Nicolas Vaschide. Les recherches sur les rêves du Marquis d’Hervey de Saint-Denis. Extrait de la « Revue de psychiatrie : médecine mentale, neurologie, psychologie », (Paris), 5e série, tome X, année, tome 10, 1906, pp. 45-65.

Nicolas Vaschide. Les recherches sur les rêves du Marquis d’Hervey de Saint-Denis. Extrait de la « Revue de psychiatrie : médecine mentale, neurologie, psychologie », (Paris), 5e série, tome X, année, tome 10, 1906, pp. 45-65.

 

Nous renvoyons pour ce qui est de la biobibliographie des auteurs à notre note en ligne :Nicolas Vaschide & Henri Piéron. Références bio-bibliographiques sur le sommeil, les songes et les rêves. Par Michel Collée. 2018.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
 – Nus avons rectifié plusieurs fautes de typographie. – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p. 45]

LES RECHERCHES EXPÉRIMENTALES SUR LES RÊVES (IV) (1)

LES RECHERCHES SUR LES RÊVES DU MARQUIS
D’HERVEY-SAINT-DENIS
Par M. N. VASCHIDE
Chef des travaux du laboratoire de psychologie expérimentale
de l’Ecole des Hautes-Etudes (Paris)

I

Le marquis d’Hervey, souvent appelé dans les livres classiques, marquis de Saint-Denis, fut un très savant homme ; ses recherches sur les rêves me paraissent importantes, car elles s’appuient sur des expériences et sur des recherches personnelles. Ceux qui ne se contentent pas de publier la moindre observation sur les rêves sans songer qu’il existe toute une littérature sérieuse sur l’histoire de la question, retrouveront dans la lecture du livre de cet auteur toute une riche documentation, tout un matériel de premier ordre, qu’on lira toujours avec intérêt. Le fait que le livre de Maury a prévalu sur celui du marquis d’Hervey s’explique par l’allure plus scientifique du premier, par sa manière plus logique, plus objective et plus riche en critique d’envisager le problème ; le marquis d’Hervey se laisse plus facilement tenter par des généralisations plus littéraires, plus agréables à lire, mais certainement plus dangereuses à être considérées comme telles, et sans contrôle suffisant pour un savant.

Son volume intitulé : « Les Rêves et les moyens de les diriger, a comme sous-titre : « Observations pratiques » et comme motto [sic] la phrase bien connue de Pascal : « Si nous rêvions toutes les nuits la même chose, elle nous affecterait autant que les objets que nous voyons tous les jours ». Il parut en 1867 à Paris, chez l’éditeur Amyot, 8, rue de la Paix, avec une couverture illustrée en deux couleurs, traversée par un éclair brisé juste au milieu de la page.

En haut, on trouve un dessin allégorique, des images avec signes plus ou moins bizarres, la ronde classique des fantômes, la cathédrale perdue dans un lointain très lointain, comme disent les légendes, des oiseaux aux longues ailes, des anges qui voltigent calmement, une idylle digne du moyen-âge, des portiques antiques et des nymphes en sortant comme par miracle, des escaliers comme nos cauchemars seulement nous suggèrent la possibilité de [p. 46] les concevoir ; et puis les métaphores et emblèmes des plus affreux cauchemars : des bolides, du feu brûlant, des serpents, des monstres, des animaux féroces, des hiboux et des chimères, les impénétrables chimères des songes. L’auteur n’a rien oublié des principaux mobiles des rêves ; il a fait dessiner même une locomotive qui avance vertigineusement dans l’air et se dirige probablement vers l’interminable escalier. En bas, le dessin est plus calme : un château dans la nuit, un peu désert ; seules les deux fenêtres éclairées évoquent la vie, mais une vie de rêve agréable, douce.

Le volume est en 8° et il a 446 pages ; il est écrit avec talent, dans une belle langue et avec connaissance du sujet ; on reconnaît aisément dans le marquis d’Hervey, l’auteur des délicieuses traductions des poésies chinoises : « Poésies chinoises de l’époque de Thonges », de même que l’historien de « la Révolution à Naples depuis 1793 », publiées chez le même auteur.

II

Le travail du marquis d’Hervey est divisé en trois parties, dont deux seulement sont vraiment importantes : la première, où il donne la méthode et la manière dont il conçut le problème : « Ce qu’on doit s’attendre à trouver dans ce livre et comment il fut composé (2) » et la troisième partie : « Observations pratiques sur les rêves et sur les moyens de les diriger (3) ». La deuxième partie est une critique des travaux connus, surtout ceux de l’antiquité, d’ailleurs presque les seuls qui valaient d’être remarqués à l’époque où l’auteur écrivit son livre, « Où, tout en rapportant les opinions des autres, il continue d’exposer les siennes (4) ». Après un résumé-conclusion (5), l’auteur cite en appendice (6), un très curieux rêve après avoir pris du haschisch.

Le livre du marquis d’Hervey est une vraie autobiographie, et voici dans quelles conditions il commence ses recherches sur le rêve. Elevé dans sa famille et n’ayant pas de camarade, il travaillait seul sans être soumis à une discipline sévère, d’où la possibilité d’avoir du temps libre à sa disposition. Pour faire passer ce temps, il crayonnait, ou il coloriait ce qu’il avait crayonné. « L’idée me vint un jour, dit-il, — il avait alors quatorze ans — de prendre pour sujet de croquer le souvenir d’un rêve singulier qui m’avait vivement impressionné. Le résultat m’ayant paru divertissant, j’eus bientôt un album spécial, où la représentation de chaque scène et de chaque figure, fut accompagnée d’une glose explicative, relatant soigneusement les circonstances qui avaient amené ou suivi l’apparition (7) ». Stimulé par l’idée d’enrichir son album, il essayait de s’habituer à retenir plus facilement ses rêves. [p. 47]

L’expérience lui montra qu’il ne saurait exister de nuits sans rêve et qu’il fallait accuser plutôt sa mémoire, là où il avait constaté tout d’abord une interruption réelle dans le déroulement des tableaux oniriques. Il remarqua encore, fait intéressant à noter, qu’il arrivait à avoir sur ses rêves une puissance de contrôle « pour en précipiter au besoin le cours dans telle ou telle direction qu’il lui convenait de leur imprimer (8) ». Sorti de l’enfance et essayant de connaître ce que les auteurs pensaient sur le sommeil et les rêves, il arriva à la constatation, d’ailleurs facile, que « les psychologues et les physiologistes les plus célèbres avaient à peine jeté quelques rayons d’une lumière indécise sur ce qu’il imaginait avoir été de leur part l’objet d’une élucidation directe ».

Le problème qui l’amusait tout d’abord l’intéressa ensuite, d’autant qu’il remarquait, que de plus en plus, il avait conservé dans le rêve une certaine liberté d’esprit. Il continuait à noter ses rêves et il ne manquait pas de secouer même avec violence, son sommeil pour noter avec le crayon placé tout près de son lit « presque à tâtons, les yeux demi-fermés » les images fugitives des rêves « si promptement évanouies devant le grand jour. »

A l’objection toute naturelle que l’auteur ne dormait point, pendant qu’il croyait réellement dormir, il répond comme il suit : « A cela, je répondrai sincèrement que je fus tout d’abord disposé moi-même à le soupçonner. Des maux de tête m’assaillaient, et je crus devoir interrompre mes élucubrations nocturnes ; mais un repos d’esprit relatif m’ayant rendu la santé sans altérer cette faculté définitivement acquise de m’observer parfois en rêvant, et vingt années s’étant écoulées depuis il faut admettre, ce me semble, que j’avais simplement éprouvé, au moral, ce qu’éprouvent, au physique, ceux qui développent par une gymnastique violente les si grandes ressources du corps humain : au lieu d’une courbature des membres, c’était une fatigue momentanée de l’esprit que j’avais ressentie. Or, si je suis porté à croire qu’il y aurait des organisations rebelles aux habitudes psychiques que j’ai contractées, comme il en est aussi d’incompatibles avec les exercices du trapèze et du tremplin, je n’en demeure pas moins aussi très persuadé qu’en s’y prenant, ainsi que je l’ai fait, dès l’âge où la nature se prête si complaisamment à tout ce qu’on exige d’elle, bon nombre de personnes arriveraient à maîtriser comme moi, les illusions de leurs songes, résultat inattendu sans doute, mais non point morbide ni anormal (9). »

Le journal de l’auteur forme vingt-deux cahiers remplis d’images coloriées, et il représente non moins de neuf mille cent quarante-six nuits, (environ cinq ans). Pendant les six premières semaines presque toutes les narrations sont coupées et pleines de lacunes ; il y a des jours où l’auteur avait noté qu’il ne se souvenait de rien.

