Robert Desoille. L’Idéalisme freudien en contradiction avec les faits. Extrait de la revue « La Pensée, revue du rationalisme moderne », (Paris), nouvelle série, n°30, mai-juin 1950, pp. 101-111.
Robert Dessille (1890-1966). Psychothérapeute à l’origine de la méthode du rêve éveillé dirigé (RDE) initié dans son Exploration de l’affectivité subconsciente par la méthode du rêve éveillé en 1938. En 1960 il forme avec ses élèves un « Groupe de recherche sur le rêve éveillé dirigé ». Bien que semblant adhérer aux théories freudiennes, et refusera le concept stricto sensu d’inconscient freudien.
Quelques publications autres.
— Le rêve éveillé en psychothérapie, P.U.F., 1945
— Théorie et pratique du rêve éveillé dirigé, Ed. du Mont Blanc, 1961
— Marie-Clotilde, une psychothérapie en rêve éveillé dirigé (présenté par Nicole Fabre) Payot, 1971
— Entretiens sur le rêve éveillé dirigé en psychothérapie, Payot, 1973
[p. 101]
L’IDÉALISME FREUDIEN
EN CONTRADICTION
AVEC LES FAITS
par Robert DESOILLE
Malgré la magistrale critique de la psychanalyse présentée par G. Politzer en 1926 (1), il ne semble pas que les adeptes de S. Freud, en France ou à l’étranger, se soient beaucoup préoccupés de se dégager de l’idéalisme qui lui est reproché pour trouver une explication rationnelle de certains faits et, en particulier, du contenu psychique des rêves ou des symptômes névrotiques.
Nous voudrions, ici, indiquer, par quelques exemples seulement, la voie qui paraît devoir être suivie pour édifier cette « psychologie concrète » définie par G. Politzer.
Nous retiendrons de sa critique la distinction qu’il fait entre deux modes d’expression qui sont à notre disposition. S. Freud avait déjà noté le caractère archaïque du mode d’expression qu’est le scénario du rêve. G. Politzer le désigne comme une « dialectique intimé » et il l’oppose au « langage conventionnel » des images verbales.
Parler d’une dialectique intime, c’est affirmer que le rêve a un sens pour le rêveur, alors que S. Freud croit à ce qu’il appelle « le déguisement de la pensée du rêve », ce qui le conduit à se poser les problèmes suivants :
- Par quel processus psychique le contenu latent du rêve s’est-il transformé en ce contenu manifeste que je trouve dans ma mémoire au réveil ?
- Pour quels motifs cette transformation s’est-elle trouvée nécessaire ? (2)
Ces questions impliquent l’affirmation que le rêve est incompréhensible, et c’est là la première des erreurs de S. Freud ; pour l’expliquer, il introduira dans sa théorie les notions d’inconscient opposé à la conscience, de refoulement opposé à l’idée de répression consciente, et, finalement, de censure.
Or, le rêve exprime un sentiment non réfléchi dans un langage archaïque : « dialectique intime » de Politzer ou, comme je l’ai proposé, langage de l’imagination non contrôlée. C’est un langage analogique ; la pensée discursive en est le plus souvent absente, mais il suffit au rêveur pour exprimer ses sentiments et il sait très bien si son rêve était heureux, préoccupant ou angoissant.
Voici des exemples où le sentiment est manifeste sans qu’il y ait aucune censure. Quelqu’un demande à une voisine qui s’exprime le plus souvent dans un langage très imagé ce qu’il faut penser de Monsieur X. : « Oh ! celui-là, est-il répondu, pourvu qu’il mette son doigt dans le bénitier ! » La même personne parlant d’une robe neuve qu’elle montre et qu’elle estime un peu trop courte se console en disant : « Pourvu que cela cache ma petite pâquerette, c’est tout ce qu’il faut ! » On retrouve dans ces images tout le symbolisme sexuel, génital [p. 102] même, auquel l’analyse freudienne des rêves nous a accoutumés (3). Sans doute peut-on juger que ces images sont choisies, à la place de termes plus précis, par politesse et que ce souci de décence est une véritable censuré. S’il en est ainsi, il faut tout de suite remarquer qu’elle est consciente et ne correspond plus exactement à l’idée de la censure freudienne.
Comme, d’autre part, le même jugement aurait pu être exprimé en termes abstraits avec tout autant de décence, il est aussi permis de penser, que l’image a été choisie parce qu’elle exigé un effort moindre. Le langage imagé est acquis bien avant le langage conventionnel qui, faisant appel à des termes abstraits présentés dans un ordre logique, est appris plus tardivement et exige un plus grand effort.
Voici un autre exemple tiré, parmi bien d’autres, des expériences faites par la technique du « rêve éveillé dirigé » : une dame qui a été psychanalysée désire s’initier à cette technique. Elle vient d’apprendre qu’elle a un fibrome. Nous parlons d’autre chose, puis, nous commençons la séance ; elle tarde à répondre à une question et, quand je lui demande pourquoi, elle me dit : « A quoi voulez-vous que je pense, sinon à mon fibrome ? » Elle commence néanmoins et me décrit le scénario suivant : « Je suis dans mon cabinet de travail et j’ai devant les yeux une boîte à thé, en porcelaine de Chine, que j’aime beaucoup et qui ne se trouve jamais dans cette pièce. — Enlevez le couvercle et dites-moi ce qu’elle contient. — Elle est vide. Je vais y mettre des fleurs. Ce sont des fleurs rouges comme il y en a dans le Midi ; j’en ai offert de semblables dernièrement à ma belle-mère… Ah ! je suis maintenant sur le balcon de mes beaux-parents. Il y a un cactus qui a été planté tout petit, il y a deux ans, et qui, maintenant, a envahi le balcon. Ah ! c’est mon fibrome ». Après la séance, j’apprendrai que la belle-mère a subi une hystérotomie complète.
