Sur les crimes des mystiques délirants. Thèse n°139 pour le doctorat en médecine de la faculté de médecine (diplôme d’état) de Paris. Par Avram Rapaport. 1935.

RAPAPORTMYSTIQUE0008-2Avram Rapaport, Sur les crimes des mystiques délirants. Thèse n°139 pour le doctorat en médecine de la faculté de médecine (diplôme d’état) de Paris. Paris, Edition imprimerie « Pascal », 1935. 1 vol. in-8° (15.5/24.3), 40 p.

Avram Rapaport est né le 19 octobre 1908 à Bucecea (Roumanie). Le président de cette thèse de médecine fut Henri Claude. Elle est suivie d’une bibliographie dédiée. – On trouve cet ouvrage à la B.n.F. sous la cote : 8- TH PARIS- 11299

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article en français. – Nous avons corrigé les très nombreuses fautes l’orthographe, et de frappe, sans toutefois rectifier la syntaxe et la grammaire des originaux.
 – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 9]

 Sur les crimes des mystiques délirants
par
Avram Rapaport

INTRODUCTION

Nous nous occuperons dans notre exposé des mystiques religieux.

L’homme religieux est souvent remarquable par sa moralité, sa charité, la maîtrise de ses passions, etc. Ces qualités se trouvent réalisées au maximum chez les grands mystiques. Avec les délirants mystiques, au contraire, nous verrons le mysticisme morbide aboutir parfois au crime.

Le délire mystique était très fréquent au moyen âge. Il est devenu plus rare de nos jours ; néanmoins, il existe encore dans certains pays et milieux.

Les délirants mystiques peuvent dans leur délire perpétrer divers actes antisociaux : crimes, suicides, vols, etc.

Dans notre thèse, nous étudierons les crimes de ces mystiques délirants.

Nous diviserons notre travail, de la façon suivante :

1. Le mystique.
2. Les idées délirantes mystiques.
3. Sur les hallucinations chez les délirants mystiques.
4. Sur les délires mystiques.
5. Sur les différents types de criminels délirants mystiques.
6. Conclusions.

[p. 11]

LE MYSTIQUE.

Le Mystique est un religieux, qui s’adonne à une contemplation qui va jusqu’à l’extase, et unit ainsi mystérieusement son âme à Dieu. Le mystique n’est pas seulement un homme religieux, qui communique avec son Dieu par intermédiaires, prières, ministres du ciel, il veut communiquer directement avec lui et se confondre avec lui. Pour pouvoir s’unir avec Dieu, qui est uniquement l’esprit, le mystique doit réduire au minimum sa partie charnelle. Il y arrive par l’ascétisme et la vie contemplative,

Il y a d’abord un premier stade de méditation, puis c’est l’oraison de quiétude ou la contemplation, puis le sommeil des Puissances (facultés intellectuelles), enfin l’extase au cours de laquelle surviennent le ravissement et le vol de l’esprit. En dernier lieu s’accomplit le Mariage ou l’Union spirituelle.

Le mystique dans l’extase est donc dégagé de son enveloppe charnelle. Il anéantit, mortifie son corps, pour que l’âme ainsi délivrée puisse mieux s’unir avec Dieu, C’est la raison de la vie ascétique du mystique, avec le jeûne et l’insomnie. Il se couche sur un lit d’épines, fait ruisseler le sang de son corps par les cilices, etc.

Après avoir mortifié son corps, il cherche à mortifier son esprit, il détruit tout et ne laisse de la place que pour l’amour divin. Le mystique, dans la contemplation, s’isole de la société, oublie le monde sensible, ses semblables et même ses proches. Il devient indifférent à tout ce qui n’est pas l’objet immédiat de sa contemplation, ‘

On a noté après l’extase un état dit de sécheresse, Ainsi Ste-Thérèse après l’extase perd quelquefois confiance en ses révélations, en soi (elle se croit sous l’influence du diable). Elle est inapte à prier, elle est si mauvaise, qu’elle est la cause de tous les péchés et de tous les maux du monde,

Après avoir été désincarné, le mystique va reprendre son enveloppe charnelle ; mais son corps passif deviendra un instrument de Dieu. Ses actes sont le fait de Dieu ; il les accomplit avec aisance, avec joie. Le somnambulisme divin (Delacroix) est une véritable fusion entre le mystique et Dieu.

Nous n’établissons aucune identité entre les grands mystiques révérés par les religieux et les malades que nous allons étudier. Les premiers échappent entièrement à notre compétence. [p. 12] Quand bien même on établirait des analogies entre certains phénomènes appartenant aux deux groupes (Baillarger a étudié les hallucinations psychiques dans les autobiographies des mystiques), il demeurerait une différence fondamentale entre le Mystique Bienfaisant et Créateur et le délirant mystique souvent malfaiteur et apragmatique.

Les délirants mystiques présentent quelques manifestations rappelant le mystique vrai (extases) ; cela seul justifie les lignes qui précédent, notre étude envisageant uniquement des malades.

Avec Lhermitte, nous caractérisons le mystique, par les trois faits suivants :

1. dispersion de l’activité psychique,
2. persistance de la distinction entre le moi et le non moi.
3. absence de tendance active.

Dispersion de l’activité psychique, dit Lhermitte, incohérence des processus élémentaires, affaiblissement de la synthèse psychologique, fantaisies imaginatives. Tout au contraire, la méditation mystique est concentration, son objet est éminemment pratique et aboutit toujours à d’importantes résolutions.

Persistance de la distinction entre le moi et le non moi.

Chez le vrai mystique la conscience se rétrécit de plus en plus et surtout fait capital la barrière, qui sépare la conscience de soi et la conscience du monde extérieur, s’efface et disparaît. Il n’y a plus d’opposition entre le moi et le non-moi, tandis que celle-ci persiste intacte pendant l’activité onirique (délire mystique).

Le 3e point, sur lequel insiste le Prof. Claude dans son enseignement, est également considéré par Lhermitte comme capital. C’est le caractère actif du mystique vrai, qui s’oppose au délire mystique, dont ne sort aucune œuvre. Le mystique vrai est ardent au prosélytisme, à la charité. Jamais de tels faits ne s’observent chez le délirant mystique.

LES IDEES DELIRANTES MYSTIQUES.

Nous avons d’abord des idées de grandeur. Le malade se croit un personnage important, un prophète inspiré de Dieu, avec lequel il est en communication, Jésus-Christ, le Messie, Jeanne d’Arc, pape, etc., destiné pour de grandes missions, fondateur de religions. Tout ceci rentre dans la théomanie.

Deuxièmement nous avons des idées d’indignité religieuse, de mauvaise confession, de culpabilité, d’auto-accusation, de damnation. On trouve ces idées-là chez le mystique mélancolique.

Dans un autre groupe nous mettrons les Idées de persécution par êtres surnaturels, anges et démons, avec souvent attaque et défense. [p. 13]

L’altruisme prend dans certains cas chez le mystique un caractère morbide. On trouve dans les manifestations de cet altruisme quelque chose de choquant, un déséquilibre, un manque de mesure. Nous verrons plus tard comment cet altruisme morbide est à la base de certains crimes.

Il faut rattacher aux idées religieuses toutes les manifestations délirantes basées sur le surnaturel (spiritisme, superstitions).

. .

D’autre part on a très fréquemment association d’idées érotiques aux idées mystiques. Certains mystiques refoulent au nom des principes religieux leurs aspirations érotiques, d’où des complexes mystico-érotiques, qui s’extérioriseront dans les cas pathologiques. On connaît le mysticisme des vieilles filles.

Le mysticisme, disent certains auteurs, n’est que la sublimation de l’amour.

BalI disait : « Le rapport est tel entre la folie religieuse et l’excitation sexuelle, qu’on pourrait croire, que ce sont les mêmes cellules cérébrales, qui président aux mêmes phénomènes. »

Chez certains obsédés on a des représentations obscènes au cours des prières, d’autres tiennent un langage mystico-érotique.

Toujours dans ce cadre, il faut parler des amoureuses de prêtres, qui sont souvent troublées dans leurs fonctions génitales, et qui en viennent dans leurs passions à des scandales et crimes.

Les idées délirantes mystiques peuvent se rencontrer dans la plupart des psychopathies, mais on les rencontre le plus souvent dans :

l’épilepsie,
l’hystérie,
la mélancolie,
et la schizophrénie.

SUR LES HALLUCINATIONS CHEZ LE DELIRANT MYSTIQUE.

MM. Claude et Ey disent, que l’hallucination est la conviction intime de percevoir un objet absent. A côté des hallucinations, ces auteurs distinguent les pseudo-hallucinations, qui n’ont pas de caractère perceptif, où entrent : les hallucinoses, les hallucinations psychiques, les représentations aperceptives, les inspirations et les illusions. D’ailleurs M. le Prof. Claude soutient, que les hallucinations vraies sont rares et ce qu’on prend souvent pour telles, ne sont en réalité que des pseudo-hallucinations (illusions, représentations aperceptives, etc.). Maintenant, nous allons décrire les diverses hallucinations, qu’on l’encontre chez le mystique délirant.

Nous parlerons d’abord des hallucinations verbales.

Positions dans une attaque de grande hystérie. - Études  cliniques sur le grande hystérie ou hystéro-épilepsie  (Paris- Delahaye & Lecrosnier, 1881), planche 5.

Positions dans une attaque de grande hystérie. – Études cliniques sur le grande hystérie ou hystéro-épilepsie (Paris- Delahaye & Lecrosnier, 1881), planche 5.

Premièrement, nous avons l’hallucination auditive verbale, [p. 14] qui est une hallucination auditive sensorielle. Le malade entend des voix, les perçoit par l’oreille. Si la voix vient de la part de Dieu, c’est en général par l’oreille droite, que le malade la perçoit ; si c’est le démon, c’est en général par l’oreille gauche (sénestre) .

