Le surréalisme en salle de garde.

SAINTE ANNE, 1945

LE SURRÉALISME EN SALLE DE GARDE

Professeur  Pierre MOREL, G.H.R. Caen

Inauguration du 16 décembre 14. Photographie.

Inauguration du 16 décembre 1945. Photographie.

 

 

Parler de fresques de salle de garde renvoie immanquablement le médecin aussi bien que le profane à des archétypes paillards qui vont de la simple grivoiserie aux fantasmes pornographiques des plus échevelés. C’est que l’art pariétal hospitalier, pour tenter peut-être d’échapper à l’empire de Thanatos, s’est délibérément rangé sous la bannière d’Eros et la majorité des fresques d’internat répondent en gros à cette traditionnelle image de marque. Et puis il y a eu Sainte Anne et notre propos est de faire découvrir quelques tableaux d’une exposition aujourd’hui disparue mais qui pendant vingt années a porté témoignage de l’art surréaliste d’un groupe d’artistes qui ont pour nom: Francis Bott, Honorio Condoy, Frédéric Delanglade, Oscar Dominguez, Luis Fernandez, Maurice Henry, Jacques Hérold, Marcel Jean, Baltasar Lobo, Emmanuel Manuel.

 

Oiseau icarien de Delanglade.

Oiseau icarien de Delanglade.

L’affaire débute en 1936. En ce temps-là Frédéric Delanglade (1), qui « parasitait » la salle de garde de l’asile Sainte Anne, est sollicité par les internes pour en repeindre le décor. Delanglade qui, outre la table d’hôte, hante également la bibliothèque médicale, est préoccupé par le problème des rêves. Il s’attaque donc à la composition d’une vaste fresque « onirique » d’inspiration surréaliste, « l’arbre à mains » qui va bourgeonner sur les murs pendant quelques années et plus précisément jusqu’à son anéantissement par les troupes d’occupation qui cantonnèrent un temps dans les locaux de l’Internat.

Cependant 
se retrouvent à
 Marseille, vers
 la fin de 1940 
et le début de
1941, un certain nombre
 d’artistes appartenant à la 
mouvance surréaliste : Ar
thur Adamov,
Victor Brau
ner, André
 Breton, René 
Char, René Daumal, Frédéric Delanglade, Oscar Dominguez, Marcel Duchamp, Max Ernst, Jacques Hérold, Sylvain Itkine, Wilfredo Lam, André Masson, Benjamin Péret, Victor Serge et Tristan Tzara.

Certains d’entre eux pourront réaliser à partir de Marseille leur projet de gagner les Etats- Unis mais, en attendant, ils ont coutume de se réunir à la Villa Bel-Air, siège du comité de Secours américain aux intellectuels, qui héberge d’ailleurs à plein temps André Breton et Victor Serge.

Le désœuvrement forcé stimule l’imaginaire et peut être générateur de distractions nouvelles. Dans le cas présent, il va aboutir à la création d’un jeu de cartes d’un nouveau style, le «Jeu de Marseille », que réalisent collectivement Brauner, Breton, Dominguez, Hérold, Lam et Masson.

SALLEGARDE0003Se voulant porteur de possibilités nouvelles tout en sauvegardant les jeux anciens, le Jeu de Marseille bouleverse nos repères habituels : aux quatre couleurs traditionnelles, il substitue la Flamme, la Serrure, la Roue et l’Etoile Noire, cependant que Rois, Reines et Valets laissent la place aux Génies (Baudelaire, Hégel, Sade et Lautréamont), Sirènes (La Religieuse portugaise, Hélène Smith, Lamiel et Alice – celle du Pays des Merveille) et Mages (Novalis, Paracelse, Pancho Villa et … Sigmund Freud). Le tirage au sort a attribué la composition des figures de Sade et de Lamiel à Jacques Hérold cependant que Freud échoit à Dominguez. Delanglade quant à lui est chargé de reprendre au trait les esquisses « pour que l’ensemble ainsi constitué garde un caractère collectif) en même temps qu’une certaine unité de style ».