La dernière mention de sommeil sans rêve remonte à la cent-soixante-dix neuvième nuit. Tandis que les oscillations de la [p. 48] mémoire deviennent de moins en moins accusées, l’abondance des rêves va en croissant. C’est à partir du cinquième mois que le contrôle sur les rêves devient plus serré, plus soutenu.

Voici quelques extraits du journal à cette époque : « 28 juin. — Rien, absolument rien ; j’ai beau me creuser la tête, je ne puis me rappeler ce que j’ai rêvé cette nuit. »

« 7 juillet. — (Après avoir détaillé quelques particularités d’un songe de la nuit) : Ceci me rappelle à l’instant, le rêve du jeudi de l’autre semaine, dont je ne m’étais pas souvenu du tout à mon réveil. J’étais aussi en bateau, etc. ; suit le récit du rêve. »

Six mois d’attention, mais d’attention soutenue, avaient suffi à l’auteur, pour accoutumer son esprit à veiller sur les rêves, et sa mémoire à les fixer. Depuis cette époque, pendant plus de vingt ans, il ne s’est pas passé un jour sans que la mémoire du réveil soit documentée et riche sur les excursions nocturnes de la pensée à tel point que d’Hervey pensait trouver le fil de tout son travail intellectuel.

L’analyse des rêves intéressa l’auteur, surtout, quand se souvenant de ses rêves, il aperçut les problèmes que de pareilles études posaient à toute pensée curieuse de pénétrer un peu plus dans ce domaine étrange des phénomènes « psycho-corporels » comme il les appelle. Avec le temps son mode d’observation évolua. Il lui arriva une nuit de rêver qu’il écrivait ses songes : au réveil, il n’avait pas eu conscience de cette situation toute particulière.

Hervey de Saint-Denis

L’idée du regret le poursuivit pendant plusieurs jours, quand le même songe revint avec la modification assez curieuse d’ailleurs, que les idées accessoires occupaient le rôle principal. Il eut, prétend-il, l’impression exacte qu’il rêvait et surtout qu’il pouvait envisager les particularités de la trame onirique de manière à mieux fixer et à garder le souvenir. Cette nouvelle méthode devint la seule qui l’intéressa. Il eut le sentiment de sa situation réelle dans le rêve, situation de sujet et d’objet en même temps, à la deux cent-septième nuit de son journal ; la seconde fois à la deux cent quatorzième. Six mois plus tard le fait se reproduit deux fois sur cinq nuits ; au bout d’un an trois fois sur quatre nuits et après quinze mois ce fut presque d’une manière quotidienne et depuis il ne lui arriva guère de s’abandonner aux illusions d’un songe « sans retrouver, du moins par intervalles, le sentiment de la réalité (10) ». [p. 49]

Pour Hervey de Saint-Denis « songe » et « rêve » sont des termes qui ont le même contenu, donc le même sens ; et il les emploie simultanément sans aucune différence. Il dépeint le rêve : « la représentation aux yeux de notre esprit des objets qui occupent notre pensée ». La mémoire est pour l’auteur comme une glace recouverte de collodion qui garde continuellement et « instantanément l’impression des images projetées sur elle par l’objectif de la chambre noire » ; la mémoire a en plus la supériorité de se renouveler d’elle-même par ses propres moyens d’action. Des images fondamentales — des clichés souvenirs — s’emmagasinent à l’infini dans la mémoire et souvent à notre insu. Il y a, en outre, une différence intense entre le fait du souvenir conscient et de celui de la connaissance de quelque chose qu’on retrouve dans sa pensée sans savoir qu’on s’est souvenu. Ces clichés souvenirs constituent un des éléments fondamentaux de la théorie du rêve. La netteté des images du rêve dépend de la perfection avec laquelle ces images fondamentales se sont originairement formées. Il y a pourtant des images tout à fait imparfaites, mais cela dépend de l’imperfection du sommeil. Si nous ne pouvons avoir aucune notion de certaines images, c’est un fait simplement passager ; nous avons perdu les souvenirs qui présidèrent à la formation de ces clichés souvenirs.

En modifiant le célèbre axiome, d’Hervey conclut : « Nihil est in visionibus somnorum quod non prius fuerit in visu », rien n’existe dans les images des rêves qui n’aurait existé tout d’abord dans la réalité, qui n’a été vu en d’autres termes.

La nature des clichés souvenirs est un élément à considérer. La vie multiplie, modifie continuellement ces clichés souvenirs.

L’imagination humaine qui court, qui plane, qui invente (dans la mesure de cette création du nouveau), de l’inconnu l’y trouve continuellement dans le rêve. Du reste, imaginer c’est combiner, faire appel à la mémoire, donc à ces clichés-souvenirs. Entre rêver et penser, il n’y a qu’une seule différence, la confirmation par la vie réelle. L’hallucination proprement dite n’est que le songe d’un homme éveillé. Le rêve nous présente tout l’échafaudage de la construction mentale qu’on n’aperçoit que rarement dans la vie réelle, la vie de la pensée consciente éveillée pour traduire exactement la pensée de cet auteur.

L’association des idées, ou la manière, selon l’auteur, comment s’établit en rêve le cours des idées, est expliquée assez ingénieusement. Hervey ne manque pas l’occasion de critiquer avec infiniment d’esprit les théoriciens qui savent trouver dans le système nerveux l’explication de toutes choses et qui ne sont pas embarrassés pour répondre : Les fibres cérébrales ne sont pas toutes fortement ébranlées et de la même manière. « Pour moi, ajoute-t-il, je réponds humblement : j’ignore ce qui se passe [p. 50] à la racine de mes fibres cérébrales, mais voici ce qui s’est passé dans le domaine ouvert à mes appréciations plus modestes (11). » Il rapporte deux de ses rêves dans son journal, (celui concernant une fleuriste et un rêve de mendiant), pour préciser sa pensée. Tout dépend de la manière dont notre mémoire se meuble. Tous, nous avons pu entrevoir dans le rêve des choses, en dehors de notre métier, et cela dans leur plus brillant éclat grâce à la force de l’imagination. L’ignorant qui ne sait pas même tenir le crayon à la main peut devenir tout à coup grâce au sommeil un artiste incomparable ; il invente, il crée, il exécute lui, qui, au fond est incapable, de rien de pareil. On aperçoit-de temps en temps dans le panorama des songes des monuments d’art, des travaux artistiques fort au-dessus des facultés du rêveur.

La logique nous conduit vers un dilemme : « Ou accorder une puissance surnaturelle à l’imagination de l’homme endormi, ou reconnaître qu’il devait posséder à son insu déjà dans les arcanes de sa mémoire tous les clichés-souvenirs capables de fournir ces remarquables visions. » Le surnaturel ne saurait jouer aucun rôle dans de pareilles observations pratiques, il faut donc incliner la balance vers la seconde proposition. Les dessins coloriés du journal d’Hervey lui facilitent l’illustration du rôle considérable et subconscient joué par l’expérience ; il cite l’exemple suivant : « Sur les murs d’un corridor il retrouve accrochée une vieille caricature sur laquelle semblaient calqués les traits et l’accoutrement d’une sorte de fantôme qui lui était apparu en songe deux ans auparavant (12). » Il y avait plus d’une année écoulée entre l’époque où il avait dû jeter un coup d’œil sur la caricature et son rêve ; le souvenir était si effacé qu’il avait pu dessiner et colorier le fantôme de son rêve sans penser à la vieille caricature. Il cite, à titre de document, une aventure vraie d’ailleurs : le songe dans lequel il vit en perspective la fameuse église de Sainte-Gudule et des vues de Bruxelles, tel qu’il est exposé avec des détails constitue une expérience scientifique.