D’autres fois, le malade entend une voix intérieure, il ne perçoit pas de bruit par l’oreille, c’est une hallucination psychique (auditive).

Si le centre visuel des mots est ébranlé, le malade voit les mots en pensées, au lieu de les entendre, c’est l’hallucination psychique littérale.

Mais le langage intérieur étant mixte, auditivo-moteur, l’hallucination psychique sera le plus souvent auditivo-motrice. Alors ils entendent une voix qui parle en eux, dans leur cerveau, leur cœur. Ces voix n’ont pas de sonorité, pas d’extériorité. Voix sans sons, voix d’âme, de pensée à pensée. Chez les mystiques interviennent beaucoup les hallucinations psycho-motrices de Séglas verbales et graphiques.

« Dans l’hallucination psycho-motrice verbale, le malade a la sensation de prononcer des mots ; il sent sa langue, ses lèvres se mouvoir, mais il ne les meut pas, il ne parle pas. Dans certains cas les gestes peuvent être ébauchés. Dans l’hallucination psycho-motrice graphique, le sujet sent que sa main se meut, mais il n’écrit pas. Ici encore, les gestes peuvent être ébauchés. »

Nous arrivons ainsi à la parole et écriture imposées, qui font partie des hallucinations motrices de Séglas.

La parole imposée ou Impulsion verbale de Séglas.

Le malade a la sensation, que l’on se sert de ses organes pour parler. L’interroge-t-on, il ne répond pas, ses organes vocaux étant employés par un autre. On est en présence d’un malade qui prononce des mots, des phrases, il est obligé de le faire, sa motalité ne lui appartenant pas.

Ceillier a insisté sur une autre variété de langage observé au cours des psychoses d’influence. Le malade ne sent pas l’obligation de parler, il parle mais le contenu de son discours lui paraît étranger à la pensée (phonographisme ou langage automatique).

Dais quelques cas, chez les spirites, en particulier, le sujet n’aurait pas conscience de ce qu’il dit, l’autre personnalité s’est substituée à lui. On a le délire prophétique.

L’écriture imposée ou l’impulsion graphique de Séglas.

Le malade est obligé d’écrire. Il écrit une foule de choses, mais il sait ce qu’on le fait. écrire. Quand le malade ignore ce qu’il écrit, on a alors l’écriture automatique. L’écriture automatique et le délire prophétique ressortent, après mon maître Lévy-Valensi, du mécanisme du pithiatisme.

Un exemple d’écriture automatique nous l’avons chez Mme Guyon, qui disait : « je ne savais pas ce que j’écrivais ». Maintenant [p. 15] nous allons parler des hallucinations visuelles. Ces hallucinations sont très fréquentes chez le mystique. Elles apparaissent surtout la nuit ou au crépuscule, dans le demi-jour. On a d’abord des hallucinations élémentaires : des lueurs, des couleurs, des cercles de feu ; puis on a des hallucinations synthétiques. Ce sont des objets : flammes, précipices, ou bien des êtres surnaturelles : Dieu, la Vierge, les Saints, le démon, l’enfer, les séances de sabbat, la volupté tentatrice, etc.

A côté de ces hallucinations, se trouvent les visions intellectuelles, qui sont des représentations mentales sans images, il y a simplement sentiment de présence.

D’autre part chez le mystique on trouve souvent des visions imaginaires (pseudo-hallucinations visuelles). Ces visions, qui sont souvent symboliques, ne sont que des représentations mentales plus ou moins vives. D’ailleurs, M. le Prof. Claude soutient, comme nous l’avons déjà dit, que beaucoup d’hallucinations des mystiques ne sont que des représentations mentales plus ou moins vives interprétées par une action extérieure.

Chez le mystique on trouve souvent d’autres hallucinations ; olfactives, gustatives, tactiles, thermiques, douloureuses, musculaires. Les hallucinations musculaires sont des sensations de contraction musculaire sans déplacement réel. Le malade croit, que l’on mobilise ses membres, que l’on oblige à marcher ; il sent les mouvements, mais ne les exécute pas. D’autres parts, chez le mystique on trouve des hallucinations sensitives complexes (hallucinations stéréo gnostiques). Le malade sent dans la main ou sur la surface du corps des objets différentes. Il se plaint que l’on met dans ses mains des organes génitaux, par exemple. D’autres se plaignent que le démon roule sur leur corps.

Chez les mystiques on trouve souvent des hallucinations cénesthésiques. La cénesthésie est la sensibilité interne, diffuse, commune, vague ; c’est le sens de notre existence.

Parmi les hallucinations cénesthésiques, nous citerons : les hallucinations de transformations, de possession, et génitales.

Les hallucinations de transformation consistent en ceci, que le malade se croit un loup, un chat, etc. (lycanthropie).

Dans les hallucinations de possession, le malade a à l’intérieur du corps un animal, un démon, un génie, etc.

Les hallucinations génitales tiennent aussi des hallucinations sensitives. Les éléments de ces hallucinations sont : les accouchements, la masturbation, le viol, la sodomie, etc. Ces hallucinations s’accompagnent souvent de sensations voluptueuses.

Maintenant pour finir, nous allons dire quelques mots des hallucinations motrices de Séglas.

Dans ces cas, les actes du sujet peuvent être imposés ou empêchés.

Quand les actes sont imposés, le sujet est obligé d’exécuter diverses, choses, sa motilité ne lui appartient plus. Nous avons déjà vu, nous ne revenons plus, la parole et l’écriture imposée ; [p. 16] mais le sujet peut être poussé à faire les actes les plus insolites : crimes, suicides, fugues, vols, incendies, etc.

Quand les actes sont empêchés, éventualité qui n’est pas rare, le malade ne peut plus parler, ne peut pas crier (l’entourage et lui-même disent alors, qu’il est possédé du démon), ne peut écrire, marcher, etc.

SUR LES DELIRES MYSTIQUES

Les hallucinations et les idées délirantes, voilà les matériaux, qui entrent dans la constitution du délire mystique.

Nous parlerons d’abord de la pathogénie de ce délire, puis de sa séméiologie générale et pour finir nous en décrirons quelques types.

Pathogénie. La question a été très étudiée, mais les auteurs, ne sont pas d’accord. Nous sommes en présence de deux théories : l’une veut que les idées délirantes mystiques trouvent leur source dans une constitution spéciale du psychisme du sujet ; pour l’autre, c’est un trouble organique, qui est à la base du délire mystique. D’ailleurs, la pathogénie du délire, que nous étudions, se confond en bonne partie avec celle du délire en général.

Théories psychogènes. Flournoy dit, que le syndrôme mystique survient sur un terrain médiumnique, c’est-à-dire enclin aux, dissociations mentales.

Pierre Janet dit ceci : « C’est ce besoin de direction, cette recherche d’une influence protectrice et excitatrice, qui par les efforts et les doutes qu’ils déterminent, amènent les obsessions et les délires. A un certain moment, à la suite d’un certain abaissement plus grand de la tension psychologique, qui supprime la réflexion déjà défaillante, ils cessent d’interroger et de douter, ils affirment, ce qu’ils désirent, ils construisent un délire. »

Freud dit, que les symptômes morbides résultent du fait, que certains processus psychiques, d’ordre affectif surtout, qui tendaient à s’extérioriser, ont été refoulés dans l’inconscient. Le symptôme morbide se forme à titre de substitution à la place de quelque chose qui n’a pas réussi à se manifester au dehors.

Par la psychanalise, on fouille l’inconscient et l’on cherche ce quelque chose qui a été refoulé. Freud trouve presque toujours un complexe érotique.

MM. Claude, Montassut et Mignard ont étudié dans « Psychoses de compensation » des délires qui ont à leur base un choc affectif.

Théories organicistes.

Flournoy a montré le rôle de la menstruation dans les délires.

Goldblatt se rallie à une théorie organique. Le mysticisme, dit-il, est déterminé par le mécanisme physique de la sphère du subconscient. [p. 17]

De Morsier affirme que certains états mystiques ont uniquement une origine organique. Pour cet auteur, le syndrôme mystique se confond avec le syndrôme hallucinatoire.

Il a relevé de nombreux exemples de syndrômes hallucinatoires survenus les uns aux cours d’une typhoïde, les autres au cours d’une encéphalite, d’une anémie pernicieuse. Allant plus loin il nous donne l’observation d’un cas de syndrôme mystique complet avec extase survenant, au cours d’une syphilis cérébrale en évolution.

Mon maître Lévy-Valensi dans son article « Mysticisme morbide et sexualité » dit ceci :

« C’est le développement général et soudain de la sphère génitale pendant l’adolescence, qui en créant un déséquilibre favorise l’apparition de névroses : grossesse, ménopause, postpartum. »

Plus loin il dit :

« Les idées mystiques ne coïncident-elles pas parfois avec l’évolution de la fonction ovarienne, puberté, puerpéralité, ménopause, aux heures troubles où s’éveille et se ralume la flamme amoureuse de la passion. »

Les délirants mystiques sont souvent troublés dans leurs fonctions génitales, éprouvent des sensations voluptueuses, ont des relations contre nature.

Pour le M. le Professeur Claude et son école, on ne saurait concevoir un délire sans se rendre compte à la fois de l’état organique et psychique du sujet.

D’ailleurs, au rôle des facteurs immédiats s’ajoute celui du terrain constitutionnel, qui est un facteur de premier ordre.

La constitution psychique, presque toujours transmise par hérédité, joue en effet un rôle très important dans la genèse des délires. Ne fait pas un délire n’importe qui.

A ce propos, sont très intéressantes les expériences faites par M. Claude et ses collaborateurs avec la mescaline.

