Maxime Laignel-Lavastine et Cambessadès. Ménage délirant halluciné chronique. Article paru dans « l’Encéphale », (Paris), deuxième semestre, 1913, pp. 479-486.

LAIGNELLAVESTINEMENAGEDELIRANT0001Maxime Laignel-Lavastine et Cambessadès. Ménage délirant halluciné chronique. Article paru dans « l’Encéphale », (Paris), deuxième semestre, 1913, pp. 479-486.

Maxime-Paul-Marie Laignel-Lavastine [1875-1953]. Élève de Joseph Babinski. il s’intéresse à la neurologie, la criminologie et la psychiatrie. Internat de Paris en 1898, Médecin des Hôpitaux en 1907, agrégé en 1910. Enseignant l’histoire de la médecine, c’est très tôt qu’il s’intéressera à la psychiatrie, mais c’est seulement en 1939, en prenant la succession de Henri Claude à Sainte Anne et en occupant la chaire de Clinique des maladies mentales qui se consacra à cette discipline. Organiciste convaincu, il prendra étonnement part à la défense de la psychanalyse comme nous le constatons ici. Parmi ses très nombreux élèves on peur retenir les psychanalystes Maurice Bouvet et René Held. En 1933, il fonda la revue Hippocrate,  avec le professeur Maurice Klippel.
Quelques publications : Quelques unes de ses publications :
— Les malades de la clinique Sainte-Anne devant l’éclipse solaire du 17 avril 1912. Extrait de la revue « L’Encéphale », septième année, premier semestre, 1912, pp. 482-484. [en ligne sur notre site]
— À propos d’une observation de psychanalyse. Gazette des hôpitaux, 1920.
— Avec Jean Vinchon. Les symboles traditionnels et le freudisme. Article parut dans la revue « Paris médical : la semaine du clinicien », (Paris), n°40, 1921, page 151-155. [en ligne sur notre site]
— La méthode concentrique dans l’étude des psychonévroses. Leçons cliniques de la Pitié, 1927. Paris, A. Chahine, 1928. 1 vol.
— La pratique psychiatrique à l’usage des étudiants et des praticiens. Avec 19 figures. Paris, J.-B. Baillière et fils, 1919. 1 vol.
— Les malades de l’esprit et leurs médecins du XVI° au XIX° siècle. Les étapes des connaissances psychiatriques de la Renaissance à Pinel. Paris, Norbert Maloine, 1930. 1 vol.
— Les symboles traditionnels et le freudisme. « Paris médical : la semaine du clinicien », (Paris), n°40, 1921.
— Pathologie du sympathique. Essai d’anatomo-physio-pathologie clinique. Préface du professeur Henri Roger. Avec 105 Figures. Paris, Félix Alcan, 1924. 1 vol.
— Délire archaïque (astrologie, envoûtement… magnétisme). Article paru dans les « Annales médico-psychologique », (Paris), XIV série, 92e année, tome 2, 1934, pp. 229-232. [en ligne sur notre site]
— Précis de criminologie. La connaissance de l’homme. La biotypologie. La personnalité criminelle. Criminologie clinique. Les récidivistes. Les anormaux. Les mineurs. Avec 2 figures. Préfaces de B. di Tullio et d’Étienne de Greeff. Paris, Payot, 1950. 1 vol.
— Recherches sur le plexus solaire. Paris, Georges Steinheil, 1903. 1 vol. in-8°.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
 – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

[p. 478]

Ménage délirant halluciné chronique.

Par MM. LAIGNEL-LAVASTINE et CAMBESSÉDÈS

Nous avons l’honneur de présenter à la Société une malade, qui nous a paru intéressante à deux points de vue : discussion du diagnostic et possibilité de contagion mentale.

Nous serons brefs sur le délire de l’homme. Nous nous étendrons davantage sur celui de la femme.

M. L…, âgé de trente-six ans, est graveur dessinateur. Enfant, il avait à son dire des « idées hystériques ». Il entend par là des pensées bizarres, surtout de nature érotique, qui sans cesse occupaient son esprit.

