Joseph Babinski. Recherches servant à établir que certaines manifestations hystériques peuvent être transférées d’un sujet à un autre sujet sous l’influence de l’aimant. Paris aux bureaux du Progrès médical et A. Delahaye & E. Lecrosnier, 1886. 1 vol. in-8°, 8 p.
Józef Julian Francisez Feliks Babiński ( 1857 – 1932]. D’abord interne en médecine dans le Service de Victor-André Cornil (1837-1908) à l’Hôtel-Dieu (1879), puis chef de clinique dans le service de de Jean-Martin Charcot (1825-1893) à la Salpêtrière 1884. Il soutient en 1885 sa thèse de doctorat sur Étude anatomique et clinique sur la sclérose en plaques, Paris, G. Masson, 1885. 1 vol. in-8°, 151 p. En 1886 il publie un article étonnant Recherches servant à établir que certaines manifestations hystériques peuvent être transférées d’un sujet à un autre sujet sous l’influence de l’aimant, Paris, Au bureau du Progrès médical et A . Delahaye et E. Lecrosnier, 1886. 1 vol. in-8°, 8 p. Nommé médecin des hôpitaux en 1890, sa carrière se déroule à la Pitié. Dans le service de Charcot, qui soignait ce que l’on rassemblait à l’époque sous le nom d’hystérie, il distingue les paralysies hystériques des paralysies organiques, et à partir de 1893 il recherche les signes objectifs des maladies organiques permettant de les distinguer des névroses (Démembrement de l’hystérie traditionnelle, 1909).
En 1896, il découvre le signe universellement connu maintenant sous le nom de signe de Babinski : inversion du réflexe cutané-plantaire en rapport avec une perturbation du faisceau pyramidal, qui se traduit par l’extension du gros orteil. En 1903, il complète ce signe par le signe de l’éventail. D’autres signes deviendront classiques en neurologie, tels que le signe du peaucier, le réflexe achilléen, le réflexe paradoxal du coude. Par ses travaux sur la sémiologie cérébelleuse, il a créé un syndrome clinique et indiqué l’analyse physiologique de l’asynergie, l’adiadococinésie, l’hypermétrie, la catalepsie cérébelleuse. Ses tests par les épreuves du vertige voltaïque et de la désorientation spontanée ou provoquée (épreuve de Babinski-Weill) permettent de déceler les lésions du cervelet ou de l’appareil vestibulaire. Ses recherches sur la pathologie de la moelle épinière l’ont amené à décrire la paraplégie spasmodique en flexion et à en fixer les règles précises de diagnostic. On lui doit la notion de l’exagération des réflexes de défense dans la maladie de Friedrich (ataxie), la première observation typique du syndrome adiposo-génital (syndrome de Babinski .
Quelques références bibliographiques :
— Recherches servant à établir que certaines manifestations hystériques peuvent être transférées d’un sujet à un autre sujet sous l’influence de l’aimant, A. Delahaye et E. Lecrosnier (Paris), 1886.
— Notice sur les travaux scientifiques du Dr J. Babinski, G. Masson (Paris), 1892.
— Recherches servant à établir que certaines manifestations hystériques peuvent être transférées d’un sujet à un autre sujet sous l’influence de l’aimant. Paris aux bureaux du Progrès médical et A. Delahaye & E. Lecrosnier, 1886. 1 vol. in-8°, 8 p. [en ligne sur notre site]
— De l’asynergie cérébelleuse. Extrait de la Revue Neurolplique (Paris), 7 (1899), p. 806-81
— Ma conception de l’hystérie et de l’hypnotisme (pithiatisme), Conférence à la société de l’internat des hôpitaux de Paris, Durand, Chartres, 1906. [en ligne sur notre site]
— Démembrement de l’hystérie traditionnelle : pithiatisme, Impr. de la Semaine Médicale (Paris), 1909. [en ligne sur notre site]
— De l’Hypnotisme en thérapeutique et en médecine légale, Imp. de la Semaine Médicale (Paris), 1910. [en ligne sur notre site]
— Exposé des travaux scientifiques du Dr J. Babinski, Masson et Cie (Paris),
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons corrigé les fautes d’impression. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
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RECHERCHES SERVANT À ÉTABLIR QUE CERTAINES
MANIFESTATIONS HYSTÉRIQUES PEUVENT ETRE TRANSFÉRÉES D’UN SUJET À UN AUTRE SUJET SOUS L’INFLUENCE DE L’AIMANT.