Cette substance libère mais ne crée pas de fantasmes. Pour avoir ceux-ci, il est nécessaire d’une constitution psychique adéquate.

Il faut connaître les tendances antérieures du sujet quand on étudie les délires.

Il y a, chez les mystiques, dit Régis, une exagération des sentiments religieux, mais aussi une tendance pour ainsi dire instinctive à s’exalter pour les choses de la religion ou de la politique. Cette tendance se manifeste souvent chez eux dès le bas âge et ce qu’il y a de plus curieux, elle leur est habituellement transmise par hérédité.

Les mystiques, en général sont des schizoïdes, mais ils peuvent être des mélancoliques, des, cyclothymiques, avoir des tendances paranoïaques, etc.

Le délire mystique se rencontre dans l’épilepsie et beaucoup d’autres maladies psychiques et physiques. [p. 18]

Séméiologie générale.

Il faut considérer l’importance de l’élément intuitif dans l’apparition de l’idée délirante mystique. Dans les délires mystiques on trouve très souvent des hallucinations de toute sorte. Les hallucinations visuelles sont très fréquentes. La psychose hallucinatoire chronique qui habituellement est exempte d’hallucinations visuelles, en contient quand elle prend une allure mystique.

On trouve chez le mystique des états crépusculaires, oniriques plus ou moins confusionnels, parmi-lesquels les plus importants sont les états dysesthésiques (d’étrangeté du moi, de dépersonnalisation, d’étrangeté de la pensée intérieure) et les états oniroïdes avec constructions et reconstructions de l’ambiance selon un mode qui rappelle la pensée onirique. Ces divers états ont été réunis par MM. Claude et Ey sous l’épithète d’états hypnoïdes (chute de niveau psychique).

Etats dysesthésiques. MM. Claude et Ey définissent l’état dysesthésique de la façon suivante : C’est l’ensemble des troubles de sentiments d’activité personnelle, des impressions pathologiques dont le siège est le corps propre et l’activité psychique. Ces états dysesthésiques sont faits de sentiments, d’impressions, d’états d’âme anormaux. La dysesthésie est la somme des sentiments et impressions d’étrangeté personnelle.

Un malade peut dire par exemple : Il y a des périodes de 3 ou 4 jours pendant lesquelles je me transforme, je prends en moi différents personnes ; je retourne à de nombreuses années en arrière. J’ai fait des réflexions avec une voix qui n’est pas la mienne. J’étais dans la peau d’une autre personne, je ne suis plus moi-même.

Le syndrôme dysesthésique est le type d’un état pseudo-hallucinatoire, dont ce qu’on appelle généralement les hallucinations psychiques ne sont qu’un aspect.

Etats oniroïdes. L’état oniroïde, disent MM. Claude et Ey, est un état intermédiaire entre le rêve et la veille, au cours duquel l’individu conserve un sens pragmatique suffisant pour se diriger dans l’existence malgré l’atmosphère de délire, dans laquelle il vit. Ce qui caractérise l’état oniroïde, disent ces auteurs, c’est avant tout l’ensemble d’expériences délirantes, imaginatifs, intuitifs, incoercibles. Ces expériences sont constructrices d’une ambiance qui obéit aux lois du syncrétisme, des condensations et du symbolisme de la pensée du rêve.

Donc tandis que la dysesthésie comprend l’ensemble des sentiments et d’impressions d’étrangeté personnelle, l’état oniroïde comprend l’ensemble des sentiments et impressions d’étrangeté ambiante. Ces états, d’ailleurs, sont souvent intriqués en pratique.

Nous parlerons maintenant de quelques types de délire mystique. Nous décrirons :

un délire mystique de persécution,
un délire mystique d’orgueil ou ambitieux, [p. 19]
un délire mystique mélancolique,
un délire mystique altruiste.

D’ailleurs, en pratique ces différents délires s’intriquent souvent.

Délire de persécution.

Le délire de persécution chez les mystiques est très souvent un délire démoniaque. Le malade se croit persécuté par le démon. Tantôt le démon se trouve à l’intérieur du malade, on a alors la démonopathie interne ; tantôt, il se trouve en dehors du malade, on a alors la démonopathie externe. Ce malade localise le démon dans le cœur, la tête, la matrice, le creux épigastrique, etc. Il sent des mouvements de reptation analogues au déplacement d’un serpent, il entend des bruits comme des cris d’animal ou des voix. Le démon le torture de mille façons, en lui faisant arriver toutes sortes de malheurs ou d’incidents fâcheux, en l’injuriant, en le poussant au mal contre sa volonté. Cet ennemi inspire au malade de blasphémer Dieu, de commettre des péchés. Les malades sont presque tous des St-Antoine en état de tentation, presque tous des persécutés génitaux. Hommes, ils éprouvent des désirs lubriques, une envie irrésistible de se livrer à l’onanisme, au coït, à l’homosexualité et aux autres perversions sexuelles, ou bien ils ressentent, malgré eux, principalement la nuit dans leur sommeil, le spasme voluptueux, comme si l’on agissait insensiblement sur leurs organes. Les femmes disent, que Satan abuse d’elles toutes les nuits, elles le sentent matériellement, elles donnent parfois sur ces rapports hallucinés les détails les plus circonstanciés.

Comme moyens de défense, ils se livrent aux pratiques superstitieuses extravagantes, usitées encore dans certains pays et milieux.

Ils font des prières, des neuvaines, ils portent sur les différentes parties du corps habitée par le démon, des emblèmes, des chapelets, des crucifix ; ils réclament avec insistance d’être exorcisés, de subir une opération libératrice.

Femme exorcisée Mariazeller Wunderaltar.

Femme exorcisée Mariazeller Wunderaltar.

Dans certains cas, les malades considèrent diverses personnes comme des appôts de Satan, comme des ennemis acharnés à leur perte. Ils deviennent vis-à-vis de ces personnes des persécuteurs, en se livrant sur eux à des actes barbares ou criminels. En même temps; ils croient avoir fait leur devoir de bons croyants, en tuant les gens qui ont des relations avec le démon.

Au système d’attaque par le démon se dresse progressivement un système de défense, de protection. Le malade est soutenu, renforcé, dirigé par Dieu, la Vierge, le St-Esprit, etc. Il y a une lutte perpétuelle en lui entre ces deux forces opposées. Petit à petit, il y a triomphe de la divinité, qui est aussi le sien et ça conduit le malade au délire mystique ambitieux ou orgueil. [p. 20]

Le délire mystique d’orgueil (théomanie).

Dans ce délire, dans cette théomanie, le malade se croit un personnage important, un prophète inspiré de Dieu, avec lequel, il est en communication, dont il a reçu des ordres, et qui est l’auteur même de ses actes ; d’autrefois il dit, qu’il est Jésus-Christ, le Messie, ou même Dieu.

Quand la divinité se trouve à l’intérieur du malade, on a la théomanie interne ; quand elle se trouve en dehors du malade, on a la théomanie externe.

Ces théomanes croient toujours avoir une grande mission à remplir. Ils disent, qu’ils sont appelés à reformer les religions des peuples, à établir une religion universelle, à donner des leçons de morale aux divers souverains de la terre. Ils écrivent des codes de morale sous la dictée du St-Esprit, ont divers accès extatiques, pendant lesquels les hallucinations de toute sorte ne sont pas rares. Le firmament s’ouvre devant leurs yeux et ils contemplent à loisir le trône du Créateur et la splendeur des chérubins et du paradis. Malheur aux simples mortels, si ces visionnaires s’avisent de croire, qu’ils sont destinés à laver dans le sang la tache originelle du péché, car on a vu plusieurs tuer avec joie pour opérer, disaient-ils, la plus glorieuse des résurrections. « Les conceptions délirantes des théomanes, leurs hallucinations, dit Calmeil, persistent presque toujours pendant qu’ils dorment. Ils continuent à apercevoir des météores enflammés, des êtres mystérieux, des animaux emblématiques, ils entendent gronder la foudre, retentir les états de la trompette et s’appuient encore au réveil sur ces prétendues preuves pour se poser avec plus d’assurance en véritables prophètes, pour croire à la grande mission et à la grâce dont ils sont devenus possesseurs. »

Ils vont alors de ville en ville, catéchisant, prêchant la bonne parole, menaçant des foudres célestes et de la colère divine, usant même de violence contre les ennemis et les détracteurs de la religion.

Tantôt ils vantent les mortifications, les mutilations les plus épouvantables, qu’ils accomplissent sur eux et poussent leurs fidèles à accomplir, fondant ainsi des sectes religieuses plus ou moins étendues, tantôt obéissant à leurs voix, ils frappent tel ou tel personnage important, tel ou tel grand de la terre, enfin ils en viennent fréquemment à renouveler le sacrifice d’Abraham et à immoler en holocauste leurs propres enfants.

Le délire mystique mélancolique.

Le mystique mélancolique a des idées d’indignité religieuse, d’humilité. Il a des scrupules. Ce qui caractérise ces derniers, c’st la disproportion entre la chose et l’effet. La cause du scrupule est une faute réelle mais légère. Cette faute légère, ce petit péché, provoque chez le mélancolique une réaction psychique [p. 21] exagérée, une souffrance morale atroce. Il a fait par exemple une mauvaise confession, pour lui c’est un sacrilège.

A côté des scrupules il faut parler de la folie du doute qui est loin d’être rare dans la mélancolie mystique. C’est un malade qui n’est jamais sûr d’avoir fait comme il faut sa prière, il la répète un certain nombre de fois et n’est jamais satisfait. La folie du doute peut ou non s’accompagner du délire du toucher ? C’est alors un malade qui croit toujours avoir quelque chose de malpropre, de démoniaque sur ses mains ; il passe tout son temps à se laver les mains.

