Maurice Macario. Des rêves considérés sous le rapport physiologique et pathologique. Partie 2. Rêves pathologiques. Extrait des « Annales médico-psychologiques », (Paris), tome I, 1847, pp. 27-48.
Article paru en deux partie, la seconde : Les rêves pathologiques, 1846, également sur notre site. Ces deux articles sont le ferment de l’ouvrage qui paraîtra quelques années pus tard, en 1857 (voir ci-dessous).
Maurice-Martin-Antonin Macario (1811-1898). Médecin aliéniste qui participa aux fameux débats des années 50 sur les hallucinations avec Lélut et Brierre de Boismont, il mobilisa son attention et ses recherches également sur les rêves. Elève de Leuret il proposa comme thérapeutique de la démonomanie, un traitement moral énergique. Nous avons retenu de ses nombreuses publications :
— Etude clinique sur la démonomanie. Article parut dans les « Annales médico-psychologiques », (Paris), tome I, 1843, pp. 440-485. [en ligne sur notre site]
— Du traitement moral de la folie. Paris, Rignoux, 31 janvier 1843.
— Des hallucinations.] in « Annales médico-psychologiques », (Paris), tome VI, 1845, pp. 317-349, et tome VII, 1846, pp. 13-45.
— Des hallucinations. Pars, Fortin Masson et Cie, 1846.
— Des rêves considérés sous le rapport physiologique et pathologique. Partie 1. Extrait des « Annales médico-psychologiques », (Paris), tome II, 1846, pp. 170-218. [en ligne sur notre site]
— Du sommeil, des rêves et du somnambulisme dans l’état de santé et de maladie, précédé d’une lettre de M. le Dr Cerise. Lyon et Paris, Perisse frères, 1857. 1 vol
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité nous avons renvoyé la note originale de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr
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DES RÊVES
CONSIDÉRÉS
SOUS LE RAPPORT PHYSIOLOGIQUE ET PATHOLGIQUE.
par
LE Dr M. MACARIO
IV
RÊVES PATHOLOGIQUES.
Quel rôle jouent les rêves dans les maladies? Ce sujet est presque vierge encore. On trouve bien éparses çà et là quelques observations de rêves morbides, mais sans suite, sans ordre, non coordonnées pour un but précis et déterminé. Il serait donc à désirer que les médecins dirigeassent leurs vues vers un point si important ; il ne pourrait qu’en résulter des renseignements utiles pour la pratique de l’art.
Nous n’avons point la prétention de traiter ici d’une manière approfondie ce sujet spécial, qui demanderait un champ d’observation autre que celui dont je dispose.
Cependant ne fût-ce que pour appeler l’attention des savants, nous allons essayer de combler cette lacune et de recueillir les éléments épars dans la science, afin de les réunir, le plus méthodiquement qu’il nous sera possible, en en corps de doctrines.
Et d’abord les rêves peuvent-ils être considérés comme des symptômes précurseurs d’une affection qui ne serait pas encore développée ? [p. 28]
Il est un fait physiologique incontestable : c’est que la sensibilité se développe quelquefois d’une manière extraordinaire pendant le sommeil. La plus légère impression, celle qui résulte d’une piqûre de puce, d’un bruit imperceptible, des plis des draps dans lesquels nous sommes couchés, etc., acquiert pendant l’état de sommeil une intensité telle qu’elle peut devenir la cause occasionnelle d’une foule de rêves plus bizarres, plus étranges les uns que les autres, et dont un médecin habile et attentif peut tirer des inductions de la plus haute portée. M. Baillarger a connu un hypochondriaque chez lequel les sensations, au moins très exagérées, qu’il accusait dans presque tous les organes, prenaient dans le demi-sommeil une telle intensité, qu’il redoutait singulièrement le moment où il allait s’endormir.
Aristote avait déjà remarqué cette exaltation singulière de la sensibilité pendant le sommeil, et il avait cherché à attirer sur ce point l’attention des hommes de l’art. Mais les paroles du grand philosophe ne trouvèrent point d’écho dans le monde savant et demeurèrent stériles. On négligea presque entièrement cet ordre de faits qui, s’il était poursuivi avec persévérance, pourrait devenir une source de résultats très importants.
En effet, comme on le sait, les maladies commencent, en général, par un travail pathologique latent, mais qui n’en a pas moins lieu dans les profondeurs de l’organisme : c’est ce qu’on appelle la période d’incubation. Pendant cette période, les malades jouissant en apparence d’une parfaite santé, et assurément ils sont bien loin de se croire menacés d’un danger immédiat. Eh bien ! pendant le sommeil, ce travail pathologique peut, dans certains cas, devenir sensible, appréciable, et provoquer des rêves qui auront des rapports plus ou moins directs ou sympathiques avec l’organe dans lequel s’opère ce commencement de travail morbide. Ainsi, par exemple, supposons que l’organe lésé soit le foie ou le cœur. Eh bien ! le [p. 29] malade rêvera qu’il est percé par un poignard, par une épée ; par un instrument quelconque qui traversera ces organes, et si ces rêves se répètent souvent, on peut les regarder comme des symptômes précurseurs d’une affection grave dont le médecin pourra peut-être prévenir les effets par des moyens appropriés. Citons-en quelques exemples,
Arnaud de Villeneuve rêve qu’il est mordu à la jambe par un chien, et peu de jours après, un ulcère cancéreux se développe clans le même point.
Galien parle d’un malade qui se vit, en rêve, portant une jambe de pierre, et quelque temps après, cette même jambe est frappée de paralysie.