En 1945 à Paris, les internes de Sainte-Anne reprennent possession de leurs murs dépouillés de l’Arbre à mains et, pour la seconde fois, ils font appel à Delanglade qui souhaite renouveler l’expérience collective qu’il a vécue à Marseille. Il s’en expliquera dans un texte paru en 1946 dans la revue Architecture d’Aujourd’hui.

« En connaissance de cause, les surréalistes, que le hasard avait regroupés à Marseille en 1941, eurent l’idée de faire un premier travail collectif : un jeu de carte ».
« Sans invoquer les raisons d’ordre intuitif qui nous inclinèrent à parfaire ce travail avec d’autant plus d’amour qu’il était la seule chose qui nous rattachât à la vie, la genèse de cette première manifestation collective remettait à l’ordre du jour la phrase prophétique de Lautréamont : « la poésie doit être faite par tous et non par un ».

Hérold.

Hérold.

Le surprenant résultat de cette confrontation devait avoir de nombreuses conséquences artistiques, sociales et morales.

La première est la peinture murale de Sainte Anne … A la Libération les internes m’invitant à recommencer une nouvelle décoration, je me souvins des résultats excellents du travail collectif de Marseille et n’hésitai pas à mettre en pratique la. méthode surréaliste collective que l’on qualifie improprement, faute d’autre terme, « d’automatique ».

A vrai dire, si l’aventure séduisait mes amis, plus d’un hésitait à se livrer à cette tentative qui engageait surtout sa réputation personnelle. Marcel Jean attaqua le mur, en barbouillant sans objet préconçu, de même, Dominguez, Fernandez, Condoy, Lobo, Hérold, Manuel, Maurice Henry et moi-même.

Le hasards guidait non mains. Nous nous rencontrâmes, nous nous heurtâmes, nous nous querellâmes, nous nous confondîmes et notre œuvre aussi… »

Maurice Henry ajoute quelques précisions,… plus techniques.

16 DÉCEMBRE 1945:, L’INAUGURATION

« Aucun plan d’ensemble, aucune gamme de couleur, aucun sujet n’avait été déterminé à l’avance. De larges surfaces blanches s’offraient à l’automatisme surréaliste dont le pinceau, le chiffon, la lame de rasoir se faisaient les instruments. L’imagination de chacun était-elle soudain confrontée avec celle des autres ? Alors se produisaient de surprenant phénomènes d’osmose, alors naissaient les métamorphoses ».

Et la presse parisienne rendait compte de l’inauguration de cette œuvre collective qui eut lieu le 16 décembre 1945.

« Certains aspects de notre œuvre collective dépassent de façon décisive la simple juxtaposition des talents », dira Marcel Jean. Et, de ce fait, osmose et métamorphose étaient telles que vingt ans plus tard, lorsque j’eus l’occasion de m’enquérir auprès de Frédéric Delanglade et de Jacques Hérold des paternités de ces œuvres juxtaposées, superposées ou entremêlées, je ne pus obtenir que des réponses fragmentaires. Ainsi ne pourrons-nous jamais plus définir ce qui revient à Honorio Condoy non plus qu’au sculpteur Baltasar Lobo.

La participation au demeurant paraît inégale et pour certains assez discrète. Nous songeons au caricaturiste Maurice Henry ou à Manuel, rallié tardivement au surréalisme lorsqu’en 1941 il participe avec un groupe de poètes, d’écrivains et de peintres (dont Jacques Hérold) à la fondation des éditions de La main à Plume.

Et puis il était des points forts attirant immédiatement le regard du visiteur. Ce sont quelques-uns d’entre eux que nous reproduisons ici, bien arbitrairement, dans le cadre de ce bref survol qui ne saurait avoir la valeur exhaustive d’une visite guidée, non plus que la moindre prétention à la critique d’art …

Marcel Jean.