Puis il a des idées de culpabilité, d’auto-accusation. Le malade se croit coupable des pires méfaits, il est si mauvais, qu’il est la cause de tous les maux et de tous les péchés du monde.

Puisqu’il est si mauvais, si indigne, il doit expier ses péchés. Il est alors damné, possédé du démon ; transformé en animal, digne de tous les supplices ; il les attend d’ailleurs, il sait qu’on le punira dans son corps et dans son salut éternel, dans sa descendance même ; il n’est plus qu’un paria, ses organes sont ceux d’un chien, d’un crapaud, ce ne sont même plus des organes — il n’a plus rien du tout, il n’a plus d’organes. Après avoir nié la vie, il commence à nier la mort, il devient immortel. Il n’a même pas la satisfaction d’espérer la mort, il ne mourra jamais, pour que ses souffrances soient éternelles. Ces idées de négation de la vie et de la mort réalisent le syndrôme de Cotard.

Le délire mystique altruiste.

Le but de toutes les religions est de développer le sentiment altruiste chez l’homme. Elles veulent rendre l’homme bienveillant, prêt à se réjouir du bien d’autrui, et à souffrir de sa souffrance. « Aime ton prochain comme toi même » voilà le principe de la religion.

Si nous nous plaçons au point de vue d’une doctrine strictement utilitaire, si nous acceptons dans toute son âpreté la théorie qui veut, que l’homme soit un loup pour l’homme, il serait trop facile de voir dans les manifestations altruistes inexpliquées par intérêt personnel quelque chose d’anormal, de morbide.

Mais avec la plupart des psychologues modernes, avec Ribot en particulier, nous admettrons l’innéité du sentiment altruiste, nous dirons qu’il existe un altruisme normal fondé sur l’instinct de sympathie et guidé par l’émotion tendre. Dans les manifestations de l’altruisme normal, rien ne choque, tout paraît naturel. Au contraire, dans certains cas, nous trouvons dans les manifestations de l’altruisme quelque chose de choquant, un déséquilibre, un manque de mesure. C’est cet altruisme que nous appellerons avec Vallon et Genil-Perrin altruisme morbide.

Legrand du Saulle nous parle de l’excessive philanthropie de certaines hystériques.

Legrain signale l’expansivité philanthropique du fou raisonnant. [p. 22]

Legrain nous raconte l’histoire d’un dégénéré chez lequel c’est une hallucination qui commande une manifestation charitable, en apparence assez normale.

« Dieu apparaît à un enfant et lui ordonne d’aller chez le curé de sa paroisse, avertir celui-ci de ne pas faire de quête pour le denier de St-Pierre en raison de l’abondance des pauvres à secourir dans le pays. Le jeune apôtre exécute cette mission et se fait rabrouer par le curé. D’autre part Legrain nous montre beaucoup de ses dégénérés qui sont d’une prodigalité morbide.

« Le mysticisme et le fanatisme, dit Genil-Perrin, sont pleins de manifestations les plus diverses de l’altruisme morbide. Ainsi, le prosélytisme intransigeant lors des réveils obligea parfois des gens à quitter leur maison et leur pays pour finir les exhortations trop pressantes de leurs amis. Dans la littérature nous trouvons de beaux exemples, de prosélytisme morbide. Ainsi dans l’évangéliste de Daudet, une jeune protestante veut sauver les âmes par amour pour elles autant que par amour pour Dieu. Déjà à la pension, elle s’entendait à détacher les âmes de leurs affections naturelles et à les offrir à Jésus, encore toutes palpitantes et meurtries des liens rompus. Elle rêve toujours d’évangéliser le monde. »

Nous verrons plus loin, comment dans la vie réelle, il y a des mystiques délirants, qui tout comme l’évangéliste de Daudet, perpétuent des meurtres altruistes, croyant agir dans l’intérêt de la victime.

Toujours dans le cadre du délire altruiste, nous parlerons d’un délire mystique à type de revendication, où celle-ci paraît être altruiste (idéalistes passionnées de Dide). Mais si l’altruisme vrai existe, comme nous l’avons dit plus haut, ce n’est pas chez le revendicateur, qu’on le trouve.

« Le mystique morbide, dit mon maître Lévy-Valensi, qu’il s’agisse d’un idéal religieux, moral, politique ou philosophique, n’est pas un véritable altruiste ; il a développé au maximum la tendance ambitieuse du paranoïaque ; il aime le rôle qu’il joue ; dans la scène qu’il crée, il est, lui, le premier rôle. »

Avant de finir ce chapitre, nous dirons, que le délire mystique est dans l’immense majorité des cas un délire paranoïde.

En effet, il s’agit d’un délire riche et complexe, non systématisé, étant formé par simple juxtaposition de blocs idéiques étranges, souvent fantastiques. Le malade dépasse les limites du possible et du réel. Il est entièrement alogique, ne présente pas la psychorigidité du paranoïaque.

Il incorpore dans son délire tout le stock de ses souvenirs littéraires et scientifiques et crée de toutes pièces de grandes conceptions, où entrent les conflits moraux les plus divers, les forces antagonistes de la nature, les puissances spirituelles, les astres, les sociétés secrètes, les francs-maçons, etc.

Cette activité délirante laisse subsister un état mental peu altéré, et même légèrement exalté. [p. 23]

SUR LES DIFFERENTS TYPES DE CRIMINELS DELIRANTS

Les mystiques qui tuent sont : des persécutés, des ambitieux, ou des délirants altruistes.

Cette division n’a rien d’absolu, un mystique quelconque, pouvant entrer dans quelques groupes.

Comme exemple de persécuté, nous pouvons donner l’abbé Verger qui assassina en pleine cérémonie religieuse Mgr Sibour, archevêque de Paris, aux cris de : Pas de déesses ! A bas les déesses ! Verger, fils de suicidés, compte de nombreux aliénés dans sa famille ; on constate donc chez lui une hérédité chargée manifeste.

Il est atteint d’un délire de persécution à forme raisonnante. Tous ceux avec qui il a vécu, ses confrères surtout sont ses ennemis ; il les accuse de toutes sortes de méfaits, et ne recule devant aucune calomnie si infâme soit-elle, pour les perdre. Frappé au mois d’août 1855 d’un retrait de pouvoir en raison de son inqualifiable conduite, il adresse plaintes sur plaintes aux autorités et fatigue l’archevêque et le parquet de ses réclamations.

Un jour entre autres, le 3 février 1856 il va se placer devant la porte de l’église de la Madeleine, portant sur la poitrine une pancarte sur laquelle étaient écrits en latin ces mots d’Evangile : « J’avais froid et ils ne m’ont pas vêtu, j’avais faim et ils ne m’ont pas donné à manger. »

A la suite et en français il avait ajouté cette phrase : « Je ne suis ni suspendu, ni interdit, et pourtant ils me laissent mourir de faim. »

Jusque-là Verger n’est qu’un persécuté raisonnant ; il n’a que des ennemis personnels et toutes ses conceptions délirantes se limitent sur ce point.

Mais voilà que le pape vient de proclamer un dogme nouveau, celui de l’Immaculée Conception. Verger voit dans cette proclamation un attentat à la pureté du dogme. Du haut de son orgueil il proteste et publiquement, par la parole, et par la plume, il fulmine avec violence contre le souverain pontife et la nouvelle croyance. A partir de ce moment il se fait le champion de deux causes, la sienne et celle de Dieu ; et tandis qu’il jette l’anathème faux auteurs de son interdiction il venge la religion outragée en assassinant l’archevêque de Paris, ne regrettant, dit-il, qu’une chose, c’est de n’avoir pu aller à Rome frapper une autre et plus illustre tête.

Taguet, dans les annales médico-psychologiques de 1887 nous rapporte un cas de folie religieuse à 5, où un meunier Ange tue sa sœur Esther, en l’accusant d’être possédée du démon. Il s’agit d’une famille composée d’une mère et 5 enfants, dont un absent au moment du drame.

Albert Londe. Baillement hystérique. 1859-1910. Négatif sur plaque, tirage moderne 9x12. Coll. Bibliothèque de Toulouse.

Albert Londe. Baillement hystérique. 1859-1910. Négatif sur plaque, tirage moderne 9×12. Coll. Bibliothèque de Toulouse.

Ange, fils aîné, était très pieux et depuis un certain temps dans un état d’exaltation religieuse. Il négligea son moulin pour [p. 24] s’adonner à une vie religieuse intense. Esther, était peu aimée dans la famille ; on l’accusait d’être polie, coquette, recherchée du démon en mariage. Un beau jour elle ne peut plus prier et alors l’entourage est convaincu, qu’elle est possédée du démon. Ange décide de la tuer. On passe une nuit en prières et à 7 heures du matin, Ange ordonne à sa sœur de se mettre à genoux. « Tu vas renoncer, dit-il, au démon et à ses actes ». — « Tuez-moi, je mérite la mort » dit-elle. Alors Ange met un maillet entre les mains de son frère, pose deux clefs en croix sur la tempe gauche de la victime et ordonne à son frère de frapper. La mort a été instantanée. Puis ils s’acharnent sur le cadavre, pendant que sa sœur lui traverse le cou, la cuisse, les pieds et les mains avec sa longue épingle. Ange pratique trois ouvertures avec un vilebrequin pour donner issue au démon.

On voit le caractère étrange du crime, qu’on peut rapprocher des crimes et suicides étranges admirablement décrits par Moreau de Tours.

Dans ce délire à 5, il y a moins un délire de persécution qu’un délire ambitieux. Il y a toujours un peu de persécution comme dans toutes les affaires de démon, où celui-ci est considéré comme un persécuteur, un ennemi ; mais ce qui prédomine ici, c’est la mission glorieuse que, ces gens, Ange surtout, croient avoir à remplir. Ils luttent pour la gloire de Dieu et tuent leur sœur Esther dans laquelle Satan, la force opposée à la divinité, a trouvé asile.