Dans le rêve, les images, selon d’Hervey, s’associent, s’enchaînent suivant l’enchaînement des idées sensibles ; il y aura toujours corrélation entre « le mouvement déterminé par l’association des idées et l’évocation instantanée des images qui viendront successivement se peindre aux yeux de notre esprit (13). » L’image du rêve est la copie de l’idée. Le principal est l’idée, la substance ; la vision n’est qu’accessoire. Cela établi, il faut savoir suivre la marche des idées, il faut savoir analyser le tissu des rêves ; l’incohérence devient alors compréhensible, les conceptions les plus fantasques deviennent des faits simples et parfaitement logiques. Il y a une marche à suivre dans la manière dont l’analyse doit procéder dans ses incursions ; les panoramas oniriques ont leurs sentiers et une attention bien soutenue pousse à grimper, paraît-il, même dans [p. 51] ces palais enchantés si brillants et si émouvants dans leur architecture toute tissue d’images de songes.

Entre le rêve et la vie de veille il y a des états intermédiaires ; la rêvasserie en est une, et des plus typique. L’analyse des états de rêvasserie ne les rapproche-t-elle pas des songes ; la manière dont on passe de la vie de veille, (la vie réelle, lucide, dirigée par notre bon plaisir, par la conscience), au sommeil nous donne l’explication de toute la construction des tissus des rêves. Le marquis d’Hervey rappelle à ce sujet le cas du philosophe genevois : Georges Le Sage qui était sur le point, la légende le dit en tout cas, de devenir fou en s’efforçant inutilement de retrouver dans son esprit cette transition de la veille au sommeil. La rêvasserie, la somnolence, phénomènes éprouvés par tous les êtres, donnent pourtant la possibilité de retrouver cette transition ; dès qu’on commence à s’engourdir, dès qu’on est pris par cette torpeur bien connue de la somnolence, les images se dessinent plus claires, plus limpides à l’horizon de la conscience. On dirait que les images sont devenues subitement plus intenses, plus éclairées : un jet de lumière indéfinissable met plus en relief toutes les images, toutes les idées. Les visions se colorent ; elles se dessinent plus nettement. Dans l’insomnie, évoquée à juste raison, par l’auteur, ou dans l’attente impatiente du sommeil, on a la sensation que celui-ci est bien proche dès qu’on commence à distinguer des visions plus nettes, plus précises. L’assoupissement avec visions claires a, selon le marquis Hervey, des instants de sommeil véritable. La transition s’opère tout doucement et sans que l’enchaînement des idées soit interrompu.

Les rêves les plus bizarres trouvent même une explication des plus logiques quand on sait les analyser. La rêvasserie la plus simple contient en elle-même quelques éléments incohérents, il y a des confusions de temps et de lieu. Le souvenir évoqué entraîne toute une foule d’autres réminiscences jadis perçues dans le même plan, dans le même horizon. Tant qu’on pensera, ce tableau ne se dessinera guère, mais il sera en lumière dès qu’on rêvera et le maximum de son éclat n’aura lieu que dans le sommeil complet.

Tous ces tableaux ne s’effacent pas aussi vite les uns comme les autres, il y aura des confusions, d’où des bizarreries. « C’est ainsi que si je me crois premièrement en Suisse, écrit l’auteur, si j’aperçois des chalets qui me rappellent celui de Jules Janin, à l’entrée du bois de Boulogne, et si le souvenir de Jules Janin, me remet en mémoire quelque célèbre cantatrice que j’aurais rencontrée chez lui, j’imaginerais peut-être que j’entends chanter cette artiste au milieu des cascades ou des glaciers (14). »

Sa chère comparaison avec la lanterne magique est de nouveau utilisée pour expliquer cette confusion, ces combinaisons à l’infini, ces mutations capricieuses, dont Granville avait eu jadis le sentiment, quand son crayon esquissait une série graduée de silhouettes [p. 52] commençant par celle d’une danseuse et finissant par celle d’une bobine aux mouvements furieux.

Un élément qui contribue à la confection de ces monstruosités, de ces résultats si inconcevables au premier abord, c’est l’abstraction, cette disposition curieuse de notre esprit.

En résumé tous les événements des songes doivent nécessairement se rapporter à un de ces deux phénomènes suivants, ou aux deux : « 1° Déroulement naturel et spontané d’une chaîne continue de réminiscence ».

« 2° Intervention subite d’une idée étrangère à celles qui formèrent la chaîne, par suite de quelque cause physique accidentelle (15) ».

Le troisième élément qui peut concourir à la fonction des rêves est la volonté et son action durant le sommeil.

III

Nous avons résumé les idées directrices du marquis d’Hervey et sa doctrine sur les rêves. Examinons à présent ses observations pratiques et analysons avec lui ses fameux moyens de diriger les rêves, ce qui constitue l’objet de sa troisième partie.

Les points capitaux qu’il se propose de démontrer sont les suivants :

1° Qu’il n’est point de sommeil sans rêve.

2° Que ni l’attention, ni la volonté ne demeurent nécessairement suspendues pendant le sommeil.

3° Quelle est la marche des tissus de rêves et quel est le moyen de les évoquer ou de les conduire.

La première série de ses observations tend surtout à démontrer la première proposition : pas de sommeil sans rêve. Les extraits des plus anciens cahiers du journal le prouveront amplement.

Le réveil fortuit lui confirma petit à petit ses premières impressions. Il se fit réveiller cent-soixante fois pendant son premier sommeil à différentes époques de sa vie, notamment durant trente-quatre nuits consécutives et il a constaté, comme le disait excellemment le Dr Cerise dans l’introduction de l’ouvrage de Macario, que sa pensée était toujours occupée par une image quelconque.

Expérimentant avec un ami intime avec lequel il avait fait un assez long voyage et qui soutenait qu’il n’avait jamais eu de rêve dans son premier sommeil, il arrive à lui prouver le contraire : « Un soir, quand il dormait, écrit le marquis d’Hervey, depuis une demi-heure environ, je m’approche de son lit, je prononce à mi-voix quelques commandements militaires : « Portez armes ! » « Apprêtez armes ! » etc. et je l’éveille doucement.

— Eh bien ! lui dis-je, cette fois encore n’as-tu rien rêvé ?

— Rien, absolument rien, que je sache.

— Cherche bien dans ta tête. [p. 53]

— J’y cherche bien et je n’y trouve qu’une période d’anéantissement très complet.

— Es-tu bien sûr, demandai-je alors, que tu n’as vu ni soldat (15)… » Au mot de « soldat », il s’interrompt frappé par une réminiscence subite. « C’est vrai ! c’est vrai ! me dit-il, oui, je m’en souviens maintenant ; j’ai rêvé que j’assistais à une revue. Mais comment as-tu deviné cela ? »

L’expérience répétée plusieurs fois prouva que le sujet une fois mis dans la voie des réminiscences retrouvait facilement plusieurs visions antérieures, dont il n’avait gardé en réalité aucun souvenir conscient.

