Observations et documents sur les paramnésies. L’impression de « entièrement nouveau » et celle de « déjà vu ». Par Ludovic Dugas. 1894.

DUGASPRAMENSIE1-0001Ludovic Dugas. Observations et documents sur les paramnésies. L’impression de « entièrement nouveau » et celle de « déjà vu ». Article parut dans la « Revue de philosophie de la France et de l’étranger », (Paris), dix-neuvième année, tome XXXVIII, juillet-décembre 1894, pp. 40-46.

Cet article a donné lieu à une remarque sous forme de courrier à M. le Rédacteur de la revue, par Jules-Jean Van Biervliet. – Sur la paramnésie ou fausse mémoire. Article parut dans la « Revue de philosophie de la France et de l’étranger », (Paris), 2, 1894, pp. 47-46. [en ligne sur notre site] et d’une analyse de M. Jules  : Sulla Paramnesia, o salsa mémoire. Nota dei prof. Toto Vignoli.  [en ligne sur notre site]

Ludovic Dugas (1857-1942). Agrégé de philosophie, Docteur es lettre, bien connu pour avoir repris de Leibnitz, dans ses Essais sur l’Entendement humain, tome II, chapitre XXI, le concept de psittacus, et en avoir inscrit définitivement le concept de psittacisme dans la psychiatre française par son ouvrage : Le psittacisme et la pensée symbolique. Psychologie du nominalisme. Paris, Félix Alcan, 1896. 1 vol. in-8°, 2 ffnch., 202 p. Dans la « Bibliothèque de Philosophie Contemporaine ».
Du même auteur : Un cas de dépersonnalisation. Observations et documents. In « Revue philosophique de la France et de l’Etranger », (Paris), vingt-troisième année, tome XLV, janvier-février 1898, pp. 500-507. [en ligne sur notre site]

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’ouvrage. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original. – Par commodité nous avons renvoyé en fin d’article les notes originales de bas de page. – Les images ainsi que les notes bibliographiques ont été ajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

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OBSERVATIONS ET DOCUMENTS SUR LES PARAMNÉSIES

L’IMPRESSION DE « L’ENTIÈREMENT NOUVEAU » ET CELLE
DU « DÉJA VU »

Ce n’est pas par amour de l’antithèse que je rapproche ces deux états contraires, Je les rattache à une même cause. Contrariorum eadem est scientia. J’ai décrit la fausse mémoire (1), d’après des observations prises sur le vif et détaillées par le menu ; j’étudierai par la même méthode le phénomène inverse.

A certaines époques de sa vie, lors de son mariage, lors de la mort de son père et de sa mère, X. s’est trouvée dans un état d’esprit particulier. Elle était, dit-elle, comme extérieure à sa vie, elle se regardait parler et agir, elle s’étonnait de ses paroles et de ses actes. Elle se disait : « Est-ce bien moi qui en ce moment reçois des visites dans mon salon, prononce des paroles banales, demande aux gens des nouvelles de leur santé, ris avec eux, pendant que mon vrai moi suit un autre cours de pensées, est tout entier sous l’impression du grand changement qui s’est fait dans ma vie ? Oui. C’est bien moi. Je me vois, je m’entends, mais j’assiste à ce que je fais comme s’il s’agissait d’une autre. Je ne me reconnais plus. J’ai l’impression de l’étrange, de l’inconnu en face de la réalité actuelle. Je ne peux situer mes sensations nouvelles dans mon moi ancien. Le présent me [p.41] fait l’effet d’un intrus. » X, ajoute que cette impression se reproduit sans cesse : elle y échappe un moment, en évoquant le souvenir qui l’explique. Puis le présent la ressaisit et l’impression renaît, pour être chassée à nouveau par les faits rappelés, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’un équilibre s’établisse entre le présent senti et le passé évoqué.