Actuellement à la Clinique de M. le Prof. Claude, se trouve un Russe, qui le 2 novembre 1934 a étranglé sa mère, parce qu’il la croyait possédée du démon. Il dit ceci : « Ma mère était possédée du diable. En la tuant, j’ai tué Lucifer. J’ai exécuté l’ordre du Christ. Cet ordre m’est parvenu spontanément, ça s’est fait tout seul. »

Voilà son observation, que nous avons prise avec le concours de M. le Docteur Lagache.

Il s’agit d’un Russe, âgé de 44 ans, qui demeure en France depuis 1920 et qui a donc subi divers vicissitudes : guerre, révolution, soviétisme.

Il est le fils d’un général de la garde impériale. On n’a pas de précision sur son père, qui est mort en 1918 (tué). Sa mère, était fille du cousin germain de son père ; elle était âgée de 68 ans, bien portante d’habitude, avait un peu de rhumatisme. Ils ont été 6 enfants, dont 3 sont morts : 2 de maladies et un troisième de mort violente.

Il a actuellement une sœur, qui habite Londres. Il dit qu’elle est très nerveuse. Il a encore un frère, qui paraît être bien portant.

Le malade, fils aîné, était le préféré des parents, surtout de son père, qui voyait en lui son véritable fils.

Il étudie d’abord à la maison avec ses parents et ses institutrices, puis à l’âge de 10 ans, entre au corps des cadets [p. 25] Alexandre III. Après avoir commencé à travailler brillamment, il a une éclipse vers l’âge de 12-13 ans. Subitement a beaucoup de mal à continuer ses études, oublie presque tout ce qu’il apprend, est très inférieur dans ses compositions, est obligé de cesser provisoirement ses leçons de musique. Son frère attribue cet arrêt à l’onanisme, peut-être s’agit-il d’une encéphalite.

Il était imbu de lui-même; se croyait très intéressant, était susceptible et avait beaucoup d’amour propre.

Il ne faisait que de rêver des bateaux.

Il a commencé un beau jour à accuser ses parents d’avoir négligé son éducation, de l’avoir mal orienté ; il leur faisait des scènes violentes.

Il dit : « Mes camarades étaient beaucoup plus développés que moi, se débrouillaient tout seuls, moi je demandais au père ce que je devais faire. J’étais isolé de mes camarades, ne jouais pas avec eux. A la maison j’ai toujours été seul, entièrement à mon âme. Le père était très occupé, la mère était formaliste. »

A l’âge de 17 ans, il est inscrit à l’école d’artillerie, où il travaille bien. A 20 ans, il est nommé lieutenant, mais il se lasse de l’armée et la quitte bientôt.

Il rêvait toujours des bateaux, des yachts. En 1913, il entre à l’école de marine, d’où il sort lieutenant. Il se marie en 1916 sans enthousiasme. En 1917, a un enfant et depuis, dit-il, il n’a plus eu aucun rapport sexuel.

En 1917, en avril, il donne sa démission de lieutenant, va à Helsingfors, où il travaille comme dessinateur ; puis à Riga, où il est instituteur. En 1920, il vient en France. La sœur de sa femme achète une scierie, où il travaille jusqu’au mois de février 1921 ; puis vient à Paris seul, sa femme restant dans le Midi. A Paris, il travaille d’abord comme ouvrier et en 1922 dans une maison d’assurances. Un an après, il quitte cette situation pour s’engager comme architecte naval.

En 1927, il va à Marseille, en profite pour aller voir sa femme. II apprend alors, que celle-ci a un enfant de 5 ans, n’accepte pas la paternité et divorce.

En 1929, il déménage pour Pontoise.

Sa mère fit au début de l’année 1931 un séjour à Pontoise, il lui donne une chambre et est en bons termes avec elle. En août l931, sa mère rentre de Londres, où elle s’est brouillée avec sa fille. C’est alors, qu’il a pris un appartement où ils vivaient ensemble jusqu’au jour de drame.

En ce qui concerne sa vie sexuelle, nous avons vu qu’elle n’est pas très riche.

Vers 1905, un camarade de classe lui apporte des images obscènes ; c’est alors, qu’il commence à avoir des désirs sexuels et pratique l’onanisme. Depuis, il a continué ce vice. Il dit y avoir renoncé depuis trois ans.

Il parle d’une jeune fille qu’il a connue en 1907, d’une cousine, qu’il a connue en 1912. [p. 26]

En 1916, il fait la connaissance d’une princesse. Il dit, que celle-ci a voulu l’épouser parce qu’elle comptait sur lui au point de vue pécuniaire.

Il écrit à son père avec l’espoir, que celui-ci lui déconseillera le mariage.

Mais le père ne lui a pas répondu, ainsi qu’il le désirait et alors il se marie sans enthousiasme en 1916. Il n’a pas voulu avoir des enfants. Mais en 1917 il y a naissance d’une fille. Il accuse sa femme de l’avoir voulue et depuis, a cessé tout l’apport sexuel.

Nous avons vu comment en 1927 il entame le divorce, qui fut prononcé en 1929.

Il a voulu se remarier, s’est fiancé quelquefois. Mais en 1930 il se convertit au catholicisme et depuis renonce à se remarier.

Si sa vie sexuelle n’est pas très riche, sa vie religieuse, elle, est très riche.

Il n’était pas spécialement religieux pendant son enfance. Il était luthérien, prenait part au catéchisme. Il dit, qu’il est sorti de l’école sans aucune instruction religieuse et même avec un certain mépris pour la religion.

En 1914 l’unité navale est en danger ; il est très ému. Sous l’influence de cette émotion, il se convertit à l’orthodoxie auprès du pope de son navire.

C’est à ce moment qu’il a compris que la religion était le fondement de la vie, car il a trouvé une religion intégralement applicable à sa vie.

Quand il arrive à Paris, il entre en relation avec son frère, qui a épousé une catholique. Alors, il entend parler du catholicisme et en est fortement impressionné.

Quand il arrive à Pontoise, il se met en contact avec l’Eglise catholique.

En 1930, il travaille à Dauville. Un jour, à un changement de train il s’arrête à Lisieux et va prier dans la chapelle ; au retour, il pleure dans le train.

En septembre de la même année, il fait une neuvaine en famille à l’occasion de l’anniversaire de Ste-Thérèse. Pendant une nuit d’insomnie, il a une grande joie et est inondé de lumière. Il comprend en un instant, que Dieu lui indique de porter sa croix telle qu’elle est et qu’elle consiste en premier lieu dans ses devoirs de famille. Pour la porter, Dieu lui donne une force surnaturelle, qui lui permet d’exécuter sa volonté.

Finalement, en octobre 1930 il se convertit au catholicisme.

Le premier novembre 1930, se trouvant dans un train de banlieue, il y a un rêve : « Je vis Ste-Thérèse, dit-il, en communiante devant un autel latin flanqué de deux chandeliers à sept branches. J’ai dans mon livre de messe une image de Ste-Thérèse telle que celle de ma vision. Donc Ste-Thérèse s’est avancée vers moi, avec un sourire de modestie et de supplication comme une sœur. D’une voix très fraîche, claire, enfantine, détachée et nette, [p. 27] elle me dit : Tu vois, j’ai fait tout pour toi, pour que tu puisses en faire partie. Je t’ai ramené à moi. J’ai pensé qu’il s’agissait probablement de l’Eglise, que c’était une sorte de rappel à moi, qui allais m’amuser. Tu ès en train d’apprendre la religion, voulait dire cette intervention, et tu vas t’amuser chez des faux catholiques. Tout cela était pour me montrer que Dieu me reconnaissait.

Plus tard il dit que c’était peut-être la petite fille qui était dans le wagon, qui parlait.

Il n’est pas défendu d’admettre qu’il s’agissait d’un état oniroïde et il a intégré cette jeune fille dans son délire sous la forme de Ste-Thérèse.

Nous avons vu, comment en 1931 il rencontre sa mère et prend avec elle un appartement.

Quand on lui demande en quels termes il était avec sa mère, il répond : « Je ne pouvais pas la souffrir. Elle était toujours autoritaire, despote avec moi. Les gouvernantes, les institutrices, les bonnes étaient beaucoup plus mères pour moi que ma mère officielle. Je me confessais toujours de ne pas pouvoir m’entendre avec ma mère. Depuis l’âge de 22 ans, j’étais brouillé avec elle, parce que je l’avais vu manquer la parole. C’était un devoir pour moi de la prendre avec moi. Depuis trois ans, je vivais avec elle, j’abandonnais toute discussion avec elle, parce que cela m’empêchait de travailler, ça m’affectait beaucoup. Elle m’espionnait, me regardait par une petite fenêtre de la cuisine, ça ne me plaisait pas. Ma mère était une pauvre malheureuse. Jamais, je n’avais songé avant à la tuer. Pour la première fois même, le jour du crime, je lui ai demandé de sortir avec moi pour aller voir des amis. »

Depuis qu’il s’est converti au catholicisme, il a commencé à négliger son travail et à se lancer dans des préoccupations religieuses. Au repas, raconte son frère, les conversations devenaient inévitablement religieuses. Il déclarait, qu’il n’y a pas que les saints, qui ont été favorisés de révélations surnaturelles. Il disait être à la source de l’Union de l’Eglise.

Il avait le phénomène de l’écriture automatique, écrivait des lettres aux autorités ecclésiastiques, trouvant, que l’Eglise catholique n’agissait pas assez vite pour convertir le monde.

Ces derniers temps, il se plaignait de sa mère, se disait incompris d’elle. Elle l’espionnait, le regardait par une petite fenêtre. Il avait peur de rentrer à la maison, parce qu’elle était habitée par le diable.

