Masud R. Khan. La psychologie du rêve et l’évolution de la situation psychanalytique. Extrait de la « Revue Française de Psychanalyse », (Paris), numéro 1, 1964, pp. 113-132.
Mohammed Masud Raza Khan (1924-1989). Psychanalyste britannique d’origine pakistanaise. Après de décès de ses deux premiers analystes, il entreprends une troisième avec Donald Winnicott. Puis quelques supervision suivent avec Éline Klein, puis avec Anna Freud. Il fut impliqué dans un certain nombre de scandales, qui lui ont valu dans un premier temps l’interdiction d’exercer comme didacticien, puis en 1988, après un deuxième scandale, son exclusion définitive de la Société britannique de psychanalyse. Nous retenons comme publications :
Le Soi caché, traduction C. Monod. Paris, Gallimard, 1976.
Figures de la perversion, traduction C. Monod. Paris, Gallimard, 1981.
Passion, solitude et folie, traduction M. Tran Van Khai et C. Monod. Paris, Gallimard, 1985.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’ouvrage. – Les images ont été rajoutées par nos soins. — Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
[p. 113]
La psychologie du rêve
et l’évolution
de la situation psychanalytique (1)
par M. MASUD R. KHAN (Londres)
I. — L’AUTO-ANALYSE DE FREUD
ET LA DÉCOUVERTE DE LA SITUATION ANALYTIQUE
Dans sa biographie de Freud, Jones [47] nous dit : « Deux parties importantes des recherches de Freud se trouvent intimement liées à son auto-analyse : l’interprétation des rêves et son estimation toujours plus poussée de la sexualité infantile » (p. 320), Kris a également souligné ce fait dans son introduction à la Naissance de la psychanalyse (p. 26). Ce que l’on n’a pas suffisamment indiqué, c’est que le gain unique pour la science psychanalytique, acquis grâce à l’auto-analyse de Freud, qu’il a entreprise au cours de l’été 1897 et poursuivie toute sa vie durant, fut l’invention de la situation analytique comme thérapeutique et comme instrument de recherches. Il s’agit de comprendre et de dissiper les conflits intrapsychiques inconscients d’un sujet, conflits qui se trouvent symbolisés et résumés dans ses symptômes et sa maladie. L’auto-analyse de Freud a été conduite sur deux lignes parallèles : a) Par l’interprétation de ses rêves ; et b)Grâce à l’empathie et aux aperçus que lui apporta le traitement clinique de ses patients. Ce dernier fait découlait d’un vieux penchant de Freud qui, dès le 28 octobre 1882, écrivait à sa fiancée : « Je trouve toujours étrange de [p. 114] ne pas arriver à appliquer à quelqu’un les méthodes d’explication que je m’applique à moi-même » (Jones [47], p. 320). L’auto-analyse de Freud ne nous a pas seulement donné son monumental travail sur les rêves et ses théories touchant la sexualité infantile aussi bien que des hypothèses sur l’étiologie des névroses dans la vie psychique infantile, mais encore elle a essentiellement et irrévocablement modifié le dessein des efforts thérapeutiques. L’invention de la situation analytique a changé le but du processus analytique. Comme Szasz [96] l’a justement dit : « Le but d’aider le patient est devenu un moyen subsidiaire ajouté au but d’acquérir une compréhension scientifique. » Cette modification de la direction et de l’intention du procédé thérapeutique de Freud lui a valu, à ce moment-là, autant d’hostilité et de critiques de la part de ses propres disciples que lui en avaient jadis valu ses théories des mécanismes du rêve et de la sexualité infantile attaquées par le grand public. La plupart, et peut-être tous les abandons ultérieurs de certains de ses disciples (Jung, Adler, Rank, Reich, Reik, etc.), sont dus, d’une façon ou d’une autre, à leur vif désir de venir en aide au patient aux dépens des garanties offertes par la prise de conscience et la compréhension. Freud lui-même se rendait très bien compte de la résistance que lui opposaient ses disciples et c’est en y songeant que dans son allocution, lors du Congrès de Psychanalyse tenu à Budapest en 1919, il décrivit, en termes clairs, la tâche fondamentale de l’analyse : « Faire connaître au patient les pulsions inconscientes qui existent en lui et, dans ce but, découvrir les résistances qui s’opposent à sa