Pierquin. Eclaircissemens sur le Sabat des Sorciers. Réflexions Physiques sur les causes & les effets de l’Incube. Vingt-sixième dissertation. Extrait des « Œuvres physiques et géographiques », (Paris), 1744, pp. 380-386.

Pierquin. Eclaircissemens sur le Sabat des Sorciers. Réflexions Physiques sur les causes & les effets de l’Incube. Vingt-sixième dissertation. Extrait des « Œuvres physiques et géographiques », (Paris), 1744, pp. 380-386.

Jean Pierquin (1676-1742). Bachelier en Théologie, il fut ordonné prêtre en 1701. Il avait une bonne connaissance de la médecine et d’autres sciences dont l’étude le passionnait. Quelques publications :
— Dissertation physico-théologique touchant la conception de Jésus-Christ dans le sein de la Vierge Marie, Amsterdam, 1742
— Œuvres physiques et géographiques, Paris, 1744 (recueil de ses articles parus dans le Journal de Verdun).
— Vie de Saint-Juvin, ermite et confesseur, Nancy, 1732.
— Sur le retour des Ames, & de la manière dont les Morts peuvent s’apparoître aux Vivans. Vingtième dissertation. Extrait des « Œuvres physiques et géographiques », (Paris), 1744, pp. 363-372. [en ligne sur notre site]

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
 – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

Vingt-deuxième dissertation.
Ou Eclaircissemens sur le Sabat
des Sorciers.

[p. 380]

Ce n’est pas sans raison que S. Augusin, ou peut-être Alkher, décide dans la livre de l’Esprit & de l’Ame, ch. 28. que le Sabat des Sorciers n’est qu’un songe vif, & trompeur. On a gardé exactement plusieurs de ces malheureux qui se vantoient d’être les chefs, & les conducteurs des autres , & on les a vu dans leur lits, pendant le tems où ils assuroient qu’ils avoient été a cet affreux rendez-vous : c’est ce qu’attestent le Cardinal Cajetan, le P. Juenin, & un bon nombre de Sçavans.

Mais on demande si le Diable cest l’auteur de cette illusion, ou si les Sorciers ne font que des visionnaires, dont le cerveau a été sais, & déréglé, par les histoires surprenantes qu’on leur a faites du Sabat. Le [p. 381] Démon osa montrer à Jésus-Christ, dans le point de la plus ravissante perspective, tous les Roïaumes du monde & lagloire qui les accompagne ; ainsi je ne doute pas que cet esprit de malice n’eut la puissance de tromrer nos sens, si Dieu le lui permettoit, mais aussi j’estime qu’on peut expliquer par des principes naturels les avantures les plus merveilleuses du Sabat.

Les phantômes qu’il présente ont changé suivant le goût différent des siècles, & ont suivi les contes populaires. Sous  l’Empire au Grand Constantin, & sous nos Rois Merovingiens, les Sorciers voioient au Sabat Minerve, & Diane, dans tous leurs charmes, & avec une superbe suite de courtisannes, parce qu’alors ces misérables personnes, comme parle S. Eloy, étoient encore adorées des Payens, & que les mères en contoient tous les jours des merveilles à leurs enfans. Aussi-tôt que les peuples furent détrompés par les saints Évêques, ces phantômes s’évanouirent, & d’autres leur succederent.

On inventa du tems de Pepin, que les Sorciers s’assembloient dans le païs chimérique de Magodie, ou Herodias tenoit [p. 382] disoit-on, le Bal des Fées ; qu’ils y recevoient des poudres nuisibles, & qu’ensuite ils s’embarquoient dans les nues et venoient prendre terre où il leur plaisoit. Cette fable irrita la curiosité des simples, & corrompit un si grand nombre d’idiots, que Charlemagne, & Louis le Débonnaire furent obligés de sévir par des Ordonnances rigoureuses.

Enfin on s’avisa d’assurer, que les Sorciers n’avoient pour président qu’un puant Bouc, & qu’après avoir dansé en rond autour de lui, ils étoient contraints d’aller les uns après les autres lui baiser le derriere. Rien n’auroit dû ce semble, être plus efficace que ce conte ridicule, pour dégoûter du Sabat, & le rendre méprisable : mais il fut assaisonné de circonstances si étranges. & si amusantes, & tant de fois répété par les femmelettes, & les superstitieux, qu’il s’est conservé jusqu’à notre tems de race en race parmi le petit peuple, en sorte que les Sorciers d’aujourd’hui, comme l’observe M. de Sainte-Beuve , croient voir au Sabat ce vilain animal.

Il y a, dit-on, des Sorciers, qui pour courir avec plus de vitesse sans lassitude, se [p. 383] frottent d’un onguent composé d’axonge humaine. de, mandragore pulvérisée, de jus d’ache, de pavots, de panais sauvages, & de quelques autres herbes semblables : mais, bien loin d’être enlevés par la cheminée, & de courir en l’air sur un manche de balai, ils s’endorment, comme l’a remarqué à Porta en une vieille Sorcière, qui se graissoit tous les samedis pour aller au Sabat.

