Robert James. SOMNUS. Extrait du « Dictionnaire universel de médecine, chirurgie, chymie, de botanique, d’anatomie, de pharmacie, d’histoire naturelle, &c. . Traduit de l’anglois de M. James, par Mre Diderot. Eidous & Toussaint, Revu et corrigé par M. Julien Busson. » (Paris), 1748, colonne 1565-colonne 1576.
Robert James (1703-1776). Médecin anglais surtout connu comme l’inventeur de la poudre diaphorétique à laquelle il donna son nom.
Autres articles
— LYCANTHROPIA. Extrait du « Dictionnaire universel de Médecine…, traduit de l’anglos de M. James, par Mre Diderot, Eidous & Toussaint. Revu, corrigé & augmenté par M. Julien Busson, Docter-Régent de la Faculté de Médecine de Paris », (Paris), tome quatrième, 1747, colonne 1058. [en ligne sur notre site]
— SOMNIUM. Extrait du « Dictionnaire universel de médecine, chirurgie, chymie, de botanique, d’anatomie, de pharmacie, d’histoire naturelle, &c. . Traduit de l’anglois de M. James, par Mre Diderot. Eidous & Toussaint, Revu et corrigé par M. Julien Busson. » (Paris), 1748, colonne. 1565. [en ligne sur notre site]
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SOMNUS,
Tous les corps font capables par leur action les uns sur les autres , & par l’action des corps environnans, d’être affaiblis & consumés ; & tous les corps animaux expulsent sans cesse en vertu d’un principe actif, & agissant de lui-même au dedans d’eux, ou par le frottement qu’ils éprouvent au-dehors , leurs parties superflues & inutiles ; en sorte que l’on peut dire que tous les corps animaux sont dans un flux perpétuel. Pour réparer cette perte & cette consommation continue des corps animaux, la nature a fait prudemment succéder le repos au travail, & le sommeil à la veille ; ces alternatives sont absolument nécessaires à notre conservation. Nous travaillons pendant la veille, & nous nous fournissons des choses qu’exige le soutien de nos corps ; ces réparations sont appliquées aux parties-consumées ; & c’est ainsi que les pertes qu’elles ont faites cessent de leur être préjudiciables. Il me paroît donc que ce seroit fort mal-à-propos, qu’on troubleroit l’ordre de la nature, en substituant aux fonctions animales qui se font pendant le sommeil, d’autres occupations que celles des coctions secondaires, telles que sont l’application de la nourriture aux parties affoiblies, la réparation du sang, le renouvellement des sécrétions, la reproduction d’une quantité copieuse d’esprits, ou pour parler plus philosophiquement, le rétablissement du ton affoibli des fibres nerveuses ; en un mot, la réparation de ce qu’a dissipé la veille & le travail du jour. Ce seroit à peu près comme si, en le supposant possible, on mangeoit ou buvoit ou pourvoyoit à quelque autre besoin de la vie pendant le sommeil. On voit par-là combien c’est une pratique préjudiciable, que de faire des soupers somptueux, qui chargent l’estomac, ou de s’aller coucher peu de tems après avoir ainsi mangé avec excès ; car c’est troubler tout l’ordre de la nature, & confondre les tems qu’elle avoit marqués pour le sommeil & la veille. C’est pourquoi je conseille aux valétudinaires, aux gens de cabinet, & à ceux qui mènent une vie méditative, ou de ne point souper, ou de ne manger à souper que des végétaux, & de laisser un intervalle suffisant entre le souper & le coucher.
C’est une maxime assurée, (si l’on excepte certaines maladies aigues ) que le sommeil est sain, tranquille & bienfaisant, a proportion que les organes alimentaires sont en repos, bien constitués & bien nets. Si, sans avoir aucune maladie, on est troublé dans son sommeil, c’est une marque certaine qu’on a l’estomac plein d’alimens ou de crudités ; ou les intestins remplis de vents, de bile, ou d’un chyle superflu. Et ces insomnies nocturnes & cette répugnance qu’on a pour le lit, que pour l’ordinaire on attribue à des vapeurs, n’ont souvent pas d’autres causes ; mais ne laissent pas de fatiguer, parce que la fatigue de la veille suffit toute seule pour incommoder. Et lorsque quelqu’un s’est plaint à moi de ces insomnies, je n’ai jamais [colonne 1566] manqué , en le questionnant sur la manière de vivre, d en trouver la cause dans le régime de la veille ou des jours précédens ; & toujours elles avoient pour causes quelques fautes commises dans le boire ou dans le manger, soit pour la quantité ou pour la qualité.
