages d’un article de Freud paru en 1925 dans la Revue Juive sous le titre : « Résistances à la Psychanalyse » que j’ignorais jusqu’à ce jour et qui confirme ma façon de voir sur les deux points suivants :
1° Dans le chapitre intitulé « La Libido » je disais : « Mais de là à le rencontrer partout (cet élément, la Libido) dans les actes les plus infimes de la vie quotidienne comme dans les travaux les plus spéculatifs de l’esprit humain, il y a un grand pas qui est sans doute très difficile à franchir. » Freud reconnaît qu’il exagère en ces termes : « On lui reproche (à la Psychanalyse) son « pansexualisme » bien que l’étude psychanalytique des instincts eût toujours été rigoureusement [p. 242] dualiste et n’eût jamais manqué de reconnaître, à côté des appétits sexuels, d’autres mobiles assez puissants pour opérer le refoulement de l’instinct sexuel. En quoi, on s’empressait de méconnaître qu’il en est de même des animaux (qui ne sont soumis à la sexualité que par accès, à certaines époques et non de façon permanente comme l’homme) que l’on n’avait jamais songé à contester l’existence de ces autres mobiles humains, etc. »
2° Dans le chapitre Le moi (p. 24 et suiv.) j’examine la question du Conscient et de l’Inconscient et je détermine ce qui revient à l’un et à l’autre. Freud reconnaît la confusion que les philosophes et lui établissent là-dessus de la façon suivante : « Par vie mentale, les philosophes n’entendaient pas ce qu’entend la Psychanalyse. La grande majorité des philosophes ne qualifie de mental que ce qui est phénomène conscient. Le monde du Conscient coïncide pour eux, avec le domaine du mental. Ainsi, que peut répondre le philosophe à une Science qui, comme la Psychanalyse, soutient que le mental en soi est inconscient, etc. »
Conscient ou Inconscient ?
Je répète ma question de la page 28.
Et les mots de Shakespeare : « That is the question ! »
- De MEDONÇA
Notes
(1) Jusqu’à un certain point la théorie sexuelle est absolument juste, mais elle ne voit qu’un côté de la question. Il serait donc aussi faux de la rejeter que de l’accepter comme valable dans tous les cas. Dr C. Jung (l’Inconscient), p. 51.
(2) « De sorte que toute la suite des hommes pétulant le cours de tant de siècles doit être considérée comme un même homme qui subsiste toujours et qui apprend continuellement. » Pascal, Pensées, éd. Brunschwicg, p. 79.
(3) M. le Dr C. Jung, de l’Université de Zurich, parle de « l’hérédité psychologique’ qu’il appelle « les grandes figurations ancestrales » d’après le terme heureux de Jacob Burekhardt. Je me permets de renvoyer les lecteurs qui voudraient approfondir la question et se convaincre de l’existence de l’hérédité psychologique, indépendante de l’hérédité biologique, à son substantiel ouvrage : l’Inconscient.
(4) Je me propose d’examiner la question du « Génie » en détail dans un prochain article. Pour le moment, qu’il me suffise de dire que ma conception, que j’avais d’ailleurs exposée depuis bien longtemps dans des articles de la Revue de Psychologie appliquée se rapproche beaucoup de celle du Dr Jung (v, l’ Inconscient, p. 70). Elle se rattache à ma théorie de l’hérédité psychologique (Images ancestrales) et a celle des antécédentes.
(5) « II serait bien ambitieux de prétendre au monopole du Vrai et je n’ai pas cette prétention. L’homme ne peut atteindre qu’à ce qu’il croit vrai. »
Ernest Seillière, de l’Institut.
(Nouvelles littéraires, la novembre 1932).
(6) C’est sur ce phénomène que se base aujourd’hui la « Théorie de la non-culpabilité des délinquants ». On agit comme on agit parce qu’on ne pourrait agir autrement. Je me réserve d’ailleurs d’examiner cette question en détail dans un prochain article.
(7) « Je me suis dit plus d’une fois que les actes non-intentionnels de ce genre doivent nécessairement devenir une source de malentendus dans les relations humaines ». S. Freud (Psychopathologie de la Vie quotidienne, p. 247).
(8) « Dans le monde humain, au contraire, il n’y a que des indivilus. » (Schopenhauer).
(9) « Pour se conformer au principe du γνώθι σεαυτόν il faut commencer par l’étude de ses propres actions et omissions ». S. Freud, loc. cit.
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