La raifon en est, que les particules grossières de cet onguent engourdissent les fibres de la dure-mere, dont le ressort harmonieux  aide à la distribution économique des esprits animaux, & à la tension des nerfs & des muscles & que d’ailleurs ses parties les plus subtiles pénètrent  jusques dans le corps moëlleux du cerveau, où est le magasin des traces ; elles remuent celles que représentent les contes du Sabat plutôt que les autres, & d’une manière plus vive, parce qu’elles sont plus ouvertes, plus frayées, plus susceptibles d’ébranlement.

Je n’expliquerai point ici comment les Sorciers d’imagination se forment, ni de quelle sorte ils communiquent cette folie à leurs femme, & leurs enfans ; le P. Mallebranche, [p. 384] & M. Regis ont excellemment traité ce sujet : j’ajouterai néanmoins à leur hypothèse la solution de certains problêmes qu’ils ont négligés, & qui me paroissent intéressans.

On observe que Ies enfans perdent entièrement l’habitude d’aller au Sabat, lorsqu’on les éloigne des misérables qui les ont débauchés. Cela vient sans doute de ce que le cerveau d’un jeune enfant est fort souple, & que les traces du Sabat qui y sont peintes, n’étant plus entretenues ni fortifiées par le discours d’un visionnaire pathétique, ou par la force de l’onguent, s’effacent si parfaitement, que les esprits animaux ne peuvent plus y en réveiller les images,

Il n’en est pas ainsi des vieux Sorciers ; la plupart ont beau se repentir, ils se trouvent au Sabat quand ils dorment , parce que les traces que les objets du Sabat ont agrandjes dans leur cervcau pendant plusieurs années, sont devenues si profondes qu’elles demeurent toujours entr’ouvertes ; d’où vient que les esprits s’y portent avec une extrême facilité pendant le sommeil , & y réveillent machinaleent les images des choses qu’elle renferment. [p. 385]

On a vu certains Sorciers qui avoient le cerveau si façonné aux extravagances du Sabat, que sans se frotter d’onguent, ils croioient être enlevés toutes les nuits pendans leur sommeil. Trois Echelles, & Bras de fer, avoient, dit-on, cette puissance. C’est que leurs esprits animaux entraînés par la force de l’habitude, couloient d’eux-mêmes dans toutes les traces du Sabat, &. en remuoient vivement les images.

Les Démonographes rapportent que les Sorciers qui se frottent les tempes, & le col, arrivent plus promptement à l’assemblée, que ceux qui ne se graissent que les extrêmités du corps ; & cette particularité a quelque vraisemblance. Lorsque cet onguent est appliqué sur les bras, ou sous le jarret, ses parties roulent long tems dans la masse du fang, & parcourent la plûpart des veines avant de gagner le cerveau : mais quand elles sont répandues sur les tempes, ou aux environs du col, elles s’insinuent dans les artères carotides, & sont en un moment portées au cerveau, où elles forment bientôt le profond sommeil, & ces songes brillans qui charment les Sorciers.

Si les parties de cet onguent, au lieu de [p. 386] s’arrêter dans le réservoir des traces, s’écouloient précipitamment dans la moelle de l’épine, & dans les nerfs qui font jouer les muscles, elles ne formeroient aucun songe dont on pût se souvenir : c’est pour cela que cous ceux qui se graissent ne vont point au Sabat.

Enfin l’onguent des Sorciers peut Erre très­nuisible, quand il n’est pas bien préparé, surtout quand la jusquiame & la mandragore ne sont pas corrigées par les herbes contraires. Il peut causer la mort, éteignant la vivacité des esprits, ou faire des obstructions funestes dans les membres. On a vû des personnes qui sont demeurées pendant toute leur vie percluses de la moitié de leur corps & d’autres qui ont été misérablement étouffées par les poisons de cet onguent, par avoir eu la folle curiosité de se graisse, afin d’aller au Sabat.

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3 commentaires pour “Pierquin. Eclaircissemens sur le Sabat des Sorciers. Réflexions Physiques sur les causes & les effets de l’Incube. Vingt-sixième dissertation. Extrait des « Œuvres physiques et géographiques », (Paris), 1744, pp. 380-386.”

  1. bonnerotLe jeudi 5 octobre 2017 à 4 h 56 min

    Bonjour,
    Mériterait peut-être un signalement, l’édition toujours disponible de la curieuse étude de l’abbé PIERQUIN : « Dissertation physico-théologique touchant la conception virginale de Jésus », Jérôme MILLON éditeur.

  2. Arthur HouplainLe samedi 18 novembre 2017 à 11 h 03 min

    Juste pour vous signaler que le livre que vous citez n’a pas été écrit par Claude-Charles Pierquin de Gembloux mais par Jean Pierquin. La publication date de 1744, impossible donc que Claude-Charles l’ait écrit, lui qui est né en 1798…

  3. Michel ColléeLe dimanche 19 novembre 2017 à 12 h 46 min

    Un grand merci cher lecteur pour ces remarques tout à fait pertinente. J’ai effectué les rectifications ad hoc. Merci encore. Bien cordialement.