J’ai été surpris de voir des hypocondriaques & des hystériques, sans dormir de la nuit, ne faire que se tourner & s agiter dans le lit jusqu’au matin, y rester fort tard, accablés, & toujours sans pouvoir dormir, pesans, oppressés & plus las que la veille ; se plaindre d’être harassés, moulus, brisés , comme s’ils eussent été fouetés, flagellés, piqués ou battus toute la nuit ; le lever ensuite avec la bouche sale & la langue blanche, roter, bâiller, tousser, cracher, s’alonger, être pesans, sans appétit, sans esprits vitaux pendant tout le jour, & commencer à vivre & à respirer, devenir gais & avoir faim sur les dix ou onze heures du soir ou minuit, faire un souper succulent & copieux, bien boire, être de belle humeur, se coucher fort tard, & une fois entres dans le lit, y passer la nuit comme la précédente. La raison de toutes ces incommodités est la réplétion de leur estomac, qui ne leur laisse point de repos, jusqu’à ce qu’il soit déchargé du poids qui l’opprime. Les humeurs acres & crues qui pincent & picotent les fibres nerveuses & les tuniques des intestins, sont comme autant d’aiguilles & d’épingles qui courroient dedans, sans pourtant causer toujours des douleurs bien aiguës. Le chyle, faute d’une coction suffisante, étant arrêté ou ne circulant qu’avec lenteur d’abord dans les intestins, ensuite dans les plus petits vaisseaux, cause ces convulsions, ces flatulences, ces cauchemares & ces oppressions qu’ils éprouvent. En sorte que les digestions secondaires ne commencent à se faire que sur le matin ; raison pourquoi ils n’ont point alors d’appétit ; & lorsqu’elles sont une fois faites, leur estomac le remet, leurs esprits commencent à couler librement ; & ils éprouvent ainsi un cercle perpétuel de bonne & de mauvaise disposition. Qu’ils suivent l’intention de la nature, qu’ils ne mangent à souper pendant quelques jours, que des végétaux légers, ou ne soupent point du tout, sans s’embarrasser des inconvénients qui s’en ensuivront, l’appétit leur reviendra, & ils éprouveront la vérité de cet Aphorisme de l’École de Salerne :
Sommes ut esto levis, sit tibi cœna brevis.
Les tems que la nature elle-même semble nous avoir marqué pour le sommeil & la veille , surtout dans nos climats voisins des tropiques, sont le jour & la nuit : ces humidités, ces vapeurs & ces exhalaisons qui s’élèvent dans les plus hautes régions, & qui sont tellement raréfiées par la chaleur & par l’action du soleil, qu’elles en deviennent innocentes, ou sont du moins très-foibles pendant le jour ; se condensent, redescendent près de la surface de la terre, & dégoûtent perpétuellement pendant la nuit, & par conséquent doivent être très-nuisibles à des personnes délicates, lorsqu’elles sont éveillées dans ce tems-là, & ne peuvent manquer de supprimer la transpiration, que l’activité de la veille & le travail provoquent. Nos corps pompent & attirent à eux les bonnes & les mauvaises qualités de l’air qui les environne par les orifices des conduits respiratoires de la peau. Et si nous pouvions examiner un corps animal avec un verre convenable, nous le verrions entouré de toutes parts d’un atmosphère, semblable à la vapeur d’un pot bouillant. Or il est aisé de concevoir quel tort fait au corps non-seulement la suppression de cette décharge continuelle de superstuités ; mais aussi l’admission de ces fumées & de ces vapeurs nuisibles, qui tombent pendant la nuit près de la surface de la terre, dans le corps, où elles sont introduites par le poids & la pression de l’air.
Au contraire, la chaleur du soleil pendant le jour, troublant le repos de l’air par son action sur les corps humains, par la lumière & par l’agitation de l’air, doit [colonne 1567] nécessairement déranger le cours égal de la transpiration, la continuité des coctions secondaires, & la tranquilité des esprits si nécessaire pour le sommeil & le repos. En sorte qu’il paroît que la nature a destiné le jour pour travailler, & la nuit pour dormir ; indépendamment même du besoin qu’on a de la lumière du soleil pour les travaux & pour pourvoir aux nécessités de la vie. Il y a des animaux d’une espèce délicate, que la nature a assujettis a une alternative de veille & de sommeil, qui partagent non pas le jour, mais l’année entière, la veille en occupant la moitié qu’on appelle été, & le sommeil l’autre moitié qu’on appelle hiver ; tels que l’hirondelle, la chauve-souris & plusieurs insectes, qui dorment l’hiver & sont éveillés l’été.
Ainsi la nature est conséquente en assignant, pour nos actions, les instans de notre vie qui font les plus animés & les mieux éclairés ; & les plus sombres & les moins sains pour le sommeil. Ce n’est pas que les gens robustes, aussi-bien que les animaux que la nature a créés propres à différens genres de vie, ne puissent par l’habitude accoutumer leurs corps à une manière de vivre différente de celle que la nature indique : mais j’écris ici pour les valétudinaires, les gens de cabinet, & ceux qui mènent une vie méditative.
Je conseille à ces sortes de personnes, si elles veulent conserver leur santé & prolonger leurs jours, d’éviter autant qu’elles le pourront, la rosée du soir, l’étude de la nuit & les veilles ; de se coucher en été avec le soleil, & de se lever en hiver au moins à la pointe du jour. Ceux qui vivront sobrement ne feront pas grands dormeurs ; mais en revanche ils auront un bon sommeil, sain, tranquille & bienfaisant, qui leur rendra l’esprit plus libre & l’humeur plus gaie, que ceux qui mènent une vie plus sensuelle. Car, comme je viens de le dire, on dormira plus ou moins, selon qu’on aura mangé peu ou beaucoup.
Les valétudinaires, les gens de cabinet & ceux qui mènent une vie méditative, doivent s’aller coucher à huit ou neuf heures ou dix au plus tard, & se lever à quatre, cinq ou six du matin, au moyen de quoi ils seront reliés huit heures au lit, ce qui suffit à toutes fortes de personnes, qui ne sont point affligées de maladies aiguës ou chroniques.
Rien n’est plus préjudiciable aux tempéramens délicats, aux gens de cabinet & aux personnes qui mènent une vie méditative, que de relier trop long-tems au lit, ou de le tenir coy & étendu entre deux draps, lorsqu’on est une fois bien éveillé ou qu’on a raisonnablement dormi. Cela épaissit les sucs, énerve les solides & affoiblit le tempérament. Un air libre & dégagé surtout au sortir d’un lit chaud, est une espèce de bain froid, qui conséquemment rend la circulation plus vive & plus parfaite, & agglutine les solides que la moiteur du lit amollit & fond. Debout & éveillé, on transpire plus abondamment & les évacuations des récrémens grossiers se font plus aisément. La preuve en est l’appétit & la faim qu’éprouvent ceux qui se lèvent matin, & que n’ont point ceux qui relient long-tems au lit. Ajoutez à tout cela l’influence de l’air frais & bénin du matin, la dissipation des humidités & des vapeurs de la nuit, les nuages & la pesanteur que le sommeil répand sur le cerveau, & enfin cette gaieté & cette bonne humeur causée par l’approche du soleil, qui est comme l’âme de toute la nature, qui ajoute une nouvelle force au cœur & une nouvelle activité aux esprits.