Le sommeil des autres ne diffère donc en rien du sien et le marquis d’Hervey poursuit l’étude et l’exposition de son propre sommeil. De quatre exemples de rêve (16) il résulte que le passage de l’état de veille à l’état de rêve se fait au moyen des réminiscences sensorielles, particulièrement des réminiscences visuelles ; parfois par la mémoire des sons : on songe ensuite à quelque opinion discutable. On cause alors avec soi-même et on suppose des objections dans la bouche des personnes de notre connaissance ou des êtres imaginaires. Il a noté seize observations de ce genre. Il n’a remarqué aucune interruption dans l’enchaînement des idées « sans qu’il se produise, en un mot, entre ces deux états, une sorte d’interrègne intellectuel (17). »

L’intensité dans la vivacité des images est toujours en rapport avec la profondeur du sommeil ; en d’autres termes, plus le sommeil est profond, plus les images sont vives, et vice versa. En se faisant réveiller souvent à des heures différentes de la nuit et en jugeant de la profondeur du sommeil par la difficulté qu’il éprouvait à s’y arracher, il a constaté que le rêve était d’autant plus vif que cette difficulté était grande. « Quand, par un simple effort de volonté, j’ai su me réveiller moi-même (ayant conservé en rêve le sentiment de ma véritable situation), j’ai toujours remarqué qu’il fallait un effort plus grand pour secouer un rêve bien lucide que pour chasser des visions incohérentes, des tableaux pâles et indécis (18). »

Si au moment de vous endormir vous concentrez votre attention sur un souvenir ou sur une image vous remarquerez, écrit notre auteur, que dans cet isolement de l’esprit il y aura une augmentation dans la netteté des images naissantes qui constituent le rêve, de ce que Maury appelait les « hallucinations hypnagogiques. » Au contraire, si on est réveillé petit à petit, lorsqu’on est bien endormi, on constatera une diminution de cette intensité, diminution graduelle, et à mesure que le sommeil se dissipe, les visions perdent [p. 54] sensiblement de leur netteté, elles passent par diverses phases.

Avec sa finesse d’observation, le marquis d’Hervey fait observer qu’il ne se charge pas de nous montrer le rôle que jouent les fibres cérébrales dans ces réactions successives, mais qu’il se contente de constater que l’engourdissement du corps porte l’esprit à s’isoler et que l’isolement de l’esprit engourdit le corps. La pratique nous donne l’habitude de rêver, d’analyser, de nous souvenir de nos rêves. L’entraînement est donc à considérer quand le sommeil est complet, l’action de la volonté sur les muscles est suspendue ; on peut commander en rêve tous les mouvements possibles sans arriver à aucun résultat ; dès que le sommeil « s’altère », il n’en est plus de même : la volonté reprend son action sur les muscles et chaque mouvement caractérisé contribue à dissiper l’engourdissement. « L’immobilité que le rêveur s’efforce de garder » ne sera donc pas purement imaginaire ; elle favorisera le sommeil. — « Dès que le rêve reprend son cours le réveil immédiat sera conjuré (19) ». La transition de la veille au sommeil est caractérisée par une progression dans la netteté des images et le retour de la vie réelle par la diminution de cette intensité. Les songes les plus clairs sont les plus suivis, parce que l’isolement mental est plus grand, toute communication avec le milieu ambiant et les excitations extérieures étant suspendue. Si on est réveillé deux heures après s’être endormi et si on essaye de se rappeler les rêves et si on les note pour les comparer aux rêves du matin lorsqu’on s’éveille naturellement, on constatera — ce qui est d’ailleurs parfaitement vrai — la justesse de ses observations.

A quelque moment qu’il fut réveillé ou qu’il se fut éveillé tout seul, le marquis d’Hervey a toujours eu le sentiment d’un rêve interrompu.

Retenons encore de ces premières observations que la période la plus ou moins longue de nos rêves, dont nous pouvons garder le souvenir au réveil ne remontait jamais, ni dans son propre cas, ni dans les expériences faites sur d’autres sujets, au delà d’un laps de cinq à six minutes. Ce temps est pourtant suffisant pour laisser dans notre esprit des impressions qui correspondent à des journées entières. Le temps se mesure toujours par le nombre et la nature des événements qui défilent devant nous et auxquels nous assistons. L’histoire de ce mangeur de haschisch citée par Hervey, qui dans une nuit crut avoir vécu cent années est démonstrative au plus haut point. Il est fort possible que pendant douze heures il -ait vu défiler plus d’événements qu’il ne saurait en tenir dans cent ans ! Tous nous traversons dans nos rêves d’une nuit de quoi remplir des années d’existence, si par hasard le matin nous étions capables de nous rappeler tous nos rêves ; or cela est impossible car notre mémoire fait défaut.

Le sommeil est donc continuellement hanté de rêves ; l’expérience le prouve, et on trouve l’explication des théories contraires précisément dans le défaut de mémoire, l’élément le plus à considérer [p. 55] dans de pareilles recherches, selon mon humble avis. Il n’y a jamais de suspension de la pensée et la transition entre ces deux états se fait graduellement sans aucun arrêt.

La seconde catégorie des observations de l’auteur se réfère au rôle de l’attention et de la volonté, qui ne sont pas nécessairement suspendues pendant le sommeil.

Pour modifier la trame des rêves à notre gré, il faut s’adresser à l’action combinée de l’attention et de la volonté. A l’état de veille, on est toujours maître de fixer sa pensée, mais d’une manière définie ; dans le rêve, l’attention fixant un sujet donné, sa portée est plus grande, plus sensible. Le rêve donné comme exemple est typique (20) ; les actes de volonté et d’attention sont admirablement réunis ; je ne cite pas ce rêve de peur de trop allonger mon analyse. Pendant ce rêve, l’auteur a eu manifestement son libre arbitre, car il s’agissait de faire un choix entre deux chemins qui se présentaient devant lui, et l’association des idées lui avait fourni des images adéquates à la voie choisie par lui. Il a guidé réellement son rêve. Il y a des cas où de nombreux rêves échappent à la puissance de la volonté, surtout lorsque les images évoquées sont de nature violente. La volonté agit non seulement dans la direction des songes lucides, mais aussi sur les songes incohérents ou passionnés. Les exemples abondent dans le livre d’Hervey de Saint-Denis, exemples de rêve avec volonté et attention (21), avec volonté sous forme de désir (22), avec volonté dirigeante (23) avec attention et volonté (24) ; ce dernier est de toute première valeur documentaire.

Il résulte de ces rêves qu’on peut changer brusquement le cours d’un rêve et évoquer les images qui vous plaisent. La pensée peut faire renaître aisément la trame des rêves, à condition de s’y appliquer.

La possibilité de la réapparition volontaire comme par enchantement d’une fameuse irruption de monstres donna du courage à l’observateur et, dans les six semaines suivantes, ayant eu seize fois dans le rêve la conscience de son état, il put renouveler l’expérience neuf fois, changeant brusquement le cours de la vision.

Depuis il ne cessa de diriger ses rêves. Il donne comme résultat les proportions suivantes obtenues sur une moyenne de quarante-deux observations. Vingt-trois fois la réussite fut complète, c’est-à-dire substitution immédiate de l’image désirée ; treize fois le résultat fut mixte, c’est-à-dire pas tout à fait conforme à ses vœux ; quatre fois des associations d’idées inattendues apparurent au moment de la mutation volontaire des images ; une fois la vision se retrouva devant ses yeux, quand il la croyait chassée, et une fois l’expérience amena le réveil.

Quand on fait naître dans le rêve une situation dans laquelle on n’a jamais pu se trouver en réalité, comme par exemple sauter de [p. 56] la fenêtre d’un cinquième étage, se brûler la cervelle, se couper la gorge avec un rasoir, la mémoire et l’imagination se tirent merveilleusement du piège. Il s’opère des revirements d’idées, par l’association des idées-images provoquées. L’effort de l’attention devient douloureux dans le rêve quand l’association spontanée des idées prend une allure rapide et multiplie devant « les yeux de l’esprit des images auxquelles il ne peut se défendre d’accorder une part de curiosité ou d’intérêt ». Les formes arrêtées comme un visage par exemple, se fixent difficilement. La volonté peut se rendre maîtresse du sommeil, et le marquis d’Hervey soutient qu’on peut provoquer le réveil immédiat dès qu’on s’aperçoit qu’on est le jouet d’un rêve.

Le sentiment de la réalité se mêle souvent aux illusions du songe, et les jugements déraisonnables que l’on porte ne prouvent point une défaillance mentale ; les exemples de la troisième série des observations l’expliquent amplement (25).

La quatrième catégorie d’observations intéresse la part que prennent la mémoire et l’imagination dans la formation des rêves.