Le savant Conrad Gesner rêva une nuit qu’il était mordu au côté gauche de la poitrine par un serpent, et une lésion grave et profonde ne Larda pas à se montrer dans cette même partie : c’était un anthrax, qui se termina d’une manière funeste au bout de cinq jours.
Une jeune femme voit en songe les objets confus et brouillés comme à travers un épais nuage, et elle devient amaurotique.
Un jeune homme rêve qu’il a devant les yeux la scène effrayante et hideuse d’un individu qui se débat dans des convulsions épileptiques, et il ne tarde pas à tomber lui-même du haut-mal.
Une femme à laquelle j’ai donné des soins, et dont j’ai rapporté l’histoire dans mon Mémoire sur la Paralysie hystérique (2), rêve (c’était à l’époque de ses menstrues) qu’elle adresse la parole à un homme qui ne peut pas lui répondre, car il est muet, et, chose remarquable, à son réveil elle est aphone.
Moi-même j’ai rêvé une nuit que j’avais un violent mal de gorge. A mon réveil, j’étais bien portant, mais quelques heures plus tard, je fus atteint d’une amygdalite intense. [p. 30]
Plusieurs fièvres ataxiques, le typhus, l’apoplexie idiopathique, la fièvre typhoïde, les convulsions des enfants sont souvent signalées par des rêves. On a même vu des maladies épidémiques dont les songes étaient le symptôme précurseur constant.
Les maladies du cœur et des gros vaisseaux sont souvent annoncées. alors qu’on ne les soupçonne pas encore, par des rêves tristes et alarmants. Je donne dans ce moment des soins à une jeune femme qui fut prise de palpitations violentes à la suite de rêves pénibles.
M Le comte de N… , dit M. Moreau de la Sarthe, chez lequel j’ai observé pendant plusieurs mois, et sans pouvoir l’arrêter, le développement d’une péricardite chronique et latente, s’était trouvé d’abord et constamment tourmenté chaque nuit par des rêves pénibles et effrayants. Ces rêves avaient attiré mon attention ; ils me donnèrent un premier aperçu sur le véritable caractère de son état, et m’inspirèrent de tristes pressentiments, que l’issue funeste de cette maladie ne justifia que trop dans la suite,
« Du reste, ajoute cet auteur, la constriction , le resserrement de poitrine pendant le sommeil, l’oppression, l’impression de souffrance, d’irritation qui peuvent résulter d’une phlegmasie latente, d’une congestion sanguine , d’un état rhumatismal ou névralgique de quelques-uns des organes renfermés dans cette cavité , pourront occasionner différentes espèces de rêves qu’on observateur attentif aura soin de remarquer (3). »
Les différents modes d’affections morbides des viscères du bas-ventre pourront être également reconnus et soupçonnés chez plusieurs personnes par la nature et le sujet de leurs rêves.
Les congestions sanguines, certaines hémorrhagies, sont souvent annoncées par des songes particuliers, caractéristiques. Ce sont des incendies, des spectacles sanglants, des scènes de meurtres et de carnages qui troublent le sommeil des [p. 31] personnes qui vont en être atteintes. Galien annonça qu’une crise hémorrhagique allait avoir lieu par la membrane pituitaire chez un malade qui avait de ces rêves rouges, si je puis m’exprimer ainsi.
Certaines femmes d’un tempérament sanguin sont également tourmentées par ces sortes de rêves à l’approche de leurs époques menstruelles. La menstruation est alors douloureuse et difficile.
Certaines hémorrhagies périodiques sont également précédées par des rêves semblables. Un médecin dont parle Moreau de la Sarthe avait, pendant sa jeunesse, été sujet à de pareilles hémorrhagies, mais sans rêves ni trouble pendant le sommeil. Dans un âge plus avancé, les hémorrhagies, qui ne furent pas aussi fréquentes, étaient toujours précédées d’une irritation générale annoncée pendant la veille par l’état du pouls, la chaleur de la peau, et pendant le sommeil par des rêves pénibles. Ces rêves roulaient toujours ou presque toujours sur des actions violentes, et dans lesquelles le malade croyait tantôt se battre et recevoir des blessures , tantôt marcher sur un volcan ou se précipiter dans des gouffres de feu.
Le travail pathologique des viscères de la poitrine et de l’abdomen, tout-à-fait insensible pendant la veille, donne souvent naissance à une foule de rêves auxquels la séméiotique doit accorder une grande importance, car dans tons ces cas les rêves sont un indice précieux qu’il ne faut pas négliger, et il est alors possible de prévenir la maladie qui se prépare, et surgira bientôt menaçante.
Mais de toutes les affections qui affligent notre espèce, ce sont, sans contredit, les névroses et surtout l’aliénation mentale qui sont le plus souvent précédées par des rêves bizarres et extraordinaires, qui, par leur nature , peuvent faire connaître à l’observateur attentif le genre de folie ou de névrose dont on est menacé.
Les songes qui se manifestent dans l’état intermédiaire à la veille et au sommeil précèdent quelquefois de plusieurs années [p. 32]le développement des hallucinations. Il est à remarquer que dans ces cas les rêves sont mieux dessinés, plus accentués, et se gravent mieux dans la mémoire que dans l’état de santé : aussi M. Leuret et M. Baillarger n’hésitent-ils pas à les ranger parmi les véritables hallucinations. Quant à moi, je suis enclin à partager l’opinion de ces deux auteurs recommandables.