On est toujours tombé d’accord partout & dans tous les tems, que la raison du matin, est le tems le plus propre pour l’étude & pour les emplois auxquels l’application d’esprit est nécessaire ; car alors l’amas des esprits est copieux & n’a encore souffert aucune altération ; la tête est nette & sans embarras, les passons sont calmes & tranquilles ; il ne reste plus rien de cette anxiété & de cette inquiétude que causent les digestions dans le système nerveux aux personnes d’un [colonne 1568] tempérament délicat ; ni cette agitation rapide où font les esprits après le repas. C’est pourquoi, je conseille à ceux qui ont l’habitude des nerfs foible & relâchée qui font sujets à des maladies hypocondriaques ou hystériques, qui par état font obligés de s’appliquer beaucoup, ou qui s’occupent d’études de spéculation, de s’aller coucher de bonne heure & de se lever matin, d’employer à ces sortes de travaux la matinée jusqu’à onze heures, de faire un déjeuner léger, de végétaux ; de reprendre ensuite leurs occupations, de les continuer jusqu’à trois, quatre ou cinq heures, selon que leurs esprits y pourront suffire ; de faire alors leur principal repas, auquel ils pourront manger de la viande ; de laisser de côté pour le reste de la journée, l’étude & les reflection, de se divertir à quelque amusement innocent, de se donner même quelque exercice, & quand la digestion sera faite de songer à s’aller coucher, sans rien prendre déplus, si ce n’est un simple verre d’eau ou de petit-lait bien clair & chaud. Mais les personnes âgées ou incommodées se coucheront de meilleure heure, & relieront plus long-tems au lit, parce que l’âge & les incommodités interrompent le sommeil, & que les membres durs & roides des vieillards, aquièrent de la souplesse & du relâchement par le sommeil, par l’allongement du corps dans le lit & par la chaleur même du lit.
Règles à observer par rapport au sommeil & aux veilles pour la santé & la longue vie.
- Les personnes valétudinaires, les gens d’étude & ceux qui mènent une vie sédentaire, ne feront qu’un souper léger ou ne souperont point du tout ; s’ils soupent, ils ne mangeront du moins que des végétaux, & ne s’iront point coucher immédiatement après le repas, quelque mets qu’ils aient mangé.
- S’aller coucher avec l’estomac plein ; avoir des vents & des crudité dans les passages alimentaires, voilà ordinairement ce qui empêche d’avoir un sommeil tranquille & bienfaisant ; car on ne l’a tel qu’à proportion que ces passages sont nets & bien débarrassés, & qu’ils sont quittes de la digestion qui est leur emploi spécial : c’est là aussi la cause pour laquelle les hypocondriaques & les hystériques ont de mauvaises nuits.
- Veiller la nuit & dormir le jour, est une pratique très- contraire à la santé & à la longue vie, & tout-à-fait opposée à l’indication de la nature & à notre constitution.
- Les personnes valétudinaires, sédentaires & studieuses doivent éviter soigneusement la rosée du soir, l’étude de la nuit, les veilles pénibles, s’aller coucher à huit, neuf ou dix heures, & se lever le lendemain matin à quatre, cinq ou six, à moins qu’elles ne soient actuellement malades ou indisposées.
Rien n’est plus préjudiciable aux tempéramens délicats que d’être trop long-tems au lit, d’y dormir d’un sommeil profond & léthargique, & de s’y dorloter le matin sans dormir, comme il paroît bien par la pesanteur & le manque d’appétit de ceux qui le font, & par la vigueur de l’estomac , la gaieté & la liberté des esprits de ceux qui se lèvent matin. CHEYNE, de la Santé.
Le même Auteur parle ainsi du sommeil dans un autre Traité.
