Paul Imbs. Cauchemar. Extrait du « Trésor de la langue française. Dictionnaire de la langue du XIXe et du XXe siècle (179-1960) », (Paris), tome cinquième (cageot-constat), 1977, pp. 214-315.
Paul Imbs (1908-1987). Linguiste et lexicographe, agrégé de grammaire. Fondateur du Centre de recherche pour un Trésor de la langue française (CRTLF), devenu l’Institut national de la langue française (INALF), puis (ATILF) d’Analyse et traitement informatique de la langue française.
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CAUCHEMAR, subst. masc.
A.— Vieilli. État d’oppression ou d’étouffement qui survient durant le sommeil. Le cauchemar d’un malade :
- À l’aspect de ces difficultés, il fut découragé. Le monde social et le monde judiciaire lui pesaient sur la poitrine comme un cauchemar.
BALZAC, Le Colonel Chabert, 1835, p. 76.
Rem. Le cauchemar a été autrefois attribué à l’intervention d’un démon, d’un incube, de génies malfaisants. Smarra est le nom primitif du mauvais esprit auquel les Anciens rapportaient le triste phénomène du cauchemar (NODIER, Smarra, 1821, p. 21).
— P. ext., usuel. Rêve pénible ou effrayant qui réveille le dormeur en le laissant dans un malaise ou dans l’angoisse. Sommeil peuplé de cauchemars :
- Dans mon enfance j’étais sujet à de fréquents cauchemars, qui me laissaient terrorisé ; je me réveillais en criant ou clans les larmes et craignais de me rendormir. GIDE, Journal, 1929, p. 939.
- Si calme, si gentil ! comme un ami qu’un cauchemar vous a montré étendu mort et sanglant et qu’on retrouve au réveil, souriant, futile, animé, si inconscient de la menace. GRACQ, Un Beau ténébreux, 1945, p. 101.
SYNT. Cauchemar atroce, horrible ; cauchemar de descente, de poursuite ; abominable, sinistre cauchemar ; s’éveiller d’un cauchemar ; se débattre contre un cauchemar.
B.— P. anal. Ce qui provoque la peur, la panique. l’horreur, l’aversion. [p. 314, colonne 2]
— [En parlant d’une pers.] être le cauchemar de qqn ; le cauchemar de ma jeunesse. Celui qu’il [Bixiou] aimait le plus à vexer était le jeune La Billardière, sa bête noire, son cauchemar (BALZAC, Les employés, 187, p. 102.
— [En parlant d’une atmosphère, d’une situation, d’un état psychol.] Visions de cauchemar :
- Ce qui paraît vrai, ce qui paraît solide, c’est ce cauchemar du travail forcé, des brutalités, de l’injustice ; ce qui paraît faux et fragile, c’est l‘ordre, la liberté, le bonheur. GREEN, Journal, 1946.
SYNT. Le cauchemar de l’écrasement, de la guerre, de l’invasion : une journée, une maison, une prison, un silence, un visage de cauchemar ; forêts de cauchemar ; sombrer dans un cauchemar ; sortir d’un cauchemar.
Par hyperbole, fam. Ce qui crée des soucis excessifs. — C’est un cauchemar cette chimie ; sûr et certain que je vais me faire coller(S. de BEAUVOIR, Les mandarins, 1954, p.201).
¤¤ Prononc. Et Orth. : [kɔʃmair] ou [ko-]. [ɔ] ouvert ds. FÉR. 1768, FÉR. Crit. t. I, 1787, GATTEL 1841, NOD. 1844.FÉIL. 1851 et PtROB.; [o] fermé ds LAND, 1834, LITTRÉ, DG, Dub. Lan. fr. ; [o] ou [ɔ] ds PASSY 1914, BARBEAU-RHODE 1930, Pt Lav. 1968 et WARN. 1968. Pour l’hésitation entre [ɔ] et [o] cf. aussi MART. Comment prononce 1913, p. 116. FOUCHÉ Prononç. 1959, p. 76 : « La prononciation hésite entre [o] et [ɔ] dans (…) cauchemar, causticité, caustique, cauter, (-iser, ––). » Cf. encore KAMM. 1964, p. 85 et, pour une liste de mots, BUBEN 1935, § 44. Ds Ac. 1694-1932 ; variantes cochemareds Ac. 1694, cochemar. Cf. Ac. 1718-1740. Qq. Dict. admettent également la forme cochemar. Cf. FÉR. 1768, FÉR. Crit. t. I, 1787 (qui note qu’on l’écrit aussi cochemare) et GATTEL 1841. FÉR. 1768, et FÉR. Crit. t. I, 1787 signalent que Nicot a dit cauchemare ; ils ajoutent que les Picards disent cauquemare et les lyonnais cauquevieille ; Pour d’autres formes provinciales cf. Lav.19e : chauchi-vieilli (Isères) ; chauchevieille (Rhône) ; cf. LITTRÉ : chaouche-vielio (Languedoc). Étymol. et Hist. 1. Ca 1375 cauquemare (SYM. DE HESDIN, Val. Max., fol. 54a ds GDF. Compl. : Quand il semble que aucune chose viengne a son lit, qu’il semble qu’il monte sur lui, et le tient si fort que l’on ne peut parler ne mouvoir, et