Spiritisme et folie. par Marie et Viollet. 1904.

 Image parue dans L'Illustration en 1853. À gauche un couple fait mouvoir un chapeau alors qu'au centre un groupe se concentre sur un guéridon et à droite une dame utilise un pendule. 1853.

Image parue dans L’Illustration en 1853. À gauche un couple fait mouvoir un chapeau alors qu’au centre un groupe se concentre sur un guéridon et à droite une dame utilise un pendule. 1853.

Marie et Viollet. Spiritisme et folie. Article parut dans le « Journal de Psychologie normale et pathologique », (Paris), Ire année, 1904, pp. 332-351.

Cet article, peu connu, est un travail princeps qui donnera lieu à deux publications distinctes. La première l’ouvrage de Armand-Victor-Auguste Marie : Mysticisme et folie. (Etude de psychologie normale et pathologique comparées). Avec une préface de M. le Dr. H. Thulié. Paris, V. Giard, 1907. 1 vol. in-8°. — La seconde l’ouvrage de Marcel Viollet. Le spiritisme dans ses rapports avec la Folie. Essai de Psychologie normale et pathologique. Paris, Bloud et Cie, 1908. Dans la « Bibliothèque de psychologie expérimantale et de métapsychie ». 1 vol.

Armand-Victor-Auguste Marie (1865-1934). Médecin aliéniste, Licencié en droit et homme politique.
Au cours de sa carrière, il a été successivement médecin adjoint des asiles publics (en 1899), directeur fondateur et médecin en chef de la colonie familiale de la Seine en 1892, titulaire en 1896, médecin en chef de l’Asile de Villejuif (1900). Quelques unes de ses publications :

  • Étude sur quelques symptômes des délires systématisés et sur leur valeur, Paris, O. Doin, 1892.
  • Les aliénés en Russie, Montévrain, École d’Alembert, 1899
  • Les Vagabonds, par le Dr Marie, Raymond Meunier, Paris, V. Giard et E. Brière, 1908.
  • Traité international de psychologie pathologique, sous la direction du Dr A. Marie, Paris, F. Alcan, 1910-1912. 3 vol. in-8°.

De Maurice Viollet nous n’avons pas trouvé d’éléments biographiques. Quelques publications à titre indicatif :

  • L’envoûtement moderne. Journal de psychologie normale et pathologique, 1905.
  • Folie spirite avec automatisme graphique. Bulletin de la Société de psychologie, 1905.
  • Aperçu médico-légal sur les troubles mentaux post traumatiques. Annales médico-psychologiques. Août 1904.
  • Un cas de délire chronique avec prédominance d’idées dénégation. Annales médico-psychologiques. Janvier 1005.

De Auguste Marie et Marcel Viollet :

— L’envoûtement moderne, ses rapports avec l’aliénation mentale. « Journal de Psychologie normale et pathologique », (Paris),  quatrième année, 1907, pp. 211-225. [en ligne sur notre site]

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original mais avons corrigé des fautes d’impression.
 Tout ce qui se trouve entre [ ] a été rajouté  par nous.. – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 332]

SPIRITISME ET FOLIE

Le milieu dans lequel vit le malade, dit Marcé, imprime un caractère particulier à ses conceptions délirantes. Ces conceptions délirantes varient quand le milieu varie, selon l’époque, les préjugés sociaux, les idées régnantes. Dans les temps antiques, les malades se croyaient poursuivis par les Euménides, les dieux infernaux, les flèches de Diane, et l’inspiration des Pythies tenait à des modifications névropathiques de la personnalité. Au moyen âge, la croyance aux sorciers, aux esprits diaboliques, aux revenants, donnaient aux monomanes un aspect caractéristique. De nos jours, des formes gouvernementales nouvelles, une surveillance plus grande exercée sur tous les citoyens, et dans un autre ordre d’idées, des découvertes merveilleuses en chimie et en physique, ont tendu à substituer aux idées du moyen âge la crainte des persécutions de la police et cette croyance si commune chez les hallucinés qu’on les tourmente à l’aide de l’électricité, des rayons X, etc.

M. Magnan, dans un tableau comparatif des évolutions parallèles des variétés des délires vésanies, place en face des délires du moyen âge, les délires modernes, utilisant les progrès récents ; en regard des démonopathes, ensorcelés, possédés, damnés, il place les volés, ruinés, mouchardés, empoisonnés, électrisés.

De même que les démonopathes deviennent, avec le temps, démonolâtres, théomanes ou prophètes, les modernes deviennent grands de la terre, millionnaires, réformateurs ou inventeurs.

Cette ressemblance s’exagère encore lorsque le délire emprunte ses conceptions aux pratiques hypnotiques, magnétiques et spirites, sciences troublantes, d’aspects mystérieux, laissant à l’esprit le champ libre aux suppositions les plus désordonnées et aux déductions les plus téméraires. Le spiritisme surtout constitue une religion nouvelle, avec ses prêtres qui sont les médiums, ses objets de [p. 333] culte (tables, planchettes américaines, etc.) : l’atmosphère impressionnante où se passent les invocations, les évocations, les lévitations, les révélations ; tous ces mystères produisant comme à dessein une impression physique avant l’impression morale.

Aussi, contre le mysticisme spirite se sont élevés de toute part des protestations, des avertissements. Il y a une cinquantaine d’années, Calmeil écrivait déjà : « De nouvelles erreurs menacent encore la pathologie encéphalique et mentale. Or, c’est du magnétisme et du spiritisme que dérivent à nouveau ces épidémies de dissolution de la personnalité dont l’Amérique a donné les premiers et récents exemples. »
Les esprits frappeurs remplacent le Diable des possessions primitives, mais le mécanisme de la psychose est le même ainsi que sa contagion aux hystériques. Il est curieux de voir ainsi l’équivalent de la démonopathie ancienne renaître dans des milieux modernes et d’une confession différente.

De son côté, E. Fournière, dans l’Ame de demain, pousse le même cri d’alarme.

« Voici qu’au moment où des penseurs et des savants accumulent des matériaux et posent les principes de la connaissance expérimentale de l’âme, une nouvelle psychologie métaphysique naît de l’accouplement sénile de la philosophie et de la théologie.
« Le surgissement des phénomènes méprisés par la science menace de ramener les foules au merveilleux et le monde s’apprête à baser ses croyances, ses espoirs et ses œuvres sur de nouveaux mystères.
« Et cela par la faute du passé, qui nous tient encore et ne se résigne pas.
« Gare au détraquement général !
« Les très réels phénomènes psychiques mis hors la science par les Académies reprennent les’ cerveaux en qui la négation lies mystères avait fait le vide.
« L’épidémie gagne rapidement du terrain, conduite par ces myriades de fils électriques qui sont les nerfs des femmes, L’humanité pensante est à la veille d’une crise de folie, par l’imprudence des uns, l’insouciance des autres et l’ignorance des foules…

« Préservez des ignorants, des hallucinations et des charlatans le cerveau de notre faible humanité convalescente d’une longue crise mystique. »

En dépit de ces avertissements, la « religion » spirite s’étend : sa clientèle du grossit avec une extraordinaire rapidité. « L’extension que prend cette doctrine est un des plus curieux phénomènes de l’époque actuelle. Nous assistons à ce qui me paraît être la naissance d’une véritable religion, sans cérémonial rituel et sans clergé organisé [p. 334] mais ayant des assemblées et des pratiques véritablement cultuelles. » (Maxwell, p. 10.)

