Religion et folie. Par le Dr Daniel Santenoise. 1900.

Incube.

Incube.

Daniel Santenoise (Dr). Religion et folie.] Article parut dans la « Revue philosophique de la France et de l’étranger », (Paris), vingt-cinquième année, juillet-décembre, tome 50, 1900 pp. 142-164.

Nous ne savons rien de ce médecin aliéniste qui, pourtant, participa à plusseurs Congrès des médecins aliéniste et neurologistes de France et des pays de langue française.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’ouvrage. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
 – Par souci de clarté et commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.

[p. 142]

 RELIGION ET FOLIE

par le Dr Santenoie.

 

Les rapports de la religion et de la folie n’ont, jusque maintenant, été étudiés par les aliénistes que d’une façon insuffisante et, en quelque, sorte, recensée et timide. Sans vouloir en rechercher les raisons, ne pourrait-on s’expliquer la chose dans une certaine mesure, si l’on se rappelle ce conseil donné par Victor Cousin : « Vous rencontrerez assurément sur votre route un personnage très considérable : c’est le christianisme; ôtez-lui respectueusement votre chapeau, et n’essayez pas d’entrer en lutte avec lui. Il en a encore pour deux cents ans dans le ventre ».

Deux cents ans, cela nous a paru un peu long à attendre pour aborder l’étude d’une question intéressante et que nous croyons nouvelle, mais que nous avons d’ailleurs l’intention de traiter avec tout le respect désirable et sans aucun esprit de lutte et de parti.

Nous avons qualifié la question de nouvelle : ce n’est pas à dire toutefois que jamais on n’ait abordé l’étude des rapports de la religion et de la folie : nombreux, en effet, sont les travaux des aliénistes sur ce sujet, et l’énumération serait déjà longue des ouvrages qui traitent de la folie religieuse, de la folie mystique, des épidémies de démonopathie, etc. (1) — Dans l’article Délire du Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, MM. Ball et Ritti, classant les conceptions délirantes des aliénés, en distinguent huit catégories, et dans leur énumération quelque peu hétérogène, les idées religieuses occupent le cinquième rang, entre les idées hypochondriaques et les idées érotiques, Tous les jours encore, les revues et journaux spéciaux de médecine mentale relatent des observations de délire religieux, avec ou sans hallucinations, et il n’est pas de traité consacré aux maladies de l’esprit qui ne contienne dans son chapitre « étiologie » un article sur la religion considérée comme cause de folie. Tout cela nous prouve qu’au point de vue clinique et médical, tout au moins, la question a été étudiée, et on peut même dire qu’elle est résolue autant qu’elle peut l’être dans l’état actuel [p. 143] de nos connaissances, Aussi notre but n’est-il pas de revoir la question au point de vue médical, ne voulant pas refaire ce qui est fait et bien fait. Notre ambition serait la suivante : il nous semble que, jusque maintenant, personne, soit parmi les aliénistes de profession, soit parmi les psychologues purs, n’a encore envisagé la religion et la folie dans leurs rapports psychologiques intimes.

D’abord aucun psychologue, du moins à notre connaissance, ne s’est spécialement occupé de ce sujet ; quant aux médecins, ils se sont bornés, comme nous l’avons dit, à signaler, en passant, l’influence de la religion sur l’éclosion de certains délires et à décrire les idées délirante mystiques de certains aliénés, mais ils n’ont pas su ou n’ont pas voulu faire l’analyse psychologique approfondie et systématique des lie étroits qui rattachent la religion, ou mieux les religions, à certains états d’âme qu’on qualifie de folie. — D’abord ils n’avaient pas à le faire, et puis, il faut bien le dire, et nous répétons ici ce que nous disions en commençant, la question est, encore de nos jours, des plus délicates, et il était plus prudent, peut-être, de s’abstenir de l’envisager par son côté véritable et essentiel. C’est ainsi que, pour préciser davantage, dans leurs descriptions de folie religieuse, les auteurs font implicitement cette pétition de principe : il y a une folie religieuse, c’est vrai, mais cette folie religieuse, ou, par inversion de termes, celle religion folle ou morbide doit être distinguée de la vraie religion, qui, elle, est normale et raisonnable. Or cette pétition de principe, nous nous proposons de démontrer qu’elle est illégitime, et cela justement en essayant de faire cette analyse psychologique à laquelle nous avons fait allusion. Autrement dit, nous voulons prouver que, entre la religion considérée comme normale et la folie religieuse, il n’y a pas de différence de nature, mais seulement une différence de degré. Aussi bien cette distinction de la folie religieuse et de la religion normale est-elle non seulement comparable, mais encore complètement identique à la distinction que font les médecins entre la physiologie normale et la physiologie pathologique, distinction qui, au point de vue scientifique, n’a aucune raison d’être : la science, en effet, ignore la différence du normal et du pathologique. (2). L’organisme, dit Roger, dans un remarquable article du Traité de pathologie générale de Bouchard, ne dispose pas de deux sortes de modalités réactionnelles, destinées les unes aux états physiologiques, les autres aux états morbides. La [p. 144] physiologie est une et la physiologie pathologique ne doit être considérée que comme un corollaire de la physiologie normale. » — De même ne peut-on pas dire qu’il n’y a pas de différence essentielle entre la religion dite normale et la religion prétendue pathologique ? La seconde n’est-elle pas simplement une exagération, parfois même, nous le verrons, une perfection de la première, et n’y a-t-il pas entre les deux une gradation insensible, et non pas un saut brusque, comme on semble généralement l’admettre ? C’est ce que nous allons examiner ; aussi bien pensons-nous qu’il y a là un malentendu à dissiper : nous en faisons une question de conscience logique.

Avant de commencer notre démonstration, nous prenons la précaution de prévenir encore le lecteur que, dans tout ce que nous allons dire, nous ne nous inspirerons d’aucun esprit de parti, nous ne serons animé d’aucune hostilité contre aucune opinion quelle qu’elle soit, notre seule préoccupation étant de nous rendre compte aussi exactement que possible des conditions de production de certains phénomènes psychiques, au même titre que le physicien ou le naturaliste étudiant sans parti pris un objet ou un phénomène quelconque. Donc nous allons exprimer nos idées, et nous croyons pouvoir y réussir, sans haine et sans crainte, et nous espérons ne froisser les susceptibilités d’aucun lecteur de bonne foi. Aussi bien, dirons-nous en transposant une phrase de Taine sur la Révolution, cet article n’est écrit que pour les amateurs de pathologie morale, pour les naturalistes de l’esprit, pour les chercheurs de vérité, pour eux seulement, et non pour le public qui sur la religion a son parti pris, son opinion faite.

Notre but, disions-nous, est d’étudier les rapports de la religion et de la folie. A cet effet, il serait indiqué d’abord de définir ces deux termes, religion et folie. Mais ces deux mots expriment des choses tellement complexes que nous n’osons entreprendre cette opération. Contentons-nous de dire que, dans le travail qui va suivre, nous allons rechercher si quelques-uns des nombreux éléments qui constituent ce qu’on appelle la religion, ne pourraient pas être placés, en suivant les règles d’une logique rigoureuse, dans le cadre nosologique de la pathologie mentale ; en d’autres termes, nous avons à voir si plusieurs des phénomènes psychiques que l’on rencontre dans la religion normale ne seraient pas des phénomènes psychiques morbides identiques à quelques-uns de ceux que l’on rencontre dans les maladies mentales ; et, pour le dire tout de suite, il s’agit ici uniquement des conceptions délirantes, avec les hallucinations qu’elles peuvent provoquer, ainsi que certains actes anormaux qui en sont la conséquence. [p. 145]

