Rencurel. Les hommes-femmes de Madagascar. Extait de la « Revue de psychiatrie (médecine mentale, neurologie, psychologie », (Paris), nouvelle série, 3e année, tome III, 1900, pp. 368-371.
Jean Rencurel. Médecin major de 1ère classe, hors cadre. Il exerça également à Qui-nhon (Vietnam).
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité nous avons renvoyé les notes de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
[p. 368]
LES HOMMES-FEMMES DE MADAGASCAR
par le Dr RENCUREL.
Nous n’étions ni hommes ni femmes,
Nous étions tous Auvergnats,
dit un vieux refrain.
Si l’Auvergne produit des citoyens qui ne sont ni hommes ni femmes, en revanche l’île de Madagascar abonde en naturels qui sont à la fois hommes et femmes : on les appelle sarimbavy chez les Hovas, et sekatra chez les Sakalaves.
« Le sarimbavy(image de femme), d’après le Dr Rencurel (1), est considéré comme un homme qui, par son habitus extérieur, sa manière de vivre, est devenu femme.
« Enfant, on l’a vêtu de vêtements de fille ; quelquefois les parents, qui n’avaient que des garçons et désireux d’avoir une fille, en ont eux-mêmes fait l’éducation féminine ; d’autres fois, au contraire, il a dû, pour imiter les enfants de l’autre sexe, heurter la volonté paternelle.
« Il recherche donc, tantôt par instinct, tantôt par un choix [p. 369] imposé, la compagnie des petites filles, avec lesquelles il se plaît à jouer : il fuit, au contraire, ou on l’oblige à fuir les garçons. Il faut remarquer cette différence d’origine du sarimbavy ; et remarquer aussi que, s’il sait résister à son père pour suivre une inclination anormale, il paraît, d’autre part, accepter facilement les mœurs qu’on lui impose lorsqu’elles ne conviennent pas à son sexe.
« Adolescent, il laisse croître ses cheveux, les noué en chignon, à la manière des femmes pauvres, car il appartient généralement à la classe misérable. Réduit à travailler, il apprend à faire des dentelles, à coudre, à tresser des nattes, des saabika, à tisser ; il s’emploie comme porteur d’eau ; tous métiers faits par des femmes. Comme elles, il est vêtu de la longue tunique de toile et du grand lamba blanc. Enfin, adulte, il s’épile la barbe.
« Cependant ses organes se sont développés régulièrement ; il ne présente aucune anomalie physique, pas trace d’infantilisme.
« Le système musculaire paraît tout d’abord bien développé; mais, à l’examen, on constate que les épaules sont arrondies, les saillies peu apparentes aux contractions ; le tissu cellulo-adipeux forme un revêtement épais aux membres et leur donne une consistance molle. Le biceps, le deltoïde, les triceps crural et sural n’ont ni la fermeté, ni l’élasticité qu’on retrouve chez les individus de même constitution générale. Les mains sont minces, les articulations souples et étroites : on sait que la femme howa soigne ses doigts et la finesse de ses attaches.
« Quant aux organes génitaux, ils sont parfaitement conformés ; les testicules, la verge sont normaux ; le gland découvert. Le système pileux paraît, aux points d’épilation un peu ancienne, très abondant dans les régions pubienne et axillaire.
« La voix présente un caractère particulier intéressant à noter ; elle est claire, de tonalité élevée, pareille à celle d’un castrat. Il y a là un phénomène d’accoutumance remarquable le sarimbavy parle avec les mêmes inflexions, le même timbre qu’une femme, et sans paraître le moins du monde les rechercher. Il les imite avec une grande perfection, inconsciemment; il serait impossible de lui faire prononcer quelques mots ou de le faire chanter dans le registre grave ; son rire est aigu comme celui d’un enfant.
« Au point de vue du caractère et des mœurs, le sarimbavy n’est pas moins intéressant. Comme il a pris au contact continuel des femmes, leurs costumes, leurs profession, il semble avoir pris aussi leur caractère.
« Il est doux, timide, d’apparence craintive, enveloppant sa faiblesse d’un certain charme enfantin. Il se sent honteux parmi des hommes, il n’aime pas leur compagnie, comme s’il avait peur de leur rudesse un peu brutale ; il éprouve même des pudeurs que ses compagnes habituelles ne lui ont certes pas apprises dans un pays où la prostitution est la règle. Lorsque j’ai demandé à l’un des sarimbavysque j’ai vus, s’il avait eu des rapports sexuels, sa figure a paru rougir, il a ramené le lamba sur son menton d’un geste non [p. 370] dépourvu de grâce, disant : « veta, veta » (j’ai honte). Tous deux n’ont consenti, à grand’peine, à se déshabiller pour être examinés, que devant l’interprète et le médecin ; les vêtements, les mouvements, les manières et enfin la voix arrivent à donner l’illusion complète de la femme.