Tirant argument de l’apparente conversion d’esprits remarquables, le nouveau mysticisme recrute ses fidèles dans toutes les classes, partout où végète, latent, insoupçonné, un besoin d’inconnu et de surnaturel.

Nous disons religion spirite ici par opposition à études spirites, car nous n’entendons nullement confondre les recherches de contrôle et d’ordre scientifiques qu’appellent précisément les affirmations et les manifestations particulières que les pratiques spirites suscitent avec la foi très sincère mais trop aveugle parfois des croyants de ce nouveau mysticisme. Cependant, l’intérêt que les pratiques spirites inspire à beaucoup d’esprits supérieurs a pu prêter à confusion, et c’est un argument inattendu pour les vrais croyants qui ont pu arguer de ce qu’ils croyaient une adhésion complète à leur foi et qui n’était souvent que l’application des méthodes scientifiques de contrôle et d’enregistrement en dehors de toute interprétation préconçue et surnaturelle des faits étudiés. Confondre ces esprits avec des délirants spirites serait une erreur aussi grosse que si on assimilait aux démonopathes du moyen âge et d’aujourd’hui les gens qui les étudient, enregistrent leur état somatique et leurs conceptions pour en dégager les lois psychophysiologiques et autres. (Réactions mutuelles des individus et des milieux : genèses, évolutions, conséquences, etc.).
Maxwell, de Bordeaux, a écrit dans cet ordre d’idées un livre d’autant plus séduisant qu’il ne contient que l’analyse minutieuse, mais froide, de faits accumulés, sans l’adjonction de théories et d’explications, livre d’observateur, non de catéchiseur, et qui emprunte à l’absence de toute tentative de persuasion un réel caractère scientifique (1). [p. 335]

D’ailleurs, pour les spirites purs, le spiritisme, loin d’être une cause de conceptions délirantes, est au contraire un moyen thérapeutique d’une grande valeur.

« En Occident, ceux qui voient les habitants de l’espace et s’entretiennent avec eux sont réputés dangereux, et, si l’être « revenant » qu’ils voient leur cause quelque frayeur, leur fait pousser des cris, les médecins ne trouvent d’autre moyen de guérison que de faire enfermer les obsédés dans ce que vous appelez « les petites maisons » ; toutes les personnes qui se croient persécutées, et qui peuvent l’être effectivement, passent pour avoir au cerveau des lésions qui produisent un dérangement mental. L’obsesseur a beau jeu alors ; sa victime est retirée du grand courant de la vie, enfermée; elle devient plus complètement sa proie ; le mal grandit, devient incurable. A la longue, l’obsession occasionne, en effet, des lésions, et enfin la victime meurt sacrifiée par l’ignorance. »

« J’ai visité bien souvent les endroits où l’on relègue de soi-disant fous, Ah ! quelle grande pitié que j’ai eue pour ces voyants ! Je les ai secourus autant qu’il m’était possible; mais, pour détruire la puissance d’une chaîne fluidique entre deux êtres qui se, sont haïs dans d’autres incarnations, il y a une immense difficulté.

Si les phénomènes psychiques passent encore pour des hallucinations aux yeux de ceux qui soignent les fous, je serai heureux de leur apprendre que cette seconde folie guérit de la première les voyants persécutés et que le jour n’est pas éloigné où l’on saura que les obsédés sont tourmentés véritablement par des incarnés.

« Les anciennes possessions des cloîtres n’étaient que des cas de médiumnité par possession spirite, et pour ces possédés anciens comme pour les nouveaux, le manuel spirite signale les pratiques indiquées pour y remédier, C’est là une sorte d’exorcisme spirite.

N’est-ce pas une chose sublime que d’arriver, par la connaissance des lois psychiques, à guérir les voyants que l’on croit fous, à les arracher à la douleur et à la persécution ? Ah ! lorsqu’on voudra se servir de ce côté pratique de la science d’outre-terre, combien de malheureux seront sauvés et pourront dire : Je ne suis donc pas fou ! Ce que je vois est une réalité et non l’illusion d’un cerveau malade.

« Quand, dès l’enfance, l’homme sera instruit des phénomènes qui se [p. 336] produisent par la communication si facile avec les extra-terriens, il saura à quoi s’en tenir sur les obsessions des désincarnés qui viendraient le persécuter et hanter sa demeure… Faisons des vœux pour que les applications multiples de la science d’outre-terre servent à soulager les voyants obsédés que l’on enferme et qui, étant médiums, s’ils étaient instruits et éclairés, rendraient de grands services en produisant des phénomènes ; Je salue avec joie les tentatives faites dans ce but et qui produisent des effets merveilleux, Une société de Toulouse a obtenu par ce moyen de remarquables guérisons (2).

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En dépit de l’ingéniosité de ces explications, nous avons eu occasion, lors de la visite du Congrès d’hypnotisme à l’asile de Villejuif, en 1889, d’assister à une tentative infructueuse et très consciencieuse de traitement d’hallucinations médiumniques psychographiques sur un délirant chronique dont nous citerons plus loin le cas, M. de Rochas, tenté par la nature pseudo-spirite de ces phénomènes, chercha vainement à appliquer à ce malade les secours que préconisent les auteurs spirites précités.

Il est bien certain, d’autre part, que les pratiques exagérées du spiritisme provoquent des délires chez les prédisposés, avec ou sans stigmates de dégénérescence, et donnent une teinte spéciale au délire que l’on rencontre dans les psychoses organiques ou consécutives à des intoxications exogènes ou endogènes, ou bien encore dans les névroses.