Il reste à savoir pourquoi le rêveur a recours à un tel langage et pour quelle raison, éprouvant tel ou tel sentiment, il l’exprime par des images visuelles qui lui sont particulières. En d’autres termes, il nous reste à connaître, à travers le rêve, le « drame particulier » du sujet.
Pour expliquer l’emploi par le rêveur d’une « dialectique intime », il ne suffit pas de constater avec S. Freud que ce « langage archaïque » est le signe d’une régression affective. Sans doute cette remarque correspond-elle, le plus souvent, aux faits, mais nous pensons qu’une psychologie concrète doit aller plus loin.
L’activité psychique d’un même individu n’est pas constamment comparable à elle-même : entre le « laisser aller » de la rêverie et la « tension d’esprit » de celui qui cherche à résoudre un problème difficile, il y a des degrés de complexité très variables. Or cette notion de complexité n’est pas une simple vue de l’esprit Les observations faites par Davis, Loamis, Harvey et Hobart montrent que telle région du cerveau peut-être encore à l’état de veille quand telle autre est déjà endormie ou assoupie (4). Cette moindre activité des neurones pourrait donc fort bien expliquer le passage du langage conventionnel, tardivement acquis et exigeant une plus grande attention, au langage moins complexe de l’imagination non contrôlée.
Si maintenant nous cherchons à découvrir le « drame singulier » du sujet, nous remarquerons que pour préciser la nature particulière d’un sentiment éprouvé par un individu, nous ne pouvons le faire que par allusion à une certaine situation dans laquelle nous supposons que notre interlocuteur s’est trouvé lui-même. C’est ce qui se passe dans le rêve au cours duquel le sentiment vécu n’est pas réfléchi ; il ne peut donc être question d’une « pensée du rêve ». Par [p. 103] contre, nous pouvons remonter du scénario du rêve, par des analogies de situation, jusqu’à l’enfance vécue du sujet. Ce résultat est obtenu, en psychanalyse, par l’emploi de la technique des associations d’idées, non pas libres, mais comme l’a fait remarquer Politzer, complètement déterminées, ce qui leur confère la valeur d’un moyen d’investigation parfaitement adéquat pour connaître le drame particulier du rêveur.
Le rêve de la dame au fibrome est un exemple typique.
Que s’est-il passé ? J’ai invité ce sujet à ne plus penser à son fibrome et à porter son attention sur la séance de rêve éveillé qu’elle est venue faire. Elle cesse de réfléchir à ce oui la préoccupe tant et elle devient simple spectatrice du jeu de ses images visuelles. L’inquiétude subsiste, et s’exprime dans un scénario où il n’y a pas la moindre pensée réfléchie. Après coup, le sujet pourra faire des associations permettant, non pas de trouver une pensée du rêve, mais de lui juxtaposer une explication communicable à autrui dans un « langage conventionnel ». Nous assistons ainsi au passage d’une activité psychique complexe : la réflexion qui se manifeste par des représentations verbales, à une activité de moindre complexité caractérisée par des images visuelles. Pour le sujet, le rêve suffit : il exprime son inquiétude ou il est le seul contenu psychologique actuel. Le rêve peut alors se traduire facilement grâce à la technique habituelle qui fait apparaître les analogies entre les objets imaginés et la réalité : le vase est le réceptacle en général, le ventre dans le cas présent ; les fleurs qu’on y met sont de belles choses vivantes associées à la représentation d’organes sains ; le sujet en offre à la belle-mère qui en est privée et à qui elle craint de devoir ressembler ; enfin l’objet de ses craintes est figuré par le cactus exagérément prolifique qui la fait aussitôt revenir à la pensée réfléchie et dont elle dit : « C’est mon fibrome ».
Il n’est nullement besoin de faire intervenir une censure dans tout ce processus. Si l’on voulait absolument que mon invitation à ne plus penser au fibrome fût une « interdiction », il faudrait remarquer qu’elle est transgressée aussitôt, car la rêveuse me donne, sans y être invitée, l’explication de ses images. Il y a simplement un consentement conscient de sa part à passer d’un mode d’expression verbale à un mode d’expression non réfléchie et imagée.
Cette expérience montre, en tout cas, la permanence, malgré que l’attention en soit détournée, du sentiment d’inquiétude, c’est-à-dire d’un stimulus interne dont le retentissement n’est pas encore éteint au moment de l’expérience.
Certaines précautions doivent encore être prises pour interpréter correctement les rapprochements auxquels conduisent les associations si l’on ne veut pas retomber dans le « réalisme » de la théorie freudienne.