connaissance de lui-même… nous espérons y réussir en nous servant du transfert que fait l’analysé sur la personne du médecin, nous espérons atteindre ce but et faire partager au patient notre propre conviction en lui montrant l’inutilité du refoulement établi dans l’enfance et l’impossibilité de diriger la vie suivant le principe de plaisir… Le processus analytique doit autant que possible s’effectuer dans un état de frustration, d’abstinence… En ce qui concerne ses relations avec le médecin, le malade doit conserver suffisamment de désirs irréalisés. Il est indiqué de lui refuser justement celles des satisfactions auxquelles il aspire le plus ardemment et qu’il exige le plus impérieusement » [31]. Pour établir une comparaison entre les buts thérapeutiques, il n’y a qu’à jeter un regard sur le dernier paragraphe des Études sur l’hystérie [25] dans lequel Freud promet au malade « secours ou amélioration par le traitement cathartique » grâce à une « transformation de sa misère hystérique en malheur banal » (p. 247
Ce fut vraiment l’auto-analyse de Freud qui l’amena à créer la situation analytique, donc si nous voulons arriver à mieux comprendre celle-ci, c’est dans cette voie qu’il faut nous appliquer avec plus de soin à chercher des indices. Je me hâte d’ajouter que je ne propose pas de réanalyser les éléments subjectifs d’information donnés par Freud, ce qui serait non seulement impertinent mais aussi totalement vain. Freud l’a fait pour nous et suivant l’heureuse expression de Jones « ce qui est fait reste fait pour toujours ».
Eissler [10] nous a décrit de la façon la plus vivante la dure lutte que Freud fut obligé de mener pour s’acharner à comprendre le mystérieux fonctionnement de son propre psychisme.
« Freud a été capable de lever — sans aide — ses refoulements personnels par ses propres efforts… On peut justement dire de cette auto-analyse qu’en tant que type d’un événement psychologique et historique, elle ne pourra jamais être répétée. C’est un type d’événement réalisé une seule et unique fois, unique dans son genre et qui ne saurait être reproduit par nul autre… Le processus de l’auto-analyse, à l’époque de l’histoire humaine où Freud le réalisa, était, pour ainsi dire, contrenature… »
Ce qui permit à Freud de transformer son héroïque expérience subjective d’auto-analyse (« cette analyse est plus difficile que toute autre »), en un procédé thérapeutique, fut le génie de l’abstraction qui l’amena à recréer tous les éléments essentiels de la situation du rêveur dans la situation analytique, de telle sorte que tout en demeurant dans un état conscient de veille, l’analysé peut psychiquement resubir, grâce à la névrose de transfert, les troublés psychiques inconscients et les états d’arrêt qui faussent le fonctionnement de son Moi et sa liberté affective.
En outre, grâce à la découverte si lourde de conséquences de sa propre analyse, la prise de conscience de l’usage qu’il avait fait de sa relation avec Fliess durant cette période, Freud reconnut que cette reviviscence au moyen d’une névrose de transfert n’est possible qu’avec l’aide d’une autre personne compétente. Cette personne en consentant à jouer le rôle d’un objet et d’un soutien du Moi peut aider le patient à exprimer et à travailler ses conflits personnels de façon à arriver au but thérapeutique de l’intégration de soi. On pourrait presque dire que son autoanalyse a révélé à Freud l’impossibilité où se trouvaient la plupart des humains de pratiquer celle-ci et l’a contraint à créer un traitement et les moyens d’établir une relation permettant d’y parvenir.
L’hypothèse que je propose touchant les sources génétiques du [p. 116] traitement analytique d’après l’auto-analyse de Freud est la suivante : grâce à l’analyse de ses propres rêves et à l’empathie que provoquait l’expérience clinique due à ses malades dans les états hypnotiques et cathartiques au cours des traitements, Freud recréa intuitivement dans le traitement analytique une ambiance physique et psychique qui correspond de façon significative à l’état intra-psychique du rêveur, état favorable à « un bon rêve ». Je détaillerai plus tard les aspects du Moi dans cet état intra-psychique.