Il ne faut donc pas s’étonner de voir bon nombre de névrosés et de dégénérés « dérailler » à la suite des pratiques spirites. D’abord la nature même de leur caractère et les tendances de leur esprit les poussent à rechercher ces spectacles mystérieux, comme autrefois ils les poussaient au mysticisme des cloîtres, Ensuite les spirites les recherchent comme adeptes, car leur « impressionnabilité ou instabilité nerveuse » en font de bons médiums. Maxwell, il est vrai, repousse les hystériques qui « ne donnent pas toujours des phénomènes bien nets », et les neurasthéniques qui « ne donnent en général aucun résultat. »

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Mais, par contre, lisez dans le même auteur (Les phénomènes psychiques, p. 40), les qualités requises pour faire un bon médium :

Les chances de rencontrer un médium seront plus grandes si l’on cherche à le trouver parmi les gens nerveux. Il me semble qu’une certaine [p. 337] impressionnabilité nerveuse soit une condition favorable pour l’éclosion de la médianité. Je me sers du terme d’instabilité nerveuse faute d’une meilleure expression, mais je ne la prends pas dans un mauvais sens. C’est un état du système nerveux tel qu’il paraisse être en hypertension. Une vive impressionnabilité, une susceptibilité délicate, quelque inégalité d’humeur rapprochent les médiums de certains névrosés, mais ils s’en distinguent par l’intégrité de leurs sensibilités, de leurs réflexes, de leur champ visuel. Ils ont en général l’intelligence vive, sont susceptibles d’attention, ne manquent pas d’énergie ; leurs sentiments artistiques sont relativement développés : ils sont confiants et expansifs avec ceux qui leur témoignent de la sympathie, facilement défiants et irritables quand on ne les ménage pas. Ils passent facilement de la tristesse à la joie, éprouvent souvent un irrésistible besoin d’agitation physique ; ces deux caractères sont justement ceux qui m’ont fait choisir l’expression d’instabilité nerveuse. »

Nous avons souligné les phrases les plus typiques.

Ces qualités psychiques, cette instabilité nerveuse, Maxwell les a surtout rencontrées parmi des femmes : une dame de Limoges, Eusapia Paladino, Mme Agullana, d’autres encore qui ont voulu garder l’anonymat. Ceci paraît donner raison à la phrase de Fournière : « L’épidémie gagne rapidement du terrain, conduite par ces myriades de fils électriques qui sont les nerfs des femmes. » Voici une citation de Maxwell qui est bien faite pour renforcer cette même opinion :

« Il ne faut pas raisonner comme certain de mes amis, homme d’une vaste érudition et d’une intelligence de premier ordre qui me disait un jour : « On trouve toujours dans les maisons hantées une petite fille de treize à seize ans ; dès qu’on éloigne l’enfant les phénomènes de hantise cessent. » D’accord, les choses se passent généralement ainsi : « Seulement la jeune fille peut n’être pas la cause volontaire des phénomènes; elle peut en être la cause involontaire, être un médium en activité et produire, autour d’elle, des phénomènes supranormaux de la nature de ceux qu’on observe dans les séances spirites. »

C’est aussi surtout parmi les femmes, surtout parmi les femmes cloîtrées qu’on observa au moyen âge des épidémies de possessions diaboliques.

Mais il y a plus. Certains médiums présentent des phobies qui sont admises par tout le monde comme des stigmates de dégénérescence: ‘On trouve quelquefois des médiums qui sont d’une extrême sensibilité pour les métaux. C’est souvent le cas pour l’or. Certains entrancés se plaignent de leurs bagues. Ils éprouvent un malaise, parfois une sensation de chaleur exagérée. Cela rappelle certains faits de nos cliniques nerveuses. » (Maxwell.) [p. 338]

Ainsi, de l’aveu même des spirites, les médiums présentent des symptômes évidents de déséquilibration. Ce sont les mêmes sujets qui résistent le moins aux tentatives des magnétiseurs et des hypnotiseurs : « Les femmes délicates, nerveuses, languissantes, atteintes d’une maladie chronique, sont certainement plus que toutes les autres aptes à. subir l’influence du magnétisme. » (Ch. Richet, L’Homme et l’intelligence. Paris, 1884.) Ces femmes ne sont pas toutes des hystériques, quoique l’hystérie joue un grand rôle de prédisposition à l’hypnotisme. C’est du moins l’opinion de l’Ecole de Nancy. C’est aussi l’opinion de Azam (3), qui cite comme causes d’altérations de la personnalité l’opium, la belladone, le haschich, l’éther (Beluze. L’Etheromanie, Ann. d’hyg., 1886, p. 539), le chloroforme, l’alcool, l’oxyde de carbone (Leudet. Bull. de l’Acad. De Méd.)… l’affaiblissement intellectuel qui accompagne certaines convalescences. (Galinier. Rev. philosoph., 1877.)

On pourrait nous reprocher de donner trop aisément le nom des dégénérés à des « médiums » dont nous ignorons les antécédents héréditaires, l’âge, les conditions de vie, les intoxications antérieures, les affections somatiques concomitantes. Nous sommes les premiers à regretter que Maxwell, quoique médecin, n’ait été en aucune façon explicite à cet égard. Ç’aurait été pourtant, pour un adepte d’une science à son début, une précaution utile pour éviter les interprétations dangereuses pour l’acceptation officielle, qu’il paraît désirer, de ses principes et de ses observations.

D’ailleurs, en dehors du médium, reste encore l’assistance qui se compose d’adhérents volontaires, amenés là, comme nous le disions tout à l’heure, par leur besoin de surnaturel et de révélations mystérieuses, enclins à combler dans leur esprit le vide qu’y a laissé la ruine du mysticisme religieux. Ici encore nous citerons notre auteur spirite :

« Il existe encore des personnes qui demeurent attachées à des croyances en voie de disparition ; mais elles constituent une minorité. Ceci, d’ailleurs, est admis par le clergé lui-même, qui ne cesse de se plaindre de l’indifférence croissante de nos sociétés.

« Sont-elles indifférentes en réalité ? Je ne le crois pas. On trouve des indifférents parmi les classes riches, dans les milieux aisés et cultivés. Les uns poursuivent le plaisir, les autres la science : au fond, ils cherchent à faire ce qui les amuse ou les intéresse. Mais ceux qui n’ont pas de ressources, [p. 339] ceux que la vie tourmente, ceux que l’idée de la mort et de l’anéantissement effraye, ceux qui ont besoin d’une consolation ou d’une espérance, ceux-là ne sont pas des indifférents. S’ils abandonnent les églises et les temples, c’est parce qu’ils ne trouvent pas dans la révélation ce qu’ils cherchent, La nourriture spirituelle qu’on leur offre ne satisfait pas leur goût ; ils veulent des aliments plus substantiels et moins contestés. »

Une séance de spiritisme.

Une séance de spiritisme.

Devant cette assistance, bien préparée, on le remarquera, à accepter les révélations et à se laisser suggestionner, le médium va provoquer l’apparition de phénomènes extraordinaires, défiant, tout au moins, toute explication physique. L’assistance arrive à faire de l’hallucination collective sans délire à proprement parler autre que celui du meneur. L’hallucination collective ne dépasse pas la fin de la séance, mais peut contribuer à précipiter les dégénérés dans la voie de psychasthénies dégénératives jusqu’alors latentes.