L’élément primordial, le phénomène psychique fondamental de toute religion, c’est la croyance, et c’est sur celle-ci que va porter notre examen. Pour nous mettre immédiatement à l’aise, nous allons nous placer, et cela est bien permis, dans l’hypothèse d’un philosophe absolument dégagé de toute croyance religieuse positive, les croyances métaphysiques mises à part ; pour lui, l’ensemble des croyances d’une religion positive quelconque constitue une erreur ou plutôt un faisceau d’erreurs reliées entre elles d’une façon plus ou moins systématique. Laissons maintenant ce point de vue de côté (nous le reprendrons en temps et lieu), et reportons-nous à la définition, malheureusement trop vague, que donnent généralement les aliénistes, de la conception délirante. La plus simple est la suivante : « Les conceptions délirantes sont des idées fausses », (Cullerre) (3). Or qui dit idée fausse dit erreur ; « l’erreur, en effet, est l’opposé de la vérité, disent les logiciens (Rabier) (4) Mais il y a erreur et erreur, et il est bien certain que la conception délirante n’est pas une erreur comme une autre, mais qu’elle est d’un genre bien spécial ; ou mieux nous dirons, pour parler le langage de l’école, que l’erreur est un genre dont la conception délirante est une espèce. Il nous faut maintenant, suivant les règles d’une bonne définition, chercher le ou les caractères qui différencient cette espèce, conception délirante, du genre erreur dont elle fait partie. Or nous avons vainement demandé une réponse à cette question aux livres des logiciens, et il est vraiment regrettable qu’aucun d’eux n’ait cherché à préciser les relations qui unissent l’erreur et le délire. Quoi qu’il en soit, nous croyons avoir trouvé une solution satisfaisante : nous la donnons pour ce qu’elle vaut. Les erreurs, nous semble-t-il, peuvent être classées, au point de vue qui nous occupe, en deux catégories : 1° les erreurs purement intellectuelles (en général les erreurs métaphysiques et scientifiques, par exemple, c’est-à-dire ne touchant en rien à la sphère affective ; 2° les erreurs qui sont à la fois intellectuelles et affectives, c’est-à-dire qui éveillent dans l’âme des sentiments quelconques, et que nous appellerons pour plus de simplicité erreurs affectives. De ce nombre seraient les conceptions délirantes ; nous pensons même, jusqu’à preuve du contraire, que taules les erreurs de ce genre sont des conceptions délirantes, et que ces deux termes, conception délirante et erreur affective, sont absolument coextensifs. Nous formulerons notre idée par cette proposition universelle affirmative. [p. 146] Toutes les conceptions délirantes sont toutes les erreurs affectives, proposition qui peut évidemment être convertie en la suivante : toutes les erreurs affectives sont toutes les conceptions délirantes.

Quelques exemples feront mieux comprendre notre pensée : La Côte-d’Or a pour chef-lieu Dijon a Côte-d’Or a pour chef-lieu Auxerre : voilà une vérité et une erreur qui peuvent m’être, l’une et l’autre, absolument indifférentes, si je n’ai rien à faire avec ce département, ni avec ces villes. — Un mari est jaloux de sa femme qui le trompe ; un mari est jaloux de sa femme qui, cependant, ne le trompe pas : le premier cas est celui d’une vérité affective, le deuxième celui d’une erreur affective, et cette dernière est bel et bien une conception délirante.

Cela posé, on conçoit que les conceptions délirantes ou erreurs affectives peuvent être classées de deux façons, suivant qu’on se place au point de vue intellectuel ou au point de vue sentimental. Au point de vue intellectuel, nous aurons les classifications des logiciens, qui divisent l’erreur, suivant sa matière, en erreurs de termes ou en erreurs de rapports, et, suivant sa nature, en erreurs par défaut, par excès ou par substitution (voir Rabier) ; ces deux classifications se pénétrant d’ailleurs réciproquement. Nous n’y insistons pas (5). — Quant à la classification que nous qualifierons de sentimentale, nous n’en trouvons pas trace dans les traités de logique, ni même de psychologie ; mais par la force des choses, les aliénistes ont été amenés à la tenter : toutefois ils l’ont fait sans avoir une conscience bien nette du but psychologique qu’ils avaient à atteindre : c’est ce qui nous explique que leurs classifications soient si peu rigoureuses, si peu homogènes, et en somme, si peu méthodiques. Voyons cependant la meilleure de celles qu’ils nous ont données.

Alexandre Evariste Fragonard. - The Magician art.

Alexandre Evariste Fragonard. – The Magician art.

C’est ici le lieu de rappeler la classification mentionnée plus haut et qui est classique, d’après laquelle MM. Ball et Ritti (art. Délire du Dic. encyclop. des sc. méd.) admettent que toutes les conceptions délirantes susceptibles d’être observées chez les aliénés peuvent être groupées dans les huit catégories suivantes :

1° Idées de satisfaction, de grandeur, de richesse ;

2″ Idées d’humilité, de désespoir, de ruine ;

3° Idées de persécution ;

4° Idées hypochondriaques ;

Idées religieuses ;

6° Idées érotiques ; [p. 147]

7° Idées de transformation

7° Idées de transformation corporelle, se rapportant soit à l’aliéné lui-même, soit à son entourage;

8° Idées délirantes avec conscience (folie avec conscience, agoraphobie, topophobie, claustrophobie, folie du doute avec délire du toucher, etc.).

Nous éliminons immédiatement de notre discussion les idées délirantes de cette dernière catégorie, lesquelles ne peuvent rentrer dans notre définition : en effet, elles ne constituent pas des erreurs proprement dites, puisqu’elles s’accompagnent de conscience. Nous nous en tiendrons donc aux sept premières catégories. Or les auteurs précités font observer avec raison que ces catégories sont loin d’être aussi limitées qu’elles le paraissent, et que dans la réalité elles empiètent souvent les unes sur les autres. Une conception délirante, disent-ils, peut, par exemple, suivant le cas, être rangée à la fois dans les idées religieuses et les idées de grandeur, etc. Cette dernière remarque est très juste, mais elle manque de précision ; nous allons l’approfondir davantage, ce qui va nous ramener à l’objet de notre étude. Pour cela, revenons à notre hypothèse du philosophe incrédule, pour qui la plupart des croyances religieuses sont des erreurs, et voyons si quelques-unes de ces erreurs peuvent être rangées dans le groupe des erreurs affectives, autrement dit des conceptions délirantes. Qu’on ne s’effarouche pas de ce rapprochement : nous faisons une simple étude psychologique, et nous croyons bon de le répéter encore, nous ne poursuivons qu’un but purement scientifique.

Il est incontestable, à priori, que les croyances religieuses touchent à la sphère affective : par suite, si quelques unes d’entre elles sont des erreurs, elles ne peuvent être que des erreurs affectives, c’est-à-dire des conceptions délirantes.

Cette démonstration nous parait absolument rigoureuse, mais elle a le défaut d’être un peu concise. Nous allons la développer en recherchant précisément si quelques idées religieuses ne pourraient pas être assimilées à quelques-unes des conceptions délirante énumérées précédemment. Si nous éliminons, pour la raison indiquée plus haut, la dernière catégorie de la série, ainsi que la cinquième, qui comprend les idées religieuses proprement dites et qui ferait double emploi dans notre discussion, il nous reste : 1° les idées de satisfaction et de grandeur ; 2° les idées d’humilité et de désespoir ; 3° les idées de persécution ; 4° les idées hypochondriaques ; 5° les idées érotiques et 6° les idées de transformation corporelle. Nous allons encore retrancher ces trois dernières catégories d’idées délirantes : [p. 148] les idées hypochondriaques et les idées de transformation corporelle, parce qu’elles ne nous semblent avoir aucun rapport direct avec la religion, et les idées érotiques, parce qu’elles ne doivent pas se rencontrer dans une religion dite normale : nous ne voulons pas, en effet, examiner si on ne retrouverait pas parfois des idées « délirantes érotiques » dans les extases mystiques d’hommes religieux adorant la Vierge, ou de femmes religieuses adorant le Christ ; de même qu’il est bien certain que l’érotisme est un élément important du cortège symptomatique de la démonopathie (voir les incubes et les succubes). Mais ces faits sont considérés généralement comme des aberrations du sentiment religieux, aussi les passerons-nous sous silence, puisque aussi bien nous n’avons en vue que les idées religieuses dites normales ou orthodoxes.