II. — SITUATION HYPNOTIQUE, PSYCHOLOGIE DU RÊVE
ET SITUATION ANALYTIQUE
On a souvent discuté du stimulant de la régression dans la situation analytique et de son rapport avec la situation hypnotique et les états de sommeil (cf. Lewin, Fisher, Gill et Brenman, Macalpine, Fliess, etc.). Lewin, en particulier, dans une série d’articles propres à encourager et à stimuler, a étudié l’influence de la dérivation de la situation analytique à partir de la situation hypnotique. Il a tenté [61] « de projeter sur le divan et la situation analytiques l’idée que le patient était, en quelque sorte, endormi » et il a élaboré la conclusion suivante :
« Génétiquement parlant, la situation analytique est une situation hypnotique modifiée… le sommeil, qu’un accord préalable exclut de la situation analytique, y accède sous une autre forme : la méthode des libres associations… Le désir de se voir endormi que le patient exprime dans la situation hypnotique a été supplanté par le désir d’associer librement dans la situation analytique. Le patient reste allongé, non pour dormir mais pour associer… Le narcissisme du sommeil… coïncide avec le narcissisme sur le divan. Le texte onirique manifeste coïncide avec les matériaux analytiques manifestes… La formation du rêve peut se comparer à la formation de la « situation analytique… »
Lewin, à la suite de Rank (mais avec sagesse), voit dans cette répétition régressive « l’expérience directe vécue par le bébé dans la situation de la période d’allaitement ». Lewin souligne cependant (comme l’avait fait Kris), que « l’attention accordée aux contenus et au monde oniriques nous a détournés, ici encore, du problème posé par le sommeil et d’une prise en considération du sujet analysé en tant que rêveur ou dormeur partiel… Sur le divan, le patient est prima facie un névrosé et accessoirement un rêveur ».
1) Le sommeil en tant que besoin biologique (Freud [27]) et la fonction du rêve qui est de maintenir le sommeil ;
2) Le sommeil en tant que réaction de défense régressive dans la situation analytique contre les pulsions agressives, masochiques et passives qui menacent l’équilibre des défenses du Moi (v. Bird [7], Ferenczi [20], Stone [91], etc.) ;
3) La régression dans le sommeil qui reprend les phases ontologiques du développement lors de la petite enfance et la relation première du nourrisson avec le sein (Isakower [45], Lewin [61], Spitz [87], etc.).
On a relativement négligé la relation du désir de sommeil et de ses dérivés avec le désir de guérison et l’investissement de la conscience du Moi (conscience de soi). Lewin [61] en étudiant le passage du traitement hypnotique vers la situation analytique s’exprime là-dessus de façon fort juste :
« Ce fut durant cette transition entre le traitement hypnotique et le traitement cathartique et l’analyse que le névrosé, cessant d’être un sujet hypnotisé, devint un sujet confiant et le thérapeute pari passu un psychanalyste… L’endormeur magique devint le confident et la situation analytique devint historique… Conclusion : l’analyste est un réveilleur. »
J’ai l’impression que nous n’avons pas jusqu’à ce jour rendu pleine justice aux conséquences découlant de cette modification extrêmement importante du rôle joué par le thérapeute qui d’hypnotiseur devint « éveilleur » (Lewin [61]). Lorsque Freud entreprit de respecter les résistances du malade plutôt que de les supprimer magiquement dans le sommeil hypnotique, il amorça un processus nouveau dans l’évolution du conscient humain, un processus servant à relier les bords d’une brèche entre le conscient et l’inconscient. En pensant que l’on pouvait trouver, dans le Moi du patient, plus de coopération utilisable en vue de la guérison que celle du désir d’être hypnotisé et guidé par ses observations auto-analytiques, Freud créa la situation analytique où le malade, grâce à l’aide de son analyste serait capable de devenir tout aussi réceptif aux rêves que dans le sommeil ou qu’en état d’hypnose au contenu refoulé. Autrement dit, alors que la raison d’être de la thérapeutique hypnotique avait été de provoquer des « états oniriques » avec lesquels le patient pourrait être ensuite confronté, c’est-à-dire des états où le sujet était endormi afin de « rêver » et finalement était réveillé et rendu capable de se rappeler « le rêve » fait en état d’hypnose, dans la situation modifiée et nouvelle, l’analyste aidait le Moi conscient du sujet à [p. 118] récupérer ce qui avait été refoulé et inconscient. Le caractère même de la situation thérapeutique et du rôle de l’analyste se transforma dès que Freud eut remplacé, dans le processus thérapeutique, le sommeil hypnotique en rappel conscient, avec toutes les résistances concomitantes que le Moi oppose au relâchement de ses refoulements. De nouveaux domaines d’activité psychique devinrent accessibles au processus thérapeutique. Par exemple, ce qu’on n’avait jusqu’alors considéré que comme l’influence restrictive de la censure dans la formation du rêve (Freud [27]) devint cliniquement accessible en tant que résistances à l’intérieur du patient au processus analytique. C’est ce qui nous permit à un moment donné, d’acquérir une connaissance approfondie des fonctions pathogènes d’un Surmoi archaïque et sadique dans des graves névroses de caractère.