Il est un point sur lequel nous croyons devoir insister ici en passant, au sujet des folies mystiques tant anciennes que nouvelle. On a commencé par y reconnaître la marque incontestable de l’hystérie dans nombre de cas ; certains auteurs et des meilleurs sembleraient même avoir tout dit lorsqu’ils ont établi l’équation historique : possédés, convulsionnaires et démonopathes égalent hystériques, mais ce n’est pas tout. Il n’y a pas que cela, et à côté des hystériques d’antan comme d’aujourd’hui, il y a parmi les délirants mystiques anciens et modernes, démonomanes et médiomanes, des délirants ou délirantes autres entièrement distincts des névropathes. Ces délirants non hystériques sont aussi importants que ces derniers, plus peut-être, car ce sont les agents actifs des épidémies religieuses, les meneurs délirants dont les hystériques forment le premier cortège et les adeptes plus ou moins passifs.

A côté du prophète il y a les apôtres entraînant avec eux la masse flottante complexe des individus qui sans délirer participent plus ou moins à un mouvement ou à un sentiment collectif.

La curiosité, l’intérêt, les émotions communicatives et irraisonnées des foules, peuvent en dehors de tout état morbide expliquer ces adhésions à un entraînement qui peut être pathologique dans son origine ou dans ses interprétations.

Nous ne prétendons pas voir des malades dans tous les spirites, mais nous estimons qu’il peut s’en rencontrer de deux sortes, des névropathes simples et des délirants actifs. [p. 340]

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C’est de ces délirants seuls que nous nous occuperons ici, parce qu’ils ont été trop laissés dans l’ombre, l’attention ayant été suffisamment attirée sur les autres au sujet desquels presque tout a été dit.

Dans ces délirants, beaucoup sont médiums sans le savoir, pourrait-on dire ; ils présentent des phénomènes d’automatismes divers, identiques à ceux des spirites sans toujours en connaître et appliquer l’hypothèse.

Maxwell, lui-même, raconte à ce sujet, entre autres histoires très curieuses, celle d’un habitant de Bordeaux dans la main duquel se produisaient les plus curieux phénomènes d’ « apport sans contact ». La bonne de cette personne était médium sans le savoir. Son « esprit » donna même au monsieur en question des conseils sur la gérance de sa fortune, conseils bons au début, mais qui ne tardèrent pas à manger son bien.

Revenons aux phénomènes extraordinaires, dont nous parlions plus haut.

Disons, tout d’abord, que nous laissons de côté les phénomènes physiques suscités au cours des séances spirites. Tout le monde connaît « ces raps », coups frappés avec ou sans contact, par les objets les plus divers, tables, chaises, chapeaux, etc.,… voire les phénomènes lumineux, Ces faits ne sont pas d’un ordre suffisamment élevé pour provoquer l’apparition d’un délire. L’interprétation peut en être des plus diverses, des plus saugrenues, selon le caractère et le niveau intellectuel des personnes qui y assistent. Ils prédisposent peut-être l’esprit à des incoordinations, à des dissociations en le sollicitant plus vivement, en le mettant en « hypertension ». Mais ils ne produisent pas encore ces troubles mentaux passagers qui constituent, pour les spirites, les « phénomènes psychosensoriels et intellectuels ». En d’autres termes, ils étonnent le spectateur, mais ne dépersonnalisent pas l’acteur (le médium).

Maxwell, que nous citerons encore, — car son livre d’observateur, est une mine inépuisable de documents psycho-pathologiques, — écrit à ce sujet plusieurs fois le mot : hallucinations, qu’il fait, il est vrai, suivre parfois de ce point d’interrogation entre parenthèses, qui équivaut à un doute ou à une restriction. Il les divise en sensations olfactives, sensations auditives, sensations visuelles. [p. 341]

Les sensations olfactives seraient rares, toutefois Maxwell aurait, dans une série de séances, vu le médium associer l’odeur du jasmin à la manifestation d’une personnification.

Les sensations auditives, d’ordre intellectuel, consistent dans la perception par le médium de paroles prononcées plus ou moins près de son oreille. L’on peut provoquer ces sensations en adaptant à l’oreille du médium « certains coquillages, ou une trompe renversée, ou tout objet renforçant, en un mot, les bruits externes ou internes que ne perçoit pas ordinairement l’oreille ». Mais plus souvent ces sensations auditives sont spontanées; elles s’associent, en ce cas, le plus souvent avec des sensations visuelles.

Celles-ci s’obtiennent en regardant fixement « le dedans » d’une boule en cristal, ou d’un verre d’eau sphérique, ou d’une carafe de même forme ; bref, « toute surface polie qui peut servir à induire l’hallucination » (loc. cit., p. 166). Les caractères de ces phénomènes visuels les rapprochent des phénomènes oniriques — et aussi des délires oniriques ; — même discordance des images qui se succèdent, absence toute semblable du contrôle de la réflexion, même amnésie immédiate ou rapide. Ces phénomènes visuels sont également à rapprocher de l’hypnose que l’on obtient si aisément chez certains sujets en leur faisant fixer un objet quelconque, brillant ou non.

Voici d’ailleurs, la relation d’un de ces « rêves », que nous empruntons à Maxwell, et qui est des plus typiques. L’auteur, après l’avoir rapporté, l’explique longuement et clairement en le rapportant aux lois de l’association des idées. Nous pensons que sa lecture peut se passer de commentaires, elle suppose une explication suffisante :

Dans une boule de cristal, ce sujet aperçut d’abord une gare de chemin de fer et vit des valises dans la salle des bagages. Il entra alors dans le rêve et s’imagina qu’il allait retirer sa valise ; il pénétra dans la salle des bagages, prit sa malle et l’ouvrit. Elle contenait un cadavre particulièrement horrible qui sauta hors de la valise et se plaignit amèrement d’être ainsi dérangé. Il se précipita sur le « sensitif » (médium) qui prit aussitôt la fuite, poursuivi par le cadavre ; après une poursuite acharnée, le « sensitif » se lança dans une route qui traversait un parc. Ce parc, en réalité, est situé à plus de 1 000 kilomètres de la gare où il croyait avoir vu les valises. Cette distance disparut dans la vision. Le cadavre prit une route symétrique ; ces deux routes se rejoignaient au milieu d’un coteau, et le sensitif s’aperçut que son persécuteur arrivait à fond de train sur lui ; il tomba, et le cadavre s’arrêta et se baissa pour le frapper. Le visionnaire lui donna alors un violent coup de pied dans le ventre et l’étendit sur le sol. L’hallucination cessa brusquement alors, et le sensitif se retrouva dans sa chambre [p. 342] en face de son cristal. La vision avait eu une telle intensité qu’il était encore ému de sa frayeur et haletant de sa course » (Loc. cit., p. 177.)

