Possédés guéris par les reliques de saint Etienne (d’après une tapisserie berrichonne du XVe siècle). Par André Marie. 1903.

André Marie. Possédés guéris par les reliques de saint Etienne (d’après une tapisserie berrichonne du XVe siècle). Par André Marie. 1903. Extrait de la Nouvelle iconographie de la Salpêtrière », (Paris), 1903, pp. 302-304., 1 planche hors texte (planche LVIII)

Pour faire suite à l’article de Paul Richer et Henry Meige, Documents inédits sur les démoniaques dans l’art, publié ici même. [voir article]

Les [p.] correspondent à la numérotation des pages originales de l’article. – Par commodité nous avons déplacé les notes qui se trouvaient en bas de page, en fin d’article.

 

[p. 303]

POSSÉDÉS GUÉRIS PAR LES RELIQUES DE SAINT ETIENNE
(D’APRÈS UNE TAPISSERIE BERICHONNE DU XVe SIÈCLE)

PAR

A. MARIE

Les œuvres d’art ancien sont nombreuses qui offrent la figuration conventionnelle de ta folie d’après la conception mystique, courante au moyen âge, de l’intervention diabolique.
L’Iconographie de la Salpêtrière a continué l’œuvre poursuivie dans les Démoniaques dans l’art, de Charcot et Paul Richer.
Des documents ont été tirés des primitifs imagiers, des peintres, émailleurs, enlumineurs, orfèvres, ciseleurs, etc.
L’art gréco-byzantin dans ces derniers temps a pu fournir, comme l’art chrétien de l’Occident catholique, des monuments curieux publiés ici même par M. Heitz.
Partout on voit la figuration classique et comme stéréotypée des diables s’échappant du cerveau des malades présumés possédés.
La tapisserie peut fournir aussi de tels sujets, ainsi que l’ont montré également MM. Charcot et Richer, et plus récemment encore M. Henry Meige à propos des tapisseries de Reims (miracle de saint Remi) (Nouvelle Iconographie, 1901, p, 97, p. I-IX).
Nous en rapportons un exemple nouveau recueilli au musée de Bourges, où la colonisation familiale des aliénés de la Seine nous amène fréquemment depuis plus de dix ans.
Par une bizarre coïncidence, il s’agit dans cette tapisserie du transport sur les rivières de la région des reliques de saint Etienne, patron de l’église paroissiale de Dun-sur-Auron et de l’évêché de Bourges.
Curieuse prédestination de Dun-sur-Auron qui, comme Gheel, jouirait depuis plusieurs siècles d’une influence mystique et inattendue pour sa cure de la folie.
C’est du moins ce que célèbre la tapisserie dont nous donnons ici la reproduction

 