Frank C. Papé - Succube.

Frank C. Papé – Succube.

Une remarque encore avant d’entrer dans le cœur même du sujet : par idées religieuses, nous entendrons surtout les idées religieuses chrétiennes, et particulièrement les idées religieuses catholiques, et cela parce que, à nos yeux, le catholicisme constitue le type de religion le plus riche et le plus complet, (nous ne voulons pas dire le plus parfait,) et aussi parce que c’est celui qui, sans conteste, nous intéresse le plus directement.

Nous avons donc à rechercher si quelques-unes des idées religieuses, en particulier des idées religieuses catholiques, ne constitueraient pas des erreurs affectives, c’est-à-dire des conceptions délirantes, rentrant dans les trois groupes des idées de grandeur, des idées d’humilité et de désespoir, ou des idées de persécution pour simplifier le problème, nous allons encore réduire ces trois groupes de conceptions délirantes à deux :

1° Les idées qui exaltent la personnalité, idées de grandeur ;

2° Les idées qui dépriment la personnalité, la cause de cette dépression étant attribuée, soit à la personnalité elle-même, comme dans les idées d’humilité et d’indignité, soit à des éléments étrangers à cette personnalité, comme dans les idées de persécution.

Avant d’aller plus loin, il nous semble utile d’ajouter à cette série une catégorie nouve1le, qui ne figure pas dans la classification de MM. BalI et Ritti, pas plus que dans aucune autre d’ailleurs, la catégorie des idées délirantes que nous appellerons idées de protection, par opposition aux idées de persécution. Cette catégorie nouvelle, nous l’introduisons sans doute pour les besoins de la cause, mais nous verrons qu’elle est parfaitement justifiée. Aussi bien, si nous ne la trouvons pas indiquée formellement par les auteurs précités, c’est qu’ils devaient la confondre dans le groupe générique des idées religieuses de leur classification. Ces idées de protection, se placent naturellement [p. 149] à côté des idées de grandeur, dans le groupe des idées qui exaltent la personnalité. Les quatre catégories que nous venons ainsi de former peuvent se disposer de la façon symétrique suivante :

PERSONNALITÉ EXALTÉE                    PERSONNALITÉ DÉPRIMÉE

Idées de grandeur,                 s’opposant                   à Idées d’humilité.

Idées de protection,               s’opposant           à Idées de persécution.

 

Cela posé, nous allons examiner successivement les idées religieuses de grandeur, de protection, d’humilité et de persécution.

Voyons d’abord les idées religieuses de grandeur : ces idées fréquentes aux époques de fondation et de premier développement des religions (élus, envoyés de Dieu, prophètes et fils de Dieu), sont assez rares à notre époque où les religions sont officiellement organisées et régulièrement hiérarchisées. Toutefois, comment un psychologue indépendant devra-t-il qualifier ce passage de la Manrèze du prêtre, cité par Taine (6), lequel fait en quelque sorte partie du pain quotidien spirituel du prêtre de nos jours, et où l’on exalte si haut sa dignité :

« Qu’est-ce que le prêtre ? — C’est, entre Dieu qui est dans le ciel et l’homme qui le cherche sur la terre, un être, Dieu et homme, qui les rapproche en les résumant… Je ne vous flatte pas par de pieuses hyperboles, en vous appelant des dieux ; — ceci n’est pas un mensonge de rhétorique… Vous êtes créateurs comme Marie dans sa coopération à l’incarnation… Vous êtes créateurs comme Dieu dans l’éternité. Notre création à nous, notre création quotidienne n’est rien moins que le Verbe fait chair lui-même… Dieu peut susciter d’autres univers, il ne peut faire qu’il y ait sous le soleil une action plus grande que votre sacrifice, car, en ce moment, il remet entre vos mains tout ce qu’il a et tout ce qu’il est… Je ne suis pas un peu au-dessous des chérubins et des séraphins dans le gouvernement du monde, je suis bien au-dessus ; car ils ne sont que les serviteurs de Dieu, et nous sommes ses coadjuteurs… Les anges, qui voient la quantité de richesses passant chaque jour par nos mains, sont effrayés de notre prérogative… Je remplis trois fonctions sublimes par rapport au Dieu de nos autels : je le fais descendre, je l’administre, je veille à sa garde… Jésus habite sous votre clé ses heures d’audiences sont ouvertes et closes par vous ; il ne se remue pas sans votre permission, il ne bénit pas sans votre concours, il ne donne que par vos mains, et sa dépendance lui est si chère que, [p. 150] depuis dix-huit cents ans, il n’a pas échappé un seul instant à l’Église pour se perdre dans la gloire de son Père. »

Quel doit être, nous le demandons, l’état d’âme d’un prêtre bien pénétré et bien convaincu de ces idées, qui font de lui un être d’une espèce et d’une essence à part, infiniment supérieur au vulgaire, et qui lui composent, selon l’énergique expression de Taine, un cordial des plus puissants, un breuvage, une liqueur forte, d’une saveur excessive et d’une crudité si âpre qu’une bouche ordinaire en serait brûlée ?

Mais si l’on peut trouver dans la religion chrétienne quelques idées de grandeur, pour les appeler par leur nom, il faut bien dire aussi qu’elles sont plutôt une rareté et une exception. Ces idées de grandeur sont l’apanage, pourrait-on dire, des ministres de la religion auxquels elles sont exclusivement réservées ; quant aux simples fidèles, ils ne peuvent disposer que des idées de protection. Celles-ci consistent dans la croyance à l’intervention particulière et bienfaisante de certains êtres invisibles et surnaturels (Dieu, Vierge, anges gardiens, saints patrons), qui octroient ou font octroyer à l’homme, soit des biens spirituels comme la grâce, soit aussi des biens matériels tels que la santé, la fortune, la réussite dans les entreprises, etc. La donation de ces biens se fait même en dépit et à l’encontre des lois naturelles les mieux constatées, en vertu de cette opération providentielle qui s’appelle le miracle (guérison de maladies incurables, production du beau temps ou de la pluie selon les besoins de la récolte, etc.). — Pour obtenir ces résultats favorables, tant physiques que psychiques, le croyant doit se placer dans une situation mentale toute spéciale et qui n’est autre que la prière. Or, si celle-ci est purement verbale dans la plupart des cas, il en est d’autres, et ces derniers sont l’idéal, où elle envahit l’être psychique tout entier et produit en lui une transformation complète : nous n’en voulons pour preuve que l’exemple bien connu de « l’amulette » de Pascal, dont nous citerons seulement les passages suivants :

«  Depuis environ dix heures et demie du soir jusques environ minuit et demi, Feu, Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob, non des philosophes et des savants. Certitude. Certitude. Sentiment. Joie. Paix. Dieu de Jésus-Christ… Oubli du monde et de tout, hormis Dieu… Grandeur de l’âme humaine… Joie, joie, joie, pleurs de joie. Je m’en suis séparé… Mon Dieu, me quitterez-vous ?

Que je n’en sois pas séparé éternellement… Renonciation totale et douce… Éternellement en joie pour un jour d’exercice sur la terre ». — Nous n’oserons pas dire, aussi irrévérencieusement que [p. 151] le Dr Regnard que cet écrit, dans sa contexture bizarre, ressemble, de tous points, à ceux que les aliénés, dans les asiles, remettent journellement aux personnes qui les visitent, mais pouvons-nous ne pas considérer comme morbide l’état de piété mystique si ardemment exprimée dans cette pièce fameuse ? Ce fait éclatant, comme dirait Bacon (instantia ostensiva), nous dispensera d’en citer d’autres, qui n’en pourraient être que de pâles copies. Rappelons néanmoins, pour mémoire, parce qu’il est d’un intérêt actuel, le cas de ces nombreux malades que « la foi guérit » (Charcot), et qui ne constitue pas le phénomène social le moins étrange de notre époque (pèlerinages de Lourdes).