Je conçois que le sommeil est produit par la foiblesse des organes du corps, & par l’impossibilité où ils se trouvent de continuer leurs fonctions actives, raisonnables & volontaires. Ils deviennent languissans & perdent leur élasticité, si on ne les répare, les nourrit & les tend derechef. Lorsque le travail & la consommation qu’ils souffrent nécessairement pendant la vie, les a relâchés & affaiblis, ils ne peuvent être rétablis & ranimés que par le repos, ou cette alternative que nous [colonne 1569] appelons sommeil. Aussi trouvons-nous les corps animaux racourcis & comprimés sur le soir par leur propre poids, par l’action & par la dissipation des principes vitaux ; au lieu qu’ils sont étendus & rallongés le matin. C’est l’action continuelle d’un fluide qui circule intérieurement, d’un éther ou d’une flatulence, qui agit sur les membranes internes, & particulièrement sur celles des entrailles, qui les picote, les irrite, les stimule & les met en mouvement, qui trouble le sommeil. C’est la réaction & l’élasticité de cette flatulence interne qui donne des pensées bizarres, & rend les opérations intellectuelles si irrégulières. C’est ce principe qui tient le corps dans une agitation continuelle. On fait quelquefois des efforts pour l’expulser, le chasser par haut ou le précipiter par bas. Pour cet effet on emploie les remèdes qui hâtent la respiration, comme les opiats, les gommes orientales, les sels & les esprits animaux, les aromatiques, les cordiaux & les diaphoniques. Une dose de pilules faites de gommes é d’aloès, procureront une bonne nuit, en poussant la matière perspirable en tout sens ; le cidre, les alimens venteux, comme les pois verts, suffiront pour en donner une mauvaise. L’état du rêve tient le milieu entre le sommeil parfait & la veille ; car il n’y a point de doute qu’il n’y ait entre la veille & le sommeilprofond autant de degrés & de termes qu’il y en a entre une quantité donnée & zéro. Le travail, la fatigue, les alimens légers, les évacuations douces de toute espèce, procureront en quelque façon un sommeilprofond : mais les nourritures rances, fortes & acres, donneront des rêves pénibles & effrayans. Plus la nourriture sera douce & légère, plus les rêves seront agréables, en supposant que le corps soit en santé. Les personnes âgées, celles d’une constitution foible & mal-faine, ou qui font attaquées de maladies aiguës & chroniques, surtout de l’espèce céphalique, & dans lesquelles les nerfs sont attaqués, auront les rêves les plus extravagans & les plus cruels, & le sommeil le plus imparfait. Il leur arrive même quelquefois de ne point dormir du tout, ce qui est un des principaux inconvéniens de leur état. On pourroit philosophiquement définir le sommeil, une incapacité causée par l’inanition, la fatigue & les pertes dans les organes du corps, de continuer plus long-tems & sans peine les fondions intellectuelles & les mouvemens volontaires sans réparation & tension nouvelle. Il en est donc du sommeil comme de la faim. On pourroit ajouter que l’état du rêve n’est qu’un sommeil partiel & imparfait , en conséquence de l’irritation perpétuelle des nerfs & des membranes intérieures, soit par la douleur, soit par la flatulence dont nous avons parlé ci-dessus, soit par l’embarras de la perspiration. La veille fera donc un état dans lequel les organes intellectuels & animaux feront parfaitement disposés à obéir aux impulsions de l’esprit actif & qui se meut de lui-même , que nous avons au dedans de nous. Il n’y a point de doute qu’il n’y ait dans cet agent plus ou moins d’énergie, & qu’il ne produise des effets plus ou moins forts. Tantôt sa contraction & son expansion perpétuent les fonctions animales avec vigueur & sans interruption, & les fonctions tant animales qu’intellectuelles, sont parfaitement remplies ; alors la veille est parfaite : tantôt il agit avec langueur ; les fonctions intellectuelles ne se font point avec la même alacrité, & alors il y a rêve, sommeil, défaillance ; tantôt il n’agit plus, & l’animal est mort.
Des prognostics que l’on peut tirer du sommeil dans les maladies.
Tout sommeil dont le malade ne sort point, ou ne sort qu’avec difficulté, dans lequel il retombe, & qui le tient dans un assoupissement extraordinaire, peut être regardé comme léthargique. Tels sont le coma ou le cataphora, le carus, le catoche ou la catalepsie, le veternus ou la léthargie. [colonne 1570]
Avant de parler des différons prognostics que l’on peut tirer de ces espèces de sommeils malsains, ainsi que du sommeil naturel, il est à propos de faire précéder quelques observations capables de nous donner des idées justes de ces affections somnifères. Nous commencerons par diviser le sommeil en sommeil naturel & sommeil contre nature.
Le sommeil naturel, est, selon les Définitions de Médecine attribuées à Galien, le retour de l’âme des limites de son domaine vers le lieu de son siège ; retour dont l’ordre & le tems sont prescrits par la nature ; ou c’est un repos & une cessation des fonctions animales selon le cours naturel. Dans le repos, le reste de la chaleur naturelle qui a été affoibli & presque épuisé par la veille & le travail, se retire vers les viscères, & se répare par l’humidité abondante qui y réside : lorsque les forces se sont ainsi renouvelées, elles tirent l’animal du sommeil.
L’opinion d’Hippocrate fur le sommeil paroît conforme à celle de Galien ; car nous lisons Epidem. 6 . sect. Aphor. i2. que dans la veille les parties extérieures sont évidemment plus chaudes, & les internes plus froides : mais que c’est tout le contraire dans le sommeil. Le même Auteur remarque, sect. 5. Aphor. 28. que dans le sommeil le sang se porte plus vers les parties internes.
Galien fait la même observation dans son Commentaire.
« Lorsqu’on veille, on a, dit-il, les parties extérieures plus chaudes, & les internes plus froides, c’est le contraire quand on dort. »
Il ajoute un peu plus bas, pour confirmer ce jugement d’Hippocrate,
« Que dans le sommeil, le sang & la chaleur naturelle se retirent vers la partie intérieure ; & que dans la veille, ils se portent des parties intérieures du corps à sa surface. »
Ce retour de la chaleur naturelle vers le centre, & le refroidissement de la superficie qui s’enfuit, donne lieu a la suspension de l’action & des opérations des sens ; les organes sont assoupis ; les passages des nerfs par lesquels la chaleur naturelle se porte à l’extérieur, & qui servent à l’exercice des facultés animales , font obstrués par le froid, & par conséquent, dit Galien, l’âme est réduite dans un état d’inaction. Tel est l’état de l’animal dans le sommeil naturel. Il est occasionné par le retour de la chaleur naturelle de la circonférence au centre, où elle se refait de l’épuisement qu’elle a souffert pendant la veille. Il n’est pas difficile d’expliquer après cela pourquoi l’on se sent assoupi après les repas ; il est évident que la cause particulière de ce sommeil, c’est qu’alors il s’élève des vapeurs humides & grossières qui se portent à la tête, s’emparent des passages du cerveau, & donnent lieu à la répercussion de la chaleur naturelle du centre à la circonférence, qui ne pouvant plus se porter partout, l’animal cesse de veiller, jusqu’à ce que ces vapeurs soient atténuées & discutées. Il s’enfuit donc que le sommeil naturel est occasionné, soit par le retour de la chaleur naturelle des parties extérieures du corps vers les parties internes, lorsqu’elle a été épuisée par la veille, & qu’elle a besoin pour se ranimer de l’humidité des viscères, ou des vapeurs qui s’élèvent après les repas vers le cerveau, & qui en obstruent les passages. J’avoue qu’il y a des Auteurs qui regardent ce dernier sommeilcomme contre nature ; & en effet il arrive quelquefois qu’ils ont raison. Ce sommeil est d’autant plus éloigné du sommeil naturel, que les vapeurs sont plus abondantes ; c’est ainsi que nous l’observons dans les personnes ivres qui dorment long-tems & profondément, leur cerveau étant pour ainsi dire opprimé des vapeurs, [colonne 1571] engendrées par la quantité de vin excessive qu’ils ont pris.
