René Targowla & Jacques Lacan. Paralysie générale prolongée. Extrait de la revue « L’Encéphale », (Paris), vingt-cinquièe année, 1930, pp. 83-85.
René-Jacques Targowla. Reconnu pour ses travaux sur la paralysie générale et surtout pour avoir décrit en 1954, un « syndrome d’hypermnésie émotionnelle paroxystique tardive» chez les déportés. Ce syndrome est l’équivalence de la névrose traumatique qui regroupe trois catégories de symptômes : les symptômes de répétition ou reviviscence, les symptômes non spécifiques et l’altération de la personnalité.
Quelques publications :
— (avec B. Dujardin). La thérapeutique de la paralysie générale. Rapport d’assistance du Congrès des médecins aliénistes et neirologistes de France et des pays de langue française. XXXVIIe session, 1928. Paris, Masson et Cie, 1928. 1 vol. in-8°, 38 p. 7/2/97.
— La psychose anxieuse, syndrome encéphalitique.-Extrait des Annales médico-psychologiques, 1930, mars. Paris, Masson & Cie, 1930. 1 vol. in-8°, 12 p.
— Les Syndromes psycho-somatiques.-Extrait de la Presse Médicale, n°70, du 2 septembre 1931. Paris, La Semaine médicale, 1931. 1 vol. in-8°, 20 p.
— (avec Dublibeau). L’intuition délirante. Paris, Norbert Maloine, 1931. 1 vol. in-8°, 316 p., 1 fnch.
— Syndromes psychosomatiques et psychopathies symptomatiques.-Extrait du Bulletin de la Société de Thérapeutique, 1932. Paris, Gaston Doin et Cie, 1932. 1 vol. in-8°, 12 p.
Jacques-Marie Emile Lacan (1901-1981). Nous ne présenterons pas Lacan, bien connue de tous les analystes, les philosophes et polémistes de toutes tendances.
[Lacan en ligne sur notre site] :
— La psychanalyse et son enseignement. Communication faite à la Société française de Philosophie. Suivie d’une discussion avec MM. Berger, Lagache, Wahl, Alquié, Merleau-Ponty et Hyppolite. Parut dans le « Bulletin de la Société française de Philosophie », (Paris), 51e année, n°2, Avril-Juin 1957, pp. 66-101.
— Conférence sur le psychanalyse et la formation du psychiatre à Sainte-Anne le 10 novembre 1967.
— Télévision. 1973. Diffusé sur la Première chaîne de la télévision française les 9 et 16 mars 1974.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original. – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. –Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
[p. 83]
I. — Paralysie générale prolongée,
par MM. René TARGOWLA et Jacques LACAN
Le malade que nous présentons est un paralytique général dont la maladie dure depuis au moins sept ans. La rareté relative des cas de ce genre et certains détails de l’observation nous ont paru justifier la présentation.
A… P…, 52 ans.
EVOLUTION CLINIQUE. — Marié depuis 1906 ; pas d’enfant ni de fausse couche de la femme. Pas de maladie importante. Aucune notion de la contamination primitive. En 1918, commotion de guerre, d’où naissent certains symptômes qui le font réformer à 15 % ; il semble d’ailleurs que la question de la syphilis a été posée à ce moment. Il reprend ses occupations ; mais on constate à ce moment de la nervosité, de l’insomnie, des cauchemars de guerre, de l’irritabilité, des tendances aux impulsions.
En septembre 1922, apparaît l’épisode qui force l’attention. Parti en voyage pour aller à l’enterrement d’une parente, il manque la correspondance de ses trains, s’égare, s’endort dans une gare, revient sans songer à donner une explication quelconque de l’emploi de son temps. A partir de ce moment, « taciturne, inerte, se comportant comme un enfant », il a de gros troubles de la mémoire, des troubles de la parole, fait des achats inconsidérés pour le commerce de nouveautés dont il s’occupe, vend des bibelots qui appartiennent à son ménage et dépense cet argent d’une façon incontrôlable. Le diagnostic est porté de paralysie générale, mais il n’est soigné de façon régulière qu’en 1924 à l’Institut prophylactique où l’on constate un amaigrissement notable, de gros déficits de mémoire, une inégalité pupillaire avec signe d’Argyll-Robertson bilatéral, réflexes rotuliens faibles, achilléens abolis, du tremblement des mains et de la langue. Pas de signe de Romberg. Il est soigné de janvier 1924 à novembre 1924 par une série de 20 injections de Quinby, puis deux séries de tryparsamide-salicylate de mercure, et, de novembre 1924 a octobre 1925, par quatre séries de 8 injections de tryparsamide-salicylate de mercure.