Nous venons de voir les idées religieuses qui exaltent la personnalité ; passons maintenant à celles qui la dépriment, et ces dernières ne sont pas les moins importantes. Nous avons dit que les idées religieuses de grandeur étaient plutôt une rareté dans le christianisme. Cette religion, en effet, déprime plutôt qu’elle n’exalte la personnalité de ses adeptes. Si elle inspire à ses ministres une haute idée de leur rôle social et même universel, elle détourne la masse des simples fidèles de l’orgueil, qu’elle considère comme le premier des péchés capitaux, et elle leur prêche l’humilité comme la vertu fondamentale. Cette humilité n’aurait rien que de très légitime, si elle n’était que le résultat et l’expression de la conscience exacte de la place de l’homme dans l’univers ; mais l’humilité religieuse est pleine d’anxiété et de désespoir. Pour le chrétien digne de ce nom, en effet, la vie, qui est une « vallée de larmes et de misère », ne doit être qu’une constante préparation à la mort, et la mort, selon le mot de Pascal, la mort qui nous menace à chaque instant, doit infailliblement nous mettre dans peu d’années dans l’horrible risque d’être éternellement malheureux. — « Il n’y a rien de plus réel que cela, ni de plus terrible. En sortant de ce monde, l’homme peut

tomber pour jamais dans les mains d’un Dieu irrité… rien n’est si redoutable à l’homme que l’éternité … Entre nous et l’enfer ou le ciel, il n’y a que la vie entre deux, qui est la chose du monde la plus fragile… Un homme dans un cachot, ne sachant si son arrêt est donné, n’ayant plus qu’une heure pour l’apprendre, cet heure suffisant, s’il sait qu’il est donné, pour le faire révoquer, il est contre nature qu’il emploie cette heure-là non à s’informer si l’arrêt est [p. 152] donné mais à jouer au piquet ». — Qu’un homme d’une nature intelligente et sensible, comme l’était Pascal, soit bien pénétré de cette pensée, n’y a-t-il pas lieu de craindre que celle-ci dégénère en idée fixe, en obsession ? Et cette idée fixe sera ici, comme le fait remarquer Regnard (9) beaucoup moins que l’aspiration au bonheur du Paradis, la crainte de l’enfer, de l’horrible enfer judéo-chrétien, où les rebelles el les incrédules resteront à l’état de « cadavres » sensibles, que les vers mangent et que le feu dévore… « Et leur ver ne mourra point, et leur feu ne sera point éteint », dit l’Écriture.

Et pour éviter cette éventualité terrible, que faut-il au chrétien ?

Mourir en état de grâce ; mais cet état de grâce, est-on jamais certain de le posséder ? Est-on bien sûr de n’avoir plus aucun péché mortel non pardonné ? Qu’en sera-t-il si l’on admet, comme dans certaines doctrines (protestante et janséniste), que tout homme est dès l’origine prédestiné au salut ou à la damnation ? — Quoi d’étonnant à ce que ces préoccupations inquiètes aboutissent, chez un individu prédisposé, à cette forme de vésanie qu’on a décrite sous le nom de mélancolie religieuse, avec ses scrupules, ses remords, ses angoisses, ses idées d’humilité, d’indignité, de culpabilité et de damnation ?

Invoquons ici le témoignage du seul aliéniste qui ait parlé de ces choses d’une façon un peu précise (Maudsley : Pathologie de l’esprit). « Au chrétien, dit-il, la mort est présentée avec toutes les horreurs imaginables, comme la conséquence et la punition du péché, la grande terreur, le dernier ennemi, l’occasion pour les démons joyeux de saisir leur proie, l’entrée possible à des tourments inexprimables pendant toute l’éternité. Il me semble qu’il est impossible de concevoir les heures infinies de tourment, l’intraduisible agonie de l’esprit que cette doctrine doit avoir produites depuis qu’elle s’est propagée pour la première fois. Que de réflexions amères, quelle angoisse aiguë du remords, quelles craintes agonisantes, quels examens de conscience torturants, quelles terreurs effrayantes a produites dans des consciences anxieuses et délicates une doctrine qui, dépassant beaucoup en barbarie tout ce que la superstition la plus grossière des sauvages a jamais pu concevoir, est encore enseignée du haut de milliers de chaires dans tout pays civilisé, bien qu’il n’y ait pas une personne d’un entendement ouvert, qui, analysant rigoureusement ses pensées et examinant sérieusement ce que cette doctrine signifie, puisse dire au fond de son cœur qu’elle y croit. » Aussi n’y a-t-il pas lieu d’être surpris [p. 153] « s’il arrive de temps en temps qu’un individu d’un tempérament anxieux et a pressentiment, abîmé dans la contemplation de ses péchés, tombe dans une sorte d’horreur spasmodique de l’éventualité terrible de la damnation éternelle, devienne atteint de folie mélancolique, croyant que ses péchés sont au-dessus du pardon et qu’il est éternellement perdu. »

Ce n’est pas tout. Pour le chrétien, nous l’avons vu, le but unique et exclusif de la vie est d’assurer son salut mais, pour y arriver, il a à lutter contre une foule d’obstacles provoqués non seulement par le monde extérieur, mais aussi et surtout venant d’ennemis invisibles. Ces ennemis, ou mieux cet ennemi invisible, c’est le démon, que l’Écriture représente comme un lion rugissant sans cesse en quête d’une proie à dévorer : querens quem devoret. Cet ennemi est un persécuteur acharné, cherchant à perdre l’âme par toutes sortes de tentations, de suggestions, dirait-on maintenant. Quelquefois même il n’attend pas le moment de la mort pour saisir l’âme du damné, mais il en prend déjà possession pendant la vie. Aussi la préoccupation constante du chrétien doit-elle être de se défendre contre « les embûches » du démon, et c’est chose fort difficile, assurent les théologiens. Que cette crainte et cette défiance de Satan dominent un esprit suffisamment impressionnable, il s’ensuivra un véritable délire de persécution, nettement caractérisé, et à forme démoniaque,

Jusque maintenant, nous n’avons examiné comme phénomènes psychiques morbides de nature religieuse que les troubles intellectuels proprements dits, à savoir les conceptions délirantes ; mais celles-ci ne restent pas toujours à l’état d’isolement, et s’accompagnent parfois de nouveaux troubles, d’ordre sensoriel ceux-ci, les hallucinations. Sans vouloir prendre parti dans le débat toujours ouvert sur la pathogénie de l’hallucination, nous admettrons ici que les hallucinations religieuses peuvent être provoquées par les conceptions délirantes de même nature. Ces hallucinations seront agréables ou pénibles suivant qu’elles seront provoquées par des idées exaltant ou déprimant la personnalité.