A ce propos, voici ce que nous voyons dans Hippocrate, Aphor. 5.
Si une personne ivre perd la voix subitement, elle mourra en convulsion, à moins que la fièvre ne la prenne, ou qu’elle ne recouvre la voix lorsque son ivresse commencera à se dissiper. Ce qui cause ces convulsions, c’est la suffocation qui suit nécessairement de la contrainte où le vin & ses vapeurs, qui ne sont ni digérées, ni discutées, tiennent la chaleur naturelle. Si la fièvre qui survient est favorable aux personnes dans cet état, c’est que la chaleur qui l’accompagne, dont la force est plus grande que la chaleur naturelle, digéré le vin & ses vapeurs. »
Voilà donc une des espèces de sommeil contre nature : les Médecins donnent à chacune des noms qui varient selon la diversité de leurs causes : mais elles font toutes comprises sous la dénomination générale de léthargique. Cette affection ne produit aucun effet extérieur ; elle demeure confinée au-dedans de l’animal, soit que la multitude des humeurs qui oppriment le cerveau, le froid ,l’un & l’autre, ou la foiblesse seule l’y retiennent.
L’espèce de sommeil contre nature qui s’empare du malade dans la léthargie, prend le nom de cette maladie. Il y en a une autre espèce que les Grecs appellent χάρος, carus, & les Arabes subeth. Il y en a encore auxquels on a donné les noms de catoche ou catalepsis, catalepsie, de congélatio, congélation, de cataphora ou coma.
Tous ces sommeils sont contre-nature. Nous allons les examiner en particulier, afin d’en pouvoir tirer des prognostics sûrs.
Nous remarquerons premièrement, que tous ceux qui sont attaqués d’un sommeil contre-nature, passent pour comateux ou pour léthargiques. Galien dit, Epid. III. Com. 1. T. 7. que dans le coma on a des envies violentes de dormir. Il entend par ces grandes envies de dormir, ou cette pente au sommeil, l’impossibilité de veiller ou de demeurer les yeux ouverts, & la nécessité de les fermer ou de clignotter. Il dit dans son Com. 2. Aph. 3. que le coma est un long sommeil qu’on a de la peine à dissiper, & que cette difficulté est ce qui distingue cette affection d’un sommeil long é naturel. C’est l’observation que fait cet Auteur, Com. in 2. Aph. 1. « II y en a, dit-il, qui s’imaginent que les affections comateuses commencent par un long sommeil : mais nous en avons dit allez pour les convaincre qu’on ne peut leur donner cette épithète avant qu’elles soient accompagnées de la difficulté de s’éveiller, & qu’un sommeil qui excède la durée naturelle, mais qui se dissipe sans peine, n’est, à proprement parler, qu’un long sommeil. Nous ne donnerons donc le nom de comateux ou léthargique, qu’à un sommeil difficile à dissiper, ou qu’à une envie de dormir, dans laquelle le malade n’a pas à la vérité les yeux fermés, mais clignottant, & portés à se fermer. Voyez l’article Coma.
Les espèces des sommeils léthargiques font distinguées, les unes en ce qu’elles ne contiennent qu’une forte pente au sommeil ; telles sont celles que nous appelions coma, cataphora & marcor, ou assoupissement contre-nature ; les autres en ce qu’elles consistent non-seulement en une forte pente au sommeil, mais encore en un grand assoupisssement, & dans une nécessité presque invincible de dormir, comme on l’observe dans la léthargie. Il y en a même qui affectent toutes les parties du corps ; telle est la congelatio ou deprehensio, congélation , maladie que les Grecs désignent par les noms de catoche ou de catalepsis, catalepsie. Il y en a enfin qui font accompagnées de la difficulté de s’éveiller, & [colonne 1572] d’une nécessité presque invincible de dormir, dans lesquelles le malade ne jouit d’aucune sensation & n’a point de mouvement, & où il ne fait aucun usage de la raison ; telle est l’affection léthargique que les Grecs appellent caros, & les Arabes subeth.
Il y a encore une autre division des sommeils léthargiques. Les uns sont simples & très-simples, les autres sont mêlés de veille. Ainsi on distingue le coma en coma simple, & en coma-vigil, que les Grecs appellent χώμα άγρυπνον, ainsi qu’ils appellent le premier χώμα ύπμνώδης, ou coma somnolentum. Il y a encore une affection composée de léthargie & de phrénésie, qu’on appelle typhomanie. Dans la typhomanie les malades dorment, s’éveillent & sont en délire. C’est de cette maladie qu’il faut entendre ce que nous lisons dans Hippocrate, III. Epid. sect. 3. que ceux qui étoient attaqués de phrénésie, n’étoient point furieux comme on a coutume de l’être dans cette maladie, mais succomboient sous le poids & l’oppression d’une espèce maligne d’assoupissement & de cataphora.