Il y a ici antinomie entre le moi profond. et le moi superficiel, entre le moi vrai, sincère qui s’épanouit dans la joie ou qui se noie dans le chagrin, et le moi conventionnel, qui joue son rôle, qui suit ses habitudes, qui remplit sa tâche quotidienne et se plie à ce qu’exigent les circonstances, Cette antinomie, tout le monde l’a sentie, mais X. l’éprouve sous la forme d’une impression poignante, d’un saisissement, comme d’un coup au cœur. Pour qu’elle se sente ainsi étrangère à elle-même, ce n’est pas assez qu’elle ait une préoccupation grave, une idée obsédante, il faut qu’elle traverse ce qu’elle appelle « une crise sentimentale ». L’impression d’étrangeté en face du présent vient de l’impossibilité de mettre d’accord le moi superficiel, léger, que la vie emporte, et le moi profond que tout son passé retient et enchaîne.

L’état qu’on vient de décrire n’a rien de rare. Chacun en trouvera d’analogues dans sa propre expérience. Pourtant, éprouver en face de choses inconnues l’impression de l’entièrement nouveau n’est, en un sens, ni moins étrange ni moins exceptionnel que d’éprouver celle du déjà vu. En effet, connaître, c’est proprement reconnaître.

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« C’est comparer un souvenir à une sensation. Nous ne comprendrions pas ce qui n’aurait aucun analogue dans notre passé, ce qui n’éveillerait rien en nous. Platon avait raison de soutenir que connaître, c’était à moitié se souvenir, qu’il y a toujours en nous quelque chose qui correspond au savoir qu’on nous apporte du dehors. » (Guyau, Genèse de l’idée de temps, p. 21.) Il n’y a rien pour l’adulte d’absolument nouveau, Ce qui lui apparaît pour la première fois vient se ranger parmi des choses analogues dans un cadre d’avance tracé par l’esprit. L’être, parvenu à la réflexion, ou seulement capable d’organiser ses sensations, a perdu, si j’ose dire, la virginité intellectuelle, il n’a plus, il ne peut plus avoir ces sensations singulières, incomparables, uniques, qui sont l’enchantement de la vie naissante. L’imagination de Buffon s’efforce en vain de nous rendre l’émotion du premier homme jetant sur le monde un regard ébloui. Nous sommes exilés du Paradis terrestre, en ce sens que nous ne retrouverons jamais les impressions d’une âme vierge devant le spectacle des choses, quoique la raison nous persuade que ce spectacle ait dû en fait demeurer le même et soit toujours beau, comme [p. 42] au premier jour de la création (2). C’est le désespoir des grands voluptueux, personnifiés en don Juan, de poursuivre des sensations inouïes, toujours insaisissables. Le génie des poètes ne va pas jusqu’à nous communiquer des émotions nouvelles ; tout au plus donne-t-il à nos sentiments une apparente jeunesse et fait-il que des choses anciennes nous « rient d’une fraîche nouvelleté ». Ainsi l’impression de l’absolument nouveau nous échappe.

