Sur les exorcismes magiques. 1740.

EXORCISMESETMAGIES0001Sur les exorcismes magiques. Histoire de l’Académie royale des inscriptions et belles-lettres, avec les Mémoires de littérature tirés des registres de cette académie depuis l’année M. DCCXXXIV, jusque & compris l’année DCCXXXVII, (Parus), tome douzième, MDCCXL [1740], pp. 49-56.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
 – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

 

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SUR LES EXORCISMES MAGIQUES.

L’Exorcisme pris en bonne part, est une formule que l’Eglise employe pour prier Dieu de détourner les maux dont nous sommes ou affligez ou menacez, & l’usage de cette prière est aussi ancien que l’Eglise même ; mais ce n’est point de cette sorte d’Exorcisme, ni de celuy de la Synagogue, que M. Blanchard a prétendu parler dans le petit ouvrage, qu’il a lu à l’Académie, & dont nous allons rendre compte.

M. Thiers (a), M. l’Abbé Renaudot (b) & quelques autres ont épuisé le premier objet. Les recherches de M. Blanchard roulent fur les Exorcismes magiques employez par les Payens ; ils ne doivent leur origine qu’à une vaine curiosité, ainsi que la fausse science qui les mit en usage. Si on avoit toujours suivi la sage maxime de Philétas, Deum crede, atque cole, noli quaerere, on ne serait jamais tombé dans les excès où cette indiscrette curiosité porta les hommes, les Philosophes mêmes. On voulut sonder l’impénétrable nature de l’Etre suprême, de qui St Augustin dit que melius scitur nesciendo ;& on se perdit dans cet abîme.

Iamblique & Porphyre ont beaucoup raisonné sur cette matière. Le premier dit que les anciens Egyptiens & les Assyriens estoient persuadez que les Dieux estoient répandus dans tout l’Univers, & qu’ils concouroient tous au gouvernement du monde par une providence commune, mais qu’il y en avoit qui résidoient particulièrement, les uns dans l’air, les autres dans l’eau, d’autres sur la terre, & d’autres dans le feu. Quand on dit que certains Dieux habitent certains lieux plus particulièrement, c’est qu’estant partout par leur Essence, ils font paraître leur vertu dans ces lieux d’une façon singulière, à cause de la disposition qui s’y trouve, de même que le Soleil. qui, bien qu’il répande sa lumière généralement partout, la communique néantmoins plus ou moins efficacement en certains lieux qu’en d’autres~ .

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De-là vient que ceux qui prétendent s’entendre à ces mystères, & qui se croyent assez habiles pour communiquer avec les Dieux, se servent d’invocations particulières, & choisissent celles qui conviennent aux lieux où ils sont ; car des invocations communes ne produiroient aucun effet sur ces Dieux, qui ne se laissent toucher que par les choses qui ont quelques rapport à leur nature. C’est du même principe que venoit le choix particulier de certaines victimes, de certains parfums, de certaines paroles dans leurs sacrifices, dans leurs offrandes, dans leurs prières.

Porphyre-a cru que non seulement les Démons, mais les Dieux mêmes, estoient d’une nature susceptible de passion, ou au moins sensible, parce qu’ils se laissent toucher par des sacrifices & par des invocations qu’on leur adresse.

Pour se tirer de cette objection que les Dieux estant spirituels, se laissent toucher par des choses terrestres, & d’une nature si peu proportionnée à la leur, Jamblique répond qu’il y a dan les choses matérielles & corporelles de certaines saisons, de certaines espèces, des mesures, des proportions divines & spirituelles qui ont un rapport bien marqué avec la nature des Dieux.

Parmi les anciens Théologiens il s’en est trouvé qui reconnoissoient de deux sortes de Dieux, les uns d’une nature purement spirituelle, & les autres d’une nature en partie spirituelle & en partie animale : Que ceux-là estoient insensibles

à tous nos vœux & à tous sacrifices, à cause de leur élévation, & que par conséquent, on ne devoit point leur en faire ; & que ceux-ci estoient fort sensibles à nos prières & à nos offrandes. Outre les Dieux, on crôyoit que l’Univers estoit rempli d’Esprits préposez au gouvernement du monde en général, & à celuy de chaque Etre en particulier ; mais on ne s’accordoit pas sur la nature, le nombre & les fonctions de ces Esprits. Chacun en a parlé selon l’idée qu’il s’est formée de la Divinité, & sur l’arrangement qu’iI a imaginé pour cette

grande oeconomie. Ils sont tous convenus qu’il y en a de plusieurs espèces,.& que chaque espèce renfermoit plusieurs [p. 51] légions. On croyoit aussi qu’il y avoit un ordre & une subordination entre ces Esprits, & même entre ceux d’une même espèce ; Qu’entre ces Esprits il y en avoit qui estoient toujours en la présence de Dieu & à sa Cour comme les premiers ministres, & qui en recevoient les ordres, qu’ils donnoient à d’autres qui les faisoient exécuter. On ajoûtoit que de tous ces Esprits les moins parfaits estoient ceux qui présidoient aux Eléments.