III. — ÉTAT DE VEILLE, SOMMEIL ET SITUATION ANALYTIQUE
La psychologie du rêve qui nous a enseigné tant de choses touchant les processus inconscients et les contenus primitifs du Ça dans le psychisme humain, nous a laissés dans une relative ignorance en ce qui concerne la nature du sommeil lui-même et de son importance psychologique pour l’être humain. Le désir de dormir, celui de se réveiller ont été en quelque sorte considérés, à la fois par les psychanalystes et par les biologistes, comme des besoins naturels. Je ne puis brièvement citer ici que les précieuses recherches d’un petit nombre d’analystes dont l’attention a été retenue par ce problème mystérieux et complexe : Jekels [46], Federn [18], Grotjahn [40] et Scott [83]. Ce qu’il nous importe de signaler c’est le fait clinique que les observations des oscillations du sommeil et de l’état de veille dans la situation analytique ont éclairé avec quelque profit le désir de guérison de l’analysé et sa bonne volonté pour se tenir éveillé et fournir ses libres associations. Clifford Scott [80, 84] s’est, avec bonheur, appliqué à faire comprendre ce problème. Il a, en effet, poussé plus loin les hypothèses de Jekels, d’Isakower et de Federn relatives à l’examen direct des rythmes dans le sommeil et dans la situation analytique. L’hypothèse de Scott est la suivante : « La satisfaction totale du sommeil est le réveil ou l’acte de se réveiller » [80]. Il postule l’existence, dans le psychisme, d’un « désir de réveil » motivant l’acte de se réveiller.
Il est intéressant de comparer les recherches de Scott à celles de Lewin [60] et de Jekels [46]. Jekels considère les faits de la façon suivante : « Je suppose que la fonction du réveil est naturelle dans tous les [p. 119] rêves et qu’elle constitue leur quintessence, leur tâche essentielle » ; Lewin attribue à l’analyste le rôle d’un « réveilleur ». Il s’ensuit que l’analyste remplit, dans l’analyse, une des fonctions du rêve, celle de l’éveilleur. Jekels, dans son étude extrêmement intéressante des états schizophréniques, de l’activité du Moi dans les rêves et des processus qui amènent le sommeil, arrive à la conclusion suivante : « Le rétablissement du Moi, identique au réveil, est amorcé par le Moi mental ; il se réalise tout à fait comme dans la schizophrénie par des moyens d’ordre hallucinatoire, c’est-à-dire par les moyens du rêve. » Si ma déduction est exacte, alors l’analyste assume ce rôle de « rétablisseur » relativement aux états plus régressifs des malades plus gravement atteints (v. Winnicott [103, 104] ; Bion [5, 6]). Toutefois, dans la situation analytique l’analyste n’agit pas par l’hallucination mais par les interprétations, sa faculté d’interprétation s’appuie en grande partie sur la force de son Moi, qui comporte une activité préconsciente expérimentale contrôlée mise au service du patient. C’est là ce qu’on appelle normalement empathie et intuition. C’est pourquoi si le narcissisme du sommeil est remplacé par le narcissisme du divan analytique [61], alors la fonction de réveil du rêve se trouve assignée à l’analyste. C’est à l’analyste qu’il appartient de garder éveillé et de diriger le mouvement régressif des processus affectifs du patient comme de leur donner un sens et une forme par ses interprétations. Grâce à une fréquente pratique clinique des états régressifs aigus propres aux sujets gravement atteints, grâce à la vigilance et à l’activité de son Moi qui se traduit par sa vivacité corporelle et par ses interprétations, l’analyste parvient à faire évoluer le malade et à l’empêcher de se soumettre à l’activité du processus primaire (Khan [49]).
J’aimerais attirer brièvement l’attention sur les troubles plus graves et plus profonds de la qualité et de l’expérience subjective du sommeil comme de l’état conscient chez un certain type de malades régressifs schizoïdes. Chez ces derniers dont le comportement manifeste révèle soit une hyperactivité, une excitation maniaque, soit des formes extrêmes d’inertie et d’apathie, il apparaît que c’est seulement quand ils peuvent progressivement commencer à s’appuyer sur leur analyste, à faire fond sur la présence effective, sur la vigilance de celui-ci et sur ses fonctions au cours de l’analyse, qu’ils parviennent à s’endormir sans avoir été angoissés. Et c’est en pareil cas seulement, qu’ils se réveillent dans un état affectif qui ne provoque pas le déclenchement de mécanismes de morcellement du Moi. Chez ces malades, ce n’est que lorsque le véritable rythme primitif de sommeil et de veille a été [p. 120] rétabli que l’on peut voir fonctionner la faculté de faire de bons rêves et d’associer librement.