On y voit, en effet, deux groupes significatifs :
A gauche flotte une barque avec la châsse contenant les reliques précieuses de saint Etienne ; autour prie un groupe de belles et dévotes dames en hennin de l’époque de Charles VII.
A l’avant, un seul homme, batelier ou moine (l’un et l’autre peut-être), à genoux semble-t-i1, en robe et capuchon, coiffé d’une sorte de fez ou bonnet rappelant un peu celui de Louis XI.
Deux anges soulignent la sainteté du chargement de la barque en planant au-dessus d’elle.
A droite, la silhouette d’une ville forte ou château : tours d’angles, rondes, à crénaux, portes aux armoiries barrées d’argent à 3 crosses d’or (un évêché sans doute, Bourges peut-être).
Devant la porte de ville ouverte et sur la berge de pierre, un groupe de miséreux, béquilleux, au-dessus des têtes desquels s’envole, noir et vert un diable grimaçant à triple griffe de caméléon.
L’onde et la flore à terre sont naïves et archaïques, les malades sont en prière et l’un d’eux porte la main au front en se relevant à demi. Une inscription complète l’expression du tableau, la deuxième ligne très nette spécifie que : …plusieurs malades furent guéris. L’usure empêche de déchiffrer dans quelle circonstance exacte le fait se produisit, ce que déterminerait évidemment la première ligne de l’inscription.
A quelle époque remonte cette tapisserie et à quelle région se réfère sa fabrication?
Nous avons eu recours, pour tâcher de le déterminer, à l’aimable obligeance de M. le Président de la Commission du Musée de Bourges, dont le père fut aussi celui du Musée de cette ville si riche en variés et curieux souvenirs d’art.
Grâce â l’obligeance de M. D. Mater nous avons pu obtenir l’autorisation de photographier la tapisserie décrite et relever aux registres du Musée sa provenance.
Elle faisait partie d’un legs que le Musée bénéficiat vers 1840 de la part d’un bienfaiteur d’Issoudun.
Aucun autre renseignement d’origine n’étant annexé au registre, nous avons étendu nos recherches sur les indications de M. Mater aux travaux du LXVe congrès d’Archéologie de France tenu précisément à Dourges en 1898.
A son occasion furent étudiées et décrites des tapisseries de facture assez analogue à la précédente, quoique plus récentes et d’un caractère moins archaïque.
Je veux parler d’une série incomplète de tapisseries citées à l’inventaire de la chapelle ancienne de Saint-Ursin près de Bourges, retrouvées dans les combles du séminaire diocésain et données au Musée. Ces tapisseries ont été décrites par M. Mater et M. l’abbé Guitard.
[p. 303] Elles portent en tête, comme celles que nous citons, des inscriptions analogues relatant et expliquant les tableaux qu’elles soulignent.
C’est en une série de tableaux les faits saillants de la vie du saint jusques et y compris le martyre, la mort et le transport des reliques.
C’est ce dernier tableau seul que possède le musée touchant saint Etienne ; c’était aussi apparemment le seul intéressant à notre point de vue comme figuration de cure de la folie par fuite du démon s’envolant de têtes guéries.
Les tapisseries de Saint-Ursin, de même caractère et de même facture que la nôtre, quoique plus récentes, ont pu être déterminées par MM. Mater et Guitard comme de provenance locale.
Elles furent selon toute probabilité tissées à Bourges même par des artistes étrangers appelés de Paris et des Flandres.
C’était alors l’usage de faire venir les ouvriers spéciaux pour les faire travailler sur place ; c’est ainsi que, dès 1385, Jean de Berry installait dans la grande salle de son palais de Bourges des tapissiers pour un travail commandé (1).
Un certain nombre de ces ouvriers spéciaux étaient ainsi fixés à demeure en Berry ; la ville de Bourges, où la draperie était alors dans toute sa prospérité, cherchait à implanter dans ses murs l’industrie artistique qui avait pris un si brillant développement dans le nord de la France. On peut en effet lire dans les comptes de la ville dès 1561 ; « a p. de Hercelin, tapicier de haute lice C S T pour subvenir aux frais qu’il a convenu faire pour l’abituer en cette ville (2).
C’est vers le milieu environ de la période écoulée entre les deux précédentes dates que nous placerions l’époque de la confection de la tapisserie de saint Etienne précitée, soit dans la seconde moitié du XVe siècle.
L’armoirie citée au-dessus de la porte de ville pourrait, par étude de l’armorial local de l’époque, permettre d’établir la ville représentée ou peut-être le donateur des tapisseries à une des nombreuses églises consacrées à saint Etienne.
Nos connaissances en matière d’armorial ne nous permettent pas de tenter cette recherche.
Qu’il nous suffise d’appeler par cette note l’attention sur un nouvel exemple d’art ancien où se retrouve une fois de plus la curieuse manifestation en quelque sorte stéréotypée à l’époque de la croyance a la nature démoniaque de la folie.

(1) A. d. c. Champeaux et p. Gauchery, Les travaux d’art exécutés par Jean de France, duc de Berry, p. 179.
(2) Baron de Girardot, Les artistes la ville et de la cathédrale de Bourges, p. 37.

 

 

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