Lux Dr. Personnalités multiples et possessions. Article parut dans la revue « Le monde invisible », (Paris) 1899, pp. 568-571.
Le Dr Lux est un pseudonyme de l’un de rédacteurs de la revue de Elie Méric, Le monde invisible, qui parut de 1898 à 1908,
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original. – Nous avons renvoyé la note originale de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr
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PERSONNALlTÉS MULTIPLES ET POSSESSIONS
Depuis plus de trente ans, les phénomènes qu’a présentés Mollie Fancher, de Brooklyn, intriguent le monde médical. De nombreux articles ont été consacrés à ce phénomène dans les journaux spirites, entre autres dans la Lumière, et dans les journaux médicaux, politiques, etc. Récemment le juge Dailey a publié sur ce remarquable sujet un livre très important surtout inspiré des théories de Pierre Janet sur les personnalités multiples. Charles Dawbern a consacré au même sujet dans le Banner of Light du 5 mars, un article qui défend les mêmes théories en les compliquant. Il mondo segreto, d’avril, sous le signature de J. d’Angelo, s’efforce de placer le problème sur son véritable terrain, mais ne conclut pas, tandis que The Harbinqer of Light, de Melbourne, du 1er mai, combat énergiquement les conclusions de Dailey et celles de Dawbern.
Relatons d’abord ce que nous savons de Mollie Faucher. Née à Attlaborough (Massachusetts), le l6 août 1848, elle reçut une excellente éducation. Elle aimait l’équitation et fit un jour une chute de cheval, mais guérit assez vite de ses blessures, sans avoir présenté de symptômes extraordinaires. Mais un jour de juin, en 1865, en descendant d’un tramway en mouvement, elle resta accrochée par ses vêtements, tomba et fut traînée sur le sol à une assez grande distance ; ce fut miracle qu’elle ne périt pas. Portée chez sa tante, miss Crossby, de Brooklyn, elle resta là de longues années, jusqu’à la mort de cette tante. Elle souffrit beaucoup des suites de son accident, et au moment où elle commençait à se remettre, elle fut prise, le 2 février 1866, de phénomènes de contracture. Son corps se courba en cercle, de sorte que les pieds allèrent toucher la tête. Le 8 février, elle tomba en catalepsie et resta dans cet état jusqu’à la fin du mois. Lorsqu’elle reprit sa connaissance, ce fut pour perdre la vue, l’ouïe et la parole ; les mâchoires se contractèrent et restèrent étroitement fermées, les jambes s’enroulèrent l’une autour de l’autre jusqu’à former un triple tour (?), le pharynx se contracta de façon à ne plus laisser passer aucun aliment, [p. 569] et l’estomac s’aplatit à un tel point qu’en posant la main sur lui, on arrivait immédiatement sur la colonne vertébrale. Convulsions et catalepsie se succédèrent en alternant d’une manière continue. Lorsqu’elle sortait de l’état cataleptique, il n’y avait pas de sommeil possible pour elle, de sorte que la catalepsie y suppléait pour ainsi dire.
On pouvait tout au plus faire passer entre ses dents du jus de fruits et de l’eau, et ces substances étaient absorbées par la muqueuse buccale, car rien ne passait dans l’estomac. Elle resta ainsi sans prendre de nourriture pendant douze ans. Elle n’était plus en communication avec le monde extérieur que par le toucher, et au moyen de celui-ci, elle lisait livres et journaux, et distinguait tous les objets et même les couleurs. Pendant les neuf premières années de cet état singulier, les yeux restèrent presque constamment fermés ; elle ne les ouvrait que pendant les périodes de relâchement musculaire, mais ne voyait pas. Durant toute cette période, le bras droit resta relevé derrière la tête, et bien que les mains restassent étroitement refluées, par la contracture spasmodique des doigts, elle écrivit dans ces neuf années 6,500 lettres, fit des travaux de lainage et mit en œuvre 100,000 onces anglaises de cire pour confectionner des fleurs artificielles qu’elle colorait à la perfection. Tout ce travail se faisait au-dessus de sa tête, la main gauche se rapprochant de la main droite ; dans le poing gauche fermé étaient fixés le crayon, la plume ou tout autre objet dont elle avait besoin.