Mais elle ne nous échappe pas toujours. Elle est rare et fugitive, cependant elle ne laisse pas d’apparaître parfois comme un éclair qui illuminerait soudain notre vie grise et monotone. Le seul fait qu’on s’obstine à la recherche de cette impression insaisissable et fuyante prouve qu’on l’a ressentie, Ignoti nulla cupido. Si l’on veut entièrement comprendre l’état décrit plus haut, il faut admettre avec Fouillée et Guyau, contrairement à la théorie de Kant, qu’on peut, du moins pour un moment, lequel je suppose aussi court qu’on voudra, sortir de la prison phénoménale du temps et de l’espace, et éprouver une sensation sans aucunement la situer. Il faut bien qu’il en soit ainsi ; car s’il était aussi impossible à la sensibilité d’échapper à ses formes qu’au corps de fuir son ombre, la théorie même de Kant n’aurait jamais pu être exposée ni comprise. Si la matière et la forme étaient vraiment pour l’esprit inséparables, comment l’esprit les aurait-il séparées, comment aurait-il posé les formes à priori de l’espace et du temps à part de la matière à laquelle ces formes s’appliquent, c’est-à-dire à part de la sensation ? Il est permis d’en appeler de Kant à lui-même. Ce qui demeure de l’Esthétique transcendantale, c’est cette vérité, soupçonnée avant Kant, mais pour la première fois formulée par lui avec une entière précision, que la sensation est déjà toute pénétrée d’intelligence. Kant lui-même nous invite à remonter, si possible, jusqu’à la sensation pure. Or nous disons que cette sensation serait intemporelle ; nous disons qu’elle l’a été à l’origine, et qu’elle peut encore accidentellement le redevenir. « On peut très bien concevoir qu’un animal eût des représentations sans aucune représentation du temps. Il pourrait avoir des affections de plaisir et de douleur uniquement présentes ; il pourrait se figurer tout sous forme d’étendue tangible ou visible, sans mémoire proprement dite, en vivant dans un présent continuel sans passé et sans [p. 43] avenir … Plongez-le à chaque instant dans le fleuve du Léthé, ou supposez que, soit par un arrêt de développement cérébral, soit par une lésion cérébrale, l’animal s’oublie sans cesse lui-même à chaque instant ; les images continueront de surgir dans sa tête ; il y aura des liens cérébraux entre ces images et certains mouvements par le seul fait qu’une première fois images et mouvements auront coïncidé ; l’animal aura donc, à chaque instant, un ensemble de représentations et accomplira un ensemble de mouvements, déterminés par des connexions cérébrales, le tout sans la représentation de succession et sans le sentiment de la succession. Cet état, quelque hypothétique qu’il soit, doit ressembler à celui des animaux inférieurs… Même chez l’homme, il y a des cas maladifs où toute notion du temps semble disparue, où l’être agit par vision machinale des choses dans l’espace, sans distinction de passé et de présent, Nous pouvons nous en faire une idée, même à l’état sain ; il y a des cas d’absorption profonde dans une pensée ou dans un sentiment, d’extase même où le temps disparaît de la conscience. Nous ne sentons plus la succession de nos états ; nous sommes en chaque instant tout entiers à cet instant même, réduits à l’état d’esprits momentanés, sans comparaison, sans souvenir, totalement perdus dans notre pensée ou dans notre sentiment. Si on nous fait tout à coup sortir de cette sorte de paralysie portant sur la représentation de la durée, nous sommes incapables de dire s’il s’est écoulé une minute ou une heure ; nous sortons comme d’un rêve où sur notre monde intérieur détruit le temps aurait dormi immobile. La représentation du temps est donc du luxe. » (Fouillée, Introduction à la Genèse de l’idée de temps par Guyau.) Il y a des moments où l’esprit oublie tout ce qu’il a acquis, redevient enfant, se dégage de son expérience, de ses théories, et retrouve sa spontanéité originelle, Ne peut-on pas supposer qu’il se dégage même parfois de ces premières expériences d’où est sortie la notion du temps ? Ne peut-on pas dire qu’aujourd’hui encore il lui arrive de sentir sans intellectualiser ses sensations, je veux dire sans les faire entrer dans ce qu’on appelle les cadres à priori de l’espace et du temps ? On expliquera, si l’on veut, par l’atavisme ces formes particulières du sentir, d’où la représentation du temps est exclue. La sensation a sa préhistoire, laquelle explique son histoire même. Kant nous met au défi de nous représenter une sensation hors du temps. Au nom de l’expérience nous relevons ce défi. En fait la représentation du temps est acquise, et on peut la perdre par la raison qu’on a pu l’acquérir. Guyau a décrit la genèse de l’idée de temps ; il a montré que cette idée est précédée de l’opération appelée discrimination et qu’elle en [p. 44] dérive Eprouver une sensation, c’est distinguer cette sensation d’une autre ou l’assimiler à une autre, c’est donc la situer, ou immédiatement après une autre dont elle diffère, ou à côté d’une autre à laquelle elle ressemble. Le jugement de dissemblancc produit la représentation du temps, en tant que cette représentation est celle d’une antécédence immédiate ; le jugement de ressemblance produit la représentation du temps, en tant que cette représentation est celle d’une antériorité lointaine, ou non immédiate. Dès lors, supposons une sensation sans précédent, inouïe, qu’on ne puisse faire cadrer avec d’autres je ne dis pas même semblables, mais simplement analogues. Cette sensation originale, nous ne pourrons la situer dans le temps, la reporter dans le passé ; elle sera un commencement absolu, elle marquera une date, elle ouvrira une ère. Parmi les conditions de l’idée de temps Guyau mentionne l’association de chacune de nos sensations « à quelque fait intérieur plus ou moins émotif et d’une tonalité agréable ou pénible, comme disent les Allemands. » En d’autres termes, c’est l’accord de la sensation spéciale avec la sensibilité générale ou cœnesthésie qui rend possible la représentation du temps. Dans l’exemple de X. cet accord n’existe plus ; de là vient que X. s’étonne de ses sensations, les juge étranges, nouvelles, dépaysées dans le présent.