Retenons de ces observations, pleines d’ailleurs d’analyses pénétrantes et fines, tout d’abord que, pour l’auteur comme pour Dugald Stewart, ces deux fonctions psychiques se confondent ; il accepte même la dénomination de mémoire-imaginative, combinaison de ces deux éléments intellectuels. La mémoire du rêveur est plus grande, plus riche que celle de la personne éveillée ; elle atteint une puissance inimaginable (26). Donc le rêve peut évoquer des images, des personnes et des données précises sur des situations dont on ne croit pas avoir entendu parler en réalité ; les arcanes de la mémoire sont « d’immenses souterrains où la lumière, de l’esprit écrit l’auteur, ne pénètre jamais mieux que lorsqu’elle a cessé de briller au dehors. Que l’on ne s’étonne donc pas si l’on revoit en songe, avec une lucidité merveilleuse, des personnes mortes ou absentes depuis très longtemps, si l’on retrouve dans leurs moindres détails des lieux qu’on visita, des airs qu’on entendit, ou même des pages entières que l’on a lues plusieurs années auparavant (27) ». Il existe des rêves où nous gardons la mémoire d’un rêve à un autre (28). On constate aussi dans la structure du rêve, surtout lorsqu’il s’agit de le diriger, une disposition toute particulière de l’esprit à procéder par voie de dialogue, surtout lorsqu’il raisonne ou réfléchit (29). L’induction logique ne manque pas dans le rêve et elle peut se retrouver dans toutes les broderies des associations des images-idées directrices ou de celles évoquées. Il y a dans le rêve, selon le marquis d’Hervey, une sorte de dédoublement moral : il y a comme « une querelle entre le moi et l’une de ses facultés, personnifiée en dehors de lui-même ». L’illusion de nous considérer étrangers au travail de notre propre mémoire [p. 57] accroît la puissance de cette faculté, d’autant plus grande qu’elle se développe plus spontanément. La puissance créatrice de l’imagination est particulièrement mise en jeu pendant le sommeil, elle peut mettre en œuvre les matériaux fournis, de telle sorte qu’elle arrive à reconstruire des images inédites dans leur ensemble, fait d’ailleurs connu et auquel le marquis d’Hervey n’apporte que des documents en plus (30). Il pose le problème de cette mystérieuse imagination créatrice et il s’émerveille devant son action sans savoir ce qu’il en faut penser. Il se demande s’il faut attribuer le travail créateur incontesté de la pensée pendant le sommeil à l’action du sommeil qui emprunte à l’imagination créatrice cette puissance inouïe, ou bien si c’est la mémoire qui, sous l’influence et sous l’empire « d’une concentration des forces non moins surprenante », sait tirer de ses arcanes secrètes des souvenirs récoltés parfois à son insu.

La cinquième série d’observations concerne l’exaltation de la sensibilité morale et de la conceptivité intellectuelle en rêve, et les travaux de l’esprit que l’on exécute en rêvant. Rien d’important à retenir de ces observations. On retrouve le littérateur fin, le traducteur des poèmes chéris ; il nous donne plutôt des considérations théoriques. Il est à remarquer néanmoins le rêve d’un joueur d’échecs (31), qui est analysé à tel point que l’auteur arrive à se demander s’il ne s’agit pas d’une puissance imaginative spéciale, d’une mémoire distincte dont les joueurs d’échecs seraient doués. Eveillé, le joueur était incapable de se représenter mentalement et par le seul effort de sa pensée la série des combinaisons qui lui avaient facilité la solution finale du problème. Citons encore le cas des vers composés en dormant (32) et celui du mathématicien illustre (33). Hervey de Saint-Denis précise enfin l’influence de certains rêves sur le moral des hommes et sur les actions de la vie réelle, et incline à croire que, pour les femmes surtout, on apprend mieux à connaître les inclinations par leur songe que par la manière d’agir en réalité. Des associations d’idées-images, dont on ne se souvient même pas, se poursuivent certainement pendant la vie réelle. Les cauchemars auraient sur les enfants des influences même dangereuses sur le caractère.

La sixième série d’observation concerne l’exaltation en rêve de la sensibilité physique, et les indications pathologiques qui peuvent en résulter. A retenir de ces faits d’abord cette constatation, d’ailleurs devinée par les anciens, que tout rêve qui se répète est un symptôme à considérer au point de vue de la séméiologie et indique un état de souffrance. Les songes bien suivis paraissent se trouver plus souvent chez les gens d’un parfait équilibre intérieur ; les blessés, comme les gens en proie à une grande [p. 58] surexcitation morale ont des rêves peu suivis et peu lucides (34).

La septième série d’observations est plus personnelle, plus intéressante à examiner ; elle se réfère à la marche de l’architecture onirique et surtout à plusieurs moyens de rêver à ce que l’on désire, et au moyen d’écarter les images fâcheuses dont on est parfois obsédé. Les auteurs classiques d’un commun accord affirment la difficulté de saisir la trame des associations des idées dans le rêve ; Hervey de St-Denis n’est pas de cet avis. Il faut savoir selon lui saisir les transitions qui s’opèrent en rêve en les classant, si possible, chronologiquement dans la mémoire. Les liens des associations des idées peuvent procéder en suivant l’ordre dans lequel les souvenirs se sont emmagasinés dans la mémoire en dehors de toute affinité (35), ou selon le procédé de l’abstraction.

Pour provoquer certains rêves et rêver par suite à ce que l’on veut il faut tenir compte des deux conditions suivantes. « 1° Si l’on parvenait à établir artificiellement une corrélation non moins immédiate et non moins constante entre quelques sensations particulières et quelques idées (même d’un ordre tout moral) chaque fois que l’une de ces sensations serait en outre provoquée, le même phénomène devrait se reproduire, à savoir le rapport immédiat de l’idée devenu solidaire de cette sensation ». 2° Les sujets auxquels nous pensons, en rêve, devenant par cela même les sujets de nos rêves, le fait de pouvoir rappeler certaines sensations, chez un homme endormi, en agissant sur ses organes, devrait avoir pour conséquence la possibilité de faire rêver ce dormeur aux sujets dont la notion serait devenue chez lui solidaire des sensations ainsi provoquées (36). »

Il faut distinguer en outre dans la trame du rêve les idées primaires et les idées secondaires ; les premières sont suscitées par des causes physiques spontanées ou artificielles, telles qu’un bruit, une odeur etc. et très peu sur l’action de la volonté ; tandis que les secondes sont le produit instinctif de l’activité de notre esprit (37).

Hervey de St-Denis attire notre attention sur un phénomène particulier à remarquer dans la trame des rêves, qu’il appelle supersonnels ; il s’agit de ce qu’il désigne par rétrospection, ou en d’autres termes du fait de saisir l’initiative du dernier rêve qui appartient tout entière à la sensation spontanée, en dehors de toute marche apparente et réelle. L’esprit peut être ramené à une idée par l’intermédiaire d’une sensation dont il n’est pas conscient ; les rêves cités à ce sujet sont extrêmement curieux (38). Toutes les transactions de l’esprit se font surtout grâce à l’abstraction ; les transformations successives que l’inspiration opère sont retrouvables et il n’est point nécessaire que « la trame d’un rêve soit logiquement suivie pour qu’elle soit réellement ininterrompue ». [p. 59]

L’esprit, pour employer ce terme trop cher à l’auteur, ne s’étonne guère du contenu étrange et bizarre des songes. Le rôle que fait jouer, et à juste titre, l’abstraction dans l’architecture des rêves est intéressante à connaître et sur ce point le marquis rêveur est plus fin, plus psychologue même que le subtil Alfred Maury. Les abstractions forment pour lui le lien « le plus ordinaire » de toutes nos idées à l’état de songe ainsi qu’à l’état de veille, avec cette différence seulement qu’il se produit dans les rêves une véritable fusion ou confusion « entre les deux idées que l’abstraction a rapprochées », modification d’autant plus importante, quand on se rappelle les modélations des clichés-souvenirs, du matériel de la mémoire faites pour ainsi dire par l’imagination (39). L’analyse des rêves trouve dans leur contenu des abstractions de plusieurs qualités : il y en a de sensibles, liées plus intimement avec les éléments sensoriels, de concrètes (des images) ; des abstractions morales et des abstractions « d’un ordre purement abstrait », cet ordre se trouve surtout chez les hommes adultes et résulte des conditions psycho-sociales, comme par exemple : croyances, traditions, symboles, etc. Je regrette de ne pas citer les rêves publiés par l’auteur au sujet de la transition de « l’esprit » de l’ordre abstrait à l’ordre sensible, réel ; on ne pourrait plus à propos citer des rêves et surtout les interpréter et les commenter. « Les abstractions, conclut-il, sont des opérations de l’esprit si fréquentes qu’il sera difficile, je crois, d’analyser minutieusement un rêve d’une certaine étendue sans en découvrir plusieurs. Il en est, du reste, un peu de nos rêves comme de ces mélanges chimiques très compliqués dans lesquels une infinité de choses sont combinées. L’essentiel n’est point de les retrouver toutes, mais de dégager à propos celles dont on a quelque intérêt à constater la présence (40) ».