Le plus extraordinaire, c’est que son état mental, loin de devenir plus mauvais, se perfectionna progressivement par le développement des facultés qu’on appelle médiumniques, et qu’elle a conservées depuis lors. Elle lit parfaitement des lettres fermées et cachetées, sans les tenir dans la main : elle voit ce qui se passe dans des habitations même très éloignées, décrivant avec exactitude les êtres, la toilette des personnes, leurs occupations actuelles, etc, Il n’existe pas d’obstacle matériel pour l’exercice de cette faculté de voyance, chez elle ; elle voit les personnes, quand elle le veut, dans quelque quartier de la ville qu’elles se trouvent et annonce toujours l’arrivée de celles qui sont en route pour la visiter. Elle se tient au courant des nouvelles et lit toujours avidement les journaux et les livres. Sa conversation est quelquefois assez brillante, bien qu’entrecoupée de paroxysmes douloureux : qui lui font ardemment désirer la mort, car celle-ci n’est, à son idée, que l’entrée dans une vie supérieure, exempte de souffrances. [p. 570]
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A la fin de la période des neuf années, dont nous avons parlé plus haut, Mollie Faucher tomba dans un état si complet de catalepsie qu’on la crut morte ; mais au bout d’un mois, le bras droit se relâcha enfin, les jambes se redressèrent, les mains se rouvrirent, le corps reprit sa souplesse, et elle recouvra la vie et son entière connaissance. Grand fut son émoi, quand pensant n’avoir dormi qu’une nuit elle apprit qu’elle sortait d’une période d’oubli de neuf années ; elle en éprouva un grand chagrin ; c’était une lacune absolue dans sa vie. Lorsqu’on lui raconta toutes les merveilles qu’elle avait accomplies durant ce laps de temps et qu’on lui montra le magnifique travail de ses propres mains, elle ne voulut pas y croire, se sentant incapable de rien faire de si artistique.
Un jour, par la suite, comme elle feuilletait le journal qu’elle avait écrit avec son poing, pendant une si longue série d’années, et cherchait à se rendre compte de ce fait extraordinaire, elle s’écria : « En examinant ces fleurs de cire, que j’ai faites de mes propres mains, je puis penser qu’elles sont mon œuvre, et j’éprouve même une certaine répugnance à les regarder, car elles me font en quelque sorte l’effet d’avoir été confectionnées par une morte. Je sens qu’il y a cinq Mollie, mais qui ou quoi elles sont, je ne saurais le dire ni me l’expliquer. Je suis inconsciente de tout ce qui m’arrive dans l’état de trance ; mais quelquefois je me rends compte bien nettement de l’endroit où j’ai été et de ce que j’ai vu. Je constate avec satisfaction que j’ai vu, d’une façon que je ne m’explique pas, quitter mon corps et me rendre au milieu des personnes qui me sont chères. Dans mes migrations, je puis voir dans toutes les directions sans être gênée par aucune opacité ni aucun obstacle matériel. Parfois je me trouve dans des régions très élevées de l’espace où je vois souvent ma mère et d’autres amis. D’autres fois, quand je me sens déprimée, je puis même entendre la tendre voix de ma mère m’exhorter à prendre courage. »
A l’époque où miss Fancher tenait ce langage, elle était arrivée dans cette période curieuse de sa vie où se manifestèrent en elle jusqu’à cinq individualités bien différentes. Leurs allures rappellent absolument les soi-disant esprits guides qui s’observent dans la médiumnité ordinaire. Ainsi à différents moments de la journée miss Faucher présente un caractère différent, se transfigure même, parle d’une voix différente et semble être devenue une autre personne ; les actes et le langage de chacune des individualités qui se manifestent ainsi sont conformes à l’âge qu’elles prétendent avoir. Chaque changement de personnalité est précédé de spasmes et de catalepsie.