Il ne s’agit pas toujours de faits imaginaires, de « faits de rêves ». Les phénomènes visuels consistent aussi en faits vrais localisés dans le passé, le présent ou l’avenir. C’est surtout dans ce dernier cas que les hallucinations visuelles constituent un danger, lorsqu’elles sont une menace pour le médium lui-même, ou pour quelque assistant. La crainte de la réalisation de cette menace, surtout prononcée avec un tel apparat prophétique, par « un esprit désincarné » (doctrine spirite), par « des coques astrales, débris, organisés encore, du double astral du corps que les principes supérieurs ont abandonnés » (doctrine ocultiste [sic]) ou par « des élémentaires (qui sont analogues aux coques » (doctrine théosophique) ; la crainte, dis-je, de cette menace, peut pousser le sujet visé à des conceptions délirantes souvent sous forme d’obsessions et d’idées de persécutions.

Table Ouija.

Table Ouija.

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A un degré supérieur d’hallucination spirite, on observe une véritable dissociation de la personnalité. Il s’agit alors de l’écriture automatique. On peut obtenir des communications écrites à l’aide de divers appareils : guéridons, planchettes, boule à plusieurs manches, et dans c/es conditions l’écriture automatique peut être obtenue par plusieurs personnes à la fois. Mais « le procédé de choix est d’écrire naturellement sans aucun instrument. Le médium s’installe comme il en a l’habitude, et attend (loc. cit., p. 199) ». La « personnification » se manifeste alors et écrit (4),

Quoi qu’il en soit d’ailleurs de l’origine « extra-terrienne » ou non des révélations automatiques des médiums, les séances d’automatisme [p. 343] graphique ne sont pas toujours sans produire des « incidents » de nature à laisser soupçonner la névropathie et à laisser opérer un facile rapprochement entre ces faits « mystérieux » et des faits plus souvent observés d’automatisme somnambulique spontané ou provoqué.

« Voici à ce propos, dit P. Janet (Autom. Psych., 408-409), une aventure qui a été racontée par les témoins eux-mêmes et de telle manière qu’elle paraît présenter de grandes chances de vérité. Une assemblée de spirites était dans une grande joie, car l’esprit qui daignait répondre n’était rien moins que l’âme de Napoléon. La main du médium qui servait d’intermédiaire écrivait, en effet, des messages plus ou moins intéressants, signés du nom de Bonaparte. Tout d’un coup le médium, qui parlait librement pendant que sa main écrivait, s’arrête brusquement ; la figure pâle, les yeux fixes, il se redresse, croise les mains sur la poitrine, prend une expression hautaine et méditative, et se promène autour de la salle dans l’attitude traditionnelle de l’empereur. Nul ne put se faire entendre de lui, mais le médium s’affaissa bientôt sur lui-même et tomba dans un sommeil profond dont on ne sut pas davantage le tirer. Il ne sortit de ce sommeil qu’une heure après, se plaignant d’un grand mal de tête et ayant totalement oublié ce qui s’était passé. »

Cette coïncidence entre la crise et l’acte d’écrire inconsciemment s’observe chez presque tous les sujets, Tantôt une crise d’hystérie qui débute peut être transformée, par suggestion, en mouvements inconscients et actes automatiques; tantôt les tentatives pour provoquer la catalepsie partielle et l’écriture subconsciente amènent une crise d’hystérie. »

« Rien n’est plus décisif à ce point de vue, dit Charcot, que l’histoire d’une famille où plusieurs personnes qui s’étaient livrées longtemps aux pratiques du sybillisme spirite, furent finalement atteintes des stigmates typiques de la névrose, et, présentèrent des crises finales généralisées, caractéristiques de l’hystérie. »

Les écrivains spirites connaissent bien ces crises nerveuses et ne laissent pas d’en être gênés, Toutefois, ils ne sont pas à court d’explications :

« Le Writing médium est parfois jeté violemment sur le parquet, la tête rebondissant contre un meuble. Gardez-vous de chercher à le relever, à moins qu’il ne vous tende la main; restez à distance, les invisibles le garantissent par leurs fluides. Toucheriez-vous à un somnambule sans que son magnétiseur de la terre liât ses fluides avec les vôtres ? Non, cela provoquerait des crises. A plus forte raison ne faut-il pas toucher au médium des extra-terriens. » (La Survie.) [p. 344]

Donc, de l’aveu même des spirites, les pratiques spirites, surtout lorsqu’elles tendent à provoquer des dissociations de la personnalité par l’automatisme graphique, peuvent provoquer du même coup, l’éveil ou le réveil de l’hystérie, soit qu’elles causent la crise indice-révélateur, soit qu’elles précipitent le retour des crises convulsives, soit qu’elles fassent naître des suppléances des crises.
Mais ce n’est pas tout. L’on rencontre l’automatisme graphique dans d’autres conditions. C’est lorsque le détraquement des prédisposés s’est opéré sous l’influence des pratiques exagérées du spiritisme et que les conceptions délirantes prenant une nuance de persécution, le sujet voit, au milieu de ses plaintes graphiques, ses « magnétiseurs » s’emparer de sa main et se servir d’elle pour réitérer leurs menaces.
Nous en avons recueilli un exemple, c’est une lettre d’un persécuté précité poursuivi par le magnétisme, et qui se plaint des tortures que les magnétiseurs lui infligent (cette observation a été publiée en détail dans un travail sur les délires systématisés. Paris, Doin, 1892, p. 134.)

« … je suis persécuté et exécuté, écrit-il, tous les lundis de terribles et cruelles expériences électriques sur moi chaque fois que je suis dans ma baignoire depuis trente-neuf mois — et nous espérons encore en faire des expériences et te faire souffrir effroyablement dans les contorsions et les contractions. » Ce sont les magnétiseurs qui répondent par sa main pour lui annoncer des tortures nouvelles pour le jour suivant avec détail de ce qu’on lui fera subir et qui ne manque jamais de se réaliser.
A une phase suivante apparaît le courant d’idées défensives sous forme d’encouragements écrits, intervenant au cours des plaintes et attribués à des esprits protecteurs mystérieux.

Mais le délire ne se maintient pas constamment à la phase de persécution, et plus ou moins vite, selon le terrain dégénératif et la culture, l’incarnation consolante s’établit, il y a sybillisme, le spirite devient médium prophète, puis l’incarnation directe ou progressive de tel personnage antique ou de telle divinité.
Nous avons recueilli les écrits d’une malade mégalomane où l’on observe trois sortes d’écriture : l’écriture personnelle de la malade parlant du haut de sa nouvelle personnalité imaginaire, l’écriture de ses persécuteurs qui la bafouent et celle de ses protecteurs qui la consolent. [p. 345]

Après avoir paraphrasé ses titres de reine de France et maîtresse des Tuileries, elle se plaint des démons qui la magnétisent, puis d’une crampe qu’ils lui envoient au moment même ; vient ensuite une série de salutations réitérées à différentes personnalités, sans rapport avec le reste de la lettre ; elle s’en excuse ensuite en écrivant que tous ces bonjours ont été écrits, malgré elle, par les magnétiseurs pour la bafouer (Obs. V, t. C). La crampe préalable dans la main de ces malades à écriture automatique est un phénomène fréquent, nous pourrions presque dire constant.