M. Brierre de Boismont cite, d’après Schœnckius, l’observation suivante d’un aliéné dont la folie fut précédée par des rêves pénibles : « Dans un couvent d’Auvergne, un apothicaire qui était couché avec plusieurs personnes, ayant été attaqué du cauchemar, en accusa ses voisins ; il assura qu’ils s’étaient jetés sur lui et avaient cherché à l’étrangler en lui serrant le cou. Tous ses compagnons nièrent le fait ; ils affirmèrent qu’il leur avait paru passer la nuit sans dormir et dans un état de fureur. Pour se convaincre de la vérité, on le fit coucher seul dans une chambre exactement fermée, après lui avoir donné un bon souper et lui avoir même fait prendre des aliments flatulents.
L’attaque revint, mais cette fois il jurait qu’elle avait été produite par un démon dont il décrivait parfaitement la forme et la tournure. On ne put le détourner de cette idée qu’en le faisant traiter régulièrement. »
Cet homme devint donc fou à la suite d’un cauchemar, et certes, quoiqu’il n’en soit pas parlé, ce malade était depuis longtemps sujet à ce genre de rêves.
« Un particulier, dit Jason, vint me trouver dernièrement. Monsieur, me dit-il, si vous ne me secourez pas, c’en est fait de moi, je tombe dans le marasme ; voyez comme je suis maigre et pâle ; je n’ai plus que la peau et les os, moi qui ai toujours eu une bonne figure et un embonpoint raisonnable. —Qu’avez-vous, lui demandai-je, et à quelle cause attribuez-vous cette maladie ? —Je vais vous le dire, répondit-il, et vous en serez certainement étonné. Presque toutes les nuits, une femme dont la figure ne m’est pas inconnue vient près de moi, s’élance sur ma poitrine, et me presse si violemment que je puis à peine [p. 33] respirer. Si je veux crier, elle me suffoque ; et plus je veux élever la voix, moins je le puis. Bien plus, je ne puis me servir ni de mes bras pour me défendre ni de mes pieds pour m’enfuir ; elle me tient lié et garrotté sur la place. —Il n’y a rien d’étonnant, lui répondis-je (je reconnus sur-le-champ le cauchemar) ; tout ceci n’est qu’un fantôme, qu’un effet de l’imagination. —Un fantôme ! s’écria-t-il, un effet de l’imagination ! Je ne vous raconte que ce que j’ai vu de mes yeux et touché de mes mains. Souvent même éveillé et en pleine connaissance, je la vois venir à moi et s’élancer ; je cherche en vain à la repousser ; la crainte, l’anxiété et la supériorité de ses forces me jettent dans un état de langueur qui me rend incapable de me défendre. J’ai couru çà et là, cherchant continuellement du secours contre un état aussi misérable ; j’ai consulté entre autres personnes une vieille femme que le bruit populaire disait être fort habile et un peu sorcière. Elle me recommanda d’uriner vers le crépuscule, et de boucher aussitôt mon pot-de-chambre avec ma bottine du pied droit ; elle m’assura que le même jour la femme dont il s’agit ne manquerait pas de venir me trouver.
Quoique cela me parût ridicule, et que la religion même me détournât de faire cette expérience, vaincu cependant par la longue durée de ce mal, je l’essayai. Effectivement. le même jour, cette méchante femme vint chez moi, en se plaignant d’une horrible douleur dans la vessie ; mais quelque chose que je pusse faire, soit par prière, soit par menace, je ne pus obtenir d’elle qu’elle cessât de me tourmenter par ses visites nocturnes. —Je cherchai en vain à détourner cet homme de sa folle idée ; cependant, après deux ou trois conversations, il commença à être convaincu de la nature de la maladie et à concevoir l’espérance de sa guérison (4).
Cet homme, avant de tomber dans une telle aberration [p. 34] mentale , devait être également sujet depuis longtemps au cauchemar.
D’après les faits que nous venons de citer, on voit que des rêves peuvent faire soupçonner une maladie quelquefois très grave que ne révèle encore aucun signe pendant la veille, maladie qui, une fois bien caractérisée, est souvent incurable. Les praticiens ne sauraient donc trop se livrer à un examen si important : c’est une nouvelle route à parcourir, route sur laquelle il y a encore de bien beaux lauriers à cueillir.
Passons maintenant aux rêves qui accompagnent et compliquent les maladies tout-à-fait caractérisées.
Parmi ces maladies, la folie assurément occupe le premier rang : aussi les psychologues s’en sont-ils occupés ; c’est pourquoi je serai bref.
Tout le monde sait que les conceptions délirantes , les hallucinations et illusions des prétendus sorciers prenaient leur source dans les fausses perceptions du sommeil ; ils étaient si persuadés de leur réalité, qu’ils bravaient les souffrances les plus atroces de la torture, et la mort même, plutôt que de renoncer à leurs convictions.
Le vampirisme n’est que le résultat d’on rêve qui règne souvent d’une manière épidémique chez les Morlaques et les Hongrois. Les malheureux atteints de ce mal voient dans leurs songes l’ombre de leurs parents récemment enterrés s’approcher d’eux pour sucer avidement leur sang.
Le sommeil chez les monomaniaques est un sujet d’indications précieuses ; Esquirol a souvent passé des nuits à les écouter, et plus d’une fois ses veilles ont été récompensées, parce que les malades lui révélaient en dormant le sujet de leur délire.
La nature et le caractère des rêves varient suivant l’espèce de folie qu’ils compliquent. Dans la lypémanie, ils sont ordinairement tristes et oppressifs, et laissent une impression profonde et durable. Il n’est pas rare de voir des lypémaniaques se réveiller [p. 35] en sursaut, trempés de sueur et baignés de larmes. C’est le cauchemar sous toutes ses formes qui trouble en général le sommeil de ces malheureux insensés.
