Pierquin. Sur le retour des Âmes, & de la manière dont les Morts peuvent s’apparoître aux Vivans. Vingtième dissertation. Extrait des « Œuvres physiques et géographiques », (Paris), 1744, pp. 363-372.
Jean Pierquin (1676-1742). Bachelier en Théologie, il fut ordonné prêtre en 1701. Il avait une bonne connaissance de la médecine et d’autres sciences dont l’étude le passionnait. Quelques publications :
— Dissertation physico-théologique touchant la conception de Jésus-Christ dans le sein de la Vierge Marie, Amsterdam, 1742
— Œuvres physiques et géographiques, Paris, 1744 (recueil de ses articles parus dans le Journal de Verdun).
Réflexions sur les transformations Magiques. Vingt-troisième dissertation. Extrait des « Œuvres physiques et géographiques », (Paris), 1744, pp. 387-392. [en ligne sur notre site]
— Vie de Saint-Juvin, ermite et confesseur, Nancy, 1732.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original. – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr
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Vingtième dissertation.
Sur le retour des Ames, & de la
manière dont les Morts peuvent
s’apparoître aux Vivans.
Acquiescer à toutes histoires qu’on raconte du retour des Ames, c’est crédulité imbécille : ne vouloir pas qu’aucun Mort soit jamais revenu en ce monde, c’est être ridiculement esprit fort : mais reconnoître que Dieu a permis quelquefois ces sortes d’apparitions, qu’il peut les repeter quand il lui plait, & que l’imagination en impose souvent sur cet article, c’est tenir à mon gré un sentiment raisonnable.
On a peine à comprendre de quelle sorte l’Ame humaine, qui est un pur esprit, peut s’apparoître, & comment une substance qui n’eft pas étendue petit faire impression sur des sens corporels. Pour résoudre cette question, d’habiles Philosophes supposent que [p. 364] l’Ame quittant sa dépouille mortelle, emporte avec elle unvéhicule éthéré qui conserve la ressemblance du corp qu’elle animoit.
Selon les Philosophe, l’Ame dirige les mouvemens de ce véhicule, elle le contient, lui donne telle figure qu’il lui plaît ; & elle peut s’apparoître , ou se cacher selon qu’elle le resserre ou le déplie. Comme il est aussi subtil que la lumière, il en a les propriétés ; & c’est pour cela, disent-ils, que les ressemblances des Morts, quelques naïves qu’elles paroissent, ne sont que des masses vuides, & trompeuses, & n’ont pas plus de réalité que ces images légères des objets qu’on voit dans un miroir, & qu’on ne peut saisir. Enfin, si l’Ame vient à battre avec harmonie l’air enfermé dans le creux de ce véhicule, il y raisonne ainsi dans les jeux d’une orgue, & de cette manière elle imite la voix humaine peu nette, & enrouée, & pousse des gémissemens lugubres.
Evode, & Nebride charmés de ce sentimets, s’efforçoit de le faire goûter à S. Augustin. « N’est-il pas certain, lui disoit Evode que l’ame de Samuel parut [p. 365] revêtue d’un corps, lorsqu’elle fut évoquée à la prière de Saül ? & l’Evangile ne nous apprend-il pas que Moïse, dont le corps avoit été enterré depuis si long-tems, parut de même avec un corps sur le Thabor, à la Transfiguration de Jésus-Christ ? ., On voit même par les Livres apocryphes, & par celui qu’on appelle les secrets de Moïse, que lorsqu’il monta sur la montagne pour y mourir, cette connexité nécessaire de toute ame avec quelque corps fit qu’en même tems qu’il en quitta un qui ne demandoit plus que la terre , il en concerva un autre par où il devint le compagnon de l’Ange qui l’avoit conduit.