Dans le premier cas, nous trouvons des hallucinations visuelles, auditives, psycho-motrices, tactiles et de la sensibilité générale, ayant toutes pour objet des personnages divins : c’est Dieu, c’est la Vierge, ce sont les anges et les saints qui apparaissent dans des visions miraculeuses, donnent des conseils, font entendre des paroles d’encouragement ou de consolation ; c’est aussi l’Esprit de Dieu qui pénètre l’individu, fait sentir en lui sa présence, s’infuse en quelque sorte dans son organisme, quelquefois même l’inspire [p. 154] et parle par sa bouche. Les exemples de ces faits surgissent en foule à la mémoire, et leur simple énumération nous entraînerait trop loin. Citons seulement ce passage de Taine, qui n’est rien moins qu’un exposé vivant et saisissant de la physiologie pathologique de l’hallucination religieuse : « Au XIIIe siècle, quand le communiant à genoux allait recevoir le sacrement, quelquefois il cessait de voir l’hostie ; elle disparaissait : à la place, il apercevait un petit enfant ou le visage rayonnant du Sauveur, et, selon les docteurs, ce n’était pas là une illusion, mais une illumination ; le voile s’était levé ; l’âme se trouvait face à face avec son objet, avec Jésus-Christ présent dans l’Eucharistie ; elle avait la seconde vue, infiniment supérieure en certitude et en portée à la première une vue directe et pleine, accordée par une grâce d’en haut, une vue surnaturelle (10). — Par cet exemple qui est un cas extrême, on peut comprendre en quoi consiste la foi : c’est une faculté extraordinaire, qui opère à côté et parfois à l’encontre de nos facultés naturelles ; à travers et par delà les choses telles que l’observation les présente, nous découvre un au-delà, un monde auguste et grandiose, seul véritablement réel et dont le nôtre n’est que le voile temporaire. Au plus profond de l’âme, bien au-dessous de la couche superficielle dont nous avons conscience, les impressions se sont accumulées, comme des eaux souterraines : là, sous la poussée et la chaleur des instincts immanents, une source vive s’est formée, grossit et bouillonne obscurément ; vienne une secousse, une fissure et soudainement elle monte, elle perce, elle jaillit à la surface ; l’homme qui la contenait et en qui elle déborde est surpris de cette inondation, il ne se reconnait plus lui-même ; tout le champ visible de sa conscience est bouleversé et renouvelé ; à la place de ses anciennes pensées vacillantes et fragmentaires, il trouve une croyance irrésistible et cohérente, une conception précise, une représentation intense, une affirmation passionnée, quelquefois même des perceptions positives, d’une espèce à part, et qui lui viennent, non du dehors, mais du dedans, non seulement des suggestions simplement mentales, comme les dialogues muets de l’Imitation et « les locutions intellectuelles » des mystiques, mais encore de véritables sensations physiques, comme les visions détaillées de sainte Thérèse, les voix articulées de Jeanne d’Arc et les stigmates corporels de saint François. » (11) [p. 155]

Le second groupe d’hallucinations religieuses, celui des hallucinations pénibles, a pour objet les êtres invisibles malfaisants, personnifiés dans le diable. Nous rencontrons ici les hallucinations des divers sens énumérés plus haut (de la vue, de l’ouïe, du tact, de la sensibilité générale, psycho-motrices, et en outre des hallucinations du goût, de l’odorat et de la sensibilité génitale. Le diable, en effet, ne se contente pas d’apparaître à ses victimes en des visions fantastiques et terrifiantes, ou de leur parler pour leur adresser des menaces, ou leur donner de mauvais conseils; non seulement il fait éprouver par diverses sensations internes sa présence à ceux qui en sont possédés (pincement, arrachement, piqûre, fourmillement, déchirure, distorsion, brûlure, etc.; non seulement il leur fait perdre la notion de l’équilibre et les transporte au loin dans les airs ; non seulement il parle par leur bouche et leur fait proférer, malgré eux, toutes sortes de grossièretés et d’impiétés, mais encore il leur fait respirer des miasmes empestés ou leur fait goûter des substances amères et nauséabondes ; il va même jusqu’à pratiquer, chez les femmes surtout, des attouchements impudiques, qui vont parfois jusqu’à l’accouplement. (12)

Toutes ces hallucinations religieuses, de nature agréable ou pénible, dont nous venons de tracer la rapide esquisse, sont spontanées, en ce sens qu’elles sont indépendantes de la volonté formelle du sujet, qui les subit en quelque sorte passivement ; mais la religion fournit en outre de véritables procédés artificiels pour faire naitre l’hallucination. Il existe, en effet, à l’usage des prêtres dans les retraites diocésaines, une sorte de manuel pour hallucinations religieuses provoquées, et où sont décrites les trois voies par lesquelles l’homme parvient à se détacher du monde : « la purgative, l’illluminative et l’unitive ». (13) Ce manuel n’est autre que les Excercitia de saint Ignace, qui ont pour objectif de « reconstituer pour l’âme le monde surnaturel…, de lui en rendre la sensation positive, le contact et l’attouchement (Taine). A cet effet, l’homme s’enferme dans un lieu approprié, où chacune de ses heures a son emploi déterminé d’avance, passif ou actif : assistance à la chapelle et au [p. 156] sermon, chapelet, litanies, oraisons des lèvres, oraison du cœur, examen réitéré de soi-même, confession et le reste, bref, une série ininterrompue de pratiques diversifiées et convergentes, qui, par degrés calculés, le vident de préoccupations terrestres et l’assiègent d’impressions spirituelles ; autour de lui, des impressions semblables, par suite la contagion de l’exemple, l’échauffement mutuel, l’attente en compagnie, l’émulation involontaire et le désir surexcité, jusqu’à créer son objet; d’autant plus sûrement que l’individu travaille lui-même sur lui-même, en silence, cinq heures par jour, selon les prescriptions d’une psychologie profonde, pour donner de la consistance et du corps à son idée nue. Quel que soit le sujet de sa méditation, il la répète deux fois dans la même journée, et chaque fois il commence par « construire la scène », la Nativité ou la Passion, le Jugement dernier et l’Enfer ; il convertit l’histoire indéterminée et lointaine, le dogme abstrait et sec, en une représentation figurée et détaillée ; il y insiste, il évoque tour à tour les images fournies par les cinq sens, visuelles, auditives, tactiles, olfactives et même gustatives ; il les groupe, et, le soir, il les avive afin de les retrouver plus intenses au matin. Il obtient ainsi le spectacle complet, précis, presque physique auquel il aspire, il arrive à l’alibi, à la transposition mentale, à ce renversement des points de vue où l’ordre des certitudes se renverse, où ce sont les choses réelles qui semblent de vains fantômes, où c’est le monde mystique qui semble la réalité solide.

Albert Von Keller. - Burning of a witch.

Albert Von Keller. – Burning of a witch.

Tous ces phénomènes que nous avons étudiés, conceptions délirantes et hallucinations, sont des phénomènes positifs ; nous devons signaler maintenant les phénomènes psychiques négatifs, si l’on peut ainsi parler, que la religion provoque. Ces phénomènes sont de deux ordres, d’ordre sensoriel et d’ordre sentimental ou affectif. Leur pathogénie s’explique par ce fait que la religion, comme d’ailleurs n’importe quel délire systématisé, faisant converger toute la vie psychique dans un sens et vers un point déterminés, produit dans la conscience une sorte de polarisation, qui a pour effet de l’exagérer d’un côté et de la diminuer de l’autre au point de l’anéantir parfois. « Si l’on compare dit Ribot, l’activité psychique normale à un capital en circulation, sans cesse modifié par les recettes et les dépenses, on peut dire qu’ici le capital est ramassé en un bloc ; la diffusion devient concentration, l’extensif se transforme en intensif… Il n’y a, à chaque moment, qu’un certain capital nerveux et psychique disponible ; s’il est accaparé par une fonction, c’est au détriment des autres. » Ce serait ici le cas de rappeler cette métaphore plus récente du « rétrécissement du champ de la conscience » ; [p. 157] s’il se trouve plus éclairé sur certains point, le reste de son étendue plonge dans l’obscurité.