Marié, il est sobre, économe jusqu’à l’avarice, et suivant les termes de sa femme, cachottier, ours, peu causeur. Il paraît d’une intelligence très médiocre. [p. 479]

LAIGNELDELIREADEUX0001

Folie à deux de Ionesco.

Il y a six ans, à la suite d’une contrariété qu’il eut avec des voisins, il commence à avoir des hallucinations visuelles et auditives ; les voisins le surveillent et l’insultent pour le gêner dans son travail. Depuis lors, les hallucinations ne l’ont pas quitté. Le magnétisme y tient une large place. « Je me sens, dit-il, sans cesse sous l’impression d’une volonté qui me domine, je suis pris dans l’engrenage des idées, je fais les choses par l’abrutissement de cette sacrée télépathie. »

En somme, il s’agit d’un cas de psychose hallucinatoire chronique, et nous n’aurions pas eu l’idée de le présenter, si son histoire n’offrait ce fait intéressant : au bout de deux ans de vie commune, la femme a commencé elle aussi à délirer.

Louise B… (femme L…), âgée de trente et un ans, semble d’une intelligence moyenne, à coup sûr supérieure à celle de son mari. Durant toute sa jeunesse, la mère a toujours considéré la mentalité de sa fille comme semblable à celle des compagnes de son âge. Elle n’a pu nous donner, non plus du reste que de la malade, aucun renseignement digne de retenir l’attention. Mme L… dit cependant avoir toujours été d’un tempérament rêveur ; elle ne s’est jamais fait aucune amie.

Dans ses antécédents héréditaires, on note que son oncle a des crises dites de neurasthénie. De temps à autre, pendant deux mois environ, il doit abandonner tout travail.

Une fillette de dix ans, seule enfant du ménage L…, est atteinte de somnambulisme.

Depuis son mariage jusqu’au début de sa maladie, Mme L… vécut en assez mauvais termes avec son mari. A deux reprises, elle quitta le domicile conjugal pendant deux ou trois mois.

Quand, il y a six ans, son mari tomba malade, Mme L… resta auprès de lui pour le soigner. Comme il travaillait à domicile, elle le surveillait sans cesse. De temps à autre, le jour comme la nuit, le mari brandissait son revolver pour tirer vengeance de ceux qui l’insultaient ou l’épiaient.

Malgré cette vie très pénible, d’inquiétude, de peur et d’insomnie, l’état général de Mme L… restait satisfaisant. Elle se moquait des idées étranges de son mari et riait de ses excentricités. Cependant, elle s’inquiétait de l’avenir : « Je pensais que mon mari était en train de devenir fou. » Elle causait peu avec lui ; elle n’a guère essayé de le convaincre de l’absurdité de ses paroles et de ses actes. Elle se contentait de le suivre sans relâche.

Il y a trois ans environ, Mme L… surprit chez elle un cambrioleur. Dans les mois qui suivirent cet événement, la mère constata chez sa fille des idées étranges qui lui rappelaient celles de son gendre en ce sens seulement qu’elles n’avaient pas de rapport avec la réalité.

Dans le récit, raconté par la malade elle-même, un autre fait joue un grand rôle. Un soir au cinématographe, elle fut frappée par une scène terrifiante.

Au retour, elle entend des coups de sifflet dans la rue et croit être suivie par des bandits et des apaches. La nuit suivante, elle dort comme de coutume. Mais c’est à dater de ce jour que les rêves seraient devenus nombreux et auraient joué un rôle dans son affection. — A noter que le cinématographe et [p. 180] les bandits tiennent une large place dans les idées, les interprétations et les hallucinations de la malade. Depuis deux ans et demi, les idées délirantes installées peu à peu restent les mêmes.

La malade fit un long séjour à la Salpêtrière de janvier 1912 à avril 1913 et consulta à Sainte-Anne en mars 1911.

L’examen physique ne montre d’anormal que l’existence d’une masse arrondie, dure, peu mobile et peu douloureuse dont les rapports avec l’utérus sont difficiles à préciser. On hésite entre un fibrome pédiculé et un kyste de l’ovaire. En raison de la normalité des règles, le second diagnostic paraît plus probable.