Après avoir fait précéder ces observations sur la différence des sommeils léthargiques, nous allons maintenant en examiner les causes.
Galien assigne quatre causes au coma ou au cataphora, in III. Epid. Com. I. T. 7.
La première est une humidité extraordinaire de la partie qui est le principe des sensations, & qu’Aristote a fort bien démontré être en même-tems le siège du sommeil i humidité que l’ivresse produit quelquefois.
La seconde est le froid seul, occasionné, par exemple, par l’usage des narcotiques ; mais ce froid affecte le principe des sensations, ou naît de l’extinction de la chaleur naturelle détruite par quelque déflagration immodérée, & dont les fuites font mortelles.
La troisième consiste dans une complication de chaleur & d’humidité, dont le concours produit ce que nous appelions un sommeil comateux.
La quatrième & dernière, est la perte des forces ; & c’est de-là que provient cette espèce de coma dans lequel tombent les moribons, à qui la foiblesse ne permet pas de tenir les paupières ouvertes. Il est allez ordinaire a ceux qui font dans ce fâcheux état, d’avoir les yeux fermés fans dormir, ou de dormir fort peu, de n’avoir que les apparences du sommeil, de veiller & de ne tenir leurs paupières fermées que parce qu’ils n’ont pas la force de les ouvrir.
Galien prétend, in II. Aphor. 3. & de Loc. affect. Lit. III. cap. 3. & de Præsag. expulsibus, Lib. IV. cap. 8. & dans beaucoup d’autres endroits, que l’insomnie est le vrai signe de la sècheresse ; le profond sommeil, celui de l’humidité ; & le rêve ou le délire accompagné d’un profond sommeil, tel que celui que produit l’usage des narcotiques, celui du froid. Le sommeil léthargique provient de l’humidité du cerveau, accompagnée de refroidissement. La catalepsie ou la congélation, ou la maladie appellée deprehensio, dans laquelle les malades ne sont point comateux, mais tiennent leurs yeux fixes, hagars & toujours ouverts, est une suite du froid & de la dessiccation de la même partie.
Telles font les causes que Galien assigne aux affections comateuses simples & très-simples : mais lorsque ces maladies font compliquées, comme lorsque le coma est accompagné de veille, lorsqu’il y a en même-tems du délire, il faut nécessairement que la cause en soit compliquée.
Nous avons remarqué que le coma se divisoit en coma vigil & en coma somnolentum ; nous avons indiqué la cause du second.
Le premier survient, selon Galien, Com.in II. Aphor. I. & Lib. IV. Præsag. expulsibus. cap. 8. lorsque le cerveau est accablé par la chaleur & par l’humidité. C’est de [colonne 1573] la même manière qu’un mélange d’humeurs chaudes & pituiteuses qui affectent la même partie, produisent l’affection composée de phrénésie & de léthargie, que les Grecs appellent typhomanie. Mous avons déjà parlé de la typhomanie, & nous avons supposé que c’étoit l’état de ceux dont Hippocrate parle, III. Epid. sect. 3. & dont il dit qu’ils mouroient dans un cataphora violent, après avoir été long-tems tourmentés d’un coma vigil continu. Nous lisons dans le Commentaire de Galien, que le coma vigil peut aussi naître d’une putréfaction d’humeurs froides dans le cerveau. Le coma proviendra de l’humidité, & la veille ou le délire, de l’acrimonie qui fuit la putréfaction.
Passons maintenant des causes des différentes espèces de sommeil, aux prognostics qu’on en peut tirer, en commençant par le sommeil naturel.
Si tout sommeil contre-nature est mauvais, tout sommeil naturel est bienfaisant & bon ; car, dit Galien, Com. in VI. Epid. sct. 4. T. 12. il cuit les humeurs, la chaleur naturelle se portant vers les parties intérieures ; & cette chaleur, ajoute-t-il, de Caus. puls. Lib. III. cap 9. venant à s’augmenter, les coctions, soit dans les veines, dans les artères & dans tout l’animal, se font d’autant plus promptement & plus parfaitement.
Il est donc à propos d’éviter tout ce qui peut produire le sommeil dans le commencement des inflammations internes, parce qu’alors la matière est portée vers les parties intérieures &les viscères, à moins que d’un autre côté ce désavantage ne soit plus que suffisamment compensé par la coction des humeurs.
Galien fait cette observation judicieuse, Com. in lV. Aph. 67. « le sommeil est bon sur le déclin des maladies. »
On peut inférer de ce que dit Galien, Com. in II ; Aph. 2. qu’il est mortel en tout autre période. Lorsqu’il calme les inflammations, la douleur ou le délire, ce qui arrive toutes les fois qu’il cuit la matière morbifique, il est bon & salutaire.
Hippocrate dit à ce propos, II. Aph. « que le sommeil qui augmente la douleur & la mésaisance, est mortel : mais que celui qui procure quelque soulagement ne l’est pas.é On peut ajouter à cela qu’il est certainement bon & désirable sur le déclin des inflammations, des douleurs & des fièvres ; en un mot, qu’il est toujours salutaire lorsqu’il indique la coction des humeurs par la chaleur. C’est le sentiment d’Hippocrate. Lorsque le sommeil appaise le délire, dit-il, dans le deuxième Aphorisme du même Livre, c’est un bon figne.