Comme phénomène d’ordre sensoriel, nous rencontrons les « hallucinations négatives » (14) des mystiques, réalisées à leur maximum dans l’extase. Il en a déjà été incidemment question plus haut lorsque nous avons décrit, avec Taine, le manuel opératoire destiné à produire l’hallucination religieuse : « Quand cet état (d’extase) est atteint, dit Ribot (15), qui en a fait une magistrale description à laquelle nous renvoyons, les yeux, même ouverts, ne voient pas ; les sons n’agissent plus ; la sensibilité générale est éteinte ; nul contact n’est senti ; ni piqûre, ni brûlure n’éveillent la douleur. Vis-à-vis du monde extérieur, les extatiques sont comme les idoles dont parle le Psalmiste : « Oculos habent, etc. »

Dans l’ordre de la sensibilité morale, nous obtenons la diminution qui va parfois jusqu’à l’abolition de ce qu’on appelle les sentiments affectifs, et c’est là, on le sait, un des symptômes caractéristiques de la plupart des vésanies, nous en trouvons même la formule concise dans l’amulette de Pascal : « oubli du monde et de tout, hormis Dieu », et ce chrétien par excellence, en qui la piété la plus ardente s’associait au génie le plus profond, Pascal lui-même n’en est-il pas un exemple frappant ? « Il était, dit Regnard (16), dépourvu de tout sentiment affectif. » Apprenant la mort de sa sœur Jacqueline, la personne qu’il aimait le plus au monde, il dit simplement : « Dieu nous fasse la grâce d’aussi bien mourir ». « C’est ainsi qu’il faisait voir, ajoute Mme Périer, son autre sœur, qui a écrit sa vie, qu’il n’avait nulle attache pour ceux qu’il aimait ; car s’il eût été capable d’en avoir, c’eût été sans doute pour ma sœur, parce que c’était assurément la personne du monde qu’il aimait le plus. Il fut admirablement charitable, mais c’était surtout par devoir religieux ». « Il disait, Mme Perier nous l’apprend encore, que c’était la vocation générale des chrétiens, et que c’est sur cela que Jésus-Christ jugera le monde, et que, quand on considérait que la seule omission de cette vertu (la charité) est cause de [p. 158] la damnation, cette seule pensée était capable de nous dépouiller de tout, si nous avions de la foi. » Nous avons cité cet exemple parce qu’il est bien connu, et aussi qu’il est typique et en résume une foule d’autres : c’est ce qui nous dispensera d’insister (17).

Cette suppression des sentiments naturels n’est-elle même pas formellement prescrite dans un précepte évangélique : « Si quelqu’un vient à moi, dit Jésus, et ne hait pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple. ) Dieu lui-même, fait remarquer Lombroso, fut dur à l’égard de sa propre famille. « En vérité, je vous déclare, ajoute encore Jésus, quiconque aura quitté sa maison, sa femme, ses frères, ses parents, recevra le centuple en ce monde, et, dans le monde à venir, la vie éternelle. »

Après avoir vu les différents phénomènes psychiques morbides de nature religieuse (conceptions délirantes, hallucinations positives et négatives, perte des sentiments affectifs, passons aux actes de caractère morbide qui en sont la conséquence. Pour gagner le ciel, il est prescrit au chrétien non seulement de fuir les jouissances que nous offre la nature, considérée comme mauvaise et diabolique, mais encore de s’infliger dans la plus grande mesure possible, toutes sortes de privations et même de sensations douloureuses. De là ces jeûnes, ces macérations (cilice, discipline) et toutes ces pratiques diverses, parfois grotesques (18) qui ont pour résultat la détérioration progressive de l’organisme. Joignons-y les mutilations en usage chez certaines sectes (comme les skoptzy russes), bien qu’elles soient généralement regardées comme des anomalies, et cependant à un moment, dit Renan (19), en parlant de la continence recommandée aux disciples, le maître semble approuver ceux qui se mutileraient en vue du royaume de Dieu. Il était en cela conséquent avec son principe : « Si ta main ou ton pied est une occasion de péché, coupe les, et jette les loin de toi ; car il vaut mieux que tu entres boiteux ou manchot dans la vie éternelle, que d’être jeté avec tes deux pieds et tes deux mains dans la géhenne (20). Si ton œil est une occasion de péché, arrache-le et jette-le loin de toi ; car il vaut mieux entrer borgne dans la vie éternelle que d’avoir ses deux yeux, et d’être jeté dans la géhenne ». La cessation de la [p. 159] génération, ajoute l’historien, fut souvent considérée comme le signe et la condition du royaume de Dieu.

Conceptions délirantes, hallucinations positives et négatives, perversion des sentiments affectifs, actes anormaux, tels sont les phénomènes psychiques morbides auxquels la religion donne naissance. Nous croyons les avoir énumérés dans leur ordre d’apparition pathogénique, et nous pensons en avoir donné une classification méthodique, On a du voir que nous sommes constamment resté dans la plus stricte orthodoxie, et que nous n’avons décrit que des cas appartenant à la religion dite normale. La preuve, c’est d’abord que la plupart des personnages que l’histoire nous montre comme ayant présenté ces phénomènes religieux au maximum de leur intensité, ont reçu, pour ainsi dire, l’estampille officielle de l’Église : ils ont été sanctifiés ; c’est aussi que l’Église admet, dans sa doctrine, la réalité des persécutions diaboliques et des possessions démoniaques, et qu’elle n’a que trop souvent usé et abusé, pour les combattre, des exorcismes et d’un moyen plus radical encore, la suppression par le feu.

Mais alors, nous dira-t-on, si vous qualifiez les croyants de délirants, comment se fait-il que le nombre des cas de folie religieuse proprement dite, observés et traités dans les asiles, soit, en somme, assez restreint ? Ici, nous devons faire une remarque : c’est que le placement dans un asile d’aliénés, qui constitue le criterium administratif du délire, n’a pas la même valeur au point de vue psychologique. En effet, quel est le motif déterminant de la séquestration dans un asile ? C’est le danger immédiat que constitue la présence du malade au dehors, soit pour lui-même, soit pour les autres, danger dans lequel on doit laisser l’individu à la vie libre (21). Or qui ne sait qu’il existe de par le monde une foule de véritables aliénés, mais considérés comme inoffensifs ? Aussi on a pu dire, sous forme paradoxale, mais avec raison, que tous les fous ne sont pas dans les asiles ; et le psychologue pur, qui n’a pas à s’inquiéter des conséquences sociales d’un état de conscience, qualifiera celui-ci de morbide s’il trouve les phénomènes que nous avons énumérés plus haut. [p. 160]

Est-ce à dire toutefois que nous considérions tous les croyants comme des délirants ? Dieu nous garde d’une pareille pensée, et notre raison en est la suivante : c’est que la plupart des croyants, de nos jours surtout, et heureusement pour eux, ne sont pas, en réalité, de véritables croyants; c’est que, chez eux, l’erreur qui constitue ce qu’ils appellent leur croyance est une erreur purement intellectuelle, et ne devient jamais ou presque jamais une erreur affective, c’est-à-dire une conception délirante proprement dite, pour employer la terminologie que nous avons établie en commençant.

Nous pourrons dire encore, avec Taine, que pour la grande majorité des fidèles, y compris les prêtres eux-mêmes, « le monde surnaturel, à l’ordinaire, sous la pression du monde naturel, s’évapore, s’efface, cesse d’être palpable ; ils n’y pensent qu’avec une attention faible, et leur conception vague finit par devenir une croyance verbale (22) » Nous ajouterons que, même s’ils y pensaient avec une attention forte et soutenue, cela ne suffirait pas encore pour faire d’eux des délirants : on a dû le remarquer, en effet, nous avons, dans le cours de ce travail, employé souvent le mot prédisposé ; nous voulions dire que, pour produire tous ses effets, l’idée religieuse doit rencontrer un cerveau prédisposé, prédestiné, comme diraient les théologiens. L’idée est un germe, qui a besoin d’un terrain favorable pour se développer et donner tous ses fruits (nous l’avons appris à l’école de notre maître Bernheim). Ce terrain, cette prédisposition, que nous, médecins, nous faisons dériver de la constitution organique, dans le cas particulier, c’est ce que les théologiens appellent la grâce ; or la grâce, on le sait de reste, ne se répand pas uniformément et indistinctement sur tous les hommes : en un mot, ne devient pas saint qui veut, de même qui c’est bien malgré soi qu’on devient possédé du diable.