Dans la monomanie expansive, les rêves, au contraire, sont gais et riants ; ils sont en rapport avec les idées du malade.
Dans !a manie, ils se ressentent du bouleversement et de l’activité extraordinaire des facultés intellectuelles qui caractérisent cette forme de folie ; ils sont étranges , bizarres, désordonnés, fugitifs.
Dans la stupidité, les songes sont vagues, obscurs, incohérents, mais trisres, parce que la stupidité n’est, comme l’a fort bien démontré M. BaiJlarger, que le plus haut degré de la lypémanie, ou plutôt elle n’est qu’un rêve long et douloureux. Le stupide est taciturne, immobile et presque insensible aux impressions extérieures ; et lorsque ces impressions sont perçues, elles sont à l’instant transformées et deviennent le point de départ d’une foule de rêves-illusions.
Enfin, dans la démence, les songes sont rares et fugaces, et ne laissent en général aucun souvenir. Cela doit être , car dans la démence les facultés de l’intellect sont singulièrement affaiblies.
Les auteurs ont remarqué que les désordres de la folie se sont quelquefois reproduits pendant le sommeil après la guérison.
Un maniaque eut, une semaine après son rétablissement complet, des rêves dans lesquels il fut assailli par les mêmes pensées rapides et par les mêmes passions violentes qui l’avaient agité pendant sa maladie (5).
Le médecin doit en outre tenir compte de la nature des rêves clans les différentes périodes de l’aliénation mentale ; car, au fur et à mesure que les facultés reviennent à leur type régulier les songes doivent, ce me semble, s’approcher de plus en plus de ceux qu’on éprouve dans l’état de santé, devenir de plus en plus réguliers. [p. 36]
Chez les hypochondriaques, les hystériques, les femmes vaporeuses, la digestion est ordinairement laborieuse. Le tube digestif, et l’estomac en particulier, est fortement distendu par des gaz ; de là un état spasmodique plus ou moins violent de cet appareil, et cet état provoque le plus souvent des rêves pénibles et effrayants. Le sommeil d’un hypochondriaque auquel je donne des soins est souvent agité par des rêves terribles, au point qu’il s’éveille en sursaut et demeure pendant quelque temps en proie à une anxiété et à une agitation extrêmes. L’hypochondrie est ici compliquée de pulsations nerveuses que je cherche à calmer par les antispasmodiques et les sédatifs réunis.
Les maux de tête peuvent également· provoquer des rêves morbides.
Une jeune dame fait chaque nuit des songes alarmants qui se lient à une céphalalgie périodique très intense, que j’ai déjà combattue avec succès, et que je combats encore dans ce moment par le sulfate de quinine à haute dose.
Dans certaines fièvres intermittentes, le sommeil est souvent troublé par des songes pénibles ; les malades se réveillent en sursaut, la frayeur et l’anxiété peintes sur leur visage. —Ces rêves, suivant M. Moreau, de la Sarthe, annoncent que la maladie sera longue, et qu’elle se rattache à une affection organique. L’on doit alors être très circonspect dans l’usage des fébrifuges.
L’embarras gastrique est souvent compliqué par des rêves morbides ; tout le monde est à même de le remarquer. A peine sommes-nous endormis, que des fantômes effrayants, des tableaux hideux, des scènes tragiques nous assiègent et nous remplissent de terreur. —Il en est de même de l’irritation du canal intestinal causée par la présence des vers ou, chez les enfants, par le travail d’une dentition pénible. —Ces rêves sont alors accompagnés, comme l’observe l’auteur que je viens de citer, de tremblements convulsifs et d’un effroi spasmodique, de cette terreur nocturne dont quelques médecins ont voulu [p. 37] faire, à tort, une affection spéciale, car c’est tout simplement le résultat de rêves morbides.
M. Moreau, de la Sarthe, donne l’histoire d’une personne qui, pendant une névrose gastrique à laquelle elle pensa succomber, ne pouvait s’endormir quelques instants sans être exposée à rêver qu’elle avait dans l’estomac un jambon ou tout autre aliment indigeste dont elle croyait sentir le poids, et qui lui faisait éprouver les angoisses d’une indigestion.
Une irritation morbide directe ou sympathique des organes de la reproduction provoque des rêves érotiques et partant des pollutions nocturnes.
Un vieillard avait constamment de ces rêves, suivis de pertes qui le fatiguaient beaucoup, toutes les fois qu’un rhumatisme chronique erratique se portait sur la membrane fibreuse des testicules.
La pneumonie, la pleurésie aiguës et chroniques, les névroses partielles-de la cavité abdominale, les phlegmasies chroniques, sont presque constamment accompagnées de rêves pathologiques, qui, dans tous ces cas, se montrent ordinairement dans le premier sommeil, ce qui est d’un fâcheux augure.
On a fait la remarque que les songes qui compliquent les maladies du cœur et des gros vaisseaux sont très courts et promptement suivis d’un réveil en sursaut ; et il s’y mêle toujours ou presque toujours la crainte d’une mort prochaine avec des circonstances tragiques.
D’après toutes les considérations que nous avons développées dans ce mémoire, on demeurera convaincu , j’espère, que certaines affections graves sont souvent précédées, annoncées quelquefois longtemps d’avance par des rêves, et que toutes les maladies sans distinction sont presque constamment accompagnées de songes morbides qui, dans l’un et dans l’autre cas, ont toujours des rapports directs ou sympathiques avec l’organe lésé qui les occasionne.