Il faut distinguer aussi deux manières d’apprécier le temps : l’une, directe, à l’aide des sensations, l’autre indirecte ou symbolique. La première est un sentiment plus ou moins vague et confus, la seconde est une représentation claire. Dans l’appréciation du temps « où n’entre plus d’autre élément que la conscience, c’est uniquement au nombre des images passées devant nos yeux que nous nous en référons pour juger du temps écoulé, et de là les erreurs les plus singulières. Tel rêve parait avoir duré plusieurs heures qui n’a en réalité duré que quelques secondes. » (Guyau). La sensation peut être considérée à deux points de vue : celui de la qualité et de la quantité, celui de l’intensité et de l’extension. La sensation, prise en soi, est intensive ; c’est se détourner de la sensation même, de son contenu, de sa matière, que de songer à la place qu’elle occupe dans l’espace proprement dit ou dans cet espace idéal qu’on appelle le temps ; situer la sensation, soit dans le temps, soit dans l’espace, c’est la penser au lieu de la sentir. Aussi arrive-t-il que, lorsque la sensation est de nature à remuer le moi jusqu’au fond, la notion du temps s’oblitère ou s’évanouit, devient erronée ou nulle. On ne s’applique plus alors à assigner à la sensation une date, c’est-à-dire à la comparer à une autre ou à un groupe d’autres similaires ; on ne la compare qu’à elle-même, on s’absorbe en elle, on en goüte la [p. 45] saveur première, on subit le charme de son originalité. Se perdre dans la sensation, c’est s’arracher au temps ; le rêve du sensuel, comme celui du mystique, revêt la forme de l’éternité, speciem æternilatis. Kant a raison de dire qu’on ne peut penser la sensation que sous la forme de l’espace et du temps ; il a tort de prétendre qu’on ne peut autrement la sentir. L’impression de l’entièrement nouveau naît en nous, toutes les fois que la sensation nous étreint et que la pensée nous quitte.

A l’appui de ce qui précède, je pourrais citer ce fait que certains esprits, également portés à goûter les sensations en elles-mêmes et à les comparer à d’autres, également doués sous le rapport de la sensibilité et de l’intelligence, comprennent pour ainsi dire d’emblée la profonde distinction que Kant établit entre la matière et la forme de la sensibilité. Marie Bashkirtseff parle quelque part de l’Esthétique transcendantale comme d’une théorie qu’elle trouve toute simple, parfaitement d’accord avec ce qu’elle a elle-même pensé et senti. Il lui était naturel sans doute, étant à la fois artiste enthousiaste et analyste subtil, de se placer tour à tour au point de vue de la sensation pure, dégagée du temps, et au point de vue de la pensée qui s’empare de la sensation et lui impose ses formes.