La huitième est la dernière série d’observations des plus intéressantes mais qui n’ajoutent rien de nouveau aux affirmations et aux conclusions précédentes ; elle servent plutôt comme illustration, comme éclaircissement de quelques dernières propositions.

Les premières illusions du sommeil sont toujours ou presque, des hallucinations visuelles : elles constituent le prodrome du vrai sommeil. Ces hallucinations ont une trame très complexe ; parfois elles représentent des objets déterminés et souvent des images tronquées, des fragments, des sensations, des petits soleils qui tournent, des bulles de couleurs variées qui apparaissent et disparaissent rapidement du champ visuel, des légers fils d’or, d’argent, de pourpre, de vert émeraude, qui s’enroulent, qui s’enlacent et qui se divisent en mille formes géométriques, pour la plupart régulières semblables selon Hervey de St-Denis à ces fines arabesques qui ornent les fonds des tableaux byzantins. De cette multitude informe des images, Hervey détache celles qui sont bien déterminées, elles appartiennent à la catégorie des rêves [p. 60] ordinaires. Celles des hallucinations hypnagogiques qui rappellent les fusées des feux d’artifice ont été étudiées soigneusement à l’aide des documents coloriés réunis par l’auteur ; il publie dans son livre même quelques spécimens. Hervey fait remarquer dans sa graduation des couleurs, les formes régulières des éléments coloriés ou non, qui composent ces croquis, et songe à les comparer à certaines cristallisations naturelles.

Voici quelques hallucinations hypnagogiques. « Une fumée blanche semble passer comme un nuage épais chassé par le vent. Des flammes s’en échappent par instants, si éclatantes qu’elles impressionnent douloureusement ma rétine. Bientôt elles ont absorbé le nuage ; leur éclat s’est adouci ; elles tourbillonnent, forment de larges cocardes noires à l’intérieur, rouges et orangées vers leur bord extérieur. Au bout d’un moment elles s’entrouvrent graduellement par le centre et ne forment plus qu’un mince anneau doré, une sorte de cadre au milieu duquel je crois voir le portrait d’un de mes amis (41) ».

Second exemple : « Un monticule de couleur verte se dessine au milieu du champ que mes regards intérieurs embrassent. Je distingue peu à peu que c’est un amas de feuilles. Il bouillonne comme un volcan en éruption ; il grossit et s’élargit rapidement au moyen des forces mouvantes qu’il rejette. Des fleurs rouges sortent à leur tour du cratère, en formant un énorme bouquet. Le mouvement s’arrête. L’ensemble dure un moment très net ; et puis le tout s’évanouit (42) ».

Ces visions embryonnaires ont pour Hervey de St-Denis le cachet de la transition par abstraction des formes sensibles qui leur est commun avec beaucoup de rêves parfaits. Ce sont donc des phases graduées d’un même phénomène : le rêve, et nullement des phénomènes d’un ordre tout particulier, comme le pensait Alfred de Maury.

Les exemples de rêves que le marquis d’Hervey nous donne sur la manière dont les idées s’éclairent, dont les images se fondent, se transforment ou se substituent les unes aux autres sont des plus curieux (43). Citons entre autres à titre de documentation, ceux qui se réfèrent à la substition de la personnalité dans le rêve, soit qu’il s’agisse d’une substition d’une autre personne (44) mécanisme dont nous avons indiqué la clef parlant de ce que l’auteur considère comme la superposition des images, soit qu’il s’agisse de la transplantation du rêveur au milieu d’une action rêvée, tout d’abord objectivement par lui-même (45). Curieux aussi le rêve (deux exemples) concernant la substutition des sexes (46). [p. 61]

La mémoire peut nous faire des surprises bizarres capricieuses, mais comme on l’a vu, l’explication est possible, par la connaissance même des matériaux emmagasinés par la mémoire ; l’idée principale d’un rêve s’enchevêtre avec des idées secondaires (47), deux idées évoluent en même temps ; pourtant fouillant notre mémoire, ayant connaissance de la manière dont notre volonté agit sur la conduite et sur la texture de la trame des rêves, nous nous apercevons des liaisons d’un rêve à l’autre (48). Citons encore les exemples sur la logique des rêves (49). Une expérience ingénieuse fut tentée par l’expérimentateur sur la mémoire imaginative des rêves. Il possédait un album chinois, qui représentait des palais, des paysages, des scènes fantastiques le tout figuré avec un coloris et une vivacité vraiment orientaux. « On voyait un Sardanapale de la race jaune gravement assis au milieu d’un essaim de jeunes Asiatiques à la taille de guêpe, aux doigts effilés, aux pieds impossibles, lui faisant toute sorte de coquetteries, et jouant de toutes sortes d’instruments. Des ponts encombrés d’une multitude bigarrée, des bois mystérieux peuplés de bandits à figure débonnaire, et puis des kiosques de toute forme, des arbres chargés de fleurs colossales, des clairs de lune, des animaux bizarres, et des processions de palanquins à n’en plus finir ». Il examina attentivement plusieurs jours de suite cet album, essayant d’associer à son esprit les impressions qui en résultaient au souvenir sensoriel inspiré en même temps à son odorat par l’aspiration réitérée d’une poudre de fleurs, produit oriental d’un parfum tout particulier (50). » Trois fois il fit des songes très variés où il crut voir les images de l’album mises en mouvement et mêlées avec d’autres incidents, avec d’autres images, mais que l’imagination variait en leur donnant une vie active commune. Deux fois au contraire, des sites réels, des amis ou des personnes de sa connaissance « dont l’association des idées avait évoqué les images à la suite de celles qui n’étaient que des réminiscences de l’album, et dont l’imagination s’est servie pour tisser une action nouvelle » se présentèrent aux yeux de son esprit, non plus sous leur aspect d’objets véritables, mais sous celui d’une collection de gravures et d’aquarelles sans vie et sans relief.

Pour expliquer enfin les rêves pendant lesquels on commet (51) « des actes méchants » ou considérés comme tels et sans que nous puissions nous empêcher de les commettre, à l’encontre d’Alfred Maury, le marquis d’Hervey de Saint-Denis croit que l’extrême exaltation de la sensibilité physique ou morale provoque la suspension du libre arbitre. Il croit remarquer dans ses rêves que parfois [p. 62] la crainte de faire une action coupable suffit pour faire commettre l’action dans le rêve. « L’homme peut se défendre de commettre une action mauvaise, mais non pas s’empêcher d’en avoir la pensée (52) ».

Or, dans un rêve, avoir la pensée devient la chose inévitablement accomplie. Les événements s’accomplissent alors sans la participation de la volonté et cela si rapidement qu’on n’a pas le temps de faire la moindre réflexion. La faculté de réfléchir, la volonté n’a pas été supprimée ; elle est simplement devancée par la précipitation trop considérable des événements (53).