Les rêves morbides, considérés sous ce point de vue, acquièrent [p. 38] donc un très haut intérêt en séméiotique, et on ne saurait trop conseiller aux médecins de se livrer sérieusement à une étude aussi utile et aussi féconde.
Quant à nous, nous nous estimerons trop heureux, si nous parvenons à faire entendre notre faible voix et à appeler l’attention sur ce sujet.
Nous ne terminerons pas ce travail sans parler du cauchemar idiopathique, qui peut, comme le somnambulisme naturel constituer à lui seul une véritable maladie.
Le malheureux livré au cauchemar est en proie à une angoisse, à une oppression affreuse. Il lui semble qu’un danger imminent, terrible, le poursuit. S’il veut appeler au secours, sa voix meurt étouffée dans sa gorge. Veut-il fuir, sa monture, s’il est à cheval, s’arrête, immobile comme un rocher ; s’il est à pied, il demeure cloué sur place comme un arbre ; ou bien s’il parvient à s’enfuir, c’est à travers des précipices effrayants où l’ennemi qu’il fuit à tire-d’aile le poursuit avec la même vitesse. —D’autres fois, c’est un gouffre épouvantable, un souterrain mystérieux vers lequel il est entraîné par une force irrésistible, et l’imminence du danger seule amène la crise ; alors il s’éveille plein de terreur, baigné de sueur, le pouls accéléré, éprouvant un sentiment de constriction et de malaise qui cesse bientôt.
C’est une variété de cauchemar dans lequel des monstres horribles, une femme vieille et hideuse s’approchent de vous, s’appuient sur votre poitrine de tout le poids de leur corps. L’infortuné éprouve alors des angoisses inexprimables, la sueur ruisselle de tous ses pores, toutes les fibres de son être frémissent d’horreur, et puis tout-à-coup, comme par enchantement, ces monstres, cette vieille sorcière se transforment quelquefois en une jeune et jolie personne ; les organes de la génération sont alors excités par cet objet imaginair ; ils entrent en action, et la crise a lieu.
Cælius Aurelianus a décrit le cauchemar qui a régné à Rome [p. 39] d’une manière épidémique. Le vampirisme dont nous avons parlé n’est qu’un cauchemar épidémique.
« En Morlaquie, il n’y a guère de hameaux, dit Ch. Nodier, où l’on ne compte plusieurs vukodlacks, et il y en a certains où le vukodlackse retrouve dans toutes les familles, comme le crétin des vallées alpines. Ici, la maladie n’est pas compliquée par une infirmité dégradante qui altère le principe même de la raison dans ses facultés les plus vulgaires. Le vukodlack subit toute l’horreur de sa perception ; il la redoute et la déteste ; il se débat contre elle avec fureur ; il recourt pour s’y soustraire aux remèdes de la médecine, aux prières de la religion, à la section d’un muscle, à l’amputation d’une jambe, au suicide quelquefois ; il exige qu’à sa mort ses enfants traversent son cœur d’un pieu et le clouent à la planche du cercueil, pour affranchir son cadavre, dans Je sommeil de la mort, de l’instinct criminel du sommeil de l’homme vivant. Le vukodlackest d’ailleurs un homme de bien, souvent l’exemple et le conseil de la tribu, souvent son juge et son poète. A travers la sombre tristesse que lui imposent le souvenir et le pressentiment de sa vie nocturne, vous devinez une âme tendre, hospitalière, généreuse , qui ne demande qu’à aimer. Il faut que le soleil se couche , il faut que la nuit imprime on sceau de plomb sur les paupières du pauvre vukodlack pour qu’il aille gratter de ses ongles la fosse d’un mort, ou inquiéter les veilles de la nourrice qui dort au berceau du nouveau-né; car le vukodlack est vampire, et les efforts de la science et les cérémonies de l’église ne peuvent rien sur son mal. La mort ne l’en guérit point, tant il a conservé dans le cercueil quelque symptôme de la vie. Et comme sa conscience, torturée par l’Illusion d’un crime involontaire, se repose alors pour la première fois, il n’est pas étonnant qu’on l’ait trouvé frais et riant sous la tombe : l’infortuné n’avait jamais dormi sans rêver !…
En Dalmatie, les sorcières ou les ujestizedu pays, plus raffinées que les vukodlacksdans leurs abominables festins, [p. 40 cherchent à se repaitre du cœur des jeunes gens qui commencent à aimer, et à le manger rôti sur une braise ardente,
« Un fiancé de vingt ans, qu’elles entouraient de leurs embûches et qui s’était souvent réveillé à propos, au moment où elles commençaient à sonder sa poitrine du regard et de la main, s’avisa, pour leur échapper, d’assister son sommeil de la compagnie d’un vieux prêtre qui n’avait jamais entendu parler de ces redoutables mystères, et ne pensait pas que Dieu permît de semblables forfaits aux ennemis de l’homme. Celui-ci s’endormit donc paisiblement après quelques exorcismes dans la chambre du malade qu’il avait mission de défendre contre le démon. Mais le sommeil était à peine descendu sur ses paupières, qu’il crut voir les ujestizeplaner sur le lit de son ami, s’ébattre et s’accroupir autour de lui avec un rire féroce, fouiller dans son sein déchiré, en arracher leur proie et la dévorer avec avidité, après s’être disputé ses lambeaux sur des réchauds flamboyants. Pour lui, des liens impossibles à rompre le retenaient immobile sur sa couche, et il s’efforçait en vain· de pousser des cris d’horreur, qui expiraient sur ses lèvres pendant que les sorcières continuaient à le fasciner d’un œil affreux, en essuyant de leurs cheveux blancs leurs bouches toutes sanglantes. Lorsqu’il s’éveilla, il n’aperçut plus que son compagnon, qui descendit du lit en chancelant, essaya quelques pas mal assurés, et vint tomber froid, pâle et mort à ses pieds, parce qu’il n’avait plus de cœur.