Au point de vue psychique sont à considérer les troubles psycho-sensoriels et les idées délirantes.

Les hallucinations sont auditives, visuelles et génitales. Mentionnons que Mme L… sentirait quelquefois des odeurs de parfums et qu’elle aurait ressenti un jour un goût de cuisine. Elle présente souvent des épisodes oniriques tel que le suivant, qui se renouvela à maintes reprises à la Salpêtrière.

La malade le soir s’endort ; son sommeil est troublé de rêves. Elle s’éveille au milieu de la nuit et dans le silence du dortoir endormi, la scène se déroule identique toutes les nuits.

Des hommes habillés, qu’elle croit être des élèves de la Pitié, apparaissent et entourent son lit.

« Je les voyais autour de mon lit ; un s’asseyait sur la chaise. Ils ne parlaient pas. Ils montraient leurs verges et leurs anatomies. Au bout d’un moment, un monsieur entrait dans mon lit ; je sentais le contact ; je jouissais avec eux. »
— Quels sentiments aviez-vous à leur égard ?
— Quelquefois cela me faisait plaisir ; car quand on est jeune et enfermée on a des idées. Et j’ai toujours aimé l’homme. Mais ils arrivaient à avoir des gestes et la langue et tout. Oui, ils y allaient avec la langue ; ils trouvaient ça comme de la crevette douce. Ils ont des trucs.

Vous comprenez, il y avait des moments où j’en avais assez. C’est ce qui m’a épuisé. (En colère) oui, oui, ce sont les élèves de la Pitié. »

Les hallucinations auditives ont commencé à la Salpêtrière, mais elles y étaient plus rares que les manifestations visuelles. Pour le moment, le phénomène inverse se produit, et les hallucinations auditives paraissent plus fréquentes et plus intenses. Les troubles psycho-sensoriels visuels actuels consistent en photographies d’hommes nus, en visions de dessins (dentiers, as de trèfle, etc.), aperçus sur la lampe bleue placée à côté du lit de la malade. Ce sont, dit-elle, des « scènes cinématographiques qui s’effacent très vite ». En raison du point de départ réel de beaucoup de ces visions, il semble qu’il s’agisse le plus souvent de simples illusions. En tout cas, les scènes oniriques, analogues à celles de la Salpêtrière, se reproduisent encore quelquefois, mais à de rares intervalles.

Ce dont la malade se plaint le plus, c’est d’entendre sans cesse des voix.

« J’ai des voix aériennes. Pour moi, j’ai une correspondance avec quelqu’un ; on doit me téléphoner de quelque part. J’entends des voix, quelquefois loin, quelquefois près. Une seule, mais plus souvent plusieurs. »
— Entendez-vous comme quand on vous parle.
— Oui, parfaitement, mais je n’entends pas aussi bien que votre voix.
— Reconnaissez-vous si c’est une voix d’homme ou de femme?
— Ce sont des voix d’homme. [p. 481]
— Quelle preuve en avez-vous?
— C’est que ces voix sont plus fortes que celles des femmes. Ce sont des grosses voix. Il est arrivé quelquefois qu’ils imitaient la voix de femme. Ces voix ne me quittent jamais. Toute la journée, je les entends. Elles viennent de la Pitié ou des airs.
— Que disent les voix ou les bruits?
— Ce n’est pas un bruit, c’est une parole. Ces voix disent tantôt des choses, qui font jouir, tantôt des insultes. »

Il semble bien, en effet, que les hallucinations varient suivant l’humeur de la malade.

Ainsi, au moment des règles, la malade est excitée et en colère. Alors, elle précise ses griefs, parle volontiers avec exubérance et sur un ton agressif. « On m’en veut, on cherche à s’en prendre à mon patron pour me faire perdre ma place. » On m’appelle sans cesse « femme de sperme » ; la poilue du numéro 6 (numéro de son lit). »

Ce sont des apaches qui, dans l’air profèrent ces injures. Agissent-ils pour leur compte pour la dévaliser ? ou bien sont-ils au service des aviateurs. C’est ce que Mme L… se demande. En tout cas, ceux qui la poursuivent ont le pouvoir de faire souffrir ou de faire aimer.

