Xavier Dariex. Mollie Fancher est morte. Un cas des plus extraordinaires de personnalités multiples et alternantes, accompagnées de clairvoyance. Article parut dans la revue des (Annales des sciences psychiques) 1916-3, parties 1 et 2.
Xavier Dariex, médecin, fut avec Charles Richet fondateur de la revue les « Annales des sciences psychiques » qui parut de 1891 à 1919 (Bimestriel (1891-1904) ; Mensuel (1905-1907 et 1912-1919) ; Bi-mensuel (1908-1911). – Il écrivit de très nombreux articles, surtout sur la parapsychologie et ses sujets connexes, en très grande partie dans la revue qu’il dirigeait. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
Mollie Fancher est morte.
Un cas des plus extraordinaires de personnalités multiples
et alternantes, accompagnées de clairvoyance.
[Partie 1]
Les journaux américains ont dernièrement annoncé la mort de Mollie Fancher. Ce nom auquel restera attaché le souvenir d’un des cas les plus intéressants de dédoublement de la personnalité humaine qui se soient jamais offerts à l’étude du psychologue et du philosophe, a occupé une place considérable dans les journaux, les revues, les ouvrages d’il y a une trentaine d’années, mais il ne dit plus grand chose à la génération actuelle; même l’ouvrage, relativement récent, que lui consacra, vers 1895, le Juge A.H. Dailey, de New-York, est presque complètement oublié en Europe.
Cet ouvrage était intitulé: Mollie Fancher: Who am I ? An Enigma (Qui suis-je? Une Énigme).
L’énigme consiste dans les remarquables phénomènes dont fut suivi l’accident qui transforma l’heureuse jeune fille de 16 ans en une invalide, sans espoir de guérison, il y a cinquante ans déjà. Différentes personnalités se succédaient l’une à l’autre en elle, séparées chacune par une période inévitable de spasmes et de convulsions, et chacune prétendait être Mollie Fancher. Chacune était identifiée par certaines portions de la vie précédente de Miss Fancher, et ignorait complètement les autres événements de sa vie.
Il y avait cinq personnalités de cette sorte dans la vie quotidienne de la patiente, en outre d’une qui dura neuf ans, et puis disparut mystérieusement.
Ces personnalités ont reçu un nom pour faciliter leur identification; elles s’appelaient respectivement Sunbeam, ldol, Rosebud, Pearl et Ruby. Sunbeam représentait la personnalité ordinaire, connue par les visiteurs et les amis comme étant celle de Mollie Fancher; mais il est difficile de dire si elle constituait la continuation de la vie de l’heureuse écolière de 16 ans; elle était, en tout cas, distincte de la personnalité qui domina dans les neuf ans qui suivirent l’accident, puisque ni Sunbeam, ni aucune autre des « Mollies » d’aujourd’hui ne s’est manifestée durant ces premières années. Sunbeam (comme les amis de Mollie Fancher appelaient cette dernière) paraissait connaître les détails de la vie entière de Mollie, sauf les neuf années mémorables qui constituent une lacune pour toutes les personnalités également. A vrai dire, Sunbeam insistait pour affirmer que Mollie Fancher était morte; toutefois elle jouait le rôle de la seule Mollie Fancher connue par le monde depuis une cinquantaine d’années.
Mais il arrivait une heure — c’était généralement chaque nuit — où Sunbeam, fatiguée, se retirait dans une subconscience reculée; sa disparition étant accompagnée d’un spasme. Ces spasmes méritent d’être étudiés par les personnes qui s’occupent de ces manifestations anormales; ils semblaient désarticuler les membres depuis le fémur jusqu’à la cheville; il paraît que même les petits os du pied étaient ainsi comme dessoudés. Les médecins disent que les membres étaient restés durant plusieurs années en proie à une triple contorsion. La pauvre malade eut d’ailleurs à souffrir à plusieurs reprises de nouvelles rechutes par suite de convulsions durant lesquelles elle tombait de son lit, malgré la surveillance incessante de ses aimables infirmières.