« Ces deux hommes, ajoute Nodier, avaient fait le même rêve, à la suite d’une perception prolongée dans leurs entretiens ; et ce qui tuait l’un, l’autre l’avait vu. Voilà ce qui en est de notre raison abandonnée aux idées du sommeil (6). »
Les croyances aux revenants, aux spectres, aux fantômes ; la terreur produite par certains récits, par certains tableaux, par des idées superstitieuses, surtout lorsqu’elles se trouvent [p. 41] réunies avec quelques causes physiques ou organiques, et avec une constitution médicale particulière, peuvent devenir l’occasion du cauchemar épidémique. —Les fatigues, les veilles, les marches forcées, l’ardeur du soleil, sont dans le même cas. En voici un exemple :
« Le premier bataillon du régiment de la Tour-d’Auvergne , dont j’étais chirurgien-major, dit le docteur Laurent, se trouvait en garnison à Salins, en Calabre, reçut l’ordre de partir à minuit de cette résidence pour se rendre en toute diligence à Tropea, afin de s’opposer au débarquement d’une flottille ennemie qui menaçait ces parages. C’était au mois de juin ; la troupe avait à parcourir près de 40 milles du pays ; elle partit à minuit, et n’arriva à sa destination que vers sept heures du soir, ne s’étant reposée que peu de temps et ayant souffert considérablement de l’ardeur du soleil. Le soldat trouva en arrivant la soupe faite et son logement préparé. Comme le bataillon était venu du point le plus éloigné et était arrivé le dernier, on lui assigna la plus mauvaise caserne, et 800 hommes furent placés dans un local qui, dans les temps ordinaires, n’en aurait logé que la moitié. lis furent entassés par terre sur de la paille, sans couverture, et par conséquent ne purent se déshabiller. C’était une vieille abbaye abandonnée. Les habitants nous prévinrent que le bataillon ne pourrait conserver ce logement, parce que toutes les nuits il y revenait des esprits, et que déjà d’autres régiment en avaient fait le malheureux essai. Nous ne fîmes que rire de leur crédulité ; mais quelle fut notre surprise d’entendre à minuit des cris épouvantables retentir en même temps dans tous tes coins de la caserne, et de voir tous les soldats se précipiter dehors et fuir épouvantés ! Je les interrogeai sur Je sujet de leur terreur, et tous me répondirent que le diable habitait dans l’abbaye ; qu’ils l’avaient vu entrer par une ouverture de la porte de leur chambre sous la forme d’un très gros chien à longs poils noirs, qui s’était élancé sur eux, leur avait passé sur la poitrine avec la rapidité de l’éclair, el avait disparu par le côté opposé de [p. 42] celui par lequel il s’était introduit. Nous nous moquâmes de leur terreur panique, et nous cherchâmes à leur prouver que ce phénomène dépendait d’une cause toute simple et toute naturelle , et n’était qu’un effet de leur imagination trompée. Nous ne pûmes ni les persuader, ni les faire rentrer dans la caserne. Ils passèrent le reste de la nuit dispersés sur le bord de la mer, et dans tous les coins de la ville. Le lendemain , j’interrogeai de nouveau les sous-officiers et les plus vieux soldats ; ils m’assurèrent qu’ils étaient inaccessibles à toute espèce de crainte, qu’ils ne croyaient ni aux esprits, ni aux revenants , et me parurent persuadés que la scène de la caserne n’était pas un effet de l’imagination, mais bien la réalité ; qu’ils n’étaient pas encore endormis lorsque le chien s’était introduit, qu’ils l’avaient bien vu , et qu’ils avaient manqué en être étouffés, au moment où il leur avait sauté sur la poitrine. Nous séjournâmes tout le jour à Tropea, et, la ville étant pleine de troupes, nous fûmes forcés de conserver le même logement ; mais nous ne pûmes y faire coucher les soldats qu’en leur promettant d’y passer la nuit avec eux. Je m’y rendis, en effet, à onze heures et demie du soir, avec le chef de bataillon ; les officiers s’étaient, par curiosité, dispersés dans chaque chambrée ; nous ne pensions guère voir se renouveler la scène de la veille ; les soldats, rassurés par la présence de leurs officiers qui veillaient, s’étaient livrés au sommeil, lorsque vers une heure du matin, et dans toutes les chambres à la fois, les mêmes cris se renouvelèrent, et les hommes qui avaient vu le même chien leur sauter de nouveau sur la poitrine, craignant d’en être étouffés, sortirent de la caserne pour n’y plus rentrer. Nous étions debout, bien éveillés, et aux aguets pour bien observer ce qui arriverait, et, comme on pense, nous ne vîmes rien paraître.
« La flottille ennemie ayant repris le large, nous retournâmes le lendemain à Palmi. Nous avons, depuis cet événement, parcouru le royaume de Naples, dans tous les sens et dans toutes les saisons. Nos soldats ont souvent été entassés de la même [p. 43] manière , et jamais ce phénomène ne s’est reproduit. Nous pensons que la marche forcée qu’ils avaient été obligés de faire pendant une journée très chaude, en fatiguant les instruments de la respiration, les avait affaiblis, et les avait disposés à éprouver cet éphialte, qu’ont dû déterminer la position gênée dans laquelle ils étaient obligés de se tenir couchés, tout habillés, la raréfaction de l’air, et peut-être son mélange avec quelque gaz nuisible (7). »
Le cauchemar se montre quelquefois d’une manière périodique, toujours à la même heure et sous la même forme et Brierre de Boismont cite l’histoire d’un jeune homme, qui vit pendant plusieurs nuits de suite des hommes qui venaient se placer au pied de son lit pour en tirer les draps : il engageait avec eux une lutte, dans laquelle il avait toujours le dessous ; et lorsqu’il était complètement découvert, il sortait de sa crise.