En voici un exemple : pendant qu’un sujet fait un rêve éveillé, dirigé par un de mes élèves, une sonnerie de trompette retentit au dehors. Aussitôt le sujet décrit un personnage de son rêve qui sonne de la trompette. Interrogé après la séance, le sujet ne se rappelle pas avoir entendu réellement une trompette. Il n’a pas fait attention à la réalité de l’événement, mais celui-ci s’est imposé dans le scénario du rêve qui absorbait toute son attention. Des associations d’idées sur le mot trompette ranimeront le souvenir d’événements vécus, mais il ne s’ensuit pas que ceux-ci ont nécessairement contribué à l’apparition de la trompette dans le rêve.
Si, au lieu du mécanisme de la libido refoulée dans l’inconscient, nous adoptons le schéma stimulus-réponse, complété par la notion d’habitude qui est susceptible d’être étudiée objectivement par les techniques dont font usage les behavioristes, nous pourrons trouver une explication du rêve et, des névroses, à la fois simple et rationnelle.
Il faut, en effet, observer que, si nous avons des habitudes musculaires et intellectuelles, nous avons aussi des habitudes sentimentales. L’ensemble forme ce que l’on nomme le caractère. Elles s’acquièrent par la répétition, à la manière [p. 104] d’un réflexe conditionné, et la technique des associations d’idées nous permet de découvrir les circonstances, parfois fort lointaines, de leur conditionnement.
Si l’on se borne à constater ce qui est seulement accessible à l’expérience, le rêve exprime un sentiment vécu par des analogies, de situation. En partant du scénario du rêve, nous pouvons aider le sujet à se remémorer toutes les situations analogues au cours desquelles un sentiment semblable a été vécu.
Au cours de cet effort de remémoration, le sujet rencontre des difficultés. C’est pour expliquer ces « résistances » qu’après avoir introduit la notion d’un « inconscient », S. Freud a recours à celles du « refoulement » et de la « censure » qui ont déjà servi à expliquer le soi-disant « déguisement de la pensée du rêve ».
Le problème est mal posé et nous devons, à la place, nous demander quelles sont les conditions de la remémoration. Si nous considérons les événements de l’enfance, il est indispensable que le sujet ait déjà possédé le bagage verbal nécessaire pour se le représenter. Deux autres conditions sont l’attention et la répétition. Le langage apparaît ici comme un moyen de répéter l’événement par une représentation verbale de celui-ci, Une sorte d’ébauche de réflexion qui retient l’attention tout le temps nécessaire pour que la remémoration devienne possible. Ceci ne veut pas dire que les événements qui précèdent l’époque à laquelle l’enfant acquiert le langage ne laissent aucune trace ; bien au contraire, car des habitudes peuvent être contractées dès cette époque.
Le parallélisme qui existe entre l’activité psychique et celle du cerveau nous permet de montrer toute l’importance qu’il faut attacher à l’attention en nous donnant une explication rationnelle de l’oubli des rêves. On sait que les ondes de Hans Berger, révélées par l’électro-encéphalographie, disparaissent aussitôt que l’attention se fixe. On a pu observer que, durant le sommeil, si le sujet fait un rêve, les ondes alpha disparaissent.
En 1935, avec le concours de Daniel Bovet et du docteur Marcel Monnier, j’ai pu relever sur moi-même un électro-encéphalogramme pendant que ma femme me faisait faire un rêve éveillé dirigé. Nous avons pu constater ainsi que le simple défilé des images ne faisait pas disparaître l’onde alpha. Par contre, s’il m’était demandé d’imaginer un lieu auquel fût attaché un souvenir particulièrement émouvant, l’onde de Berger disparaissait aussitôt. Ce résultat permet d’expliquer pourquoi certains rêves nocturnes ou des rêveries faites à l’état de veille sont si facilement oubliés ; ils n’ont pas suffi à fixer l’attention et ne peuvent être rappelés à la mémoire, alors même que le dormeur gardé le sentiment d’avoir assisté à un défilé d’images.
Les soi-disant « résistances » de la psychanalyse nous apparaissent donc comme de simples difficultés à se remémorer, ainsi que le remarquait Politzer, dues soit à un manque d’attention ou, suivant Steckel, à une volonté arrêtée de ne pas s’avouer une vérité désagréable. S. Freud nous donne lui-même l’exemple d’un pareil refus de sa part (5)
Voici un autre exemple observé : une jeune mère tient sur ses genoux sa petite fille âgée de 9 mois qui danse sans arrêt. Excédée, elle dit, s’adressant à l’enfant avec qui elle doit voyager le lendemain : « Si tu bouges comme cela dans le train, je te jette par la portière ». Quelques heures après, l’enfant restant toujours aussi turbulente, elle demande à une personne de l’entourage : « Vous n’auriez pas une niche à chien à me prêter pour ma fille ? ».
Toute cette scène est un jeu et le sentiment vécu à un instant donné est un tout dans lequel nous pouvons discerner à la fois une grande tendresse, l’admiration de la vigueur du bébé et un agacement provoqué par la fatigue physique. L’image du chien exprime, à l’état de veille, cet agacement dont la mère voudrait [p. 105] bien faire cesser la cause. Elle le réprime et laisse sa fille s’ébattre. Mais cette fatigue se prolongeant au cours de la nuit suivante, aurait fort bien pu faire apparaître l’image du chien ou de tout autre objet dont on se débarrasse. Des associations faites sur l’image du chien auraient pu rappeler la scène vécue avec l’enfant. Il ne s’ensuit nullement que l’image du chien, en pareil cas, eût été le symbole de l’enfant. Son apparition eût exprimé une partie seulement du sentiment réellement vécu à l’égard de la petite fille : l’agacement, et rien de plus.