IV

L’idée maîtresse qui dirige ce beau travail expérimental, d’ailleurs amplement prouvée, est que la volonté a une influence prédominante sur les constructions oniriques et que le dormeur peut à son gré modifier, conduire, diriger et aider l’évolution de lu capricieuse architecture des rêves. La volonté, soit spontanément, soit consciemment peut dominer toutes les complications des images-idées, qui se bousculent, qui déroutent, ou qui paraissent se dérober aux analyses les plus minutieuses. Il n’y a pas de sommeil sans pensée ; à aucun moment du sommeil l’attention, la volonté, l’intelligence, ne cessent de fonctionner. Au contraire les phénomènes intellectuels comme l’imagination, la mémoire, la sensibilité gagneraient une énorme puissance psychique ; Pendant le sommeil les facultés sont plus évocatrices, leurs investigations plus fines, plus délicates, plus fouillées. L’intelligence endormie en apparence est vivace et si parfois l’attention est affaiblie, de même que la volonté, l’activité mentale existe et persiste pendant tout le temps de l’occlusion des paupières.

On peut se rendre maître de la marche des images oniriques et pour y arriver on a besoin, selon le marquis Hervey de Saint-Denis, des trois conditions suivantes :

1° Posséder en dormant la conscience de son sommeil, habitude qui s’acquiert promptement par le seul fait de tenir un journal de ses rêves ;

2° Associer certains souvenirs au rappel de certaines perceptions sensorielles, de manière que le retour de ces sensations, ménagé pendant le sommeil, introduise au milieu de nos songes les idées-images que nous en avons rendu solidaires ;

3° Ces idées-images contribuant dès lors à former les tableaux de nos rêves, la volonté (qui ne fera jamais défaut quand on saura bien que l’on rêve), en réglera le développement selon l’application du principe que penser à une chose c’est y rêver.

Quand une image quelconque évoque des souvenirs et qu’on a le sentiment du rêve on peut aisément voir des routes conçues [p. 63] volontairement. Et ces faits, le marquis d’Hervey les soumet au contrôle patient de chacun et demande qu’on contrôle sciemment ses données, mais qu’on persévère avant de porter un jugement.

Le travail du marquis d’Hervey est, à mon avis, un des mieux faits sur les rêves ; il est mieux conçu psychologiquement même que celui d’Alfred Maury ; il représente une étape dans l’historique des études sur le rêve et il sera toujours à lire. Des recherches de Maury il nous restera l’analyse de ce qu’il appelait l’embryogénie du rêve, l’histoire des hallucinations hypnagogiques ; le marquis d’Hervey, pénètre plus intimement dans le problème, il est plus psychologue et en nous donnant la méthode pratique de diriger nos rêves, il jette par ses observations claires, vraiment expérimentales et précises une lumière vive, malheureusement peu connue des auteurs contemporains. Entre les données expérimentales de Maury et d’Hervey, il y avait une différence notoire à cause de la manière dont ces auteurs envisagent le problème ; pour Maury la physiologie expliquait tout, l’auteur se contente presque comme Lemoine d’admettre comme vrais psychologiquement tous les schémas de la dynamique cérébrale ; d’Hervey traite le problème en vrai psychologue : l’esprit dont il invoque souvent la mystérieuse existence est plus apte à expliquer les hypothèses de ces constructions psychologiques et il se demande à juste raison, si la physiologie est capable d’expliquer ce grave problème. Ayant horreur des schémas il se livrait à l’analyse de ses documents et de ses observations, avouant à chaque pas qu’il utilisait les données de sa conscience de rêveur, de sa sensibilité, sans se soucier si son mécanisme psycho-corporel pourrait lui donner la clef. Ne pouvant pas suivre tout le trajet des fibres nerveuses jusqu’au cerveau et n’imaginant pas le jeu fantastique de la mécanique cérébrale il demandait aux faits, à ses seules données mentales la solution pratique des éléments principaux du problème qu’il poursuivait, laissant les grandes questions dans leur position classique, ou ne se le posant guère.

On pourrait adresser de nombreuses critiques aux recherches du marquis d’Hervey. La principale est l’auto-suggestion qui entre nécessairement en jeu dans toute analyse aussi fine et aussi personnelle. A l’époque de l’auteur les phénomènes de la suggestion étaient très peu connus, comme on le sait et à tel point que même plus tard la Salpêtrière ne l’admettait guère. Le fait que le marquis d’Hervey a remarqué chez les autres les mêmes phénomènes que chez lui est certainement suffisant pour parer aux critiques ; mais il ne tient pas compte de la systématisation de la pensée, cette systématisation subconsciente qui fait de nous-mêmes des comédiens demi-conscients. La suggestion entre en jeu facilement dès qu’une idée fixe occupe notre attention ; elle systématise nos idées, notre subconscient, et tout en voulant chercher le pourquoi, on prépare facilement soi-même la solution de la manière la plus honnête et la plus volontaire. Cette critique pourrait pourtant être corrigée par l’expérimentation objective [p. 64] sur une plus grande échelle, par l’objectivation des faits, ce que j’ai cherché de faire. Une seconde critique c’est que le marquis d’Hervey s’intéresse peu, (en tout cas plus que Maury), au sommeil ; pour cet auteur le sommeil et le rêve sont des phénomènes identiques ; en traitant de l’un, on s’occupe certainement de l’autre, c’est comme deux termes linguistiques ayant le même contenu.

Cette critique d’ailleurs peut être adressée à tous les auteurs, et je crois avoir été le premier qui ait pris en principe la distinction psychologique et physiologique entre ces deux phénomènes psycho-physiologiques qui, à mon avis, doivent être considérés d’une manière toute différente. J’y reviendrai lors de l’exposition de mes recherches. Aussi la mesure de la profondeur du sommeil doit rentrer en ligne de compte. Pour Hervey, qui confond les hallucinations hypnagogiques avec les rêves et qui ne constate qu’un seul élément de rêve dès qu’on ferme les yeux pour dormir l’intensité du sommeil jouait un rôle secondaire ; néanmoins il considère que « l’esprit » est continuellement active même dans le sommeil le plus profond.

Le marquis d’Hervey attribue en sorte un rôle presque insignifiant aux excitations organiques et les considère comme nulles ; cela vient à mon avis de l’idée préconçue et à priori qu’il se faisait de la prépondérance de l’esprit et presque de son indépendance, dans la mécanique psycho-corporelle. Pourtant à plus d’un de ses rêves, on pourrait déceler des éléments sensoriels jouant un rôle prépondérant et agissant contre la volonté du dormeur.

Le marquis d’Hervey tout en étudiant admirablement la psychologie des rêves ne s’intéresse guère des conditions du sommeil et de la mentalité du sujet avant de s’endormir, et par cela il néglige des éléments intéressants qui entrent d’une manière spéciale dans la construction des rêves. Il faut retenir d’Hervey cey fait de toute importance, que la volonté, ayant une influence sur les rêves, les images qui peuplent le cerveau avant le sommeil, n’ont qu’une valeur tout à fait secondaire. La Psychothérapie pourrait tirer grand profit de cette constatation, que mes recherches ont confirmée plus d’une fois, d’ailleurs comme une grande partie des conclusions de Hervey de St-Denis. La volonté agissant dans le rêve et modelant la pensée qui rêve on pourrait au besoin, et certainement, constituer une thérapeutique du sommeil et même de la veille, en connaissant surtout l’influence capitale de la vie de rêve sur la veille, du lendemain.

Le mérite du marquis d’Hervey est vraiment réel à ce point de vue. J’irai plus loin que cet auteur, et je crois qu’on ne pourra constituer une réelle psychothérapie que lorsqu’on saura de quelle manière on pourra modifier la structure des rêves ; mais la volonté n’est pas suffisante, car pour pouvoir vouloir il faut avoir de la volonté et les psychologues tout en essayant de la créer ou de la suppléer ne connaissent pas encore ce que c’est et quel est son mécanisme.

Le marquis d’Hervey, pour finir, proteste, une fois de plus, et avec raison contre l’éternelle comparaison du sommeil et de la [p. 65] mort, cliché abondamment usé par tous les auteurs anciens ou modernes, qui se sont occupés du rêve. Le dormeur n’a guère l’apparence d’un cadavre et on ne pourra pas contester l’anéantissement complet du moi dans cet assoupissement complet de la pensée. La comparaison est fausse en tous points bien que plus d’une fois on entende cette affirmation ; elle alimente d’ailleurs presque toutes les observations consacrées aux rêves depuis Maury et Hervey et constitue cette doctrine matérialiste des rêves qui pousse certains auteurs à chercher même un centre cérébral du sommeil et du rêve, et qu’accepte en bloc et sans critique la doctrine du dynamisme cérébral : cette si simpliste schématisation de quelques moyens mécaniques pratiques, capables selon ses partisans d’expliquer tout, de comprendre tout ! La fonction exige l’organe, et comme la pensée est considérée comme une sécrétion du cerveau, il va de soi qu’il sera facilement acceptable de comparer le sommeil et la mort, et surtout d’affirmer l’absence des rêves pendant le sommeil profond.

