Henry Michaux. Réflexions qui ne sont pas étrangères à Freud. Article parut dans la publication « Le Disque vert », (Paris-Bruxelles), deuxième année, troisième série, numéro spécial « Freud », 1924, pp. 149-151.
Henri Michaux (1899-1984). Écrivain, poète et peintre d’expression française. Il s’intéressa de près à la médecine et surtout à la psychiatrie en particulier en assistant à de nombreuses présentations de malades. Il expérimenta des substances psychotropes comme le LSD et la psilocybine, en rapport avec la création artistique. Nous renvoyons aux nombreuses bio-bibliographie pour une approche plus pertinente.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original. – Autant que faire se peut, nous avons respecté la présentation originale. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr
[p. 149]
RÉFLEXIONS QUI NE SONT PAS
ÉTRANGÈRES A FREUD.
Les sciences exactes sont devenues notre pain.
L’a priori et la métaphysique, on les dédaigne.
Alors ? Pourquoi tout le monde de s’empresser autour de la philosophie de Freud ?
Eh ! eh ! Les mathématiques transcendantes elles-mêmes, qu’on y introduise seulement des applications de certain ordre, telles que… le calcul des jouissances amoureuses, ou lai mesure du volume des sexes, et je les vois très bien entourées de nombreux auditoires.
Je me rappelle ce marchand de vieilles étoffes précieuses, serré entre deux stands modernes, flanqué à gauche d’automobiles, à droite de comptomètres, qui tout d’un coup… Un jeune homme était venu s’employer chez lui, ignorant de l’article. Et tout d’un coup la foule afflue… C’est la fortune… Car, dans les plis des étoffes, il cachait des photographies lubriques.
Oh ! Je ne dénonce pas Freud. Freud commerçant.
Cette réclame, il ne l’a pas commandée.
Les réflexes suffisent à l’explication de sa conduite, les réflexes qu’utilisent les philosophies, les gens, quand ils se noient.
Les sciences, par ce qu’elles exigent des appareils et des connaissances encyclopédiques, restent loin du public. La psychanalyse au rebours est populaire, car sans appareils ni bagage scientifique, vous et moi, tout le monde, nous pouvons faire de la psychanalyse, et [p. 150] nous en avons fait, comme M. Jourdain faisait de la prose.
Freud ressemble fort à un enfant précoce. Cette espèce a la vie courte, j’entends la vie intellectuelle. A la cinquantaine, ils vivent toujours de leurs quinze ans.
Devenu professeur, Freud en est encore à consulter ses quinze ans, sa tête de gamin, c’est-à-dire, ses premières curiosités recueillies. Mais, grâce à ses fonctions, il généralise.
Freud : des recettes de clinicien ? Horrible !
L’esprit humain flue et reflue de l’unité à la complexité ; en art, du classique à l’impressionniste ; en science, de la synthèse à l’analyse, du matérialisme au spiritualisme.
L’histoire est ce jeu de réactions.
Le XIXe siècle fut la synthèse. Il unifie. Il réduit la chimie à l’atome, l’électricité à l’électron, la vie au protoplasme, la physiologie à la physico-chimie.
Il fut matérialiste.
Freud est dans le domaine de la philosophie, la réaction contre le XIXe siècle.
Il substitue aux données objectives extérieures, l’introspection, l’analyse du sujet.
Le principe de sa manière de voir me paraît ceci, qui est exceJ1ent, qui est la réaction : « Entre deux explications, également possibles, la plus compliquée a autant de valeur que la plus simple, la subjective autant que l’objective ». [p. 151]
Sans doute Barrès, Tolstoï, Dostoïevsky, Bourget, Poe furent psychanalystes.
Néanmoins, Freud a fait une découverte.
Une découverte est en science le plus souvent l’application d’un procédé d’une science à une autre science.
En astronomie, l’analyse spectrale est une découverte. Pourtant, elle s’employait déjà en chimie. Freud a introduit, dans la science, les procédés psychologiques du roman, des mémoires et des confesseurs.
Il arrive dans deux cas principaux que l’intelligence humaine ne se surveille pas : dans le rêve et dans la folie. Freud examine les rêves, y voit un potentat : l’amour. Soit, quoique tous les appétits humains s’y retrouvent aussi.
Si j’examine la folie, je trouve l’orgueil. Beaucoup plus de fous marquent l’orgueil que la libido. Dans le rêve même, l’instinct de conservation, l’instinct de domination, l’instinct de cupidité se retrouvent. Freud voit dans les rêves des verges symboliques. Moi, j’y vois des poings, des assiettes de la faim, des maisons d’avarice. L’amour propre est l’instinct intrinsèque de l’homme.
Freud n’a vu qu’une petite partie. J’espère démontrer l’autre partie, la grosse partie, dans mon prochain ouvrage: Rêves, littérature et folie.
HENRY MICHAUX.
MARCEL. PROUST:
« La nature que nous redoutons n’en habite pas moins en nous. »
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