Sous l’influence de l’application de métaux ou bien encore de l’aimant, on peut voir chez certains sujets quelques manifestations de l’hystérie, telles que l’anesthésie sensitive et sensorielle, les paralysies, les contractures, les arthralgies, lorsqu’elles sont limitées à un côté du corps, disparaître de ce côté et apparaître du côté opposé. C’est là, comme on le sait, le phénomène du TRANSFERT constaté par la commission de la Société de biologie (1), à l’occasion d’un fait remarqué par M. Gellé dans la mensuration qu’il faisait de la distance de l’audition distincte pendant l’application des métaux. Souvent ce transfert d’un côté à l’autre du corps recommence en quelque sorte spontanément sans nouvelle application métallique et se répète un certain nombre de fois de suite. Ce phénomène a été indiqué pour la première fois par M. Charcot, qui lui a donné le nom d’oscillations consécutives. [p. 3]
Des recherches nouvelles que nous avons faites dans le service de notre maître, M. Charcot, nous ont montré que deux sujets peuvent jouer au point de vue du transfert, l’un par rapport à l’autre, un rôle analogue à celui que joue chez un seul sujet un côté du corps par rapport au côté opposé. Dans nos expériences, les malades ont été placés dans la situation assise, tournés dos à dos. Il n’est pas nécessaire qu’il y ait contact entre eux, mais s’il y a contact, le transfert est plus rapide que lorsque les malades sont à une certaine distance l’un de l’autre.
Les expérienccs que nous avons faites doivent être divisées en deux catégories.
A la première catégorie appartiennent des expériences qui ont porté sur deux jeunes filles hystéro-épileptiques ayant chacune une hémi-anesthésie sensitivo-sensorielle, toutes deux sujettes à des attaques d’hystéro-épilepsie et présentant au complet les phénomènes du grand hypnotisme, tels qu’ils ont été décrits par M. Charcot.
Voici les diverses expériences que nous avons faites sur ces deux malades et qui, toutes, ont été répétées un grand nombre de fois.
Nous les ayons d’abord mises simplement en rapport l’une avec l’autre, comme il a été dit plus haut, et nous avons placé un aimant à côté de l’une d’elles. Nous avons alors observé qu’une des deux malades, d’hémi-anesthésique qu’elle était, devient au bout de quelques instants anesthésique totale, et en même temps l’autre malade recouvre la sensibilité dans son côté anesthésié tout en la conservant dans le côté opposé. Puis un nouveau transfert s’opère, même si l’on éloigne l’aimant ; la première malade devenue anesthésique totale recouvre la sensibilité dans toute l’étendue de son corps et la seconde malade devient à son tour anesthésique totale, et il se fait ainsi une série d’oscillations consécutives. Lorsqu’on éloigne les deux malades l’une de l’autre, elles reviennent très rapidement à l’état qu’elles [p. 5] présentaient avant l’expérience, c’est-à-dire qu’ils redeviennent toutes deux hémi-anesthésiques.
Nous avons ensuite produit chez ces malades, tantôt chez l’une, tantôt chez l’autre, des paralysies soit flasques, soit avec contracture ; c’est ainsi que nous avons produit tour à tour des monoplégies brachiales, des monoplégies crurales, des hémiplégies, des paraplégies, les unes flasques, les autres spasmodiques. La malade paralysée était mise alors en contact avec sa compagne, près de laquelle on plaçait l’aimant. Au bout de quelques instants le transfert se produit ; la paralysie disparaît chez la première malade et se manifeste en même temps chez la seconde. Le transfert se fait généralement avec la plus grande pureté. La paralysie se transfère avec ses caractères et sa localisation exacts ; il nous est arrivé pourtant une fois de voir une monoplégie brachiale simple se transférer sous forme de monoplégie brachiale double. Généralement la paralysie se transfère chez la seconde malade : du côté où l’aimant a été appliqué ; mais cela n’est pas constant. Il se fait ensuite une série d’oscillations consécutives d’un sujet à l’autre sujet comme pour l’anesthésie. Si l’on éloigne les malades l’une de l’autre, la malade paralysée au moment où l’éloignement se fait reste paralysée, et il faut agir de nouveau par suggestion pour faire disparaître la paralysie.
Puis nous avons produit par suggestion des coxalgies ayant les caractères des coxalgies hystériques. Les coxalgies se comportent, au point de vue du transfert, exactement comme les paralysies.
Voici maintenant une expérience qui diffère des précédentes en ce qu’elle n’a pas son pendant dans les expériences de transfert que l’on pratique chez les sujets isolés. On provoque par suggestion le mutisme hystérique. Ce phénomène se transfère avec la même facilité que les paralysies et les coxalgies.
Ces diverses expériences ont été d’abord pratiquées [p. 6] lorsque les malades se trouvaient dans la période somnambulique du grand hypnotisme.