« Je suis suivie dans l’existence et je veux savoir le fin mot de cette affaire. Je veux être vengée, je veux être vengée. »

Dans le courant de cet interrogatoire, la malade, très exaltée, prononce des phrases, dont elle ne peut préciser le sens.

« Mon état dure depuis le nouveau présidentiel M. Poincaré. »

« Au reste, je suis Française et je sais conduire la France. »

D’ailleurs, Mme L…, qui s’analyse avec finesse, a fait sur ses hallucinations auditives une observation très juste, qui permet d’en éclairer le mécanisme. Quand elle essaye de trouver dans la lecture un moment de repos, elle entend « les voix répétitionner aériennement » ; tout ce qu’elle parcourt des yeux sur le journal qu’elle achète tous les matins est redit dans les airs. Au contraire, si elle lit à voix demi-haute, rien ne se répète. Et elle se livre elle-même à des expériences ; il lui suffit de continuer à voix haute une lecture commencée à voix basse pour qu’aussitôt les voix cessent de se faire entendre. Inversement dès qu’elle continue à voix basse une lecture commencée à voix haute, elle entend « répétitionner aériennement » ce qu’elle lit.

*
*    *

Telle est l’histoire de Mme L…

Il a été fait mention de deux séjours de la malade dans les asiles. A Sainte-Anne, elle est allée consulter M. Gilbert Ballet. A la Salpêtrière, elle a été dans le service de M. Deny, où M. Chaslin a eu par la suite l’occasion de l’observer.

Nous serions heureux d’avoir leur opinion sur cette malade.

Les épisodes érotiques nocturnes rappellent trop les scènes anciennes de succubes et d’incubes et les auto-hétéro-accusations d’hystériques, telles que celles qui firent condamner Urbain Grandier et le lieutenant de [p. 482] la Roncière-le-Noury, pour ne pas y voir des troubles d’origine onirique.

L’onirisme nous semble donc avoir joué un rôle dans la constitution complexe de ce délire. L’existence d’un kyste de l’ovaire ne nous paraît pas non plus étrangère à la prédominance, dans le délire, des illusions, interprétations et hallucinations génitales.

De plus, nous tenons à faire remarquer que les accidents ont débuté à la suite de séances de cinématographe, où étaient représentées des scènes effrayantes. Les auteurs italiens ont déjà insisté sur le caractère pernicieux, au point de vue mental, de beaucoup de ces représentations. On conçoit que de tels spectacles puissent déterminer des troubles consécutifs à de violentes émotions chez une femme suggestionnable et rêveuse.

Cependant, les hallucinations auditives, qui ne sont pas douteuses et dont la malade analyse très bien le mécanisme, ont quelques-uns des caractères sur lesquels se fonde M. Gilbert Ballet pour affirmer la psychose hallucinatoire chronique.

Si Mme L… ne se plaint pas qu’on devine sa pensée, qu’on prenne sa pensée, elle remarque qu’on répète sa pensée ou plus exactement qu’on dit sa pensée au moment même qu’elle la pense, quand elle la pense tout bas. Cet écho synchrone, si ces deux termes n’étaient pas contradictoires, semble n’en exprimer pas moins un certain degré de désagrégation de la personnalité.

Si donc on voit, avec M. Ballet, dans l’écho de la pensée, la manifestation clinique d’une désagrégation initiale et persistante de la personnalité qui serait caractéristique de la psychose hallucinatoire chronique (1), notre malade serait atteinte, entre autres troubles, de psychose hallucinatoire chronique à moins qu’en raison du polymorphisme des idées délirantes, du peu de rigueur de leur systématisation et d’une certaine indifférence affective, il s’agisse du syndrome dit démence précoce paranoïde.

Cette affection est d’ailleurs masquée en partie par des épisodes confusionnels post-émotifs, tels que celui des apaches après le cinématographe, par des scènes oniriques, telles que celles auxquels prennent part les élèves de la Pitié et par de multiples illusions visuelles et interprétations erronées à l’occasion des moindres incidents survenant dans l’entourage de la malade.