Cette longue digression a eu pour but de montrer comment la situation analytique, une fois établie, permet d’observer les processus véritables dont elle découle : c’est-à-dire le désir de dormir, le désir de se réveiller et la capacité de rêver.
En éliminant le sommeil hypnotique en tant qu’agent thérapeutique et en répartissant, dans la situation analytique, la totalité des forces psychiques qui agissent chez le dormeur, Freud a permis d’évaluer le rôle et la fonction du sommeil et de la veille à la fois dans la situation thérapeutique et dans l’évolution ontologique (v. Fliess [23] ; Isakower [45] ; Lewin [60] ; Federn [18] ; Gifford [32] ; Hoffer [44] ;Spitz [87] ;Scott [84] ; Winnicott [103, 104]).
IV. — HYPOTHÈSE DU « BON RÊVE »
Une grande partie de notre littérature, de nos mythes, de nos coutumes sociales, de nos rites et de nos découvertes intellectuelles se fondent sur la capacité de rêver ou en découlent (v. Sharpe [86] ; Lewin [62] ; Rôheim [77]). A ce point de vue, le fait de rêver fournit le prototype de toute création psychique chez l’adulte humain. Je propose ici l’adoption du concept de « bon rêve », prenant pour modèle le concept de Kris relatif à la « bonne séance analytique ». Je parlerai de certains traits saillants caractérisant la situation infra-psychique du dormeur et permettant à un « bon rêve » de se former.
I. — Une ambiance de calme et de sécurité physique où le Moi peut sans risque retirer ses investissements au monde extérieur et renforcer le désir de dormir.
II. — Un état de confiance dans le Moi relatif au fait que ce monde extérieur accueillera votre retour après qu’on aura satisfait le désir de dormir.
III. — La capacité du Moi d’être en contact avec le désir de sommeil.
IV. — Une source inconsciente de trouble qui constitue la force motrice du rêve et qui est articulée au moyen du travail onirique.
V. — Une mise à la disposition du Moi des résidus diurnes pour structurer la forme du « désir de rêve » latent.
VI. — La possibilité de supporter les processus régressifs qui se déroulent dans l’appareil psychique ;partant de la motilité pour aboutir à l’hallucination (Kris [56]). [p. 121]
VII. — Une sûreté des processus d’intégration dans le Moi. Cette sûreté présuppose que les stades les plus précoces de l’intégration du psyché-soma dans le Moi naissant (Winnicott [101]) ont été fermement établis.
VIII. — Une faculté narcissique du Moi de profiter d’une satisfaction fournie par le monde onirique, au lieu de celle du narcissisme pur du sommeil ou de la satisfaction concrète venue de la réalité. Cela comporte la capacité pour le Moi de tolérer la frustration et d’accepter des satisfactions symboliques.
IX. — Dans le Moi, une capacité de symbolisation et de travail onirique où un contre-investissement suffisant contre le processus primaire se trouve soutenu de façon à ce que le rêve devienne une expérience de communication intra-psychique.
X. — Une capacité de se tenir légèrement distant des éléments primitifs et sadiques du Surmoi de façon à alléger les barrières du refoulement.
XI. — Une capacité pour le Moi de recevoir les désirs du Ça et de s’y soumettre tout en se sachant capable de « résister » à leur afflux chaotique et excessif.
XII. — Une unité temps-espace de l’expérience, acquise de façon sûre et dans laquelle tout cela peut être mis en œuvre et répété à des intervalles bien prévus.
XIII. — Une disponibilité dans le Moi d’énergie neutralisée suffisante pour que celui-ci se montre capable d’aménager et d’harmoniser les pulsions du Ça, libidinales ou agressives, envahissantes (Hartmann [41]).