Galien approuve dans son Commentaire le sommeil qui calme l’inflammation, la fièvre, la douleur & le délire. On a observé que le sommeil étoit bon lorsqu’il étoit profond & non-troublé ; car il indique, ainsi qu’Hippocrate nous en avertit, Coac. 152. une crise heureuse. Mais l’espèce de sommeil la plus favorable, est celle qui succède aux longues insomnies, & qui paroît agréable au malade, malgré sa longue durée. Galien parle, in I. Prorrhet. de quelques malades, qui ayant veillé trois ou quatre jours, ont dormi un jour & une nuit sans cesser, & qui ont été considérablement soulagés. Ce sommeil est surtout bienfaisant aux enfans, & il faut en bien augurer en eux.
Nous en avons assez dit relativement aux indications & aux prognostics qu’on peut tirer du sommeil naturel ; venons-en maintenant à ce qu’il faut espérer des espèces de sommeils contre-nature. Nous disons d’abord, Coac .178. Τό χαρώδ ης πανταχά χαχόν, a toute affection qui tient du carus , est mauvaise en « tout sens. » Quoiqu’il ne faille ni louer, ni condamner absolument le sommeil qui suit l’ivresse, il est cependant arrivé plusieurs fois que des personnes ivres sont mortes après avoir dormi profondément pendant un jour & une nuit. C’est donc avec raison qu’Hippocrate a dit des personnes dans cet état, V. Aphor. [colonne 1573] 5. que si elles étoient attaquées subitement d’aphonie, elles mourroient en convulsion, à moins qu’elles ne fussent soulagées par la fièvre, & qu’elles ne recouvrassent la voix au tems accoutumé, c’est-à dire, lorsque l’ivresse a cessé.
Mais les sommeils comateux peuvent-ils fournir quelque bonne indication ? Oui, sans doute ; car ils font fréquemment suivis de crises, comme d’hémorrhagies par le nez, ou de parotides, lorsque le fang se porte à la tête. Mais pour en bien augurer, il faut qu’il y ait en même-tems tout lieu de croire que la coction des excrémens s’est bien faite, & que l’on apperçoive les autres symptomes critiques.
Voici ce que nous lisons là-dessus, I. Prorrhet. 168,
« Le Coma & la surdité accompagnés de céphalalgie, se terminent par l’éruption d’un abscès derrière les ororeilles ; » & T. 169. « la tension de l’hypocondre, accompagnée de coma, d’agitation & de céphalalgie, se termine par les parotides. »
On peut prononcer en général avec Hippocrate, contre tous les sommeils qui excédent la durée naturelle, qu’ils sont mauvais. Hippocrate dit II. Aphor. 3. « que la veille & le sommeil dont la durée est contre-nature, sont mauvais. » Il faut toutefois avoir égard en ceci à habitude du malade, qui est une seconde nature. Tout sommeil qui ne profite point au malade, est mauvais ; celui pendant lequel son état empire, est plus mauvais encore. Hippocrate dit même de celui-ci, II Aphor. I. qu’il est mortel. Et nous lisons dans le Commentaire de Galien, que s’il est vrai que le sommeil soit salutaire lorsqu’il soulage le malade sur le déclin de la maladie, il ne l’est pas moins qu’il est mortel, s’il rend son état plus fâcheux. Il observe dans le même endroit, que le sommeil est pernicieux dans les fièvres, lorsque la fièvre & ses symptomes, loin d’en être diminués, en sont augmentés &irrités ; lorsqu’il survient de nouveaux symptomes, comme la douleur &le délire ; lorsque le délire a commencé avant le sommeil, & qu’il continue après ; lorsque le sommeil dégénère en coma difficile, sinon impossible, à dissiper. Car cette aggravation du mal provient du mauvais état des humeurs, que la chaleur naturelle n’a point cuites, qui reviennent sur les viscères & qui les oppriment , ainsi que cet Auteur le fait voit dans cet endroit.
Le coma dans le commencement des maladies, étant ordinairement occasionné par une surabondance d’humeurs qui humectent & oppriment le cerveau, ne peut indiquer autre chose qu’une maladie forte & dangereuse ; car il n’y a point lieu de douter que le cerveau ne commence à être offensé par une si grande quantité d’humeurs. & que l’injure ne soit mortelle, s’il survient quelqu’autre symptome fâcheux ; c’est ce qui arriva dans le cas de la femme d’Olimpiade , dont il est parlé, VII Epid. T. 49. Le cinquième jour, elle fut attaquée d’un coma, dont on ne put la tirer malgré tous les efforts que l’on fit ; la parole qu’elle avoit perdue ne lui revint point ; elle ne fut point soulagée; elle respiroit par les narines qu’elle tenoit élevées. Voyez Pneuma. Tous symptomes qui annonçoient que la terminaison du coma seroit fatale. Le coma qui prend, non dans le commencement d’une maladie chaude & forte, mais dans son plus haut période d’accroissement, n’est pas moins funeste que s’il provenoit de la perte des forces. Nous en avons un exemple dans Hermocrate, III. Epid. sect. 1. Ægr. 2. dont Galien dit dans son Commentaire, que le coma qui le prit le onzième jour, avoit été causé soit par un refroidissement extraordinaire du cerveau , soit par l’imbécilité de la faculté : mais que quelle qu’en fût la cause, ses fuites pouvoient être extrêmement fâcheuses. Car, ajoute cet Auteur, nous avons démontré que le froid qui succède aux maladies chaudes est mortel, & que celui [colonne 1576] qui est occasionné par la foiblesse , indique une mort très-prochaine. On ne peut méconnoître, ainsi que nous l’avons déjà observé ci-dessus, l’espèce de coma. dont il s’agit, à la description qu’en donne Galien, Com., I. in III. Epid. T. 7.