- Sargent, un intime de la famille et très dévoué aux intérêts de miss Faucher, mais peu versé dans les sciences psychiques, fut vivement impressionné et intrigué, quand se manifestèrent les diverses personnalités. Pour ne pas les confondre, il assigna à chacune d’elles un nom différent, et alors put s’assurer qu’il s’agissait réellement d’individualités bien distinctes, douées de facultés, et en particulier d’une mémoire distincte. Voici comment il raconte sa première expérience de ce genre : « Ma première connaissance avec Idol date du 8 avril 1886. Je me trouvais chez miss Crossby (la tante de Mollie Fancher), quand miss Faucher tomba en catalepsie, et à ma grande surprise et à mon grand embarras, elle s’approcha de moi et demanda qui j’étais. La tante me présenta alors comme un ami, et je fus courtoisement accueilli. A cette occasion, la tante m’apprit que cette deuxième personnalité (Idol) se manifestait depuis environ trois années, et elle en était affligée, parce qu’il en résultait une recrudescence de souffrance pour Mollie. ldol était la Mollie n°2, tandis que Sunbeam (Rayon de soleil), le n°1, se rapportait à miss Fancher dans son état partiellement normal. Une autre fois se présenta la troisième Mollie, nommée Rosebud (Bouton de rose) qui interrogée sur son âge, dit voir eu sept ans en août dernier et raconta toutes sortes de particularités sur l’école où elle allait, nommant aussi les professeurs et ses compagnes. Peu après se manifesta une quatrième Mollie, nommée Paer, et une année plus tard une cinquième Mollie appelée Ruby. Généralement ces individualités se manifestent dans l’ordre susdit et témoignent de penchants et d’un tempérament bien distincts. On croirait difficilement qu’il s’agit d’un même être, d’une seule individualité si l’on ne considérait qu’il est possible de trouver un certain rapport d’identification entre ces diverses personnalités et certaines époques de la vie de miss Mollie Fancher. Cependant chacune semble être totalement inconsciente de l’existence des autres. » [p. 572]
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Les phénomènes merveilleux que présente miss Faucher ont été étudiés par des chercheurs compétents dans les différentes phases de sa vie extraordinaire ; chaque nouvelle investigation venait confirmer les résultats obtenus dans les précédentes ; de nombreux articles publiés dans les journaux en font foi. Le juge Dailey à son tour s’est livré à un examen minutieux de tontes les particularités offertes par ce sujet exceptionnel, et cela depuis le 6 février 1893 : il a conversé avec les cinq Mollie et noté bien des incidents curieux. Ce qu’il y a de plus étrange, c’est que ni miss Fancher ni les autres Mollie n’ont aucune souvenance de cette période de sommeil de neuf années qui va de 1869 à 1878 ; c’est une lacune absolue dans leur mémoire. M. d’Angelo constate que le problème de savoir qui et quoi sont les cinq Mollie reste parfaitement énigmatique. Faut-il admettre que chacune de ces pseudo-entités correspond aux acquis d’une portion de la vie de miss Fancher ? Le psychologue italien semble pencher en faveur de cette hypothèse, mais reconnait que la volonté du sujet n’est pour rien dans ces phénomènes complexes qui paraitraient plutôt se dérouler sous l’influence d’une force ou d’un opérateur invisible, par quelque sage dessein qui deviendra clair par la suite. En somme, M. d’Angelo n’est pas hostile à l’intervention d’une force occulte.