L’exemple de la trompette et celui du chien nous invitent à une extrême prudence lorsqu’il s’agit d’interpréter un rêve à partir des associations faites à son sujet. Loin de penser avec S. Freud que le contenu latent du rêve est beaucoup plus vaste que son contenu apparent, nous dirons, au contraire, que le sentiment exprimé dans le rêve est, très souvent, beaucoup moins complexe que celui qui est vécu à l’état de veille.
Les stimuli qui provoquent le rêve sont de trois sortes : ceux de l’extérieur (bruits, etc.), ceux d’origine physiologique (malaise, fausse position dans le sommeil, etc.), et ceux d’origine psychique (préoccupation, désir insatisfait, etc.). Ces stimuli provoquent ou coïncident avec un état affectif qui s’exprime dans le rêve en empruntant aux souvenirs des ‘éléments de scènes vécues rappelant cet état affectif, mais ce dernier est, en général, beaucoup moins complexe que les états correspondants de la vie de veille.
Si nous poussons plus loin l’étude de la conception psychanalytique de la censure, S. Freud lui-même nous montrera, par ses propres contradictions, combien elle est fragile. Après nous avoir affirmé que moins le rêve est compréhensible et plus forte a été la censure obligeant le véritable désir à se déguiser, il est obligé d’avouer :
Nous ne pouvons pas interpréter les rêves des autres s’ils ne veulent pas nous dire quelles pensées inconscientes se cachent derrière (6).
Ou bien la pensée étant inconsciente, le sujet ne peut l’exprimer ou, au contraire, la pensée est consciente et le sujet ne veut pas la confier. C’est cette deuxième hypothèse qui est correcte comme l’ont écrit Steckel et Politzer.
Plus loin S. Freud écrit, à propos du désir de mort de parents aimés :
Dans le rêve de la mort dé personnes chères, le vœu refoulé a trouvé un moyen d’échapper à la censure et à la transposition qu’exige celle-ci (7).
Il est bien plus simple d’abandonner la notion de censure et de penser que les rêves, en général, tels les rêves de mort cités par S. Freud comme une exception, doivent être interprétés de la même façon : ils ne traduisent qu’un sentiment partiel et non la complexité des sentiments vécus à l’état de veille. C’est bien ce qui en fait l’intérêt, car le rêve nous permet d’analyser chacune des impulsions si souvent contradictoires qui concourent à la formation du complexe sentimental vécu et de retrouver ainsi tous les éléments qui conditionnent notre comportement affectif.
S’il y a une censure, celle-ci n’est que le résultat apparent d’un ensemble d’habitudes morales imposées par le milieu. Il n’est nullement nécessaire d’en faire une sorte d’entité intervenant dans l’élaboration du rêve.
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Si nous passons de l’explication du rêve à celle des névroses, la théorie freudienne n’apparaît pas mieux adaptée à la compréhension de certains faits. Prenons pour exemple les expériences rapportées par Watson et Miss Jones sur la peur des enfants. Au moment où un jeune sujet joue avec un lapin blanc, on provoque de [p. 106] sa part une peur intense en frappant violemment un gong derrière lui. A partir de là, l’enfant pleure et crie chaque fois qu’on lui présente le lapin blanc et ne se calme que si l’on écarte l’animal. Il se produit même une association entre l’image du lapin blanc et un morceau de ouate blanche qui devient également objet de répulsion. Il suffit de déconditionner le réflexe qui s’est ainsi établi en réhabituant l’enfant à là vue, d’abord, puis au contact du lapin blanc pour que disparaisse uni comportement proprement névrotique.
Aucune explication suivant le schéma des mécanismes freudiens ne peut rendre compte d’une pareille expérience. Cet exemple n’est pas unique et nous constatons ainsi que beaucoup de comportements que l’on peut observer, aussi bien chez l’homme que chez l’animal, ne relèvent pas de la théorie psychanalytique. Nous devons en conclure que celle-ci est insuffisante pour le moins.
La névrose résulte d’un conflit entre deux possibilités de réaction aux stimuli du milieu ; le névrosé n’arrive pas à résoudre cette contradiction interne. Si nous cherchons pourquoi, nous constatons que, souvent, l’intéressé ignore les termes de cette contradiction et c’est pourquoi il est toujours utile d’en rechercher l’origine pour qu’il en prenne conscience. C’est ainsi que l’enfant au lapin blanc refuse la possibilité de le caresser par crainte d’un bruit qui ne se produit cependant pas. Crainte et désir s’opposent sans que le choix puisse s’établir normalement.
Dans d’autres cas, les termes du conflit sont connus du névrosé et cependant le comportement morbide subsisté. Citons l’exemple d’une dame qui a subi, pendant la guerre, plusieurs bombardements aériens et qui ne peut plus entendre passer un avion au-dessus de la maison sans avoir des palpitations de cœur. Entre le sentiment d’un danger ancien et le sentiment d’une sécurité présente, la réaction normale né peut plus s’établir.