Mais, dira-t-on, ces Esprits estant d’une nature supérieure à celle de l’homme, & en même temps les ministres des Dieux, comment l’homme peut-il les évoquer. les chasser par les Exorcismes, & arrêter par-là l’effet de leur mission ? C’est répondoit-on, que dans certaines circonstances, l’homme pouvoit avoir obtenu des Dieux un ordre supérieur pour commander à son tour à ces Esprits, & s’en faire obéir par des Evocations & des Exorcismes. Mais en quoy consistoient & ces Exorcismes & ces Evocations ? c’est de quoy il s’agit.

Agrippa (c) rapporte trois manières de conjurer les Esprits ; la première naturelle, qui se fait par le moyen des mixtes avec lesquels ils ont de la sympathie ; la seconde, qui est céleste, se fait par le moyen des corps célestes, dont on a employé la vertu pour attirer ou pour chasser les Esprits ; la troisième,

qui est divine & la plus forte, se fait par le moyeu des noms divins, des Sacrements & des cérémonies sacrées. Cette dernière conjuration ne lie pas seulement les Esprits, mais aussi toutes sortes de créatures, les déluges, les tempêtes, les incendies, les serpents, les maladies épidémiques, &c.

Il y a outre cela des fumigations propres pour attirer les Esprits, & il y en a d’autres pour les chasser ; il faut sçavoir les mêler, & s’en servir à propos.

Les anciens Magiciens ont cru que l’homme, en vertu des Sacrements qui luy sont propres, peut commander aux Esprits, & les contraindre de luy obéir, parce qu’en usant de ces instruments sacrez, il tient la place des Dieux, & est en quelque sorte éleve à leur ordre. Comme ces instruments sacrez viennent des Dieux qui les donnent aux hommes, il ne faut [p. 52] pas s’étonner s’ils ont une vertu qui éleve les hommes au-dessus des Esprits. Le livret intitulé Enchiridion Leonis Papae, a servi à gâter les esprits, quoyqu’il n’y ait rien que de bon, dit M. Blanchard, dans les Oraisons qu’il contient, mais la grande quantité de Croix dont il est plein, marque de la superstition.

L’Auteur ajoûte qu’il a lû dans cet ouvrage, une conjuration pour se mettre à couvert de toutes les armes offensives, qui luy paroît illicite, parce qu’elle confond témérairement les noms adorables de Dieu, & les instruments sacrez de la Passion de Jesus-Christ, avec les noms des Saints, & les instruments de leur martyre. Ce n’est pas, selon luy, justifier assez cet ouvrage, que de dire qu’i! imite en cela les Litanies. Entre plusieurs choses superstitieuses qui y sont encore contenues, porsuit M. Blanchard, se trouve la Lettre de Jesus- Christ au Roy Abgare, qui est manifestement fausse. On y fait dire à Jesus- Christ, « qu’il ne peut aller trouver ce Prince, qu’il luy envoyera un de ses Apôtres; qu’il luy écrit de fa main, & qu’il luy recommande de garder sa Lettre comme un bouclier, qui le défendra contre tous ses ennemis, visibles ou invisibles. »

II y a aussi dans ce libelle quelques paroles attribuées à Adam, lorsqu’il descendit aux Lymbes. Qui est-ce qui a pu recueillir des paroles que l’on suppose avoir esté prononcées dans un autre Monde ? L’Auteur attribue à ces paroles tant de vertu, qu’il prétend que tout homme qui les porte écrites sur luy n’a rien à craindre, dans quelque danger qu’il se trouve ; il assûre même que les mettant sur un bœuf ou sur un mouton, le boucher ne pourra les tuer. II y a de plus un autre livret, qui a pour titre Clef de l’Enchiridion, qui explique en détail la manière de se servir des Oraisons contenues dans l’ouvrage.