Sylvius a publié l’observation, faite sur lui-même, d’un cauchemar périodique.
Charles Nodier cite le fait suivant : « Il y a vingt-quatre ans, dit-il, que je voyageais en Bavière avec un jeune peintre italien, dont j’avais fait la rencontre à Munich. Sa société convenait à mon caractère et à mon imagination de ce temps-là, parce qu’il se trouvait une douloureuse conformité entre nos sentiments et nos infortunes.
« Il avait perdu, quelque temps auparavant, une femme qu’il aimait, et les circonstances de cet événement qu’il m’a souvent racontées, étaient de nature à loi laisser une impression ineffaçable,. Cette jeune fille, qui s’était obstinée à le suivre dans les misères d’une cruelle proscription, et à lui déguiser l’altération de ses forces, finit par céder, dans une des haltes de leurs nuits vagabondes, à l’excès d’une fatigue parvenue à ce point où elle n’aspire qu’au repos de la mort.
« Le pain leur manquait depuis deux: jours, quand ils découvrirent [p. 44] un trou de roche où se cacher. Elle se jeta sur son cœur, quand ils furent assis, et il sembla qu’elle lui disait : « Mange-moi, si tu as faim. » —Mais il avait perdu connaissance, et quand il lui revint assez de forces pour la presser dans ses bras, il trouva qu’elle était morte. Alors il se leva , la chargea sur ses épaules, et la porta jusqu’au cimetière du premier village, où il lui creusa une fosse, qu’il couvrit de terre et d’herbes, et sur laquelle il planta une croix composée de son bâton, qu’il avait traversé de son épée. Après cela, il ne fut pas difficile à prendre, car il ne bougeait plus. Quelqu’un de ces événements si communs alors lui rendit la liberté ; le bonheur, c’était fini.
« Mon compagnon de voyage, qui ne conservait, à vingt-deux ans, que les linéaments d’une belle et noble figure, était d’une extrême maigreur, peut-être parce qu’il mangeait à peine pour se soutenir. Il était pâle, et, sous son épiderme un peu basané, la pâleur de l’Italien est livide. L’activité de sa vie morale semblait s’être réfugiée tout entière dans deux yeux d’un bleu transparent et bizarre, qui scintillaient avec une puissance inexprimable, entre deux paupières rouges, dont les larmes avaient, selon toute apparence , dévoré les cils ; car ses sourcils étaient, d’ailleurs, très beaux.
« Comme nous nous étions avoué l’un à l’autre que nous étions très sujets au cauchemar, nous avions pris l’habitude de coucher dans deux chambres voisines, pour pouvoir nous éveiller réciproquement, au bruit d’un de ces cris lamentables qui tiennent plus de la bête fauve que de l’homme. Seulement il avait toujours exigé que je fermasse la porte de mon côté, et j’attribuais cette précaution à l’habitude inquiète et soupçonneuse d’un malheureux qui a été longtemps menacé dans sa liberté, et qui jouit peu du bonheur de se remettre à la garde d’un ami.
« Un soir, nous n’eûmes qu’une chambre et qu’un lit pour deux. L’hôtellerie était pleine. li reçut cette nouvelle d’un front plus soucieux que de coutume. Il divisa les matelas de manière à faire deux lits, délicatesse dont je me serais peut-être avisé et [p. 45] qui ne me choqua point. Ensuite, il s’élança sur le sien, et me jetant un paquet de cordes dont il s’était muni : « Viens me lier les pieds et les mains, me dit-il avec l’expression d’un désespoir amer, ou brûle-moi la cervelle. »
« Je raconte, je ne fais pas un épisode de roman fantastique. Je ne rapporterai pas ma réponse et les détails d’un entretien de cette nature : on les devinera.
« L’infortunée, qui me dit de la manger pour soutenir ma vie ! s’écria-t-il en se renversant avec horreur et en couvrant ses yeux de ses mains…, il n’y a pas une nuit que je ne la déterre et que je ne la dévore dans mes songes ; pas une nuit où les accès de mon exécrable somnambulisme ne me fassent chercher l’endroit où je l’ai laissée, quand le démon qui me tourmente ne me livre pas son cadavre. Juge maintenant si tu peux coucher près de moi, près d’un vampire !… »
« Il serait plus cruel pour moi que pour le lecteur d’arrêter son attention sur ce récit. Ce que je puis faire, c’est d’attester sur l’honneur que tout ce qu’il a d’essentiel est exactement vrai ; qu’il n’y a pas même ici cette broderie du prosateur qui accroît les dimensions de l’idée en les couvrant de paroles (8). »
Le songe vénérien accompagne souvent le cauchemar. Sauvages en a emprunté un cas très bien caractérisé à Fortis. Mais ce phénomène se montre aussi dans d’autres songes que le cauchemar. Toutes les fois que je m’endors couché sur le dos, je suis sûr, ainsi que je l’ai déjà dit, de faire des rêves érotiques. Les personnes qui se livrent aux travaux de l’intelligence et à la méditation sont sujettes à des pollutions nocturnes, qui se lient presque toujours à des rêves voluptueux. Cet état devient souvent alarmant à cause de l’épuisement qu’il produit : il faut alors y apporter remède, autrement le marasme peut s’ensuivre et la mort ne tarde pas alors à venir mettre un terme à la vie des infortunés qui sont atteints de cette étrange affection. [p. 46]
Ici, on le voit, des idées conçues dans le centre encéphaIique réagissent sympathiquement sur des organes éloignés. « La conclusion qui peut s’en tirer est sans doute remarquable, dit Cabanis, mais elle ne résulte pas, au reste, moins nettement de tous les actes de la mémoire ou de l’imagination, dont les impressions originelles appartiennent à un organe, tandis que les déterminations paraissent ne réagir passagèrement sur lui que pour se diriger entièrement vers un autre.