Marcel Jean.

LEGRAND OISEAU ICARIEN

A tout seigneur, tout honneur : la figure dominante du grand Oiseau Icarien de Delanglade, vaste amalgame de briques, de poulies et de voitures, « inspiré, m’écrivit un jour l’auteur, par le machinisme et la psychose de bombardement consécutive à la guerre et aux raids aériens », s’imposait véritablement dès le seuil de la salle. A ses pieds se déroulait voluptueusement
un curieux personnage féminine à tête voilée, œuvre de Marcel Jean (à qui nous devons une imposante Histoire de la Peinture surréaliste), et dont nous retrouvons l’ébauche dans un dessin de 1937.

Plus loin, un tourbillon angulaire d’Oscar Dominguez n’était pas sans évoquer quelque nu descendant un escalier dans la manière de Marcel Duchamp. Il était surmonté d’une massive tête de bœuf en chapeau melon, cadeau de Fernandez.

Saluons encore cette figure de femme au moulin à café, à moins qu’elle ne soit pianiste, dont l’agencement en larges surfaces planes soulignées de lignes anguleuses est très représentatif du style de Francis Bott, ancien journaliste sous- trait au genre littéraire par Oscar Kokoschka qui le rencontra à Prague dans les années 30.

Pourtant, mais ceci nous est personnel, c’est par la prestation de Jacques Hérold, la plus abondante, la plus homogène et la plus plastique- ment harmonieuse, que nous nous sentons le plus attiré. Le graphisme tridimensionnel, sculptural est la parfaite illustration de ces lignes qu’écrivait l’artiste deux ans plus tôt dans le Surréalisme encore et toujours : la cristallisation étant une résultante du devenir de la forme et de la matière, la peinture doit atteindre à la cristallisation de l’objet. Le corps humain notamment est une constellation de points-feu d’un rayonnement de cristaux.

Femme descendant l'escalier de Dominguez.

Femme descendant l’escalier de Dominguez.

CONDAMNEE EN 1963

Nous sommes très proches ici de la Liseuse d’aigle de 1943 ou de la série des Grands transparents (1947), seul moment notons-le où Hérold fit aussi œuvre de sculpteur.

En 1963 la Vieille Salle de Garde était condamnée à céder la place aux nécessaires agrandissements de la Bibliothèque médicale de l’Hôpital. En dépit d’interventions répétées des internes, l’administration hospitalière ne consentit pas à sauvegarder le moindre panneau de cet ensemble pictural. Pour la troisième fois l’internat allait avoir recours à Frédéric Delanglade et ce fut là l’occasion de l’épanouissement d’un second Arbre à mains.

Le vernissage – très parisien – eut lieu le 17 juin 1964, mais ceci est déjà une autre histoire.

(1) Frédéric Delanglade (1907-1970) était fils de chansonnier – et docteur en médecine – Jean Marsac, qui présida longtemps aux destinées du cabaret de la Lune Rousse.

Ce texte reprend les grandes lignes d’un exposé fait au 4e Colloque de la Société internationale d’Histoire de la Psychiatrie et de la Psychanalyse organisé par Michel Collée à Clermont-de-l’Oise en octobre 1986. Il est paru précédemment dans la Tribune médicale n°203, du 11 au 17 juin 1998. 

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2 commentaires pour “Le surréalisme en salle de garde.”

  1. javier lacruz navasLe mardi 16 septembre 2014 à 8 h 29 min

    Très interesant. je suis interesée en conaître le peinture du Manuel, un dame… merci beaucoup

  2. Michel ColléeLe mardi 16 septembre 2014 à 8 h 47 min

    Cet article est extrait d’une revue médicale, comme indiquée et non d’un Manuel. Est-ce bien là votre question ? Merci pour l’intérêt que vous voulez bien porter à nos travaux.Cordialement.