On y traite de la vertu du Pentacle, sans lequel on ne peut faire aucune opération : c’est un sceau imprimé, ou sur du parchemin vierge fait de peau de bouc, ou sur quelque métal, or, argent, cuivre, étain, plomb. Ce sceau renferme les noms de Dieu. Ce Pentacle se fait en renfermant un triangle dans deux cercles ; on y lit ces mots : FORMATION, REFORMATION, [p. 53] TRANSFORMATION. A côté du triangle est le mot AGLA, qui est très-puissant pour arrêter la malice des Esprits. Il faut que la peau sur laquelle on applique le sceau, soit exorcisée & bénite. On exorcise l’encre & la plume dont on se sert : après s’estre purifié, on encense le Pentacle, après quoy on l’enferme trois jours & trois nuits dans un vase bien net, ensuite, on le met dans un linge ou dans un livre que l’on parfume & que l’on exorcise. Toutes les prières qui sont ordonnées dans le Commentateur de l’Enchiridion, sont bonnes en elles-mêmes, mais elles sont précédées, accompagnées & suivies de tant de cérémonies superstitieuses, de Croix rouges aites avec du sang de l’index ou du pouce, à certains temps de la Lune, à certaines heures de la nuit, à des jours marquez ; de Croix noires faites avec du charbon béni, que tout Chrétien doit avoir de l’horreur de telles pratiques. Il en est de même de l’usage de la verveine & de la manière de la cueillir, en se tournant du côté de l’Orient, en appuyant la main gauche sur l’herbe, en prononçant certaines paroles, & en tournant sans regarder derrière soy. Les cercles font encore d’un grand usage dans toutes ces opérations. On les trace avec de la craye blanche exorcisée. Ils sont employez pour renfermer les Esprits, afin qu’ils ne nuisent ni à l’opérateur, ni aux assistants. Tout le monde sçait l’analogie de la figure circulaire avec l’unité, qui est le symbole parfait de Dieu.

La différence de ces cercles consiste dans les noms & les figures, qui y sont ou différentes, ou différemment placées, & ce changement a ses raisons dans les proportions numériques.

On ne rapportera de toutes les conjurations, que celle qui se fait sur le Livre magique ; pièce si importante pour faire juger que ces extravagances sont l’ouvrage de quelques Théologiens ignorants & impies. En voici la formule.

« Je vous conjure tous, & je vous commande à tous tant que vous estes d’Esprits, de recevoir ce livre qui vous est dédié, afin qu’autant de fois qu’on le lira, vous ayez à apparoître sans délay, & en forme humaine douce & agréable, à ceux qui liront ce livre, en telle façon qu’il leur plaira, soit [p. 54] en général, soit en particulier, c’est-à-dire un ou plusieurs, au désir du Lecteur, sans nuire ni faire aucun mal à qui que ce soit de sa compagnie, ni au corps, ni à l’âme, ni à moy qui le commande, qu’aussitôt que la lecture en sera faite, vous ayez à comparoître, ou plusieurs, ou un en particulier, au choix de l’Exorcisant, sans bruit, sans éclat, rupture, tonnerre ni scandale, sans illusion, mensonge ou fascination. Je vous en conjure par tous les noms de Dieu qui sont écrits dans ce livre.

 

Que si celuy ou ceux qui seront appellez ne peuvent apparoître, ils feront tenus d’en envoyer d’autres, qui diront leur nom, & pourront faire leur même fonction, & exercer leur pouvoir, & qui feront un serment solennel & invioiable d’obéir ponctuellement aux ordres du Lecteur, incontinent & aussitôt qu’il voudra, sans qu’il ait besoin d’autre secours, aide ou force & autorité. Venez donc, au nom de toute la Cour céleste, & obéissez au nom du Pere, & du Fils, & du Saint-Esprit. Ainsi soit-il. Levez-vous & venez par la vertu de votre Roy, & par les sept couronnes de vos Rois, & par les chaînes sulfurées sous lesquelles tous les Esprits & Démons sont arrêtez dans les Enfers. Venez & hâtez vous de venir devant ce cercle, pour répondre à mes volontez, & faire & accomplir tout ce que je desire. Venez donc, tant de l’Orient que de l’Occident, du Midy & du Septentrion, & de quelque part que vous soyez. Je vous en conjure par la vertu & par la puissance de celuy qui est trin & un,_qui est éternel & coégal, qui est un Dieu invisible, consubstantiel, qui a créé le Ciel, la Terre & la Mer, & tout ce qu’ils contiennent, par sa parole.  »