Cette hypothèse est ingénieuse : cependant si l’Ame séparée se montre lorsqu’elle resserre le véhicule aérien qui l’enveloppe , & qui conferve la ressemblance du corps qu’elle avoit sur la terre, il s’enfuit qu’elle doit être visible à tous présens quand elle s’apparoît ; puisque son véhicule alors dur & solide par le rapprochement de ses parties réfléchit de tous côtés les raïons de la lumière. Mais ou sçait que les Efprits dans le même moment où ils s’apparoissent aux [p. 366] uns, peuvent, s’ils le ·veulent , se cacher aux autres le serviteur d’Elizée n’appercevoit pas les troupes célestes, ces chevaux, & ces chariots de feu qui étoient autour de lui.
D’ailleurs, sans que l’ame soit contrainte à traîner avec elle un véhicule, elle peut produire ces merveilles par la seule motion de nos organes sensitifs. Les nerfs de ces organes viennent tous du cerveau, & leurs filets qui sont d’une extrême délicatesse , ne peuvent être ébranlés par les objets extérieurs, qu’ils ne s’ébranlent aussi-tôt dans le lieu de leur origine : semblables à la corde d’un luth qu’on a pincée en un endroit, & qui tremble dans toute sa longueur. C’est ce méchanisme si simple qui cause nos sensations ; toutes les fois que ces filets font remués au-dehors, notre ame voie, entend, goûte, ou flaire ; & elle imagine seulement, si ces mêmes filets ne font ébranlés que dans le cerveau. C’est un assujettissement pour elle, mais c’est une suite nécessaire de son union.
Cela supposé, si un Mort à qui Dieu permettoit de s’apparoître , faisoit mouvoir par ses desirs occasionnels les filets nerveux [p. 367] de notre retine, de la même manière que son corps vêtu pourroit faire par sa présence, nous verrions tout-à-coup ce Mort devant nous tel qu’il étoit dans aa chair, & avec ses habillemens : s’il produisoit sur la membrane spirale de l’oreille interne , & dans les filets des nerfs acoustiques, des vibrations pareilles aux tremblemens de l’air brisé qui formoit pendant sa vie les différentes infléxions de sa voix, il nous sembleroit l’entendre parler lui-même ; & s’il faisoit ces sortes d’impressions uniquement sur nos sens, il se feroit voir, & ouir, à nous seuls, & demeureroit caché à tous ceux qui seroient auprès de nous.
On ne doit pas s’étonner que les Morts puissent s’apparoître ainsi, soit quand on veille, ou quand on dort, puisque les parties les plus subtiles du sang qui forment ce qu’on appelle les Esprits animaux, font souvent le même effet. Si elles viennent à s’exalter jusqu’à émouvoir les filets intérieurs des nerfs avec autant de force que les objets ont coutume d’en remuer les bouts extérieurs, on sent aussitôt ce qu’on ne devroit qu’imaginer, & I’on croit voir devant ses ïeux mille choses qui ne font [p. 368] que dans les traces du cerveau ; c’est ce qui arrive dans la folie, & dans la fièvre chaude, & c’est ce qui cause le plus grand nombre des apparitions.
Je m’explique : lorsque les parties spiritueuses du vin, libres de leur tartre assoupissant, pénètrent pendant le sommeil jusqu’aux filets chargés des traces représentatives des objets, elles les éclairent, & remuent tout ensemble avec tant de force, & en élèvent des phantômes si touchans, qu’un ivrogne encore enveloppé des vapeurs bacchiques à son réveil, juge que ce songe extrêmement vif est une véritable aventure : & peut-être que la conférence de Luther avec le Diable, si elle n’est pas feinte, tire de-là son origine.