Il est évident que, dans des cas comme celui-ci, la théorie freudienne du refoulement ne s’applique pas. Par contre, nous retrouvons, là encore, un véritable réflexe conditionné par une situation ancienne, le bombardement aérien, réflexe pour lequel le bruit de l’avion sert de signal.
Si nous passons à d’autres formes de névroses, nous constaterons que le symptôme hystérique, par exemple, ou le cérémonial de l’obsédé peuvent être considérés comme des formes primitives d’expression des sentiments au même titre que les images visuelles du rêve. En analysant ces symptômes, par rapprochement avec les images visuelles du rêve nocturne ou du rêve éveillé dirigé, nous pourrons retrouver les termes du conflit qui sont à l’origine de la névrose et s’expriment, par analogie de situation, dans le comportement bizarre que nous observons, sorte de langage des plus primitifs, parfois gesticulé.
Si nous examinons maintenant le processus de la cure des névroses décrit par la psychanalyse, nous relèverons encore d’autres contradictions avec les faits. D’après les psychanalystes, la guérison doit être assurée : 1° par la recherche des complexes grâce à l’analyse des rêves et autres matériaux apportés par le sujet ; 2° par l’abréaction au rappel des événements plus ou moins traumatisants ; 3° par l’analysé du transfert que le patient fait sur le psychanalyste. A ces trois étapes de la cure, S. Freud en ajoute une quatrième, généralement ignorée par ses disciples, et qui, arrivant en dernier lieu, explique, sans doute, à elle seule les cas où la guérison par la psychanalyse est incontestable : je veux parler de l’auto-suggestion du sujet, dirigé par le médecin sans que Freud nous indique une technique.
Ce n’est, pas, dit-il, le malade seul qui se suggère ce qui lui plait : c’est nous qui guidons sa suggestion dans la mesure où, d’une façon générale, il est accessible à son action (8). [p. 107]
En fait, il n’est peut-être pas nécessaire de parler ici de suggestion et c’est, à mon avis, bien plutôt sur l’idée d’acquisition de nouvelles habitudes qu’il faut mettre l’accent.
Le réflexe conditionné, chez l’enfant au lapin blanc, est un comportement névrotique, résultat d’une habitude imposée artificiellement et mal adaptée à une situation normale : le jeu avec un animal. Rien ne s’oppose, dans l’étude des faits, à considérer la névrose comme un ensemble d’habitudes mal adaptées aux conditions normales de la vie qui ont pu s’établir grâce à un terrain plus ou moins prédisposé.
Déjà Hollingworth, dans The Psychology of Functional Neuroses in Outline of Abnormal Psychology (G. Murphy édit. 1919), explique les névroses par l’habitude et le conditionnement.
Si, maintenant, nous étudions le processus de la cure par une technique comme celle du rêve éveillé dirigé, nous verrons se confirmer ce point de vue. Cette technique, je le rappelle, consiste essentiellement à faire- faire une rêverie au patient, mais, au lieu de le laisser orienter cette rêverie au gré de sa fantaisie habituelle, le psychologue stimule constamment son imagination, en le priant de se mouvoir dans l’espace imaginaire qu’il a créé. En général, le patient est invité à monter ou à descendre ; en même temps, le psychologue l’encourage à prendre une attitude active devant les situations qui se présentent dans son rêve. La rêverie débute par une image quelconque proposée par le psychologue ou choisie par le sujet lui-même. Ce peut être, par exemple, au début, un simple objet comme un vase ou une clé, ou encore, par la suite, l’une des images d’un rêve nocturne de l’intéressé. Sous l’effet de l’effort d’ascension ou de descente exigé du sujet, les images se succèdent par association et les situations devant lesquelles se trouve le rêveur expriment à la fois ses sentiments et montrent dans quel sens il réagit devant les situations analogues de la vie réelle. Les images et les sentiments qu’elles expriment varient suivant une loi qui ne souffre que quelques rares exceptions facilement explicables ; à l’image d’ascension sont associées des images de plus en plus lumineuses et des sentiments d’euphorie ; à l’image de descente sont associées, en général, des images de cauchemar et des sentiments plus ou moins pénibles pouvant aller jusqu’à l’angoisse avec, dans des cas d’ailleurs assez rares, palpitations de cœur, bouffées de chaleur, etc.
Je ne puis indiquer, dans le cadre forcément restreint de cet article, que quelques-uns des faits que l’on peut dégager de l’expérience.
L’habitude affective apparaît dans le fait que, au cours de ses premières séances, le sujet nous décrit des scènes ne présentant d’analogie qu’avec des événements réellement vécus ou qu’il a déjà imaginés de lui-même, tels que voyage désiré, accident qu’il craint, etc. Ce n’est que petit à petit qu’il se dégage de ces scènes pour imaginer d’autres situations. Si le sujet est gravement névrosé, les scénarios qu’il décrit répètent, par des images empruntées à la vie réelle ou, quelquefois, fantastiques, une situation qui est toujours la même et qui exprime le conflit dont il souffre. Ce conflit ne cesse pas si on lui en explique la nature exacte et l’origine. L’abréaction de ce conflit, c’est-à-dire l’émotion revécue au souvenir des situations qui ont déterminé le conflit, si utile soit-elle, ne le résout pas non plus.