Quand, le spasme quotidien se terminait, Mollie ne gardait plus aucun souvenir des paroles et des actes de Sunbeam. C’était d’abord la petite Rosebud qui apparaissait. Rosebud affirmait n’avoir que sept ans. Elle reconnaissait bien comme père et mère les parents de Mollie; mais les détails de sa vie à 7 ans, tels que les déplacements de sa famille, les chansons enfantines qu’elle chantait, paraissaient encerclés dans un présent éternel. Il n’y avait pas de développement d’un jour à l’autre, d’une année à l’autre; Rosebud était il y a 40 ans telle qu’elle fut jusqu’au dernier jour. Mais elle ne tardait pas à se fatiguer et, comme Sunbeam, elle passait hors de vue dans le grand inconnu.
Un spasme constituait le requiem quotidien de la pauvre petite Rosebud, à laquelle succédaient l’apparition d’« Idol » et des autres personnalités, dont chacune, une fois fatiguée, disparaissait dans un nouveau spasme, jusqu’au moment où venait encore le tour de Sunbeam.
La malade ne dormait jamais. Ses accès de somnambulisme jouaient le rôle ordinairement assigné par la Nature à cette précieuse fonction.
Idol se souvenait de l’enfance de Mollie et était en état de suivre son existence jusqu’au moment de l’accident qui marqua le début de cette remarquable infirmité.
Pearl connaissait particulièrement les détails de la vie de Miss Fancher qui se déroula peu de temps avant l’accident, se rappelant ses divers professeurs et les jeunes amies d’alors. Ses visites étaient très courtes.
Ruby était vive, pétillante et spirituelle, et avait l’air de savoir beaucoup plus qu’elle ne disait; mais comme pour les autres personnalités, ses souvenirs se trouvaient limités à certaines portions de la vie de la patiente.
Il n’y eut jamais de changement de sexe dans ces manifestations.
Nous croyons utile de reproduire ici une partie de l’article que la Lumière (septembre 1898) consacrait à Mollie Fancher. Relatons d’abord ce que nous savons de Mollie Fancher.
Née, à Attleborough (Massachusetts), le 16 août 1848, elle reçut une excellente éducation. Elle aimait l’équitation et fit un jour une chute de cheval, mais guérit assez vite de ses blessures, sans avoir présenté de symptômes extraordinaires. Mais un jour de juin, en 1865, en descendant d’un tramway en mouvement, elle resta accrochée par ses vêlements, tomba et fut traînée sur le sol à une assez grande distance; ce fut miracle qu’elle ne périt pas. Portée chez sa tante, miss Crossby, de Brooklyn, elles resta là de longues années, jusqu’à la mort de cette tante. Elle souffrit beaucoup des suites de son accident, et au moment où elle commençait à se remettre, elle fut prise, le 3 février 1866, de phénomènes de contracture. Son corps se courba en cercle, de sorte que les pieds allèrent toucher la tête. Le 5 février, elle tomba en catalepsie et resta dans cet état jusqu’à la fin du mois. Lorsqu’elle reprit sa connaissance, ce fut pour perdre la vue, l’ouïe et la parole; les mâchoires se contractèrent et restèrent étroitement fermées, les jambes s’enroulèrent l’une autour de l’autre jusqu’à former un triple tour, le pharynx se contracta de façon à ne plus laisser passer aucun aliment, et l’estomac s’aplatit à un tel point qu’en posant la main sur lui, on arrivait immédiatement sur la colonne vertébrale. Convulsions et catalepsies se succédèrent en alternant d’une manière continue. Lorsqu’elle sortait de l’état cataleptique, il n’y avait pas de sommeil possible pour elle, de sorte que la catalepsie y suppléait, pour ainsi dire.
On pouvait tout au plus faire passer entre ses dents du jus de fruits et de l’eau, et ces substances étaient absorbées par la muqueuse buccale, car rien ne passait dans l’estomac. Elle resta ainsi sans prendre de nourriture, pendant douze ans. Elle n’était plus en communication avec le monde extérieur que par le toucher, et au moyen de celui-ci elle lisait livres et journaux, et distinguait tous les objets et même les couleurs. Pendant les neuf premières années de cet état singulier, les yeux restèrent presque constamment fermés; elle ne les ouvrait que pendant les périodes de relâchement musculaire, mais ne voyait pas. Durant toute cette période, le bras droit resta relevé derrière la tête, et bien que les mains restassent étroitement fermées par la contracture spasmodique des doigts, elle écrivit dans ces neuf années 6500 lettres, fit des travaux de lainage et mis en oeuvre 100000 onces anglaises de cire pour confectionner des fleurs artificielles qu’elle colorait à la perfection. Tout ce travail se faisait au-dessus de sa tête, la main gauche se rapprochant de la main droite; dans le poing gauche fermé étaient fixés le crayon, la plume ou tout autre objet dont elle avait besoin.