Mais nous los avons répétées lorsque les malades étaient à l’état de veille et nous avons obtenu les mêmes résultats. Il a été, toutefois, indispensable, lorsque nous voulions obtenir par suggestion un phénomène hystérique, pour le soumettre au transfert, d’hypnotiser préalablement les malades.
Nous avons enfin plongé un des deux sujets dans la période somnambulique du grand hypnotisme, en laissant le second dans l’état de veille. Sous l’influence de l’aimant, il se fait un transfert de ces deux états ; au bout de très peu de temps, le premier sujet se réveille et le second devient somnambule. – Pour constater la réalité du somnambulisme, nous nous sommes fondé sur le caractère somatique de cette période : la contracture somnambulique.
Passons maintenant à la seconde catégorie de nos expériences. Nous avons pris des malades hystériques, hommes ou femmes, présentant des manifestations hystériques, telles que des paralysies flasques ou spasmodiques, non plus artificielles, mais naturelles, c’est-à-dire survenues indépendamment de toute suggestion de notre part, et qui ont motivé l’admission de nos malades à l’hospice. Ces malades, pour la plupart, n’ont jamais été hypnotisés, et, dans les expériences suivantes, ils ont été laissés à l’état de veille. Nous avons placé les malades en rapport avec l’un ou l’autre des deux sujets dont nous avons parlé plus haut, que nous plongions dans la période somnambulique du grand hypnotisme, et à côté duquel nous mettions t’aimant. Nous avons alors observé que le sujet hypnotisé ne tarde pas, sous cette influence, à présenter les mêmes accidents que l’hystérique à côté duquel il se trouve. Cependant la transmission de ces paralysies se fait parfois avec moins de pureté que dans les expériences de la première catégorie.
Mais une différence beaucoup plus grande sépare les [p. 7] expériences de la première catégorie de celles de la seconde ; en effet, dans ces dernières, il n’y a pas, à proprement parler, de transfert. Les accidents hystériques se transmettent au sujet hypnotisé, mais persistent avec tous leurs caractères chez les malades qui en sont primitivement atteints.
Pourtant, en répétant un certain nombre de fois ces expériences, on arriverait peut-être à faire disparaître ces paralysies, et il y aurait là une méthode de traitement. Nous avons observé, en effet, dans un cas, à la suite de deux expériences consécutives, une contracture spontanée d’un membre inférieur s’atténuer notablement. Nous nous proposons, du reste, de poursuivre ces recherches.
Nous ferons remarquer que les faits que nous venons de signaler diffèrent essentiellement de certaines observations déjà anciennes (2), qui démontrent seulement que l’aimant peut agir à distance chez un malade mis en rapport avec un autre malade dont le corps sert de conducteur. Voici, par exemple, une des expériences de MM. Proust et Ballet : « Deux hystériques, l’une hémianestésique gauche, l’autre hémianestésique droite se tiennent par la main ; on applique des aimants à côté de la première ; au bout d’une heure, les deux malades recouvrent la sensibilité générale dans leur côté anesthésié. » – Ces observations n’ont aucune analogie avec les nôtres.
Nous nous sommes placé dans des conditions telles que toute idée de simulation ou de suggestion doit être absolument écartée.
Il faut noter d’abord que ces expériences ont donné, dès le début, les mêmes résultats que lorsqu’elles ont été répétées plusieurs fois. [p. 8]
Lorsque nous produisions, par suggestion, chez un sujet, un phénomène tel que la paralysie ou mutisme, que nous proposions de soumettre au transfert, l’autre sujet était éloigné de façon à ce qu’il lui fût impossible de savoir ce qui avait été fait et nous couvrions le premier sujet d’un voile dissimulant complètement les différentes parties de son corps.
Lorsque nous mettions en rapport avec les malades atteints de paralysie spontanée, une hystérique hypnotisée, nous prenions toutes les précautions nécessaires pour que celle-ci ignorât complètement quel était le malade en rapport avec elle, et ne pût savoir de quels accidents il était atteint.
Enfin l’aimant a toujours été appliqué à côté du membre supérieur, même lorsqu’il s’agissait de phénomènes localisés dans le membre inférieur (3).
NOTES
(1) Commission nommée en 1876 par la Société de biologie pour contrôler les expériences de M. Burq sur la métalloscopie.
(2) Voir à ce sujet l’ouvrage de Maggiorani: Influenza del Magnetismo sur la vita animale, ct le travail de MM. Proust et Ballet : L’Action des aimants sur quelques troubles nerveux et spécialement sur les anesthésies (Journ. de thérap. 1879).
(3) Une nouvelle communication sur la transmission de phénomènes nerveux d’un sujet à un autre sujet a été faite par M. Babinski à la Société de biologie (séance du 6 novembre 1886).
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