Avant le drame de novembre 1934, il remarque que beaucoup de personnes, prêtres et autres catholiques ne pouvaient pas le regarder dans les yeux. Il a la certitude d’une supériorité manifeste. .

D’ailleurs dans le courant du mois de février 1934, après deux mois de réflexion, il change de nouveau de religion et passe à une Eglise russe de rite orthodoxe, où il trouve pas mal de [p. 28] catholicisme. Il reste dans le fond de son cœur un bon catholique.

Le protestantisme, dit-il, s’adresse au cerveau, tandis que le catholicisme va directement au cœur.

Voilà qu’arrive le 1er novembre 1934, la Toussaint, jour des Morts ! Cette journée-là, il la consacre spécialement aux choses religieuses. C’est le 1er novembre 1930, qu’il a eu la vision de Ste-Thérèse dans le train de banlieue.

Dans la nuit qui a suivi la Toussaint, il s’est levé vers 4 heures du matin, a allumé la lampe et le feu et a commencé à copier des pages de l’apocalypse. Il dormait mal depuis quelques semaines et avait cette impulsion pour écrire.

La mère dormait dans la chambre voisine. Il a fait sur elle le signe de la croix avant de commencer à écrire.

Soudain, la mère se lève et lui dit : Ferme ton électricité, il est temps de dormir. Il lui répond : va te coucher, ce que je fais, c’est pour notre bien.

Il éteint la lumière pour la tranquilliser. Au bout de 5-10 minutes, il rouvre la lumière, reprend son écriture.

Alors sa mère se lève, revient vers lui et lui dit : « Qu’est-ce que tu écris ? » Puis elle lui arrache les feuilles et les met sur la table, en le fixant des yeux avec un regard de toupet comme si elle ne voulait plus cacher ses cartes. Elle jouait la scène en voulant imposer son autorité de mère pour les choses de la religion. Elle dit : « Tu es le Christ, ça ne me plaît pas ».

Après que la mère est rentrée dans sa chambre, il pense qu’il ne s’agit plus d’indifférence envers le Christ, mais d’hostilité. Il lui passe dans l’esprit les paroles du Christ : « Celui qui aime son père et ses proches plus que moi, n’est pas digne de moi. »

Il se lève, va auprès de sa mère, la saisit par le cou et serre. Puis il fait une prière pour demander le secours du Ciel, parce que ses forces faiblissaient. Il a serré jusqu’à ce que sa mère ait cessé de respirer.

Il dit : « Je n’avais aucun remords en le faisant, je sentais que je faisais mon devoir ; c’est la plus grande preuve d’affection filiale que j’ai pu lui donner.

Les derniers temps, j’ai cherché à dominer tous mes sentiments qui n’étaient pas pour elle ; je n’avais pour elle aucune affection, je voyais en elle quelque chose d’hostile. Les derniers jours, je sentais beaucoup moins cette hostilité. Quand elle m’a fixé de ses yeux avec ce regard de toupet, je voyais là les yeux du diable. J’étais convaincu, que le diable se servait de la personne de ma mère, que celle-ci agissait de sa part avec une force tout à fait hostile à la divinité, au Christ ; c’est alors que j’ai agi sous l’influence divine. »

Après avoir étranglé sa mère, il va chercher un couteau, en se demandant, s’il n’était pas prudent de défoncer le cœur pour en faire sortir le démon, mais renonce à cela.

Au moment du crime, un voisin tire la chasse d’eau. Il interprète cela comme un témoignage céleste, il répondait en tirant [p. 29] six fois le déclic de l’eau par l’allusion aux six branches du sceau de Salomon. Il frappe ensuite à la porte de ses voisins pour leur dire, qu’il vient de tuer sa mère. Puis il prend l’Evangile dans sa poche, met le livre de prières dans l’autre et va à l’église orthodoxe, où il se confesse, et dit qu’il a tué sa mère. Il va ensuite à une église catholique, où il déclare la même chose. On avertit la police. Il est conduit au commissariat, se sent très à l’aise, se trouve entouré de personnes aimables, tous catholiques, bénit les gardiens et dit qu’il a exécuté l’ordre du Christ. « Je priais, dit il, tout le temps. Depuis une semaine, j’ai une voix, qui n’est pas la mienne et une compréhension, qui n’est pas la mienne non plus.

Cette voix avec laquelle je parle, sort avec une force qui n’est pas de moi. Je cherche à faire ma prière pour entendre cette voix. Une fois, que je l’entends, je suis tranquille, car elle est en moi. Mes pensées correspondent aux pensées des Ecritures. J’ai la faculté de lire et d’interpréter les Evangiles, qui ont un sens absolu.

Les derniers temps, je ne dormais pas, mon sommeil était une prière, une communication avec Dieu par l’esprit. »

En ce qui concerne sa voix, il dit : « Elle retentit au dehors, au lieu d’être en dedans. Elle n’est pas comme une voix humaine ordinaire. Peut-être dois-je subir un exercice de silence pour que je puisse mieux me servir de ma voix. »

Du commissariat, il est conduit à l’Infirmerie spéciale du Dépôt. Là-bas, il commence à faire un tout autre délire.

Dans la cellule, où il se trouve, il se croit chez lui. Il dit, que tout est arrangé pour lui, pour lui rappeler les choses de sa vie, depuis son enfance. Il voit des dessins, des inscriptions et commence à les interpréter. Il voit sur le mur dessiné un crâne et au dessous les initiales AA, il dit alors que ça représente son père, dont le nom commence par les mêmes initiales. Il reconnaît ses bienfaiteurs, en particulier un certain R. M., qui l’a secouru d’un prêt d’argent.

Il voit la face de sa femme avec deux os croisés en démon.

Il entend des bruits de cloche et se croit alors au Carmel du Montmartre. Il entend aussi des voix d’hommes et de femmes.

Un matin, il se met en chemise et prend la position en croix sur le plancher.

Il a dans la cellule des phénomènes sexuels. Il a une pollution et remarque que son sperme ne tache pas le linge. Il a rêvé, que Ste-Thérèse lui caressait le crâne. Puis il dit qu’il s’agissait cette nuit-là d’onanisme plutôt que de pollution. Il dit : « J’ai été poussé par une force plus forte que moi pour faire ça, car depuis trois ans je ne l’ai plus fait. On me souriait, alors qu’on grondait les autres. J’ai été suggestionné pour faire ça. C’était une expertise pourvoir si j’étais sexuellement normal ; ça intéressait probablement l’Etat de France, parce que j’étais à la. Disposition [p. 30] de l’Etat. Peut-être aussi, il s’agissait de faire une autre race.

D’après les dessins et les inscriptions, il a compris, qu’il descendait du Czar. Son père était fils de Alexandre II et oncle de Nicolas II. Le portrait de son père ressemble à Alexandre II. Il se rappelle qu’étant enfant, il a reçu une parole affectueuse du Czar.

Il dit ensuite, que sa mère n’est point sa mère. Il a été échangé pendant un voyage contre le fils d’un baron allemand. Il est l’enfant de son père d’une personne, qui peut-être est Ste-Thérèse de l’Enfant Jésus.

Il parle ensuite d’une demoiselle, qu’il a connue en, 1907. C’était son premier amour. Il fait allusion à l’apocalypse, où c’est écrit : « Rappelle toi de ta première affection. » Puis il dit : Mme R. est ma mère et Mlle R. ma sœur. — Un jour plus tard il dit que Mme R. et Ste-Thérèse de l’Enfant Jésus seraient la même personne.

Dans son délire, il parle de yachts, de bateaux.

Actuellement, on est en présence d’un malade, qui a une attitude sthénique et orgueilleuse. Il n’exprime aucun regret ; cependant, parfois il avoue, qu’il aurait peut-être dû patienter, recourir à un autre moyen.

Il a des rires fréquents, parle toujours de choses religieuses. Il dit : « Le catholicisme va au cœur, mais tout le monde ne peut pas le sentir. » Il ne dit plus, que sa mère n’est pas sa mère. Cette idée, dit-il, lui a été suggérée par le Dr. de Clérambault, qui lui a posé la question suivante : « Etes-vous surs, que c’était votre mère ? » Il ne soutient plus son origine illustre.

Nous sommes en présence d’un malade, d’une constitution schizoïde, qui dès le bas-âge vit d’une vie intérieure, s’isole de la société, se complaît dans ses représentations mentales. Il présente même cette euphorie, qu’on voit souvent chez ces gens qui s’enferment dans leur tour d’ivoire. Nous avons vu son attitude sthénique et orgueilleuse. Ce malade manque de stabilité, de directive, d’orientation, et a toujours besoin de conseils.

Il change souvent, comme, nous l’avons vu, de religion. « C’est ce besoin de direction, dit Pierre Janet, cette recherche d’une influence protectrice et excitatrice, qui par les efforts et les doutes qu’ils déterminent, amènent les obsessions et les délires. »

Ce malade a subi la guerre, la révolution, le soviétisme, qui ont sûrement laissé des traces sur son psychisme. Le surmenage a sûrement joué un rôle chez lui. Comme maladies, il aurait fait une encéphalite. Au point de vue sexuel, il est un onaniste.

Mon Maître Lévy-Valensi, dans « Mysticisme morbide et sexualité » dit ceci : « Les délirants mystiques sont souvent troublés dans leurs fonctions génitales : éprouvent des sensations voluptueuses, ont des relations sexuelles (incubes et succubes), parfois des relations contre nature. « [p. 31]

Invube.

Invube.

Les rapports entre l’onanisme et le psychisme sont très compliqués et discutés.