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II

On a vu comment l’esprit a une tendance à s’absorber dans le présent, et combien cette tendance est fortifiée par le contraste de la sensation et des souvenirs. Supposons inversement une sensation ou un groupe de sensations qui n’a rien d’original. (C’est le cas de toutes les sensations qui donnent lieu à la fausse mémoire ; la banalité est leur trait distinctif.) Cette sensation n’aura aucune répugnance à entrer dans le cadre des sensations antérieures ; il est vrai qu’en raison même de sa banalité, elle n’entrera dans aucun groupe de sensations antérieures déterminé ; en d’autres termes, elle viendra d’elle-même se situer dans le temps, mais elle ne se situera proprement dans aucun temps ; elle appartiendra au passé, non à tel moment du passé ; elle sera reconnue, elle ne sera point localisée; et on croira l’avoir rêvée, parce qu’on ne pourra dire quand on l’a vécue, quoiqu’on ait l’impression ou l’illusion très nette de l’avoir vécue déjà. Nous avions précédemment, d’accord, sans le savoir, avec M. Fouillée, considéré la fausse mémoire comme « un phénomène d’écho ou de répétition intérieure », comme « une diplopie dans le temps. » « Quand on voit double dans l’espace, c’est que les [p. 46] deux images ne se superposent pas ; de même quand on voit double dans le temps, c’est qu’il y a dans les centres cérébraux un manque de synergie et de simultanéité, grâce auquel les ondulations similaires ne se confondent pas entièrement ; il en résulte dans la conscience une image double, l’une vive, l’autre ayant l’affaiblissement du souvenir. Le stéréoscope intérieur se trouvant dérangé, les deux images ne se confondent plus de manière à ne former qu’un seul objet. » M. Fouillée ajoute : « Au reste toute explication complète est impossible dans l’état actuel de la science, mais ces cas maladifs nous font comprendre que l’apparence du familier et du connu tient à un certain sentiment aussi indéfinissable que l’impression du bleu et du rouge, et qu’on peut considérer comme un sentiment de répétition ou de duplication. » Cette dernière proposition est capitale : l’explication de la fausse mémoire nous paraît devoir en sortir. Si nous admettons en effet, d’une part que la reconnaissance d’une image comme passée peut se produire en dehors de toute localisation de cette image dans le passé, et d’autre part que la reconnaissance d’une image peut provenir de la simple assimilation de cette image à d’autres, en dehors de toute représentation du temps, nous pouvons comprendre qu’un esprit naturellement enclin à saisir et à s’exagérer la ressemblance des choses ait, à un moment donné, le sentiment aigu de cette ressemblance, et éprouve l’impression de déjà vu en face de choses réellement nouvelles ; tout de même qu’un esprit enclin à saisir au contraire la différence des choses peut avoir, à un moment donné, le sentiment aigu de cette différence, et éprouver, en face de choses rentrant dans le train ordinaire de la vie, l’impression de l’entièrement nouveau. Il faut admettre en outre que les esprits capables d’éprouver l’une ou l’autre de ces impressions contraires, infèrent le temps de la nuance particulière de leurs sensations, et ainsi peuvent être appelés sensitifs par opposition aux intellectuels, lesquels ont la représentation, non le sentiment du temps. La diplopie (3) imaginée par Fouillée pour rendre compte de l’impression du déjà vu et de celle de l’entièrement nouveau, n’est rien de plus, selon nous, que la succession immédiate ou la transition brusque du mode sensitif au mode intellectuel de la perception. Ainsi la perception sensible elle­même a ses espèces ; et dans cette perception apparaît déjà la différence des esprits.

L. DUGAS.

NOTES

(1) Voir le numéro de janvier 1894.

(2) Cf. Hugo : Légende des siècles, Le Sacre de la femme,

Ineffablee lever du premier rayon d’or !
Du jour éclairent tout sans rien savoir encor !
O matin des matin ! amour ! joie effrenée
De commencer le temps, l’heure, le mois, l’Année !
Ouverture du monde : Instant prodigieux !

(3) Le même mécanisme explique, selon Fouillée, pourquoi on peut se souvenir de ce qu’on n’a jamais vu, et pourquoi « on peut se souvenir, sans reconnaître qu’on se souvient, et en éprouver le sentiment de la nouveauté. C’est qu’alors la duplicité normale des images est abolie, et on n’en voit qu’une, quand il en faudrait voir deux. C’est l’inverse des cas de fausse mémoire, où l’unité normale des images est abolie au profit d’une duplicité anormale.
J’ai constaté chez X. et chez les paramnèsiques que j’ai observés le caractère de sensitivité dont je parle. Je remarquerai encore que l’audition colorée atteste une sensitivité aiguë ; or, je l’ai constatée chez deux paramnétiques, l’un dont j’ai parlé dans un précédent article, l’autre que j’ai connu depuis. Ce dernier me signale encore, comme une particularité de son esprit, la facilité avec laquelle il s’abstrait du temps et de l’espace. Arvède Barine nous apprend que Musset avait de l’audition colorée ; il était aussi probablement paramnétique (je le suppose sur la foi des deux vers de Rolla que j’ai cités dans mon précédent article). On n’a pas de peine à croire qu’il était un sensitif.

 

 

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1 commentaire pour “Observations et documents sur les paramnésies. L’impression de « entièrement nouveau » et celle de « déjà vu ». Par Ludovic Dugas. 1894.”

  1. EvertonLe mercredi 26 août 2015 à 0 h 10 min

    Shoot, so that’s that one supepsos.