La cure ne commence vraiment, qu’à partir du moment où le sujet devient capable de créer des scénarios dans lesquels, grâce au fait que le psychologue l’entraîne à se comporter normalement devant les situations imaginées, il éprouve des sentiments nouveaux pour lui, tels que sérénité, maîtrise de soi, etc. Au début, ces sentiments sont vécus à travers des scènes qui ont nettement un caractère régressif. Cette étape, qui apparaît comme une nécessité, me semble due au fait qu’il faut que le sujet retrouve des impressions vécues antérieurement au conflit initial qui peut être très ancien, pour liquider celui-ci.
Plus tard, en renouvelant les séances qui sont un véritable entraînement, ce [p. 108] caractère régressif du rêve disparaîtra et les scénarios eux-mêmes seront simplifiés à l’extrême, les images pouvant être réduites à de simples représentations de lumière. A ce moment-là, le sujet se découvrira des possibilités de maîtrise de soi, de confiance, de volonté et il lui appartiendra d’en prendre l’habitude en apprenant à les vivre devant les situations de la vie réelle. C’est, ainsi seulement que disparaîtra le comportement névrotique.
Nous pouvons voir ce passage de l’attitude ancienne à la nouvelle dans le rêve éveillé suivant, fait par une dame ayant subi plusieurs années de psychanalyse avant de s’initier à la technique du rêve éveillé dirigé.
Le début est une scène qui évoque les circonstances de la vie professionnelle du sujet. Un homme apparaît qui lui est antipathique parce qu’il lui rappelle un père craint et détesté. Sur ma proposition, elle prie cet homme de lui servir de guide dans une descente sous terre. Avant d’accepter, il se met dans une violente colère, comme le faisait le père du sujet. Suit un long voyage souterrain qui amène la patiente dans les ténèbres devant un animal ailé, à corps de lion, de proportions gigantesques, d’un bleu métallique. Sa face est crispée dans un rictus féroce et ses yeux sont fulgurants. Le sujet a déjà appris à dominer la crainte éprouvée devant des images semblables et je puis lui demander de donner l’ordre à ce monstre de lui livrer passage. Celui-ci, par un mouvement de tête, montre ou il est assis sur un socle énorme dans lequel se trouve une très belle porte de bronze. Le sujet parvient à ouvrir cette porte et débouche dans une lumière d’un blanc éblouissant, infiniment douce.
On pourrait épiloguer longuement sur le symbolisme de cette dernière image. Les associations d’idées que la patiente pourrait faire à partir du lion ailé ne nous apprendraient, sans douté, rien qu’elle n’ait déjà appris par une psychanalyse prolongée et qu’elle n’ait déjà exprimé par des images beaucoup plus claires au début de ce rêve. Ce lion ailé est l’expression d’un sentiment habituel qui est né de circonstances réellement vécues dans le passé dont quelques-unes sont rappelées clairement au début du rêve, mais qui prend à cet instant une sorte d’autonomie. Il devient global, complètement irréfléchi, indépendant d’une situation particulière et il s’exprime dans un scénario fantastique. Il nous suffit de constater que la patiente se trouve devant un obstacle extrêmement dangereux, écrasant et invincible. Nous pouvons définir son sentiment comme la peur et le refus des sujétions sexuelles ainsi que de ses propres réactions de défense : irascibilité et agressivité. Au début, devant de pareilles images, elle éprouvait une forte anxiété et les monstres disparaissaient. Elle peut, maintenant, maîtriser sa peur et aller plus loin, c’est-à-dire connaître ce qu’il y a au-delà de ce qu’elle-craint encore dans la réalité ; elle parvient ainsi à un sentiment, très agréable, d’extrême douceur. Cependant, ce sentiment lui est encore si peu habituel que l’image ne se maintient pas. Après quelques scènes sans grand intérêt au cours d’une nouvelle descente, je demande au sujet de remonter jusqu’à la porte de bronze. Elle constate que le lion ailé a pris un visage et un buste de femme, qu’il est très lumineux et n’a plus rien d’effrayant. Elle remonte encore plus et, au lieu du personnage qui lui rappelait son père et lui a servi de guide, elle trouve, l’attendant, un très beau jeune homme, très sympathique, qui l’aide à remonter. Que s’est-il passé ?
Le sujet est parti d’une image évoquant sa vie professionnelle et les souvenirs désagréables que lui a laissés son père. Ces impressions sont à l’origine d’un refus de féminité caractéristique qui a été sublimé dans des études et une carrière d’homme. Dans ces premières images, il n’y a aucune censure ; la rêveuse, d’ailleurs, connaît fort bien la nature de ses conflits et est déjà parvenue à un équilibre qui, sans la satisfaire pleinement, lui rend la vie supportable.
De là, elle passe à une image fantastique sans aucun lien apparent avec le réel. C’est bien là, dans sa forme la plus symbolisée, le langage de l’imagination non contrôlée, exprimant toute l’angoisse que comporte le conflit, jamais encore résolu [p. 109] complètement, entre les besoins de la vie affective et l’impossibilité d’accepter les obligations que la satisfaction de ces besoins impose à une femme. Je ne vois donc pas la nécessité d’introduire une censure pour expliquer ce symbolisme. Tandis que nous constatons là le passage d’images très proches du sentiment réfléchi à un mode d’expression dramatique, à un langage très primitif.