L’onanisme n’est pas un acte normal ; il n’est pas la manifestation extérieure normale de la tendance érotique. Le psychisme est tendu au lieu d’être détendu comme dans l’acte normal. L’onaniste doit bien maintenir l’image de l’objet sexuel. Son imagination est très active, pouvant aller même jusqu’à l’hallucination.

Il y a épuisement de son psychisme, un état de psychasthénie. « A un certain moment, dit Janet, à la suite d’un certain abaissement plus grand de la tension psychologique, qui supprime la réflexion déjà défaillante, ils cessent d’interroger et de douter, ils affirment ce qu’ils désirent, ils construisent un délire. »

L’agression érotique, qui n’est qu’exagérée chez le sadique, n’existe pas chez l’onaniste. C’est pourquoi chez lui il y a une réserve d’agressivité, qu’il dépense dans d’autres circonstances de la vie. Il est alors grognant, a mauvais caractère et est incliné à de véritables accès de fureur.

Freud dit que dans l’onanisme, l’imagination prend part d’une manière très active. Il distingue deux sortes de fantaisies : une consciente et une autre inconsciente.

La fantaisie consciente donne l’excitation qui normalement est provoquée par les organes des sens. La fantaisie inconsciente contient diverses perversions, orgies, de l’inceste (infantile) et peut se combiner à des fantaisies criminelles. Wilhelm Stekel dit : « L’onanisme est une lutte entre une tendance et un obstacle. Il y a une impulsion à l’acte vicieux à laquelle le malade ne peut se soustraire. Ces malades peuvent avoir aussi des impulsions aux crimes. »

Ainsi une malade de Stekel lui dit : « J’ai hier pour la première fois accompli la masturbation après 10 ans de repos. Maintenant je suis horriblement anxieuse. Je pense en moi, que je veux tuer mon père ou ma mère, je souffre terriblement, car je crois que je cèderai à mon impulsion meurtrière, ainsi que je n’ai pas pu me maîtriser au moment de la masturbation. »

Notre malade, nous l’avons vu, présente aussi des phénomènes d’ordre impulsif ; il écrit des lettres aux autorités ecclésiastiques, copie des pages de l’apocalypse.

Il nous dit d’autre part, qu’il ne pratique plus l’onanisme depuis trois ans. Nous ne savons pas si le fait est exact.

Wilhelm Stekel dit ceci : « La névrose éclate, quand les gens cessent l’onanisme. La maladie est alors par erreur considérée comme suite de l’onanisme et non comme suite de la cessation du vice. L’onanisme est pour beaucoup de gens irremplaçable, parce qu’il constitue pour eux la forme adéquate de la satisfaction sexuelle. »

Nous avons vu que notre malade depuis 3-4 ans, depuis sa conversion au catholicisme, qui l’a beaucoup impressionné, a [p. 32] commencé à mener une véritable vie mystique. Il néglige son travail, s’adonne uniquement à des préoccupations religieuses. A table, les conversations deviennent forcément religieuses ; il écrit des lettres aux autorités ecclésiastiques, ne dort pas la nuit, son sommeil étant une prière, une communication avec Dieu par l’esprit. Il parle avec une voix qui n’est pas la sienne, qui sort spontanément et avec une grande force, c’est la voix de Dieu, qui est en lui.

Dans cet état théopathique de William James, il tue sa mère, parce que celle-ci agit de la part d’une force hostile à la divinité.

Mais il n’y a pas que cet état théopathique, qui a joué un rôle dans le meurtre. Le malade a aussi des idées de persécution. Depuis sa jeune enfance il en voulait à ses parents, à sa mère surtout, parce qu’ils ont négligé son éducation et mal orienté sa carrière. Sa mère était autoritaire, formaliste ; il n’a jamais pu la supporter. Les derniers temps, il se disait incompris d’elle ; elle l’espionnait, le guettait. Il commence à avoir peur de rentrer à la maison, parce que celle-ci est habitée par le diable. Finalement, celui-ci se sert du corps de sa mère pour ses actions et c’est alors qu’il tue, celle-ci. On peut le rapprocher ainsi de l’abbé Verger, parce que comme ce dernier il devient le champion de deux causes, la sienne et celle de Dieu.

Ce malade présente des états dysesthésiques et oniroïdes, plus ou moins intriqués.

Il a des nuits l’insomnie avec sentiments de joies, son sommeil est une prière, une communication avec Dieu. Il est inspiré par le St-Esprit, sait interpréter la Bible, voit St-Thérèse qui lui parle et à ce moment a un véritable accès extatique. Il passe aussi par un moment d’extase, quand il voit le crâne de son père ; puis il dit qu’il descend des Czars. Sa mère n’est pas sa mère, son sperme ne tache pas le linge. Il se croit être au Carmel de Montmartre, voit de bons chrétiens autour de lui, entend des voix d’hommes et de femmes.

Ce malade est donc étrange, absurde, fantastique. Il a cette euphorie, que l’on voit souvent chez les schizoides, a des rires fréquents et un sourire préétabli, de l’indifférence affective assez marquée pour les choses qui ne sont pas divines, des discordances entre propos et attitudes. L’état mental est presque intact.

Son délire est riche et complexe, non systématisé, étant formé par simple juxtaposition de blocs idéiques étranges et fantastiques. Le malade dépasse les limites du possible et du réel, est entièrement alogique, ne présente donc pas la psycho-rigidité du paranoïaque. Il incorpore dans son délire tout le stock de ses souvenirs et connaissances et crée de toutes pièces de grandes conceptions, où entrent les diverses forces surnaturelles, les conflits moraux les plus variés, etc. Il y a dans son délire une perpétuelle confusion et des contradictions diverses.

Avec tout ces éléments, il est facile de conclure, qu’il s’agi chez ce malade d’une psychose paranoïde.

[p. 33]

Dans ces deux dernières observations, celle de Taguet et la notre, nous avons vu que le délire mystique d’orgueil, la théomanie, joue un rôle très important dans la perpétration du meurtre.

Ces théomanes se croient toujours avoir une mission glorieuse à remplir. Ils pensent qu’ils sont appelés à réformer les religions des peuples, à établir une religion universelle, à donner des leçons de civilisation aux souverains de l’univers. C’est parmi eux qu’on trouve quelques régicides.

Tel est le cas de Jacques Clément qui porta à Henri III le 1er août 1589 un coup de couteau. Il parlait sans cesse d’exterminer les hérétiques. Il était sujet à des hallucinations. « Ainsi, étant dans son lit, Dieu lui envoya son ange en vision, lequel avec une grande lumière se présenta à lui et lui montra un glaive, en lui

Disant : « Frère Jacques, je suis messager du Dieu tout-puissant, qui te vient accertener (sic) que par toi le tyran de France doit être mis à mort ; pense donc à toi, comme la couronne du martyr t’est aussi préparé. » Cela dit, l’ange disparaît. » (Régicides de Régis).

Les mystiques régicides ont presque tous les mêmes hallucinations. Ce sont des frères pathologiques, dit Régis.

Poltrot tue le duc de Guise pour ôter de ce monde un ennemi· juré du St-Evangile, pour lequel acte il aurait paradis s’il mourait pour une cause aussi juste. Jean Châtel attente aux jours d’Henri IV, qu’il considère comme un roi hérétique, croyant ainsi se rendre digne de l’Eglise et de Dieu. Ravaillac assassine Henri

IV pour l’empêcher de faire la guerre au pape et de transporter le St-Siège à Paris.

Balthazard Gérard tue Guillaume de Nazsau pour être un athlète généreux de l’Eglise romaine et devenir bien heureux et martyr. Hillairaud attente à la vie de Bozaine pour accomplir un serment et venger, par ordre de Dieu, sa patrie.

Staaps, obéissant à une inspiration divine, attente à la vie de Napoléon I pour délivrer l’Allemagne et rendre la paix au monde

D’autres théomanes renouvellent le sacrifice d’Abraham. Ainsi, au XIX siècle, un habitant de Syllacoga (Etats-Unis), à la suite d’une vision, tue son fils en bas-âge et le place sur un bûcher où il met le feu. L’énergumène empêche sa femme d’éteindre les flammes ; il était en train, dit-il, d’offrir au Seigneur un agneau sans tache.

Dupain dans sa thèse sur le délire religieux, rapporte un cas, où, un fondateur d’une nouvelle religion, tue une fille publique dans un hôtel, pour acheter cette religion par du sang.

 

Les délirants altruistes.

 

Cette série de délirants ne rêvent que de l’au-delà et envoient leurs proches et amis au Ciel pour les faire bénéficier plus tôt du bonheur éternel, de l’union avec Dieu. [p. 34]

Un malade de Scipion Pinel, dans un pareil délire, sacrifia son propre fils. —Georget rapporte des meurtres analogues. Vallon et Genil-Perrin dans leur étude sur « Crime et Altruisme » rapportent dés faits du même ordre.

« Ainsi dans la petite ville d’Estrella, près de Viterbe, un homme a tué ses trois enfants pour leur faire obtenir plus tôt et plus sûrement la béatitude du paradis. »

C’est en 1824 que les assises de Launcaston, en Angleterre avaient à s’occuper du sort d’une jeune fille, Emma Georges, âgée de 19 ans, qui tua son frère pour l’envoyer au Paradis, voir le Seigneur.