Mollie Fancher est morte.
Un cas des plus extraordinaires de personnalités multiples
et alternantes, accompagnées de clairvoyance.
[Partie 2]
Le plus extraordinaire, c’est que son état mental, loin de devenir plus mauvais, se perfectionna progressivement par le développement des facultés qu’on appelle médiumniques, et qu’elle a conservées depuis lors. Elle lit parfaitement des lettres fermées et cachetées, sans les tenir dans la main; elle voit ce qui se passe dans les habitations même très éloignées, décrivant avec exactitude les êtres, la toilette des personnes, leurs occupations actuelles, etc. Il n’existe pas d’obstacle matériel pour l’exercice de celle faculté de voyance, chez elle; elle voit les personnes quand elle le veut, dans quelque quartier de la ville qu’elles se trouvent et annonce toujours l’arrivée de celles qui sont en route pour la visiter. Elle se lient au courant des nouvelles et lit toujours avidement les journaux et les livres. Sa conversation est quelquefois assez brillante, bien qu’entrecoupée de paroxysmes douloureux qui lui font ardemment désirer la mort, car celle-ci n’est, à son idée, que l’entrée dans une vie supérieure, exemple de souffrances.
A la fin de la période des neuf années, dont nous avons parlé plus haut, Mollie Fancher tomba dans un état si complet de catalepsie qu’on la crut morte; mais au bout d’un mois, le bras droit se relâcha enfin, les jambes se redressèrent, les mains se rouvrirent, le corps reprit sa souplesse, et elle recouvra la vie et son entière connaissance. Grand fut son émoi quand, pensant n’avoir dormi qu’une nuit, elle apprit qu’elle sortait d’une période d’oubli de neuf années; elle en éprouva un grand chagrin; c’était une lacune absolue dans sa vie. Lorsqu’on lui raconta toutes les merveilles qu’elle avait accomplies durant ce laps de temps et qu’on lui montra le magnifique travail de ses propres mains, elle ne voulut pas y croire, se sentant incapable de rien faire de si artistique.
Un jour, par la suite, comme elle feuilletait le journal qu’elle avait écrit avec son poing, pendant une si longue série d’années, et cherchait à se rendre compte de ce fait extraordinaire, elle s’écria:
« En examinant ces fleurs de cire, que j’ai faites de mes propres mains, je ne puis penser qu’elles sont mon oeuvre, et j’éprouve même une certaine répugnance à les regarder, car elles me font en quelque sorte l’effet d’avoir été confectionnées par une morte. Je sens qu’il y a cinq Mollie, mais qui ou quoi elles sont, je ne saurais le dire ni me l’expliquer. Je suis inconsciente de tout ce qui m’arrive dans l’état de transe, mais quelquefois je me rends compte bien nettement de l’endroit, où j’ai été et de ce que j’ai vu. Je constate avec satisfaction que j’ai pu, d’une façon que je ne m’explique pas, quitter mon corps et me rendre au milieu des personnes qui me sont chères. Dans mes migrations, je puis voir dans toutes les directions sans être gênée par aucune opacité ni aucun obstacle matériel. Parfois, je me trouve dans des régions très élevées de l’espace où je vois souvent ma mère et d’autres amis. D’autres fois, quand je me sens déprimée, je puis même entendre la tendre voix de ma mère m’exhorter à prendre courage. »
le Prof. William R. Newbold, de l’Université de Pennsylvanie, s’occupant dans les Proccedings of the Society for Psychical Research de juillet 1896 de l’ouvrage du Juge Dailey, dont nous avons parlé plus haut, se plaint qu’il constitue un récit assez décousu, tiré d’un journal rédigé par une amie de Miss Fancher, d’une série de déclarations signées par des amis, et d’une suite d’articles ayant paru dans les journaux quotidiens. M. Dailey ne se montre pas familier avec les méthodes de critique qui ont été mises en usage surtout par la S.P.R. relativement aux recherches psychiques.