De plus, son caractère rêveur a certainement imprimé à son délire une allure bien spéciale répondant à ce qu’on décrivait autrefois sous le nom de délire hystérique et tout à fait différente de celle que l’on voit chez les caractères susceptibles. [p. 483]

*
*    *

La seconde question, que soulève notre observation, est celle de l’existence ou non d’une relation entre le délire du mari et celui de la femme.

  1. Dumas (2) dans les délires à deux distingue :

1° Des cas de simple coïncidence ;

2° Des cas où le premier délirant exerce une action suggestive sur le second ;

3° Des cas où le délire du premier malade agit sur le second malade par les émotions vives qu’il y détermine.

Si notre malade n’a qu’une psychose hallucinatoire chronique, on ne peut voir dans notre ménage délirant qu’une coïncidence, car il n’existe pas d’exemple de contagion directe de cette affection. Certes tout est possible en matière de coïncidences. Cependant, toute l’histoire de la malade est peu compatible avec une pareille supposition. Peut-on ne pas établir une relation entre le délire du mari et celui de la femme, quand on songe à ces années pendant lesquelles Mme L… surveillait sans cesse son mari halluciné ?

Les malades sont des êtres complexes qu’on n’enferme pas toujours dans la rigueur d’une simple étiquette diagnostique. Aussi pensons-nous qu’on doit au moins discuter la contagion mentale.

Notre cas ne paraît pas répondre à la contagion directe par suggestion. Pour qu’il y ait possibilité de suggestion, il faut ou que le second sujet soit en état d’infirmité intellectuelle expliquant sa réceptivité, ou qu’il ait dans celui qui le suggestionne une confiance qui l’aveugle ou qu’il soit très suggestionnable.

La première supposition peut être rejetée. Mme L… est sans nul doute supérieure à son mari par l’intelligence.

La deuxième ne peut guère être admise. Le ménage a toujours vécu sans aucun lien d’affection ni de confiance réciproques. L’interrogatoire sur ce point est précis.

LAIGNELDELIREADEUX0002

Il est à noter du reste que M. L… n’a jamais essayé de convaincre sa femme de la réalité de ses hallucinations.

M. L… quittait son travail, prenait des attitudes menaçantes. Mme L… désarmait son mari, le calmait.

Voilà le résumé des scènes qui chaque jour et plusieurs fois par jour se passaient chez les L… Il n’y a rien là de très convaincant pour une personne saine. Par contre, Mme L… est très suggestionnable. On s’en [p. 484] aperçoit chaque jour dans le service : l’arrivée d’une entrante, un mot, un geste sont l’occasion de nouvelles arabesques dans le dessin de son délire.

Dans les cas de suggestion, M. Dumas admet que le second malade ne fait qu’emprunter au premier le thème délirant. Or, Mme L… a des idées et des hallucinations tout à fait différentes de celles de son mari.

C’est seulement dans ces derniers temps qu’elle dit que, si elle est assurée de la réalité de ses dires, son mari, de son côté, pourrait bien aussi avoir raison. On ne peut donc pas admettre dans notre ménage délirant la contagion mentale directe.

S’agit-il de contagion mentale indirecte ? Dans le troisième groupe de Dumas toute l’action se ramène aux émotions vives.

A cet égard, notre malade remplit les conditions. On imaginerait difficilement des émotions plus vives que celles qu’à dû subir cette mère de famille voyant son mari manier un revolver, dont à diverses reprises il l’a menacée ainsi que son enfant.

La fatigue physique des nuits sans sommeil et des journées remplies d’incidents pénibles ou terrifiants a diminué la résistance mentale. Elle aurait agi comme cause prédisposante.

Il y aurait donc un peu plus qu’une simple coïncidence fortuite de deux psychoses hallucinatoires chroniques, dont l’une, encore au début, est en partie masquée par des troubles contingents d’origine émotive et onirique, dans le déterminisme desquels la fatigue physique et morale, résultant d’une vie conjugale agitée avec un aliéné, paraît devoir entrer en ligne de compte.