Ayant surmonté l’angoisse qu’exprime ce scénario, la patiente fait face au monstre et affirme ainsi sa volonté de passer outre en acceptant les nécessités de la vie. Elle résoud sa contradiction interne par le passage dans la lumière qui exprime alors son accession à une douceur toute féminine. Elle peut ensuite parvenir à la vision d’un homme jeune et sympathique prenant la place de l’image paternelle ; elle le suit volontiers en abandonnant l’initiative à son compagnon, comme le fait normalement une femme dans ses relations amoureuses.
A l’image du lion féroce, exprimant l’angoisse du conflit, s’est substituée l’image d’une Sphinge très belle, sans rien d’inquiétant, mais qui garde encore un caractère un peu mystérieux. L’évolution de cette image et, par conséquent, des sentiments qu’elle exprime, se fera d’ailleurs quelques jours après, spontanément : une figure de Minerve ailée, symbole de sagesse, s’imposera inopinément au sujet. Dans des séances ultérieures, cette évolution s’achèvera et la patiente acceptera même l’idée de maternité, toujours rejetée jusqu’alors.
Nous pouvons affirmer que le conflit a virtuellement disparu. Les réactions affectives normales ont été vécues dans ce rêve dirigé ; il suffira de les cultiver pour qu’elles acquièrent la force d’une habitude nouvelle, adaptée à la vie normale d’une femme et qu’elles se substituent aux réactions morbides du passé.
Cet exemple doit retenir particulièrement notre attention, car il présente, dans le même rêve, les trois types d’images que j’ai décrits précédemment (9). Ces images correspondent à trois degrés distincts de complexité de l’activité psychique. Les premières sont, comme dans le rêve nocturne, empruntées aux scènes de la vie courante et sont bien connues des psychanalystes. Les associations d’idées que l’on pourrait faire faire à la rêveuse sur chacun des éléments de cette première partie du scénario permettraient de retracer toute l’histoire de son passé affectif. Il n’y a pas de censure, le souvenir du père est évoqué spontanément.
Le lion ailé appartient, au contraire, à un type d’images que l’on ne trouve que dans la mythologie. Il est rarissime d’en observer de semblables dans le rêve nocturne. Ces images provoquent, en général, une forte abréaction. Elles mettent le sujet dans une situation où il doit livrer combat pour vaincre ou être détruit. Le sujet se trouve en face de ses sentiments contradictoires, dans une situation très simplifiée : le monstre exprime tout l’ensemble des sentiments qui sont inhibiteurs ; la route que barre le monstre est la voie d’accès à la richesse des sentiments qui doivent être vécus dans une vie normale. Ce mode de représentation est extrêmement primitif par sa simplification même, mais il n’en est que plus expressif et c’est ce qui explique que la poésie y ait recours spontanément comme étant le plus propre à décrire des sentiments d’une intensité exceptionnelle. C’est à ce niveau inférieur de l’activité psychique que peut être saisie la vie affective dans ce qu’elle a de plus proche des excitations physiologiques. Là, elle semble dégagée des sujétions de l’habitude et de toute complication logique : elle se manifeste pleinement et il nous est possible d’agir directement pour l’orienter. Ce travail, cependant, n’aura de valeur que dans la mesure où il sera soigneusement réfléchi par le sujet dans l’intervalle des séances ! C’est cet examen critique, impossible avec un schizophrène, par exemple, qui marque la limite d’application du rêve éveillé dirigé à la psychothérapie.
L’image du troisième type se produit, sans doute, à un niveau encore plus [p. 110] voisin des simples mécanismes nerveux que rien ne vient encore compliquer et fausser. Nous assistons à l’éveil d’une possibilité latente ignorée du rêveur, à l’apparition d’un sentiment qu’il n’a jamais vécu, mais qu’il sait normal et souhaite connaître. Il ne peut y avoir de scénario, aucune situation analogue n’ayant été vécue antérieurement, La lumière exprime ce sentiment parce que son imagé est liée à l’idée d’euphorie et de plénitude. Nous ne trouvons pas ces images dans le rêve nocturne. Seuls les mystiques nous les décrivent en parlant des sentiments qu’elles expriment et qu’ils croient leur être imposés par une action divine. Ces sentiments doivent être soigneusement réfléchis par le sujet comme les précédents. Si les sentiments accompagnant les images mythologiques doivent aider à liquider le passé, les autres doivent être cultivés pour préparer l’avenir : ils donneront au sujet l’appétit de changer son comportement et la possibilité de le faire, grâce à l’expérience vécue artificiellement d’un sentiment qu’il doit éprouver dans la vie réelle.
Le danger est de mal interpréter ces images et de cultiver une crédulité qui n’a que trop tendance à s’affirmer chez la plupart des hommes alors que l’expérience bien conduite aide, au contraire, le sujet à s’en débarrasser.
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Je voudrais essayer de tirer quelques conclusions de ce trop bref aperçu.
La première est que, pour édifier une psychologie concrète, nous ne devons rien négliger. L’un des faits les plus certains que la psychanalyse a mis en évidence est le rôle joué dans le développement du caractère de l’enfant par les contraintes imposées à sa vie sexuelle par le milieu familial. La conséquence de cette contrainte est un arrêt de l’évolution normale des sentiments, mais nous avons la possibilité d’aider celui qui en est victime à achever son évolution par l’emploi de moyens psychologiques appropriés.