Pour entendre les dernières paroles de cet Exorcisme, il est bon de sçavoir que les magiciens faisoient présider quatre de ces Esprits aux quatre parties du monde. C’estoient comme les Empereurs de l’Univers. Celuy qui présidoit à l’Orient estoit nommé Lucifer, celuy de l’Occident Astaroth, celuy du Midi Léviathan, & celuy du Septentrion Amaimon ; & il y avoit pour chacun d’eux des conjurations particulières que M. Blanchard n’a pas cru devoir rapporter, non plus que la [p. 55] conjuration générale de ces quatre Esprits, qui est superstitieuse, injurieuse à Dieu & à la Religion, & qui met le comble à l’impiété en faisant servir le nom de Dieu & ce qui est le plus respectable dans la sainte Religion à des passions déréglées.

Comme les Esprits ne font pas toujours d’humeur à obéir, & sont rebelles aux ordres, on a tiré de la Cabale une conjuration plus absurde que toutes les autres, qui donne des charges & des dignitez à des créatures abandonnées de Dieu & dévouées aux derniers supplices, qui les menace de les dépouiller de leurs employs, de les précipiter au foud des Enfers, comme s’ils avoient une autre demeure. Il faut observer que le pouvoir de chacun de ces Esprits est borné, qu’il seroit inutile de l’invoquer pour une chose qui ne seroit pas à sa portée, & qu’il faut donner à chacun pour sa peine une récompense qui puisse luy estre agréable. Lucifer qu’on évoque le lundi dans un cercle, au milieu duquel est son nom, se contente d’une souris. Nembroth reçoit la pierre qu’on luy jette ie mardi. Astaroth est appellé le mercredi pour procurer l’amitié des Grands, & ainsi de suite. Ce qui esy de plus dangereux, c’est que l’Auteur de ces détestables conjurations a composé des prières adressées à Dieu & à J. C. qui paroissent très-saintes, pour faire sous cette apparence de Religion illusion aux simples ; car enfin peut-on demander à Dieu qu’il nous favorise dans l’invocation des Démons, qu’il nous envoye ces ministres d’iniquité pour servir à notre-vanité & à notre sensualité, & l’est)ce pas l’outrager que de faire servir les choses les plus sacrées, à satisfaire les passions humaines ?

Les Anciens ne faisoient pas de pareilles conjurations, ils n’abusoient pas des noms de la Divinité, ni des mystères de leur Religion ; ils s’attachaient uniquement à chercher dans la nature des moyens propres à réussir dans leurs opérations. magiques, persuadez que toute la nature n’estoit animée & gouvernée que par un même Esprit universel, répandu dans tous les Etres particuliers, mens mundi.Ils tenoient que tous les Etres estoient liez les uns aux autres ; que chacun d’eux a [p. 56] souvent la qualité & la vertu, son espèce, sa forme, sa figure, sa proportion ; ainsi trouvant dans les Etres sublunaires des rapports & des convenances avec les Etres célestes, ils se servoient de ceux-là pour attirer ceux-ci : moyen aussi aisé à imaginer qu’il est difficile à trouver par ceux mêmes qui prétendent avoir une plus grande connoissance des secrets de la nature.

M. Blanchard a terminé ses remarques par une description de la baguette avec laquelle on fait les cercles qui fervent aux opérations magiques. Elle doit estre de coudrier, de la pousse de l’année, il la faut couper le premier mercredi de la lune entre onze & douze heures de nuit. En la coupant il faut prononcer certaines paroles;; il faut que le couteau soit neuf, & le retirer en haut en coupant fa baguette ; il faut la bénir & écrire au gros bout le mot Ag/a, au milieu y, & le Tetragrammaton au petit bout avec une croix à chaque mot, & dire Conjuro te cito mihi obedire. Venias per Deum vivum, une croix ; per Deum verum, une seconde croix, per Deum sanctum, une troisième. On attribue à Arnaud de Villeneuve la conjuration impie contre les Esprits qui refuseroient d’obéir aux conjurations. .  »

De tout ce discours dont le sujet est un peu délicat, M. Blanchard conclud, qu’il est également dangereux de vouloir trop connoître Dieu, & de ne le point connoître du tout ; l’un produit l’orgueil & l’ambition, & l’autre la superstition & l’Idolatrie. Ce qui fait dire à Saint Cyprien, de Deo etiam vera dicere periculosum.

(a) 1735. Triaté des Superst.

(b) 1735. Dans l’Hist. Des Liturgies.

(c) III, 33.

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