Quant à la dualité des écritures signalée chez certains médiums et chez certains hystériques, dont M. Philippe signalait les caractères à la Société médicopsychologique, il est à remarquer qu’elle ne s’observe pas toujours dans les écrits automatiques et volontaires de ces délirants, écrits dont les parties ne se différencient souvent qu’à la lecture par leur contenu et non par la forme des caractères.

Séance de spiritisme.

Séance de spiritisme.

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Nous arrivons à un autre ordre de phénomènes spirites, qui est, à vrai dire, l’exagération du précédent et qui constitue le plus haut point de dissociation de la personnalité, c’est l’automatisme phonétique, ou d’incarnation. Il est rare que l’automatisme soit purement phonétique ; le médium fait toujours quelques gestes appropriés au personnage qu’il représente et l’automatisme est compliqué ; les muscles qui règlent l’émission de la voix ne sont pas les seuls en activité. (Maxwell, loc. cit., p. 209.) C’est le cas de Napoléon que nous citions tout à l’heure. Là, la dissociation était spontanée. Il faut parfois la provoquer par des passes, et Maxwell conseille de continuer ces passes une demi-heure après que le médium est endormi. C’est de cette façon que l’on obtient les meilleures transformations de personnalité. Voici comment s’opère cette transformation :

« Le phénomène d’incarnation se produit quand le médium étant endormi du sommeil médiumnique, son péresprit, ou corps psychique, s’échappe suffisamment pour laisser sa place à un extra-terrien qui veut se communiquer (5).

« Celui qui s’incarne dans le médium palpe ses vêtements qui paraissent le gêner ; il essaye d’ôter ses bottines ; la chaîne de montre l’étonne ; enfin il semble prendre son parti d’être ainsi vêtu, et il s’incline profondément de quatre côtés différents : « Je salue le Nord, le Midi, l’Orient et l’Occident, [p. 346] car Dieu est partout. » Il attache un mouchoir à sa ceinture et fait signe qu’on peut supposer le reste du corps nu. « Je fais cela pour indiquer que je ne suis point un Européen, je suis un fakir (6)

Dans les cas de ce genre, il y a un automatisme graphique remplacé successivement par un état cataleptique avec attitudes systématisées, suivant une personnalité imposée, puis par un état d’hypnose. On peut d’ailleurs observer chez les névrosés tous les degrés d’automatisme inconscient depuis les mouvements involontaires qui leur sont communs avec les normaux distraits, jusqu’aux automatismes inconscients les plus complexes des psychasthénies (7).

La persistance de la nouvelle personnalité, persécutrice ou protectrice, ou simplement persistant seule sur les ruines de l’ancien « moi », crée des délires nettement en rapport avec les démonopathies ou démonolâtries anciennes (8).

Si beaucoup de délires spirites arrivent d’emblée ou à la longue aux idées de grandeur, il en est d’autres qui évoluent dans un autre sens.
Nous voulons parler des mélancolies chroniques, dont le type est réalisé sous sa forme en quelque sorte systématisée de délire de négation de Cotard. [p. 347]

Ce sont là des démonopathes aussi, mais bien différents de ceux qui passent ainsi à la théomanie. Eux restent toujours de vrais mélancoliques, sauf en quelques cas mixtes rares, tels que ceux analysés et décrits avec tant de finesse par Séglas.

La transition entre ces psychoses mélancoliques spirites et les anciennes démonopathies qu’elles ressuscitent a été décrite aussi par Janet, dans une curieuse observation d’automatisme graphique, chez un mélancolique possédé du démon qui se croyait interdit de parler.

Malgré son mutisme délirant, le démon interrogé pouvait répondre, du moins, par sa plume.
Mais le fond mental pathologique, sur lequel éclot cette transposition ou dissociation de la synthèse mentale primitive, est caractéristique dans les cas de mélancolie spirite ; il y a dépression mélancolique vraie et désagrégation mentale faisant place à une personnalité nouvelle désolante, si l’on peut dire, par le caractère de sa genèse et des réactions émotionnelles qu’elle éveille dans la mentalité antérieure du malade.

Tout comme les mélancoliques démonophobes qui s’identifient peu à peu avec le diable, le mélancolique spirite est hanté par un désincarné redouté, qui parle ou écrit par sa main, puis fait, peu à peu, place à l’intrus. En ces cas, celui-ci profère des blasphèmes et prend une attitude cynique en conséquence. Perdant progressivement leur personnalité première, ces mélancoliques en arrivent logiquement à. croire qu’ils personnifient un malin esprit, si les troubles psycho- moteurs se caractérisent et prennent suffisamment corps pour provoquer des associations dynamiques coordonnées dans le sens de cette obsession terrifiante. Griesniger [Griesinger] a signalé ces cas.

L’un de nous en a pu observer un cas analogue, publié dans les Leçons de Séglas, sur les hallucinations psycho-motrices recueillies à la Salpêtrière, (Progrès méd. 1888, n° 33-34.)

Une malade imbue des idées d’Allan Kardec, dont parle Séglas, avait des voix épigastriques, et un esprit la faisait parler malgré elle, En écrivant, l’esprit lui donne la pensée par l’estomac comme s’il dictait ; elle sent qu’on lui prend la main et elle ressent dans cette main comme un fluide froid ; el elle écrit, malgré elle, toute seule, elle n’a qu’à tenir la plume. L’écriture change à chaque fois ; elle écrit ainsi, dit-elle, de la ronde et demi-ronde qu’elle ne sait pas et signe d’un nom qui n’est pas le sien ; quand elle écrit elle-même, elle ne sent pas sa main prise et apprécie la différence. [p. 348]

Comment interpréter ce fait ? Tout en faisant la part de l’altération de la volonté, il nous semble alors rationnel de supposer que la pensée de la malade prend corps surtout au moyen des images graphiques qui, dans ce cas, acquièrent une intensité suffisante pour s’extérioriser sous forme de mouvements nécessaires pour tracer les signes graphiques qui sont la traduction matérielle de la pensée.

On trouvera de nombreux exemples analogues dans les traités du spiritisme, et cette malade présente à la fois certains caractères de ce qu’on y trouve désigné sous le nom de médium écrivain automatique, qui écrit en quelque sorte en dehors de sa volonté et de médium écrivain intuitif, qui entend « dans le cerveau » une voix qui lui dicte ce qu’il écrit.

C’est, en d’autres termes, la même hypothèse que le schéma de Grasset concernant l’automatisme polygonal avec ou sans intervention de O. (Synthèse mentale supérieure).