Luca Signorelli - The Antichrist {vers 1500}.

Luca Signorelli – The Antichrist {vers 1500}.

Ceci nous amène à préciser les rapports de causalité de la religion et de la folie, D’abord il est évident que la religion ne constitue ni une cause nécessaire, ni une cause suffisante de folie ; elle ne peut jouer vis-à-vis de celle-ci que le rôle de cause adjuvante. Au point de vue de son mode d’action, elle n’agit que par l’intermédiaire de l’idée, et, à ce titre, elle ne peut produire que cette variété de folie que les aliénistes ont nommée « folie communiquée (23). » Elle agit donc par suggestion, et, de fait, beaucoup de phénomènes religieux sont susceptibles d’être reproduits par la suggestion expérimentale, notamment dans le domaine de la sensibilité (hallucinations positives [p. 161] et négatives, guérison d’apparence miraculeuse, extases mystiques analogues à certains états hypnotiques, etc.). Mais si la religion agit par l’intermédiaire de l’idée et si l’idée est une force (la foi soulève les montagnes), comme l’a démontré Fouillée, force dont il est difficile, il est vrai, de mesurer l’effet, il faut bien dire aussi, avec Ribot (24), dont nous transposons une partie de phrase, que les états de conscience qu’on nomme idées ne sont qu’un facteur secondaire dans la production du délire. L’idée joue son rôle, mais il n’est pas prépondérant. Le délire vient le plus souvent d’en bas (d’une organisation défectueuse), et non d’en haut, dirons-nous encore. De sorte que, en fin de compte, le rôle de la religion dans la folie nous paraît être plutôt celui d’un moule, mais d’un moule singulièrement bien adapté, dans lequel viendraient se couler les prédispositions organiques individuelles de nature morbide. Nous devrons même ajouter que la religion fournit deux moules différents, suivant la tendance individuelle à l’exaltation ou à la dépression. « On a dit justement, écrit Ribot (25), que le sentiment religieux se composait de deux gammes, L’une, dans le ton de la peur, se compose d’états pénibles, dépressifs. La terreur, l’effroi, la crainte, la vénération, le respect, telles en sont les principales notes. L’autre, dans le ton de l’émotion tendre, se compose d’états agréables et expansifs : admiration, confiance, amour, extase ». De là celle variété disparate des idées délirantes religieuses que nous avons étudiées ; de là vient que la religion s’adapte si bien à tous les délires ; mais, nous le répétons, il ne s’agit que d’une adaptation. La religion ne crée pas de toutes pièces, par exemple, le délire de grandeur ni le délire de persécution (26) : elle ne fait que lui donner une forme. C’est ce qui nous explique que les cas de folie religieuse sont moins fréquents à notre époque d’incrédulité et de scepticisme qu’au moyen âge, où la foi était si vive et si profonde. Il est de remarque banale, en effet, que le milieu social, les mœurs, les idées courantes influent considérablement sur la forme délirante (27) : si, au moyen âge, le délire de persécution, par exemple, revêtait la forme démonomaniaque, les persécutés d’aujourd’hui se croient plutôt victimes des agents physiques et naturels (électricité, magnétisme, somnambulisme, et même actuellement rayons X, etc. (28). [p. 162]

Quoi qu’il en soit, il y a lieu de se demander d’où vient cette singulière affinité que la religion présente à l’égard de la folie. Ne pourrait-elle s’expliquer par ce fait que la religion aurait en partie son origine dans une mentalité morbide, et que plusieurs de ses racines plongeraient dans le même fond psychique qui donne aussi naissance à la folie ? Étudier cette question, c’est chercher le rôle de la folie dans la religion, problème inverse, mais connexe, de celui que nous avons examiné jusqu’ici : le rôle de la religion dans la folie, pour lui donner une solution complète, il nous faudrait remonter dans le lointain des âges, jusqu’aux origines mêmes de l’humanité et à ses premières manifestations religieuses. Ne voulant pas entreprendre une tâche aussi gigantesque, qui est, du reste, bien au delà de notre portée, nous rappellerons seulement l’exemple illustre du fondateur du christianisme, puisqu’aussi bien nous avons surtout en vue cette forme religieuse (29).

Nous pourrions multiplier les exemples dans cet ordre d’idées, et étudier entre autres la psychologie des prophètes et des saints qui ont contribué, les premiers à préparer, les seconds à développer la religion chrétienne, mais cela nous entrainerait trop loin. Contentons-nous de rappeler ce fait significatif que, dans la Bible, le même mot sert à désigner le fou et le prophète.

Après tout ce que nous avons dit, nous croyons avoir suffisamment établi cette thèse que la religion et la folie ont entre elles des rapports étroits de causalité réciproque. Il serait injuste, toutefois, de ne pas signaler, à ce sujet, une opinion diamétralement opposée à la nôtre. « Les médecins, dit le Dr Toulouse (30), qui écrivaient sous les régimes monarchiques, ont souvent accusé l’athéisme, le manque d’esprit religieux, de causer l’aliénation mentale » (c’était même l’avis d’Esquirol). L’allemand Heinroth (1773–1843), entre autres, « ne voulut voir dans la folie que le résultat de la perversité et de l’immoralité, l’erreur, le péché, une maladie de l’âme à laquelle les organes et le corps sont tout à fait étrangers; qui ne peut être héréditaire, puisque l’âme ne l’est pas, et dont les meilleurs préservatifs sont dans la crainte de Dieu et l’observation des préceptes de la religion. (31) » N’insistons pas.

S’il est vrai que la religion puisse être une cause adjuvante de folie, cette conséquence pratique s’impose, à savoir qu’il y a indication à poser certaines règles d’hygiène morale, soit individuelle, soit sociale, destinées à prévenir l’action morbide de la religion. Cette question, pour intéressante qu’elle soit, nous la laisserons de côté, parce qu’elle est étrangère à notre point de vue. Nous ne ferons là-dessus aucune réflexion, dirons-nous aussi avec Jules Soury (32) « pour ne point contriste ceux qui puisent dans leur religion un motif d’aider et de faire le bien, la paix intérieure, la résignation à la douleur de vivre ».

Evanouissement mystique de sainte Catherine - Basilique Saint Dominnique.

Evanouissement mystique de sainte Catherine – Basilique Saint Dominnique.

Tout ce que nous avons dit jusqu’ici peut avoir l’apparence d’un véritable réquisitoire contre l’idée religieuse : ce résultat serait cependant bien éloigné de notre intention. Aussi, après avoir montré uniquement le revers de la médaille, devrons-nous, et ce sera justice, en faire voir également la face : nous voulons parler de l’influence morale salutaire qu’a exercée et qu’exerce encore incontestablement la religion, et la religion chrétienne en particulier (33). Pour l’exprimer, nous ne saurions mieux faire que de citer une dernière rois l’historien philosophe à qui nous avons déjà fait, de si fructueux emprunts : « Aujourd’hui, dit Taine (34), après dix-huit siècles, sur les deux continents, depuis l’Oural jusqu’aux montagnes Rocheuses, dans les moujicks russes et les settlers américains. Il (le christianisme) opère comme autrefois dans les artisans de la Galilée, et de la même façon, de façon à se substituer à l’amour de soi, l’amour des autres ; ni sa substance ni son emploi n’ont changé ; sous son enveloppe grecque, catholique ou protestante, il est encore, pour quatre cents million ; de créatures humaines, l’organe spirituel, la grande paire d’ailes indispensables pour soulever l’homme au-dessus de lui-même, au-dessus de sa vie rampante et de ses horizons bornés, pour le conduire, à travers la patience, la résignation et l’espérance, jusqu’à la sérénité, pour l’emporter par delà la tempérance, la pureté et la hanté, jusqu’au renoncement et au sacrifice. Toujours et partout, depuis [p. 164] dix-huit cents ans, sitôt que ces ailes défaillent ou qu’on les casse, les mœurs publiques et privées se dégradent. En Italie pendant la Renaissance, en Angleterre sous la Restauration, en France sous la Convention et le Directoire, on a vu l’homme se faire païen, comme au 1er siècle ; du même coup, il se retrouvait tel qu’au temps d’Auguste ou de Tibère, c’est-à-dire voluptueux et dur : il abusait des autres et de lui-même ; l’égoïsme brutal ou calculateur avait repris l’ascendant ; la cruauté et la sensualité s’étalaient, la société devenait un coupe-gorge et un mauvais lieu. Quand on s’est donné ce spectacle, et de près, on peut évaluer l’apport du christianisme dans nos sociétés modernes, ce qu’il y introduit de pudeur, de douceur et d’humanité, ce qu’il y maintient d’honnêteté, de bonne foi et de justice. Ni la raison philosophique, ni la culture artistique et littéraire, ni même l’honneur féodal, militaire et chevaleresque, aucun code, aucune administration, aucun gouvernement ne suffit à le suppléer dans ce service. Il n’y a que lui pour nous retenir sur notre pente fatale, pour enrayer le glissement insensible par lequel incessamment et de tout son poids originel, notre race rétrograde vers ses bas-fonds ; et le vieil Évangile, quelle que soit son enveloppe présente, est encore aujourd’hui le meilleur auxiliaire de l’instinct social. »