« N’est-ce point d’ailleurs une idée bizarre que celle de prétendre comparer une situation qu’on ne connaît guère, avec un autre état qu’on ne connaît pas ? » (la mort), se demande Hervey ? (54) Il préfère l’axiome classique qui considère la vie comme un songe et il finit par cette proposition qui révèle le littérateur fin que fut l’auteur de ce travail, le marquis d’Hervey de Saint-Denis, un lettré psychologue et expérimentateur dans le vrai sens du mot : « A ceux, écrit-il, pour qui c’est un songe pénible — (la vie), — elle laisse du moins l’heureuse pensée de se réveiller dans la mort ».

Expérimentalement les recherches du marquis d’Hervey resteront dans la série de nos efforts pour la connaissance de la psychologie de ce phénomène qui occupe le tiers de notre vie « le rêvée ; elles doivent être reprises, confirmées, complétées et surtout connues. La Psychothérapie sera la première à tirer le plus grand profit de ces analyses et de ces conclusions aussi impérieuses que logiques et scientifiquement conduites (55).

Notes

(1) N. VASCHIDE. Les recherches expérimentales sur les rêves. I. Les méthodes.

(Revue de Psychiatrie), 1902, octobre, n° 4, p. 145-166.
N. VASCHIDE. Les recherches expérimentâtes sur les rêves. II. Les recherches et les observations d’Alfred Maury sur les rêves. (Revue de Psychiatrie). 1903, mai, n° 5, p. 177-191.
N. VASCHIDE. Les recherches expérimentales sur les rêves. III. Les recherches de M. Mourly Vold sur les hallucinations visuelles des rêves et à l’état de veille. (Revue de Psychiatrie). 1904, octobre, n° 10, p. 397-413.

(2) HERVEY DE SAINT-DENIS, ouv. cité p. 1-47.

(3) Ibid. p. 246-419.

(4) Ibid. p. 47-24G. –

(5) Ibid. p. 475.

(6) Ibid. p. 479.

(7) Ibid. p. 4.

(8) HERVEY DE SAINT-DENIS, ouvr. p. 5.

(9) Ibid. p. 8.

(10) HERVEY DE SAINT-DENIS, Ibid. p. 17. L’Académie des sciences morales et politiques, section de philosophie donne pour sujet de concours, en 1885, « La théorie du sommeil et des songes » ; d’Hervey de Saint-Denis voulut se présenter, mais des scrupules, que le lecteur de cet auteur saisira parfaitement, l’empêchèrent. Il fut arrêté par l’impossibilité d’esquisser le plan complet. Voici, à titre de curiosité, l’exposition du sujet mis au concours : « Du sommeil au point de vue psychologique. — Quelles sont les facultés de l’âme qui subsistent ou qui sont suspendues ou considérablement modifiées dans le sommeil ? — Quelle différence essentielle y-a-t-il entre rêver et penser ? — Les concurrents comprendront dans leurs recherches le somnambulisme et ses différentes espèces. — Dans le somnambulisme naturel y-a-t-il conscience et identité personnelle ? — Le somnambulisme artificiel est-il un fait ? — Si c’est un fait, l’étudier et le décrire dans ses phénomènes les moins contestables, reconnaître celles de nos facultés qui y sont engagées et essayer de donner de [p. 49] cet état de l’âme une théorie, selon les règles d’une saine méthode philosophique. » — Le lauréat fut Lemoine qui réussit d’accommoder son sujet aux exigences d’un cadre fourni d’avance et qui avait effrayé le marquis d’Hervey de Saint-Denis.

(11) HERVEY DE Saint-Denis. Ibid., p. 23.

(12) Ibid., p. 28-33.

(13) Ibid., p. 35.

(14) HERVEY DE SAINT-DENIS, p. 35.

(15) HERVEY DE SAINT-DENIS, Ibid., p. 25.

(16) HERVEY DE SAINT-DENIS, Ibid., p. 253, 254, 256, 257.

(17) HERVEY DE SAINT-DENIS, Ibid., p. 255.

(18) HERVEY DE SAINT-DENIS, Ibid., p. 260. Sur quatorze personnes avec lesquelles l’auteur s’est entretenu sur la possibilité de s’observer soi-même en rêvant, neuf sont parvenues très vite au résultat ; une seule lui a déclaré n’avoir pu vraiment y parvenir ; les quatre autres arrivèrent à des résultats peu précis quoique confirmatifs.

(19) HERVEY DE SAINT-DENIS, Ibid., p. 264.

(20) HERVEY DE SAINT-DENIS, Ibid., p. 271.

(21) Ibid., p. 277.

(22) Ibid., p. 278.

(23) Ibid., p. 280.

(24) Ibid., p. 281.

(25) HERVEY DE SAINT-DENIS. Ibid., p. 293, 294, 295, 296, 297, 298.

(26) Ibid. voir rêve p. 304.

(27) Ibid. voir rêves p. 306, 309.

(28) Ibid. voir rêve p. 311.

(29) Ibid. voir rêves p. 315, 317, 318.

(30) HERVEY DE SAINT-DENIS, Ibid. voir rêves p. 321. 323. 324.

(31) Ibid. voir rêve p. 340.

(32) Ibid. voir rêve p. 335.

(33) Ibid. voir rêve p. 344-348.

(34) HERVEY DE SAINT-DÉNIS. Ibid. Voir rêves p. 363.

(35) Ibid. Voir rêves p. 372.

(36) Ibid. p. 376.

(37) Ibid. voir rêves, 379, 381, 383, 384, 38G, 387. Le rêve de la page 381 est reproduit en couleur dans le livre.

(38) HERVEY DE SAINT-DENIS, Ibid., p. 395, 400.

(39) HERVEY DE SAINT-DENIS, Ibid., voir Par l’abstraction les rêves de la p. 409-418.

(40) Ibid. p. 15.

(41) HERVEY DE SAINT-DENIS, Ibid. p. 422.

(42) HERVEY DE SAINT-DENIS, Ibid. p. 423.

(43) HERVEY DE SAINT-DENIS, Ibid., p. 425 et 440.

(44) Ibid. p. 426. 427.

(45) Ibid. 429, 430, 434. Son journal contient 17 exemples, dans neuf cas, il s’assimile des situations pénibles, dans huit il prend la place des autres sujets.

(46) Ibid. p. 434. 435.

(47) HERYEY DE SAINT-DENIS. p. 436.

(48) Ibid. p. 432, 433, 437, 439.

(49) Ibid. p. 448-461.

(50) Ibid. p. 457.

(51) HERVEY DE SAINT-DENIS, p. 458. Lire encore les rêves détachés publiés à la fin de ce chapitre et particulièrement les six concernant l’imagination et la mémoire, p. 467-470 ; à citer ceux aussi concernant la direction des rêves au milieu du sommeil pendant que l’auteur étudiait l’association des rêves, p. 463-466.

(52) HERVEY DE SAINT-DENIS. Ibid. p. 474.

(53) Mentionnons aussi les observations publiées en appendice (p. 475-488) dans les rêves après avoir pris du « hastchich », comme dit l’auteur. Il donne des exemples qui prouveraient que les rêves narcotiques ne sont que des modifications plus ou moins morbides des vrais rêves, que la volonté peut les diriger. Il expérimente sur un sujet en pleine santé.

(54) HERVEY DE SAINT-DENIS. Ibid. p. 478.

(55) J’analyserai dans un prochain travail critique tous les travaux sur la psychologie des rêves publiés en France depuis Maury et Hervey jusqu’à nos jours.

 

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