Discussion :

M. G. BALLET. — En ce qui concerne le mari, le diagnostic n’est pas douteux ; il s’agit d’une forme très typique de psychose hallucinatoire chronique. Je crois que le même diagnostic peut être aussi porté chez la femme : entre autres manifestations, elle présente le symptôme fondamental de l’affection : la dissociation de la personnalité, on lui prend sa pensée.
Est-elle aussi suggestionnable que l’a dit M. Laignel-Lavastine ? Je n’en suis pas certain. Elle me paraît avoir influencé son mari plus que celui-ci ne l’a influencée. Il s’agit là d’une curieuse et intéressante coïncidence.

M. LAIGNEL-LAVASTINE. — Les épisodes oniriques sont-ils totalement explicables par la seule hypothèse de psychose hallucinatoire chronique ?

M. G. BALLET. — Je ne sais trop, n’ayant pas étudié la malade. Je [p. 485] rappellerai simplement qu’en ce qui concerne les sensations génitales et les troubles érotiques, ils sont trop fréquents chez les persécutés hallucinés pour que nous puissions être surpris de les rencontrer ici.

M. ARNAUD. — Pour justifier l’hystérie dont M. Laignel-Lavastine a fait l’hypothèse à propos de sa malade, il me semble qu’il faudrait la présence d’autres accidents plus franchement hystériques tels que crises, contractures, etc. Or, il ne semble pas que la malade en ait présenté.

M. Henry MEIGE. — Je me demande si ce n’est pas un peu par esprit de tradition que M. Laignel-Lavastine tend à faire intervenir l’hystérie pour expliquer certains troubles présentés par sa malade, notamment les hallucinations génitales. Nous étions accoutumés, il n’y a pas bien longtemps, à attribuer à l’hystérie des accidents psychopathiques qui paraissent aujourd’hui tout à fait indépendants de cet état. C’est ainsi que les anciennes histoires de démonopathie, d’incubes et de succubes, ont été considérées à tort comme des manifestations hystériques. Acceptant sans contrôle cette doctrine jadis universellement admise, certains d’entre nous ont contribué à l’accréditer. Nous devons aujourd’hui confesser notre erreur. Ces idées de possession, ces hallucinations spéciales, ces délires de rêve, etc., existent indépendamment de toutes manifestations hystériques et appartiennent proprement aux psychoses. Si l’on entreprenait aujourd’hui la révision de l’histoire de sœur Jeanne-des-Anges, dont beaucoup croient encore que l’hystérie fit tous les frais, on verrait combien restreinte est la part qu’on peut attribuer avec certitude à cette dernière et par contre l’importance prépondérante des éléments psychopathiques indépendants de l’hystérie.

M. LAIGNEL-LAVASTINE. — Je remercie la Société de psychiatrie de l’intérêt qu’elle a bien voulu porter à notre présentation.
J’accepte volontiers, avec M. Ballet, que notre malade soit atteinte, comme son mari, de psychose hallucinatoire chronique, mais, d’une part, je me demande si tous les troubles qu’elle présente peuvent être expliqués par cette seule hypothèse et, d’autre part, il me semble que la vie conjugale avec un persécuté halluciné, par le surmenage émotionnel et même physique qu’elle a entraîné, a prédisposé cette femme à tomber malade.
A M. Arnaud je répondrai que notre malade n’a présenté ni crises hystériques, ni contractures typiques, mais elle me paraît avoir assez de suggestibilité et de vagabondage imaginatif pour qu’on puisse dire qu’elle a un caractère hystérique.
La remarque de M. Meige est parfaitement juste et il est incontestable que les démonopathes sont plus que des hystériques ; ce n’est [p. 486] d’ailleurs pas une raison pour que certains ne soient pas en même temps des hystériques.

NOTES

(1) Gilbert BALLET. La psychose hallucinatoire chronique et la désagrégation de la personnalité. (L’Encéphale, 10 juin 1913.)

(2) G. DUMAS. Journal de psychologie normale et pathol., 1911.

 

LAISSER UN COMMENTAIRE