Les grands jeûnes, & les veilles redoublées échauffent beaucoup la masse du fang, & la dépouillent de ses parties graisseuses, ce qui fait raïonner extraordinairement les esprits animaux ; d’où viennent quelquefois plusieurs apparitions brillantes. M, Caloux , dont la mémoire est en bénédiction dans toute la Ville, & le Diocèse de Reims, & qui étoit fbon Directeur ,en étoit si perutadé qu’il se défioit de toures Ies [p. 369] visions qui suivent les austérités indiscretes : plus sage en cela que Tertullien, qui croioit ainsi qu’un oracle sa dévote, qui pendant ses extases fanatiques s’imaginoit voir autour d’elle les ames de couleur bleue, & de sexe différent.
Les meurtriers ont d’ordinaire le jugement troublé par la grandeur de leurs crimes, & le souvenir importun des malheureux qu’ils ont fait périr, grave dans leur cerveau des traces profondes , & sensibles, qui sont presque toujours ouvertes, & que les esprits animaux agitent pendant le sommeil avec une extrême vivacité ; c’est pourquoi ils voient souvent en songe les tristes phantômes de ceux qu’ils ont sacrifiés. Neron songeoit presque toutes les nuits qu’il voioit sa mère qui l’appelloit aux enfers ; & quelques Historiens assurent que la Reine Elizabeth fut long-tems tourmentée pat l’ombre de Marie Stuart, qui dans des rêves affreux se présentoit à elle pâle, & sanglante.
Ces images entretenues par trop d’attention, en deviennent quelquefois si impérieuses, qu’elles font leur effet même [p. 370] pendant le jour , & avec des traits si hardis, & fi épouventables, que des meurtriers en sont morts de fraïeur. Non seulement ils s’imaginoient que ceux qu’ils avoient fait mourir les poursuivoient sans cesse, mais ils les rencontraient dans des objets qui se présentoient à leurs Ïeux. Théodoric Roi des Gots, avoit l’imagination tellement brouillée du meurtre qu’il avoit commis en la personne de son beau-pere, qqu’unI jour, dit Procope, ses Officicers aiant servi sur la table la tête d’un grand poisson, il crut voir dans le plat la tête de Symmaque fraichement coupée, qui se mordoit la Ievre, & le regardoit d’un œil furieux, & il en fut si épouvanté qu’il lui prit un grand frisson ; il se mit au lit, & mourut pleurant amèrement son crime.
L’amour, l’Infamie, & le désespoir qui inondent une ame affligée, peuvent exciter de pareilles illusions. La Dame Guerin en fournit un exemple tragique. Aïant appris que son époux, Avocat Général au Parlement d’Aix, devoit avoir la tête tranchée à Paris, elle s’abandonna à une tristesse si impétueuse, & son imagination, & [p. 371] ses sens furent tellement ébranlés par l’excès de la douleur, que le jour, & à l’heure même de l’exécution elle crut voir sur une de ses mains le visage agonisant de ce cher époux qui lui jettoit un regard tendre & pitoïable, & qui lui disoit le dernier dieu.
Enfin, si ceux qui vont de nuit croient rencontrer des Phantômes, c’est que leur imagination timide, frappée d’un objet qu’ils ne peuvent distinguer nettement, parce que leurs Ïeux ne le voient que de loin, ou dans l’obscurité, s’ébranle, & se dérègle. Tous les contes d’ombres noires dont les nourrices les ont souvent amusés, se réveillent ; & comme plus on craint les morts, plus on s’applique aux images qui les représentent, ces traces ouvertes en deviennent plus profondes , & mieux formées : de forte que les esprits animaux qui trouvent de la résistance à peindre l’image trouble d’un objet nouveau qu’ils n’ont reçu que foiblement, changent de route, entraînés par la force d’une imagination effraïée , & vont se rendre dans les traces de ces prétendus phantômes : ces traces [p. 372] aggrandies par cet écoulement d’esprits tumultueux, en augmentent les idées , &: les faitt raïonner si vivement dans tout le cerveau, que ces voïageurs s’imaginent voir des Esprits, où il n’y a souvent qu’un moulin à vent, ou le tronc tortu d’un vieil arbre.
(1).L’image « Fantôme » est d’Odilon Redon.
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