Pour intervenir, il est nécessaire de comprendre les sentiments réellement vécus par le sujet. Celui-ci est incapable de les expliquer ; il se trouve, en effet, dans une situation analogue à celle du chien de Pavlov qui salive au coup de sifflet. Si nous pouvions l’interroger, il serait enclin à expliquer sa salivation par ce coup de sifflet en oubliant qu’à l’origine il y a eu, en même temps que le coup de sifflet, la présentation d’un morceau de viande. Pour trouver l’explication complète, il faut remonter du coup de sifflet à la nourriture présentée en même temps, il faut reconstituer toute l’histoire du conditionnement et connaître les circonstances qui ont déterminé l’habitude.
La technique des associations d’idées employée par S. Freud, ou celle des associations d’images du rêve éveillé dirigé sont les moyens appropriés pour aider un sujet à nous livrer toute son histoire affective afin d’en dégager les influences qu’a exercées sur lui le milieu familial, professionnel et social. On peut ainsi découvrir le déterminisme complet du comportement de l’intéressé, connaître « son drame particulier » et intervenir, s’il y a lieu, pour l’aider à le modifier.
Le rêve nocturne et le rêve éveillé, dirigé ou non, apportent des matériaux précieux pour cette enquête. Si nous consentons à dépouiller les images du rêve de tout caractère mystérieux pour n’y voir qu’un langage primitif, non logique, procédant par des analogies de situations, il devient inutile, pour expliquer le fait qu’en partant du scénario du rêve nous puissions retrouver tous les événements importants de la vie affective du sujet, d’introduire des hypothèses comme celles d’un inconscient opposé à la conscience, d’une censure livrant passage ou non aux pensées de l’inconscient, d’une libido fixée à un objet particulier. Nous rejetterons à la fois le réalisme et l’idéalisme freudien pour adopter le point de vue du matérialisme dialectique qui seul peut permettre de suivre les faits dans leur totalité. [p. 111]
Il nous faut, en particulier, reconnaître que l’activité psychique, nécessairement liée à l’activité du cerveau lui-même, comporte différents degrés de complexité.
A l’état de veille correspond, en général, un état affectif compliqué de réflexion qui prépare l’action ou mène à l’élaboration d’une pensée logique.
Durant le sommeil, dans la rêverie ou, encore, dans, les délires, l’activité psychique n’est plus déterminée par les nécessités de la vie de veille ; elle est simplement entretenue par les stimuli reçus, dans le sommeil, de l’extérieur et de l’organisme. C’est à ce moment qu’apparaît l’habitude affective, fonction de la mémoire et de l’activité du système nerveux.
Les images du rêve expriment simplement des sentiments qui apparaissent comme le prolongement des excitations reçues ou entretenues dans l’état de veille. Ce mode d’expression comporte divers degrés de complication qui le rapprochent ou l’éloignent du langage verbal propre à la pensée, au sentiment réfléchi. Il procède uniquement par des analogies de situation.
Nous n’avons plus à expliquer le symbolisme du rêve, mais nous devrons porter tout notre intérêt sur l’attention, la mémoire et les conditions de la remémoration, enfin sur l’habitude.
Nous considérons le rêve nocturne aussi bien que le rêve éveillé dirigé ou le cérémonial d’un obsédé, comme un comportement résultant d’habitudes affectives contractées en raison des contraintes exercées sur le sujet par son milieu social.
Nous verrons alors entrer dans un même système d’explication des faits étudiés jusqu’à présent par des méthodes s’inspirant de doctrines différentes s’excluant, plus ou moins, l’une l’autre. Nous ferons disparaître l’hiatus qui existe, actuellement encore, entre la psychologie animale étudiée par les behavioristes et la psychologie humaine telle que la conçoit la psychanalyse freudienne, qui prétend faussement, les expériences de Pavlov l’ont montré, que la névrose est particulière à l’homme. Nous constaterons que la différence entre les deux se résume à des réactions aux stimuli dont le degré de complication va en s’élevant des animaux inférieurs aux anthropoïdes, puis à l’homme, sans qu’il y ait véritablement de différences essentielles.
Notes
(1) Georges POLITZER : Critique des fondements de la psychologie. Editions Rieder. Paris 1925.
(2) S. F&EUD : Le rêve et son interprétation, trad. Hélène LEGROS, Librairie Gallimard, Paris, 1940, page 34.
(3) Je ne cite, bien entendu, que des faits réellement observés.
(4) Jean DELAY : les Ondes Cérébrales et la Psychologie. Presses Universitaires de France, Paris, 1942, page 75.
(5) Lire à ce sujet le curieux passage de son livre le Rêve et son Interprétation, Librairie Gallimard, Paris, 1940, page 31.
(6) S. FREUD : la Science des Rêves, Félix Alcan, Paris, 1926, p. 219.
(7) Ibid., page 243.
(8) S. FREUD : Introduction à la Psychanalyse. Payot, Paris, 1922, page 483.
(9) R. DESOILLE : le Rêve éveillé en psychothérapie. Presses Universitaires de France, Paris, 1945.
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