Ainsi, durant ses années de cécité, Miss Fancher avait convaincu ses amis qu’elle possédait des facultés supernormales de vision. On assure qu’à plusieurs reprises elle lut des lettres cachetées, décrivit des événements à distance et trouva des objets qui avaient été égarés. Elle pensait voir aussi le monde des esprits, tout en montrant beaucoup de réticence quand elle touchait à cette question. Le Professeur Newbold montre que le Juge Dailey ne fournit pas tous les détails nécessaires pour qu’il soit possible de juger exactement des faits. Voici l’un des exemples qu’il cite.
Le Prof. Parkhurst soumit à Miss Fancher une enveloppe cachetée contenant une coupure de papier imprimé, dont lui-même ignorait le contenu. Elle lui dit que le papier contenait les mots « court », « juridiction » et les chiffres 6, 2, 3, 4. Le professeur prit note de cela, emporta l’enveloppe encore cachetée, lut l’affirmation de Miss Fancher à deux amis, et ouvrit l’enveloppe en leur présence. On constata alors que la déclaration de Miss Fancher était exacte. Mais on ne nous dit pas si les caractères d’imprimerie étaient gros ou petits, quelle était l’épaisseur du papier qui les couvrait, combien de temps Mollie Fancher garda l’enveloppe, et si celle-ci resta en sa possession pendant que M. Parkhurst n’était pas présent.
Le Dr Speir affirme que Miss Fancher écrivit une fois pour lui sur une ardoise le contenu d’une lettre qui venait de lui être apportée par le facteur, et qui n’avait pas encore été ouverte.
Le Juge Dailey raconte que Miss Fancher lui dit un soir l’avoir vu avec un monsieur dont elle donna la description. M. Dailey se souvint d’avoir passé la soirée avec un certain M. Sisson. Ce dernier ayant été la trouver, quelques mois plus tard, avec une autre personne, la malade le reconnut comme le monsieur qu’elle avait vu converser aven M. Dailey.
Mais tous ces cas ne sont certainement pas présentés avec tous les détails qui sont nécessaires pour qu’on puisse juger exactement de leur valeur, et ce, malgré qu’ils soient accompagnés des déclarations signées de divers témoins.
En somme, comme le remarque le Prof. Newbold, les personnes qui admettent déjà la possibilité de la clairvoyance sentent fort bien, en lisant l’ouvrage du Juge Dailey, que Miss Fancher dut jouir de facultés supernormales remarquables. Mais ceux qui contestent ces faits ne seront pas aisément convaincus par cet ouvrage.
« On peut facilement comprendre la répugnance qu’éprouvait Miss Fancher à se soumettre à la Commission d’experts suggérée par la Société Médico-légale de New-York — conclut le Prof. Newbold — mais il est bien regrettable que ses amis aient laissé que la valeur d’un cas pareil ait été à peu près perdue par pure négligence. »
Il y a un an, Mollie Fancher manifesta le désir que, puisque elle avait souffert si longuement; elle pût vivre encore douze mois pour pouvoir célébrer le cinquantième anniversaire de sa maladie. Cette date se présenta enfin le 3 février dernier. A cette occasion, l’appartement de la patiente fut transformé par l’amabilité d’un fleuriste de Brooklyn en un vrai parterre de fleurs; Mollie elle-même, soutenue par des coussins, resta sur son séant durant plusieurs heures, recevant les visiteurs — les amis de Mollie étaient légion — s’intéressant aux cadeaux qui lui avaient été présentés et aux innombrables souhaits que lui apportaient une foule de lettres et de télégrammes. Son désir avait été satisfait, mais elle ne survécut qu’une seule semaine.
Parmi les souhaits qui lui furent adressés à cette occasion, se trouvait un poème de Miss Lilian Whiting, la poétesse américaine bien connue, qui a collaboré à notre revue il y a quelques années. Ce poème était dédié « à Mollie Fancher, qui a si noblement et courageusement transformé une vie de souffrance en une vie de service »… Il portait en exergue ces vers de Vaughn Moody:
Of wounds and sore defeat
I made my battle-stay
Winged sandals for my feet
I wove of my delay.
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