« Le sarimbavy s’est si parfaitement dépouillé de sa vraie personnalité, qu’il n’a aucun désir de coït, bien que ses organes soient en état de le solliciter, et qu’il vive dans un milieu de jeunes filles nubiles, de mœurs toujours faciles. Les érections sont très rares ; elles paraissent, en quelque sorte, incommodantes. Quand je demande s’il préfère une jolie femme à une laide, il n’hésite pas à répondre comme tout le monde ; mais lorsque je veux l’amener à changer sa préférence en attraction volupteuse, il ne peut me suivre. Le mariage ne lui plaît pas, même dans le seul but d’avoir des enfants, ce qui, cependant, est considéré en Émyrne comme un devoir et un honneur. D’ailleurs le coït, lorsqu’il l’a pratiqué, toujours sur les instances de la femme, ne lui a donné aucune sensation agréable.
« Le sarimbavy a-t-il des rapports sexuels anormaux avec les hommes ? Cette question est difficile à résoudre en présence de la fausseté de la race howa. Cependant, après un minutieux interrogatoire, et après avoir pris des renseignements auprès de Malgaches instruits, je crois pouvoir dire qu’à part de très rares exceptions, le sarimbavy ne se livre à aucun acte contre nature ; l’anus en effet, chez les sujets examinés, n’était pas infundibuliforme ; sans donner grande valeur à ce signe trop infidèle, il convenait cependant d’en remarquer l’absence. Le coït ab orene paraît pas non plus être dans leurs mœurs.
« Il y a cependant des sarimbavy, peu nombreux, qui sont connus pour se prostituer ; dans ce cas, le coït est pratiqué dans l’interligne intercrural, les cuisses rapprochées, par devant, et non comme chez les invertis, par intromission anale.
« Mais c’est là l’exception, et l’on peut prendre comme règle que le sarimbavyn’a de rapports sexuels d’aucune nature : ce caractère lui donne son originalité.
« Faut-il le considérer comme un inverti ? Ses mœurs ne sont pas assez caractéristiques puisque l’inversion chez lui s’arrête aux rapports sexuels anormaux, pour ne pas le distinguer de cette classe d’individus ; je pense plutôt qu’il doit former un groupe à part qu’on pourrait appeler inverti asexué, ou qui répugne à tout acte génital de quelque espèce. qu’il soit.
« En recherchant si les causes de cette perversion ne résultaient pas d’une sorte de fanatisme religieux ou de superstition de la part de la famille, je ne suis arrivé à aucun résultat précis. D’ailleurs, en admettant même que l’autorité des parents soit assez grande pour imposer des mœurs anormales à un sujet encore jeune, il n’est pas moins étonnant que l’âge adulte ne le rappelle pas à ses véritables fonctions ; d’autre part, on sait que le père est parfois impuissant à diriger son fils vers le caractère et les habitudes de son sexe. [p. 371]
« Il est donc permis de conclure que l’origine de cette perversion est dans la nature même de l’individu, dans ses antécédents, etc. ; bien que les stigmates physiques de dégénérescence relevés chez les deux malades examinés ne soient ni nombreux, ni très nets, on peut dire que le sarimbavy est un dégénéré au même titre que tous les pervertis. Quant aux Sekatra, ils ne se contentent pas de ressemblances extérieures avec la femme, ils vont beaucoup plus loin dans les rapprochements intimes. Les Sekatra, dit le Dr Lasnet (2), sont des hommes normalement constitués ; mais dès leur jeune âge, probablement à cause de leur aspect plus délicat ou plus chétif, on les a traités comme des fillettes, et peu à peu, ils se sont considérés comme de véritables femmes, en prenant le costume, le caractère et toutes les habitudes. L’autosuggestion qu’ils ont subie leur a fait oublier leur véritable sexe et ils sont devenus incapables d’une érection ou d’un désir à côté d’une femme. Ils prennent grand soin de leur toilette et de leur costume, sont habillés de lambas et de robes, portent les cheveux longs et nattés, terminés en boule ; leurs oreilles sont percées et reçoivent des disques avec pièce d’argent ; sur l’aile gauche du nez ils ont une piécette ; aux bras, aux jambes, ils portent des colliers ; pour pousser plus loin la ressemblance, ils mettent sur leur poitrine quelques chiffons qu’ils recouvrent d’un lamba et qui figurent les seins, ils sont épilés avec soin, ont l’allure déhanchée de la femme et finissent par en avoir la voix. Quand un homme leur plaît, ils lui donnent de l’argent pour coucher avec lui et le font coïter dans une corne de bœuf remplie de graisse qu’ils se placent entre les jambes ; parfois, ils se font pédérer. Ils ne se livrent à aucun travail pénible, s’occupent du ménage, delà cuisine, font des nattes, ne gardent pas les bœufs, ne font jamais la guerre. Leur condition de sexe n’étonne personne ; on la trouve très naturelle, et nul ne s’avise d’une réflexion, car le sekatrapourrait se venger en jetant un sort et en rendant malades ceux qui discutent son cas. ».
(Parution originale dans le Journal de médecine de Paris).
(1) RENCUREL. Les Sarimbavy. Perversion sexuelle observée en Émyrne. (Annales d’hygiène et de médecine coloniales, t. III, p. 562. Paris, 1900.)
(2) LASNET. Notes d’ethnologie et de médecine sur les Sakalaves du Nord-Ouest. Extrait des « Annales d’hygiène et de médecine coloniales », (Paris), tome II, 1899, p. 494.
Philippe Gaubert – Sarimbavy.
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