Emma, dont l’histoire est racontée par Morel dans ses études cliniques, suivait avec zèle les assemblées des méthodistes. Dans ces réunions, désignées sous le nom de Revival (retour d’un état de torpeur, d’oubli) il n’est que trop commun de voir les esprits des assistants en arriver à un très grand degrés d’exaltation. Sous cette influence, Emma ne pense plus qu’au paradis, et veut faire goûter ce bonheur à sa mère et à son frère. L’idée de tuer sa mère lui vient à l’esprit ; elle prie Dieu d’éloigner d’elle cette tentation ; mais dans la disposition, où elle est, de quitter cette terre souillée par le péché, elle ne peut résister à l’idée de tuer son frère Benjamin. Revenant un jour au logis après avoir assisté à un Revival, elle voit deux enfants qui jouent sur le bord d’un précipice ; elle se dirige vers eux avec l’intention de les précipiter dans le gouffre mais les enfants s’éloignent avant qu’elle puisse les joindre pour exécuter son projet. De retour à la maison, elle trouve Benjamin, qui l’attendait pour souper. Sa première parole est celle-ci : Benjamin, voudriez-vous aller au ciel ? — Oui, dit l’enfant, quand je mourrai, je serai bien heureux d’aller au paradis. S’il en est ainsi, mon chéri, dit Emma, vous verrez bientôt le Seigneur, notre Dieu. — Oui, dit encore l’enfant, j’aurai une bien grande joie de voir le Seigneur, quand je serai mort.

Emma fait avec le plus grand sang froid les préparatifs du meurtre, qu’elle va accomplir. Elle improvise une potence au moyen d’un clou fixé dans le mur, détache le mouchoir qu’elle avait autour du cou, fait un nœud coulant, suspend son jeune frère et l’étrangle.

D’après Leroy-Beaulieu, en Russie, les tueurs d’enfants se faisaient un devoir d’envoyer au ciel les nouveau-nés, les étouffeurs et les assommeurs croyaient rendre service à leurs parents et amis, en les faisant mourir de mort violente.

Nous voyons donc que l’idée religieuse la plus humaine qui pousse l’individu à s’inquiéter du salut de son prochain, peut être appliquée, d’une manière directement nuisible pour celui-ci.

Pour finir ce chapitre nous dirons quelques mots des amoureuses de prêtre. Le mysticisme, disent certain auteurs, n’est que la sublimation de l’amour sexuel. L’association d’idées érotiques aux idées mystiques dénote une dégénérescence du mysticisme. [p. 35] L’érotomanie, se rapproche du mysticisme, par le fait, que c’est une passion ardente, mais qui assez souvent exclut l’appétit charnel. Chez les amoureuses de prêtres, d’autre part, le délire érotomaniaque prend assez souvent un caractère mystique. Ces femmes-là se placent à tout propos sur le passage du prêtre ; le suivent comme leur ombre. Elle sont assidues aux offices et aux sermons, importunent leur pauvre prêtre par des confessions répétées. Puis, elles lui écrivent lettres sur lettres, cherchent à être reçues par lui à la maison. A partir d’un certain moment ces amoureuses s’exaspèrent devant l’indifférence du bien aimé et les obstacles qu’elles s’imaginent qu’on leur oppose et il n’est pas rare que cette exaspération se résolve en menaces et même que l’état obsédant des malades aboutisse à des actes violents contre l’aimé qui ne veut pas comprendre. Ainsi fut assassiné l’abbé de Broglie (près de Notre-Dame des Champs).

Parfois, les malades deviennent jalouses et portent leurs violences contre la personne qu’elles supposent être la rivale préférée. Dans d’autres cas les malades portent leurs violences contre telle personne qu’elles supposent mettre obstacle à leurs projets amoureux.

Nous avons passé en revue dans ce chapitre les différents types de criminels, délirants mystiques.

Ces mystiques, qui tuent, ont souvent une hérédité chargée. On trouve dans leurs antécédents familiaux et personnels diverses maladies psychiques et physiques.

Ils sont des inadaptables, manquent de stabilité et de direction. L’abbé Verger est fils de suicidés, compte de nombreux aliénés dans sa famille et lui-même est un persécuté.

Jean Châtel a des idées de culpabilité, de sacrilège et de damnation. Ravaillac est un sombre mélancolique, tourmenté par des hallucinations. En même temps il est très instable et inadaptable. Son père était alcoolique, violent, immoral. Hillairaud a une hérédité chargée et est reconnu atteint par les médecins, qui l’examinèrent d’insuffisance aortique. Emma Georges est un débile.

Ces individus ont souvent après Régis, une tendance innée à s’exalter pour les choses de la religion et de la politique. Cette tendance est renforcée par l’éducation, l’exemple, l’entraînement collectif, etc.

La mère de Staaps, profondément imbue des mystères de la religion, ne parlait à son fils que par des sentences tirées de la Bible.

Emma Georges suivait avec zèle les assemblées des méthodistes.

A ce propos, le spiritisme est la cause de beaucoup de délires. Ceillier dit, que le mysticisme n’agit qu’en libérant des tendances antérieures à son apparition et étrangères à lui. Ces mystiques sous l’influence d’une cause occasionnelle quelconque, qui est soit individuelle (choc affectif, surmenage, misère, etc.), [p. 36] soit appartenant au milieu ambiant (vie monastique, esprit de temps, événement important, prédications et lectures exaltées, etc.), en arrivent à des délires, qui peuvent aboutir au crime. Ce sont les hallucinations et les idées délirantes, qui en général interviennent dans la détermination psychologique du crime.

Mon maître Lévy-Valensi, dans « Crime passionnels », insiste, après M. Claude, sur l’état obsédant intégré dans la personnalité du sujet, qu’on rencontre chez le délirant passionnel et croit, que sur cet état obsédant et non toujours d’ailleurs, se greffe l’impulsion-obsession du meurtre. C’est cette tendance impulsive qui explique la longue période de préméditation avec lutte anxieuse et le soulagement après le crime, qu’il trouve chez ces sujets.

Le mystique est souvent un délirant passionnel, car dans la religion il y a beaucoup d’affectivité. L’affectivité du mystique, qui est nulle pour beaucoup de choses, atteint dans le cadre du sentiment religieux son maximum d’intensité. M. le Prof. Laignel Lavastine dit : « Les mystiques sont encore plus dangereux que les politiques, car c’est en religion que la passion arrive au maximum d’intensité. » Dans un autre endroit, le même auteur nous dit : « La force criminogène des sentiments religieux, quand ils vont jusqu’au fanatisme, est hélas ! une des plus grandes et des plus dangereuses, car les fanatiques, murés dans leur croyance, ont une insensibilité affective pour tout le reste du monde. »

Le crime chez le mystique sera donc souvent prémédité, comme chez les autres délirants passionnels. Ils luttent contre cette tendance criminelle, qui s’est développée dans leur esprit, et n’y cèdent que lorsque leur tension psychologique s’est abaissée au dessous d’un certain niveau, leur volonté est devenue impuissante. Dans cette lutte anxieuse, ils invoquent le ciel. Balthazard Gérard avait prémédité son crime depuis six ans. Ravaillac fit trois fois le voyage d’Angoulème à Paris, pour parler à Henri IV avant de l’assassiner. Il ne cède que devant une sollicitation nouvelle, celle du Christ en croix au Faubourg d’Etampes.

Staaps écrit à son père, qu’il a l’intention d’attenter aux jours de Napoléon I, en disant : « Je me sens entraîné par une force colossale et invincible ».

Nous avons vu, comment Emma Georges prie Dieu d’éloigner d’elle la tentation de tuer sa mère.

Notre malade, le russe dit, qu’il n’a jamais pensé de tuer sa mère ; mais il avoue, qu’il cherchait à dominer en lui certains sentiments, qui n’étaient pas pour elle.

Une fois, qu’ils ont décidé l’acte criminel, ils y vont avec l’audace et l’énergie d’un convaincu.

Ils recourent souvent à l’instrument tranchant, ne recourent pas aux poisons, aux armes des fourbes et des lâches. [p. 37]

Le crime a souvent un caractère étrange, comme dans le cas rapporté par Taguet.

Après avoir perpétré leur crime, ils se sentent soulagés et en général ; n’ont pas de regrets.

Les mystiques ne cherchent pas à s’enfuir après leur crime ; au contraire, ils veulent que l’on sache, que ce sont eux, qui ont accompli l’acte glorieux.

 

A la page 12, 11ème ligne, lire :

Avec Lhermitte, nous caractériserons le délirant mystique…

 

[p. 38]

 

 

Les criminels délirants mystiques ont presque toujours une hérédité chargée. On trouve dans leurs antécédents familiaux et personnels diverses maladies psychiques et physiques. Ils sont souvent troublés dans leurs fonctions génitales.

Ces sujets sont, en général des schizoïdes, mais ils peuvent être des mélancoliques, avoir des tendances paranoïaques, etc. Ils sont des inadaptables, manquant de stabilité et de direction. Ces individus ont une tendance innée ou acquise à s’exalter pour les choses de la religion ou de la politique. .

Cette tendance est renforcée par l’éducation, l’exemple, l’entraînement collectif, etc.

Sous l’influence d’une cause occasionnelle quelconque, qui est soit individuelle (choc affectif, surmenage, misère, etc.), soit appartenant au milieu ambiant (vie monastique, esprit de temps, événement important, prédications et lectures exaltées, etc.), ils en arrivent au délire, pouvant aboutir au crime.

Le délire mystique est souvent un délire paranoïde.

Les états dysesthétiques et oniroïdes se rencontrent très fréquemment dans ce délire.

Ce sont les hallucinations ou les idées délirantes, qui interviennent dans la détermination psychologique du crime. Les malades ont en général un état obsédant, intégré dans la personnalité du sujet. Sur cet état obsédant, vient se greffer l’impulsion-obsession du meurtre. C’est alors, que commence la longue période de préméditation avec lutte anxieuse, pendant laquelle, ils invoquent le ciel. A un certain moment, ils cèdent, perpètrent le crime et se soulagent.

Vu le Doyen de la Faculté                                  VU le Président de Thèse

de Médecine

Roussy.                                                                   H. Claude.

 

 

Vu et permis d’imprimer le Recteur

de l’Université de Paris

Charléty.

 

[p. 39]

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