« Les malades, dit-il, ferment les yeux, mais dorment peu, ou ne dorment point ; quoiqu’ils ne puissent lever les paupières, ils font toujours dans un état de veille. »
Galien dit encore, Com. I. in Prognost. « que le coma dans lequel les malades ont les yeux ouverts & égarés, symptomes communs à ceux qui font attaqués de congélation, congelatio ou deprehensio, n’est pas moins fatal. »
Voici la manière dont il parle de ce coma dans l’endroit que nous avons cité ci-dessus.
« Il faut avoir égard, dit-il, à la situation des yeux dars le sommeil, si l’on apperçoit une partie du blanc lorsque les paupières sont baillées ; s’il n’y a point de flux de ventre ; si le malade n’a point pris médecine, ou si ce n’est pas sa coutume de dormir ainsi, c’est un figne très-pernicieux ; il en faut augurer d’autant plus mal, qu’il indique l’extinction de la faculté qui meut les paupières. »
Nous en avons une bonne preuve dans la femme de Théodore, dont Hippocrate remarque, VII Epid. T. 27. que ses yeux étoient abattus, & tournés pour l’ordinaire sous la paupière inférieure ; que fon regard étoit fixe & stupide, & qu’elle avoit le blanc des yeux pâle, décoloré, & tel que l’ont les personnes mortes. Tel est aussi l’état de ceux qui font attaqués de congélation ; maladie que les Grecs appellent catoche ou catochus, & catalepsie, & que Galien désigne dans son Comment. on Prorrhet. sous le nom de catochi. C’est de ces malades que parle l’Auteur des i. 96. lorsqu’il dit, c »que le catochus & l’aphonie accompagnés d’eclysis, ou de foiblesse & de défaillance universelle, sont de mauvais augure. »
Mais beaucoup de choses concourent à nous diriger dans le jugement que nous avons à porter du coma ; la variété de ses causes, & les symptomes qui le précédent l’accompagnent & le suivent. Premièrement, les fignes qui le précèdent : si, par exemple, le coma survient après une longue insomnie, dont la cause soit chaude & sèche : alors il est mortel, ainsi que nous l’avons observé dans un autre endroit, où nous avons avancé que le froid qui survient dans les maladies chaudes & sèches, tue les malades. C’est par cette raison que tous les Médecins s’accordent à regarder la léthargie, qui succède à la phrénésie, comme une maladie des plus terribles. Nous conclurrons donc qu’à moins que le coma ait a été précédé d’une longue insomnie, ne soit critique , il est aussi de mauvais augure. Secondement, les signes qui l’accompagnent ; il sera bon ou mauvais, félon que ces fignes seront bons ou mauvais. Ce mal suit nécessairement la condition de ses symptomes. Mais lorsqu’un malade est attaqué du coma, & qu’il veille en même-tems ; il y a tout lieu de croire que la malignité du mal n’est pas légère, & que la crise sera difficile ou douteuse. Il en est de même lorsqu’il est accompagné du délire. A en juger par les observations d’Hippocrate, III. Epid. Sect. 3. Stat. Pest. & par différens exemples qu’on trouve dans le même Livre, le coma est une dangereuse maladie, lorsque les symptomes qui l’accompagnent sont violens & dangereux. L’Auteur des Prorreth. I. 89. prononce que le coma avec distorsion des yeux, est mauvais ; & Coac. 180. que ceux qui sont attaqués du coma dans le commencement d’une maladie, qui rendent par les sueurs une matière claire, dont les urines sont crues, qui sont [p.1576]
dans une chaleur brûlante, à laquelle succèdent des refroidissemens sans crises, que la chaleur reprend après de courts intervalles, & qui tombent dans l’engourdissement, le coma & les convulsions, sont dans un état très-fâcheux ; & cela n’est pas surprenant, vu la multitude & la violence des symptomes qui font compliqués dans ce cas. Nous lisons ensuite dans le même Auteur, que le sommeil comateux, & le refroidissement extraordinaire du corps font mortels. Mais ceci n’a lieu que dans la fièvre accompagnée d’une chaleur qui dévore intérieurement les malades, & d’un frisson qui se fait sentir à l’extérieur : il est vrai qu’alors le coma est toujours mortel, Enfin, on peut toujours augurer avec quelque certitude des fuites du coma parles lignes qu’il précédé : il fera, par exemple, critique, lorsqu’il entraînera quelqu’excrétion ou évacuation salutaire. Il est assez ordinaire à cette affection d’annoncer la crise par les parotides. C’est pourquoi nous lisons, Coac. 185. que ceux qui font attaqués de coma y qui ont des nausées, qui sentent de la douleur aux hypocondres, & qui crachent peu & souvent , peuvent s’attendre à des abscès derrière les oreilles ; peut-être même à des convulsions. Le coma est quelquefois avant-coureur du flux de ventre ; car nous lisons dans le même Traité, T. 182. que ceux qui font attaqués d’un coma accompagné de lassitude & de surdité, font soulagés par un flux de ventre critique , & par des selles rouges ou sanguinolentes. L’Auteur des Pror. I. qu’on a copié, Coac. 179. prétend que l’effusion de gouttes de fang par le nez dans le coma, est un symptome mortel. Il faut porter le même jugement de toutes les évacuations légères, & de tous les autres symptomes fâcheux qui surviennent après le coma : ils annoncent une crise difficile & dangereuse. Si donc le coma est suivi de convulsions, de délire , d’aphonie, d’anxiétés, de douleurs violentes dans les viscères, & d’autres symptomes dangereux, loin d’être d’un bon augure, il annonce une terminaison fatale. PROSPER ALPIN, de Fræsagiendâ vitâ & mort, agrotorum.
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