« Le système cérébral, ajoute ce, auteur, a donc la faculté de se mettre en action par lui-même, c’est-à-dire de recevoir des impressions, d’exécuter des mouvements analogues dans les autres organes, en vertu de causes dont l’action s’exerce dans son sein, et s’applique directement à quelque point de sa pulpe nerveuse.
« Dans ces circonstances, les impressions ressenties généralement par tout le système nerveux peuvent se concentrer dans une de ses parties ; les impressions reçues par l’une de ses parties peuvent, tantôt devenir générales et mettre en jeu tout le système, tantôt passer, par voie de sympathie, d’un point à l’autre, et produire leurs derniers effets ailleurs que dans le siège où réside la cause, ou dans le lieu de son application (9). »
Ces réflexions nous conduisent tout droit au somnambulisme naturel, à cet étal dans lequel le système locomoteur, tous les organes, en un mot, peuvent entrer en action sous l’influence d’un songe. Le somnambule, en effet, quoique plongé dans un profond sommeil, cause, discute, lit, écrit, monte à cheval, parcourt des précipices effrayants avec une adresse merveilleuse, mange, boit, vaque à ses affaires ni plus ni moins que s’il était éveillé. Les passions l’agitent et le dominent, il se livre à la joie, à l’espérance, à la colère, au désespoir. Comme dans les rêves intellectuels, ses facultés se développent quelquefois à [p. 47] un degré éminent, et l’avenir se dévoile parfois à son regard clairvoyant. Est-il livré à la haine et à la colère, l’œil étincelant, la figure pâle, les lèvres tremblantes, les muscles crispés et agités de mouvements convulsifs, la main brandissant une arme homicide, il fond sur son adversaire et lui porte parfois des coups mortels. Un moine, sombre et mélancolique de sa nature, rêve que son supérieur a tué sa mère ; l’ombre de cette dernière lui apparaît et l’excite à la vengeance, et aussitôt il se lève, saisit un poignard, et court comme un forcené à l’appartement de l’abbé, s’approche de son lit et frappe à coups redoublés, puis il regagne calme et tranquille sa cellule solitaire. Heureusement le prieur auquel les coups étaient adressés n’était point encore couché ; il était occupé à son bureau, sur lequel deux lampes brillaient de tout leur éclat, et le somnambule passa devant lui les yeux grandement ouverts sans le voir.
Chose remarquable ! les somnambules sont insensibles aux impressions du dehors, hormis celles qui sont en rapport avec leurs idées, leurs pensées et leurs sentiments.
Une femme, perdue de mœurs, introduisit clandestinement un jeune homme dans la chambre d’une somnambule en proie à un accès ; ce jeune homme se porta sur cette infortunée aux dernières extrémités, tandis que sa camarade lui fermait la bouche avec les draps et triomphait ainsi de la vigoureuse résistance qu’elle opposait malgré son état. Le lendemain la jeune somnambule ne conservait aucun souvenir des événements de la nuit ; et ce fut seulement dans un de ses paroxysmes suivants qu’elle révéla à sa mère la criminelle tentative dont elle avait été victime.
Ainsi cette fille, dans ses accès, se rappelait les choses qui avaient excité son attention pendant les paroxysmes précédents, mois qu’elle avait entièrement oubliées dans l’intervalle ; tandis qu’en sortant de ses accès, les impressions qui l’avaient affectée auparavant, dans l’intervalle lucide, se présentaient de nouveau à son esprit. [p. 48]
Les somnambules ne le sont pas tous au même degré. Il en est qui parlent seulement et ne bougent pas ; je suis dans ce cas ; d’autres qui agissent sans parler ; d’autres qui agissent et parient ; d’autres enfin qui parlent, agissent et éprouvent en même temps différentes affections corporelles, telles que la sensation du froid, de la chaleur, etc.
Ainsi le somnambulisme soit naturel, soit artificiel, diffère des rêves ordinaires en ce que, dans le premier cas, les organes obéissent à l’empire de la volonté, tandis que cela n’a pas lieu dans les songes proprement dits ; de sorte qu’on pourrait dire que le somnambulisme est un rêve actif, c’est-à-dire un rêve dans lequel la volonté semble conserver son empire presque comme dans l’état de veille .
Notes
(1) Voir le numéro de Septembre 1846.
(2) Annales médico-psychologiques, numéro de Janvier 1844.
(3) Moreau de la Sarthe, Grand dict. de méd. article Rêves.
(4) Jason, De morbis cerebri.
(5) Gregory, cité par M. Brierre de Boismont, ouv. cit.
(6) Voyage en Dalmatie.
(7) Grand dictionnaire de médecine, art. INCUBES.
(8) Nodier, ouv. cit.
(9) Cabanis, Rapports du physique du moral.
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