Il est considéré comme très amélioré sans que nous ayons pu obtenir d’observations plus précises. Le retour d’une activité au moins partielle est tel qu’il se considère comme guéri, ne retourne plus à l’Institut prophylactique et, en 1927, à la place du petit commerce abandonné dans l’intervalle, se charge d’une gérance d’hôtel. Mais bientôt ses colères fréquentes contre les clients, son irritabilité le forcent à abandonner cette nouvelle entreprise. Il vend les objets qui se trouvent chez lui, se livre à des violences envers sa femme. Ce sont ces manifestations, ainsi qu’un petit ictus ayant donné une hémiparésie droite, d’ailleurs passagère, qui amènent sa femme à le faire entrer en juin 1929 à l’hôpital Henri-Rousselle.
A l’hôpital il s’est montré ce qu’il est depuis. Dément, incapable de travailler, indifférent, apathique et euphorique, il présente une dysarthrie qui le rend incompréhensible. Assez présent à l’interrogatoire, en général assez bien orienté, il a un gros déficit mnésique concernant sa vie passée, avec une atteinte même des notions acquises automatiques comme la table de multiplication ; il ne peut saisir un raisonnement élémentaire concernant ses erreurs, se montre incapable d’un effort psychique, a des troubles de l’écriture. Affectivité extrêmement diminuée. Mâchonnement, tremblement lingual, réflexe photo-moteur aboli, pupille gauche plus grande que la droite ; le réflexe achilléen ne provoque qu’une faible flexion des orteils sur la plante, le rotulien gauche est aboli ; le rotulien droit est faible, il y a du ptosis de l’œil droit et une légère diminution de la force musculaire du membre [p. 84] supérieur droit, reliquat de l’hémiparésie droite. Bon état général ; poids : 67 kilos Tension artérielle : 11 1 /2-8. Rien aux autres appareils.
Traitement : une série de stovarsol à petites doses dont les premières injections réactivent les signes sérologiques du liquide céphalo-rachidien, puis en novembre malariathérapie sans aucun résultat appréciable jusqu’à maintenant.
ÉVOLUTION DU SYNDROME SÉROLOGIQUE
Il semble donc bien que l’on soit en présence d’un syndrome paralytique, remarquable par sa durée anormale. Un premier point mérite de retenir l’attention : les modifications des réflexes tendineux. Ceux-ci sont extrêmement atténués, mais ils ne sont pas abolis ; d’autre part, il n’y a pas dans l’évolution de la maladie d’autre manifestation tabétique. Il faut donc se montrer assez réservé en ce qui concerne la possibilité d’un tabes associé, diagnostic que l’on porte souvent sans discussion suffisante ; il semble plutôt qu’il s’agit ici d’un processus d’inflammation diffuse paralytique ayant évolué vers la sclérose, comme on le voit dans les formes prolongées de paralysie générale, et ayant atteint non seulement l’encéphale mais différentes parties du système nerveux.
W. Weylandt. – Atlas-Manuel de Psychiatrie. Ed. francesa. París. 1904.
Un second point intéressant de cette observation est l’évolution clinique.
Elle s’est caractérisée par une rémission importante suivie d’une reprise insensible, apparemment lente et progressive, des symptômes neuro-psychiques. Si on la compare aux réactions du liquide céphalo-rachidien, on voit que ces dernières se sont assez rapidement atténuées sous l’influence du traitement, en même temps que les troubles psychiques. Il faut en outre remarquer qu’elles sont actuellement apparemment négatives ; il y a là un contraste singulier avec l’accentuation de l’état démentiel et de la dysarthrie qui montrent que le processus inflammatoire a continué d’évoluer sourdement. Cette persistance est d’ailleurs affirmée par l’action de la réactivation sur le syndrome humoral ; la négativité n’implique donc pas la guérison absolue, mais simplement la réduction du processus encéphalitique dont l’intensité est en quelque sorte au-dessous du seuil des réactions.
Enfin, on notera l’absence d’affection intercurrente grave chez ce malade. [p. 87]
C’est donc vraisemblablement à l’action de la tryparsamide qu’il faut imputer la rémission et la modification de l’allure évolutive. Il semble que l’action de la malariathérapie, dans les cas favorables, soit plus complète ; nous espérons peu dans les conditions où elle a été instituée ici mais nous pensons que, pratiquée dès le début, en période de pleine activité inflammatoire, et complétée par un traitement persévérant à base d’arsenicaux pentavalents du type de la tryparsamide, elle est susceptible d’amener la guérison vraie, qui n’a pu être obtenue dans ce cas, où l’on observe seulement le ralentissement de l’évolution.
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