ce appelle le commun cauquemare, mais les médecins l’appellent incubes [cf. incubeau sens de « cauchemar, suffocation » 1584-90 Du BARTAS ds HUG.]) ; ce malaise a souvent été attribué à l’action de sorcières, d’où quauquemaire « sorcière » 1440-42, (LEFRANC, Champ. Des Dames, Ars. 3121, f°120d ds GDF.) ; 1564 cauchemare(J. TJOERRY, Dict. fr.lat.) ; 1677 cauchemar(MIÈGE, A new dict., fr. and engl.) ; 1718 (Ac. : c’est un homme qui donne le cauchemar) : 1835 (Ac. Cet homme est un véritable cauchemar) ; 2.p. ext. 1833 « rêve effrayant » (G. SAND, Lélia, p. 112). Composé pour le premier élément de la forme verbale cauche, de cauchier, « pressé », qui, étant donné l’orig. pic. du composé (cf. 1580, BODIN, Demon., 108 V° ds HUG. : Au pays de Valois et de Pycardie, il y a une sorte de sorcières qu’ils appellent cochemares), représente prob. un croisement entre l’a. fr. chauchier« fouler, presser » attesté sous cette forme dep. La 2emoitié du XIIe s. (Li Sermon saint Bernart, 159, 22, ds T.-L.), du latin calcare (v. côcher) et la forme pic. Mare (1285-1300Gloss abarus [Marchiennes, Nord], 1407 ds ROQUES, p. 37 : incubus : mare), empr. au m. néerl. mare« fantôme qui provoque le cauchemar », VERDAM, auquel correspondent l’ags. mare« spectre » [angl. nightmare], l’a. h. all., m. h. all. mar [n. h. all. Mahr] (De Vries, Nederl. ; KLUGE 20). Fréq. abs. littér. : I 033. Fréq. rel. littér. : XIXe s. a) 463, b) 1420 ; XXe s : a) 2304, b) 1850.
¤¤ DÉR. 1. Cauchemarder, verbe intrans. a) Fatiguer comme un cauchemar ; ennuyer, importuner. Emploi pronom., pop. S’inquiéter, se tourmenter. Hein ! est-elle assez canulante ! il faut qu’elle se cauchemarde (ZOLA, L’Assommoir, 1877, p. 470). b) Faire des cauchemars. La nuit (…) il cauchemarde. Il roule à bicyclette (…) Un pneu éclate avec un soupir aigre (…) Il pique une tête dans la Loire (GENEVOIX, La Boîte à pêche, 1926, p. 160). Rem. On rencontre en outre ds la docum. l’adv. cauchemardement. A la manière d’un cauchemar. C’est une suite de récits cauchemardement fantastiques (E. et J. DE GONCOUR, Journal, 1894, p.606). — [kɔʃmaRde] ou [ko-], (je) cauchemarde[kɔ(o)maRd]. Au sujet du timbre de -au-, cf. cauchemar. — 1reattest. 1840 (Cogniard Frères, Roland furieux, XIII ds QUEM. Fichier) ; de cauchemar, dés. -er, avec intercalation de -dsur le modèle de dérivés de mots en -ard, tels que bavard/bavarder. — Fréq. abs. littér. : 2. 2. Cauchemardant, ante, adj. a) Qui donne le cauchemar ; affreux ; obsédant. Une laideur cocasse, [p. 315, colonne 1] farce et cauchemardante (GYP, Souvenirs d’une petite fille, 1928, p. 53). Le second mouvement, (…), devient une sorte de cauchemardante marche funèbre (S. LIFAR, Traité de chorégr., 1952, p. 70). Pop. [En parlant d’une chose ou d’une pers.] Importun, ,ennuyeux à l’excès. La loquacité de chacune de ces deux vieilles abandonnées est cauchemardante. Elles radotent éperdument(GIDE, Voyage au Congo, 1927, p. 838). — Fréq. abs. Iittér. : 2. 3. Cauchemardesque, cauchemaresque, adj. Qui produit l’impression d’un cauchemar ; terrifiant, fantastique. Un rêve biscornu cauchemaresque (E. et J. DE GONCOURT, op. cit., p. 915) ; dans cauchemardesque, la poésie des Chants de Maldoror (…) a délivré une région du rêve et de la fantasmagorie la plus douloureuse, la plus hagarde, qui aurait dû faire oublier les Fleurs du mal (AYMÉ, Le Confort intellectuel, 1949, p. 39). — [[kɔʃmaRdɛsk ou [ko-]. Au sujet du timbre de -au, cf. cauchemar. Aucune transcr. de cauchemardesque. Lar. 20eet DUB. : cauchemardesque ; Lar. encyclop.: cauchemardesqueou cauchemardeux ; ROB. Suppl. 1970 :cauchemardesque, cauchemardeuxet cauchemaresque.— 1res attest. a) 1919 cauchemardesque (BENOIT, L’Atlantide, p. 174) ; (E. DE GONCOURT, La Faustin, p. 319) ; a de cauchemar, suff. –esqueavec intercalation de -d-d’apr. cauchemarder ; b) de cauchemar, suff. -esque. — Fréq. abs. littér. Cauchemardesque : 2. cauchemaresque : 6.
¤¤ BBG.— MIGL. 1968 [1927], p. 317. — PAMART (P.) . Écriture artiste et créations verb. Qq. glanures à travers le j. des goncourt. Vie Lang. 1970, p. 306 (s.v. cauchemaresque).
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