Celle-ci apparaît déjà bien nette dans ce fait que miss Fancher vécut plusieurs mois, ceux qui suivirent sa chute, sans manger ni boire et que pendant les neuf années qui suivirent, un peu de liquide seulement passa par ses lèvres. Des exercices répétés ont prouvé que les fonctions de nutrition et d’assimilation se sont trouvées suspendues chez elle pendant très longtemps. Comment la vie a-t-elle été entretenue dans ce corps en apparence inerte ? Par des procédés spirituels bien certainement. Le tort qu’a eu l’entourage de miss Fancher, cela a été de ne pas mettre en rapport avec elle quelque médium voyant ou psychomètre. D’autre part, en ce qui concerne la question des individualités multiples, il est plus naturel d’expliquer le phénomène par la prise de possession du corps de miss Faucher, pendant les phases d’émancipation de son esprit, par diverses entités désireuses de se mettre en rapport avec le monde sensible que d’avoir recours à l’hypothèse d’une sorte de fragmentation de l’esprit de Mollie, chaque fragment présentant un caractère, des facultés, une mémoire différents. Nous ne sortons pas ainsi [p. 573] du cadre des phénomènes connus du spiritisme. Mais que penser des idées de M. Ch, Dawbern, qui est cependant un spirite éprouvé et sincère ; non seulement il a adopté les théories de P. Janet et considère le cas de miss Mollie Fancher comme une démonstration de l’universalité de la conscience multiple, d’où à ses yeux nouvelle difficulté pour la détermination de l’identité des esprits, mais il va plus loin et pense, avec certains occultistes suspects, que dans les séances spirites. les assistants créent des personnalités, des sortes d’entités conscientes, qui subsistent et reviennent au premier appel. Où irions-nous avec de semblables théories ? Le spiritisme est certainement plus simple que tou cela, et ce n’est pas la peine d’insister.
L’auteur anonyme de l’intéressant article publié dans The Harb, of Light rappelle à cette occasion le cas de Laurancy Vennum, de Wascka (Ohio), dans lequel la théorie des personnalités multiples est nettement tenue en échec. Cette jeune fille avait des accès nerveux, des trances, et présentait divers symptômes qui, dans l’esprit de ses médecins, la désignaient indubitablement pour l’asile d’aliénés. Heureusement intervint un ami de la famille, M. Hoff qui était spirite, et reconnut dans les manifestations que présentait cette jeune fille l’influence des esprits ; il introduisit le D Stevens qui était quelque peu versé dans les sciences psychiques, et obtint, dans une longue séance qui fut organisée, la preuve de la présence d’un esprit contrôlant miss Vennum. Dans l’une de ses tranccs se manifesta très distinctement la fille défunte de M. Hoff qui annonça qu’elle continuerait à occuper le corps de la malade jusqu’à sa guérison complète. A partir de cet instant, Laurancy Vennum devint en tout et pour tout Mary Hoff : elle reconnut ses parents en M. et Mme Hoff, se rappela les faits et gestes d’anciens amis et un grand nombre d’autres incidents et traita ses parents naturels jusqu’à un certain point en étrangers. Cet état de choses dura trois mois, au bout desquels elle redevint Laurancy Vennum et revint vers ses parents parfaitement guérie. Les témoignages les plus irréfragables en faveur de ce fait ont été fournis : tout ce qui le concerne a été publié dans le Religio-philosophical Journal et plus tard sous forme d’un mémoire séparé publié par les bureaux de ce journal, en 1891.
Qu’on ne vienne pas nous parler de conscience multiple : nous avons déjà assez de peine à comprendre les deux états de conscience qu’on appelle conscience externe ou normale et conscience interne ou spirituelle ; c’est toujours le même moi qui est en jeu ici, [p. 574] qu’il s’agisse de la conscience ordinaire ou de la conscience somnambulique, etc. Aksakof dans son grand ouvrage sur « Animisme et Spiritisme » a traité magistralement cette question. En dehors de cela, s’il s’agit de personnalités multiples, c’est qu’il y a substitution d’un autre esprit à celui du sujet dans le corps de celui-ci (1).
Dr Lux.
(La Lumière.)
NOTE
(1) L’explication des personnalités multiples, par des possessions successives d’un caractère démoniaque, jette un grand jour sur un problème dont les philosophes et les physiologistes n’ont pas trouve la solution. L’Evangile nous apprend que Jésus-Christ chassa, un jour, sept démons d’un corps d’un malheureux possédé. Cette succession de démons dans le corps d’un homme correspondait à la succession des personnalités et des rôles du sujet.
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