Nous nous ferions scrupule de rien ajouter à cette belle page, qui sera ainsi le finale de notre étude (37).

 

NOTES

(1) Voir entre autres : L. P. Calmeil, De la folie considérée au point de vue pathologique, philosophique, historique et judiciaire,

(2) A l’exception toutefois de Th. Ribot, à qui rien de ce qui touche à la psychologie n’est resté étranger, et qui a nettement indiqué le problème dans un chapitre sur les Sentiment religieux, dans son ouvrage : La psychologie des sentiments.

(3) Traité des maladies mentales.

(4) Logique.

(5) Cette opération logique appliquée à la religion en constitue ce qu’on appelle la critique dogmatique, nous n’ayons pas à nous en occuper ici.

(6) Taine. Le Régime moderne: l’Église.

(7) Génie et folie : réfutation d’un paradoxe. – Critique bien française, c’est-à-dire méthodique et spirituelle à la fois de l’ouvrage amusant, mais diffus et sans véritable valeur scientifique, de Lombroso : L’Homme de génie.

(8) Extrait des Pensées.

(9) Loco citato.

(10) Loco citato.

(11) Voir dans l’Ancien et le Nouveau Testament, les Prophètes, l’Apocalypse de Saint Jean ; en outre les vies des Saints, l’histoire de Jeanne d’Arc (qu’on nous pardonne ce sacrilège du patriotisme, mais la science a ses exigences), la biographie de Bernadette de Lourdes, etc

(12) Michelet. — « En l’an 1000…, le moine attendait, dans les abstinences du cloitre, dans les tumultes solitaires du cœur, au milieu des tentations et des chutes, des remords et des visions étranges, misérable jouet du diable qui folâtrait cruellement autour de lui, et qui le soir, tirant sa couverture, lui disait gaiement à l’oreille : « Tu es damné ! » d’après Raoul Glaber.

(13) Voir, outre l’Ancien et le Nouveau Testament, ainsi que les Vie des Saints :

Michelet, la Sorcière ; Histoire de France (le Sabbat et la Sorcellerie) ; —Bourneville : le Sabbat des sorciers, ainsi que tous les ouvrages de la même collection, la Bibliothèque diabolique

(14) Heureuse dénomination, due à notre maître Bernheim, mais qui a été critiquée par Binet et Féré par dans la Revue philosophique.

(15) Voir les Maladies de la volonté et les Maladies de la personnalité. Dans le premier ouvrage, on trouvera un intéressant extrait de l’auto-biographie de sainte Thérèse. — Voir aussi saint Bernard dans Michelet. « Homme de vie intérieure, d’oraison et de sacrifice, personne au milieu du bruit ne sut mieux s’isoler. Les sens ne lui disaient plus rien du monde. Il marcha, dit son biographe tout un jour le long du lac de Lausanne, et le soir demanda où était le lac. Il buvait de l’huile pour de l’eau, prenait du sang cru pour du beurre, etc.

(16) Loco citato.

(17) Voir aussi les Vies des Saints, notamment saint Alexis, qui quitte sa femme le soir même de son mariage ; saint Thomas d’Aquin et saint François d’Assise, qui s’échappent de leur famille, malgré celle-ci, pour aller vivre en religion.

(18) Voir la Vie de saint Siméon le stylite.

(19) Vie de Jésus.

(20) Matth.

(21) Il faut dire aussi que les temps sont changés ; les asiles sont d’institution récente, et la religion a perdu beaucoup de son influence, ce qui fait que les cas de folie religieuse sont incomparablement moins nombreux aujourd’hui qu’autrefois. Qui doute cependant que tel saint de jadis (Siméon le stylite, par exemple), que tel sorcier du moyen âge seraient internés de nos jours, au lieu d’être, l’un vénéré, l’autre brûlé ? — Ce qui était possible autrefois ne l’est plus maintenant : conçoit-on Jeanne d’Arc à notre époque ! Dans sa course vagabonde, dit Renan, on ne voit pas que Jésus ait été une seule fois inquiété par la police.

(22) Loco citato.

(23) D’où son caractère fréquemment épidémique.

(24) Maladies de la personnalité.

(25) Maladies des sentiments.

(26) Aussi la folie religieuse n’est pas une entité morbide véritable ; mais elle peut faire partie intégrante des diverses entités morbides suivantes : mélancolie, délire chronique, dégénérescence mentale, hystérie.

(27) Nous conservons surtout les cas de mélancolie religieuse.

(28) Nous jugeons inutile de nous livrer, après d’autres, à ce jeu incertain des statistiques comparatives, qui ont la prétention d’évaluer, entre autres, l’influence plus ou moins grande de telle ou telle forme religieuse sur le développement de la folie.

(29) On connait la théorie du génie-folie de Lombroso. Cette théorie, fausse pour les génies philosophiques et scientifiques. Vraie dans une certaine mesure pour quelques génies artistiques, semble s’appliquer avec assez de justesse aux génies religieux. Quel rapport y a-t-il, par exemple, entre l’accès de manie aiguë d’Auguste Comte et sa philosophie positive ? Apparemment aucun ; tandis que Lombroso n’a aucune peine à démontrer l’identité complète du délire mystique et du génie religieux chez saint François d’Assise, entre autres. Le génie « du christianisme » serait-il donc un génie morbide ?

(30) Les causes de la Folie.

(31) Cullerre. Traité pratique des maladies mentales.

(32) Loco citato.

(33) L’une d’elles peut donc être utile et salutaire. Pourquoi pas ? La production de l’erreur n’était-elle par illusion suggérée n’est-elle pas un moyen couramment utilisé en psychothérapie.

(34) Loco citato.

(35) Ceci n’est en réalité qu’une simple esquisse susceptible, on le conçoit sans peine, de se prêter à de longs développements. Nous avons, en effet, parfaitement conscience de ce que notre travail a d’incomplet et d’inachevé. Il y aurait lieu notamment, d’une part, au point de vue religieux, de passer en revue d’autres types que le christianisme (soit dans le présent, soit dans le passé), tels que l’islamisme, le judaïsme, le bouddhisme, les religions des sauvages, et même, dans la mesure du possible. les polythéismes antiques ; d’autre part, au point de vue pathologique, après avoir étudié séparément, comme nous l’avons fait, les symptômes morbides, il faudrait en faire les synthèses diverses correspondant aux différentes variétés de folies religieuses qui viennent se greffer sur fond d’hystérie, de dégénérescence mentale, de mélancolie, de délire chronique, etc. (suivant la classification actuellement usitée en pathologie mentale).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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