A. Voisin, dans une leçon recueillie par l’un de nous, en cite un cas analogue: (A. Psychiatrie, 1891, n° 6.)

Cette malade avait assisté à une fête foraine et s’était prêtée aux jongleries d’un magnétiseur ; ayant éprouvé un commencement d’hypnose, cette femme, faible d’esprit, fut émue et frappée de ces phénomènes ; sans délire antérieur, elle tomba bientôt dans un accès de mélancolie qui motiva l’internement ; cette malade était naturellement une prédisposée, et les manœuvres du magnétiseur ne furent que l’occasion. La conviction de la malade qu’elle subissait l’influence du magnétisme donnait à son attitude une bizarrerie particulière. Elle conservait un mutisme obstiné ou parlait par phrases sentencieuses, à la façon d’une somnambule extra-lucide.

Huet, à la même époque, a publié l’observation d’une mélancolique mystico-spirite à troubles psycho-moteurs graphiques.

Avec M. le Dr Vallon, l’un de nous a recherché, dans un travail sur les folies religieuses anciennes, les troubles psycho-moteurs décrits par les auteurs mystiques chez les démonopathes. Ces auteurs en distinguent deux sortes bien distinctes : les obsédés du démon, et les possédés vrais.

Ils correspondent exactement aux démonopathes externes et aux démonopathes internes de Dagonet.

La même distinction s’impose, croyons-nous, pour les délires néo-mystiques ou spirites.

Dans ces derniers cas, il y a (possessions spirites vraies) médiumnopathie interne, si l’on peut dire, par analogie avec la démonopathie [p. 349] interne, il y a tendance à l’extinction et négation de la personnalité primitive par substitution d’une personnalité nouvelle tendant à effacer toutes traces de la précédente, car il y a opposition et contradiction flagrante entre les deux, alors que dans les délires spirites à systématisation primitive le dédoublement n’entraîne pas à proprement parler la personnalité initiale, au secours de laquelle vient, en quelque sorte, la personnalité nouvelle.

Quoi qu’il en soit, et dans tous les cas, le délire a le caractère de tentative que fait le malade pour s’expliquer son état. Cette explication, le malade la tire fatalement des notions antérieurement acquises et du sens dans lequel son éducation a été dirigée. De là l’intervention possible de préoccupations d’ordre mystico-spirite dans la recherche du pourquoi à une époque et dans des milieux où le spiritisme est en vogue (9).

 La séance de Spiritisme. Par Marc Dailly (peintre français né à Genève en 1978).

La séance de Spiritisme. Par Marc Dailly (peintre français né à Genève en 1978).

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Nous résumerons brièvement notre travail par les conclusions suivantes :

Les conceptions spirites peuvent se refléter dans les conceptions délirantes diverses. Comme toutes les hypothèses mystiques, le spiritisme peut être utilisé par les malades pour s’expliquer leurs troubles mentaux. Croyant innover, ces malades reviennent à la phase des conceptions mystico-fétichistes, selon la loi d’A. Comte.

Il n’y a pas de folie spirite distincte, mais le spiritisme est susceptible de colorer d’un mysticisme particulier toutes les psychoses, car [p. 350] toutes peuvent donner lieu à des troubles psycho-moteurs. On peut ainsi distinguer des délires épisodiques de médiumnité ou des délires systématisés progressifs.

Les premiers forment la transition entre les folies proprement dites et les automatismes symptomatiques des névroses.

Les dégénérés atteints de bouffées délirantes à teinte spirite commencent souvent par présenter des automatismes graphiques ou autres en rapport seulement avec l’hystérie ou la neurasthénie.

Les pratiques exagérées du spiritisme attirent ces sujets. Elles peuvent contribuer à les précipiter dans la voie des psychasthénies dégénératives jusqu’alors latentes.

La médiumnité n’est pas fatalement délirante ; il y a le médium à éclipse momentanée et volontaire, et le médium aliéné, c’est-à-dire non maître de se ressaisir après la séance de médiumnité. Entre les deux, il y a la même différence qu’entre le mystique convaincu qui s’hallucine par certaines pratiques pieuses appropriées, mais revient à lui, et le délirant mystique, jouet d’illusions et d’interprétations délirantes continues.

Les pratiques spéciales mystiques ou spirites conduisant à l’hallucination voulue des centres moteurs ou sensitivo-sensoriels sont comparables à l’intoxication de l’ivrogne qui obtient l’ivresse sans arriver fatalement au délire alcoolique. La répétition de l’un peut cependant conduire à l’autre.

Dans les délires persistants et systématisés à teinte spirite, il en est, et c’est le plus grand nombre, où s’observe la médiumnité et l’automatisme graphique en rapport avec les trois phases de l’évolution délirante :

Phase de persécution,

» de mégalomanie,

» mixte intermédiaire (ou mixte d’emblée en certains cas).

D’autres réalisent des délires mélancoliques chroniques à teinte [p. 351]spirite, correspondant aux démonopathies internes et aux délires de négation de Cotard.

Enfin, les dissociations psychiques aboutissant à l’automatisme graphique plus ou moins semblable à celui des médiums et comme telles attribuées au spiritisme par les malades, peuvent s’observer à titre d’épisode chez toutes les autres catégories d’aliénés ; toutes peuvent, en effet, offrir l’automatisme psychique comme phénomène accessoire au même titre que l’hallucination ordinaire plus ou moins caractérisée.
La folie, quelle qu’elle soit, n’est-elle pas toujours caractérisée par l’altération de la synthèse mentale, terrain propice à tous les automatismes psycho-moteurs et autre?

Nous terminerons cette courte étude par quelques réserves touchant les pratiques du spiritisme. La science spirite peut être riche en promesses, voire en avenir. Comme on l’a pu dire : Parmi tant d’inconnues qui font la connaissance humaine, l’étude du subconscient est peut-être une de ces inconnues qui cherche ici à se connaître. Malheureusement, certains sont mal adaptés, par leur instabilité mentale, à des recherches dangereuses pour eux et dont le contrôle méthodique leur échappe. C’est à ceux-là qu’il faut penser, c’est pour eux qu’il faut faire des réserves.

Drs MARIE et VIOLLET.

NOTES

(1) D’autres esprits supérieurs, vraisemblablement prédisposés momentanément par l’inquiétude, les privations, l’incertitude, ont subi et rapporté des faits d’un troublant mystère. Nous nous souvenons d’une lettre de M. Clovis Hugues, adressée à M. Flammarion, qui rapporte, en ce style charmeur particulier à l’écrivain, un fait curieux. Au moment où la Commune vaincue voyait se retourner contre elle les répressions sanglantes, Clovis Hugues, emprisonné avec plusieurs militants de la Commune, dissertait avec eux de sujets métaphysiques. Un « croyant » qui devait être exécuté le surlendemain matin, seul à défendre l’immortalité de l’âme, résistait avec peine aux arguments de ses contradicteurs. Clovis Hugues conjura ceux-ci de respecter les croyances d’un homme qui allait mourir, et le croyant lui répondit que, s’il était possible, il lui donnerait la preuve de ce qu’ii avançait. Deux jours se passèrent. La nuit qui précédait la date fixée pour l’exécution, Clovis Hugues fut réveillé par un faible bruit. Il s’assit sur son séant et entendit un coup violent, suivi, après un certain temps, de trois coups successifs. En même temps, un vent frais passa sur son visage. Clovis Hugues se leva, courut à la porte, et, à travers le guichet ouvert, demanda au rondier s’il n’avait rien entendu, L’autre lui dit de se recoucher, qu’il avait rêvé, qu’aucun bruit ne s’était produit, Or, le lendemain, quand Clovis Hugues voulut aller porter à son compagnon des paroles d’amitié et les dernières exhortations, il apprit que l’exécution avait eu lieu dans la nuit, à l’heure même où il avait ressenti et entendu ces phénomènes bizarres. Il était impossible, constatation en fut faite depuis par Clovis Hugues lui-même, d’entendre de la cellule le crépitement de la fusillade. Clovis Hugues rapporte le fait sans conclure, mais le fait qu’il l’écrit à un spirite, non militant d’ailleurs, et l’explication spirite possible de ces phénomènes (raps provenant d’un désincarné), laisse entrevoir l’importance que peuvent prendre, chez des prédisposés, des constatations analogues.

(2) La Survie. Les fous, p. 37.

(3) Azam. Hypnotisme et double conscience. 1887, p. 238.

(4) Dans un passage qui paraît une paraphrase de la citation initiale empruntée à Marcé, M. C. Flammarion, parlant de ce phénomène spirite, dit ceci :
« Les observations spirites sont en concordance intime avec le milieu dont elles ne sont qu’une émanation directe. Elles correspondent aux idées, aux convictions, aux impressions dominantes dans l’assemblée. Parlerons· nous des mélodies écrites pour orgue dans le groupe dirigé par Eugène Nus. Ce n’est pas un esprit étranger qui est venu dicter ces mélodies. C’est celui d’un assistant, le musicien Bureau, extériorisé sans qu’il le sût. L’autosuggestion est extrêmement fréquente dans ces expériences, aussi bien que chez les médiums écrivains. Des fables charmantes ont été publiées par M. Joubert, président au tribunal civil de Carcassonne, de délicates poésies obtenues à la planchette par M. Mathieu, des ouvrages d’histoire et de philosophie conduisent les uns et les autres à conclure que les médiums ont écrit, sous leur propre influence, ou tout au moins ne prouvent pas sciemment l’existence d’une cause extérieure. »

(5) La Survie, p. 13.

(6) La Survie, p. 21.

(7) Nos pensées provoquent des mouvements involontaires, et c’est ainsi que la pensée consciente des médiums met en mouvement la table à leur insu ; les oracles promulgués par les planchettes ne sont que le décalque de ce qui est dans la tête des personnes qui les dirigent; les expériences spirites ne sont qu’un degré plus compliqué de l’expérience du pendule de Chevreul. La conscience de l’individu peut persister dans son intégrité apparente ; toutefois des opérations très compliquées vont s’accomplir en dehors de la conscience, tant que le moi volontaire et conscient paraisse ressentir une modification quelconque. Une autre personne sera en lui, qui agira, pensera, voudra, sans que la conscience, c’est-à-dire le moi réfléchi, conscient, en ait la moindre notion. » Ch. Richet, Rev. phil., 1884, p. 650.

(8) Ces faits ne sont pas rares. Ball (p. 485) a cité le cas d’un homme intelligent et cultivé, qui s’était adonné à des invocations surnaturelles après lecture d’ouvrages spirites.
Il finit par évoquer un mauvais esprit : « Semblable à ces enchanteurs maladroits qui, faute de connaître les formules sacramentelles, après avoir fait apparaître le diable, ne pouvaient plus se débarrasser de lui, il était resté en tête-à-tête avec son persécuteur et se croyait lié par un pacte irrévocable qui le rendait esclave du démon auquel il avait voulu commander. « C’est là un cas mixte où il y a véritable démonopathie spirite. Ce délirant était-il un persécuté susceptible d’évoluer vers une phase d’idées de grandeur ; le texte de Ball ne permet pas de faire une opinion.

(9) 1. A y regarder de près, d’ailleurs, les auteurs spirites n’ont fait littéralement que reprendre les hypothèses anciennes des exorcistes en ce qui concerne leur théorie de la folie ; je n’en veux pour preuve que la façon dont ils s’expriment dans certains livres spéciaux. Quoi d’étonnant, dès lors, à ce que leurs adeptes tombant malades appliquent à l’explication de leur mal l’interprétation que leurs coreligionnaires leur ont enseignée et leur confirment au besoin, au cours de la maladie. C’est là, en quelque sorte, une renaissance de mysticisme pouvant servir de point de départ à un essor nouveau des psychoses néo·mystiques.
— Nous rappellerons, en terminant, que l’écriture mediumnique peut s’observer dans toutes les autres psychoses et en dehors des névroses avec lesquelles elles ne doivent pas être confondues à ce point de vue.
M. le Dr Vallon a décrit deux cas d’automatisme psycho-moteur dans l’alcoolisme (A. M. P., février 1895). L’un de nous, avec M. le Dr Vigouroux, a publié deux cas d’automatismes spirites chez des déments séniles, (Spiritisme et Folie, Revue de Psychologie, 200-244, 1898.)
M. Sérieux a publié plusieurs observations de troubles psycho-moteurs dans la paralysie générale ; l’un de nous en a présenté, avec M, Buvat, trois observations à la Société Psychologique. (Arch. Neurologie, 1901. N° 67.)
Nous en signalons, en terminant, une dernière où nous avons observé l’écriture automatique. Celle-ci contient les plaintes du malade concernant des chiffres de fortune qu’il est obligé de prononcer ou écrire sans cesse, sorte d’arithmomanie mégalomaniaque contre laquelle il proteste. Il en perd le sommeil. Suivent les colonnes de chiffres, écrites malgré lui par le magnétiseur, puis une série d’insultes, sorte de coprographie, qu’il adresse à son tour à l’intrus, et dont il s’excuse en terminant sa plainte, disant qu’il a écrit cette page de blasphèmes pour arrêter son persécuteur.
Là nous retrouvons en dialogue graphique le double courant d’attaque et de défense signalé pour les persécutés non paralytiques.
Ce dernier malade est mort paralytique général depuis ; la démence avait d’ailleurs bien vite effacé tout délire spirite et toute manifestation correspondante d’automatisme

 

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