XIV. — La possibilité de retenir à l’état de veille, après coup, une image du rêve si cela paraît nécessaire.
Dans un état intra-psychique semblable, une personne peut avoir un « bon rêve ». D’après moi, un « bon rêve » est celui qui incorpore, grâce à un travail du rêve réussi, un désir inconscient et peut ainsi permettre au rêve de se poursuivre tout en servant, après le réveil du sujet, à l’épreuve psychique du Moi. Dans ce contexte, il est intéressant de comparer l’activité du Moi du dormeur par rapport au « bon rêve » avec ce que Winnicott [102] a décrit comme étant les fonctions psychiques primitives utilisées par le petit enfant en relation avec l’objet transitionnel (voir aussi Milner [66, 67]).
La possibilité de faire un « bon rêve » tout en étant une condition préalable de la santé psychique, ne s’en porte cependant pas garante. [p. 122]
Elle donne la mesure de la capacité psychique d’un sujet ou, comme l’a suggéré le Dr Valenstein, elle constitue le produit onirique de la force du Moi.
V. — LA SITUATION ANALYTIQUE CLASSIQUE ET SES FONCTIONS
Examinons maintenant brièvement la « situation analytique ». Elle peut, d’une façon quelque peu arbitraire, se diviser en trois parties composantes :
- a) Le patient ;
- b) L’analyste ;
- c) Le cadre analytique.
Les réactions réciproques entre ces trois éléments constituent le processus et le procédé analytiques.
Le patient lui, apporte le désir de guérir, base de l’alliance thérapeutique. Suivant la psychologie du rêve, sa capacité de se soumettre à l’obligation du divan analytique découle d’un désir de sommeil narcissique (Lewin [61]). Son symptôme traduit le « désir latent du rêve », c’est-à-dire ses désirs et ses conflits refoulés inconscients. Il apporte aussi une possibilité de réalisation du travail analytique étroitement dépendante de son aptitude au travail onirique dans le sommeil (v. Kris [55]). Là où les aptitudes d’un patient au « travail onirique » sont gravement perturbées par des déformations du Moi, des mécanismes primitifs de défense ou des anxiétés psychotiques (v. Bion [5, 6]), nous constatons toujours que le malade ne peut ni se soumettre à la règle fondamentale ni librement associer. En pareils cas, l’utilisation défensive ou régressive à dose élevée du sommeil et du silence constitue un élément caractéristique de leur comportement dans la situation analytique. Inversement, les états hypomaniaques d’exaltation et de passage à l’acte peuvent bouleverser l’élaboration transférentielle (v. Klein [51] et Winnicott [99], à propos de la défense maniaque).
L’analyste dans sa personne se montre réceptif à l’égard des matériaux que lui apporte le patient, c’est-à-dire de ses associations. C’est par là qu’il renforce le « désir de se réveiller » (« L’analyste est un réveilleur », Lewin) et qu’il remplit aussi le rôle du Moi du dormeur qui articule le travail du rêve. Par ses interprétations des résistances du patient et le soulagement des sentiments primitifs de culpabilité de celui-ci, il l’aide à libérer et à organiser ses désirs inconscients. Il agit à la façon d’un Moi auxiliaire dans la situation analytique (Heimann [42]). [p. 123]
Il prête également au patient sa plus libre aptitude touchant les associations symboliques. Il maintient « vivant »et tout le temps bien centré le matériel du malade. Il veille à ce que ne se produise aucune clôture défensive, à faux et précipitée, du processus psychique et affectif. C’est ainsi qu’il suscite un mouvement dans la situation analytique (Glover [36]).
L’analyste, comme le Moi qui rêve, ne satisfait sous forme concrète aucun des désirs inconscients du patient lorsqu’ils s’expriment dans la névrose de transfert, mais borne son rôle à celui de l’être qui sympathise, aide et comprend. Telles sont les satisfactions symboliques qu’il offre.
Afin de faciliter au patient l’expression de ses désirs et la manifestation de son comportement autant que pour agir lui-même d’une façon créatrice et libre, il instaure une ambiance physique : le cadre analytique. Je pense par là à l’ambiance matérielle au milieu de laquelle un analyste entreprend d’amorcer et de poursuivre, avec son patient, le processus analytique. Dans nos nombreux travaux, l’étude approfondie du patient et de l’analyste est aisément accessible. Ce ne fut que dans les années de l’après-guerre que le cadre en soi a été soumis à une investigation et à un examen plus poussés (v. Winnicott, Spitz, Scott, etc.). On considère généralement comme admises les raisons et la manière dont Freud a établi les conditions matérielles de la situation analytique. J’aimerais préciser ici que je ne m’occuperai pas des raisons subjectives qui ont dicté à Freud le choix de certains éléments de cette situation, par exemple l’aversion qu’il éprouvait à être regardé et qui lui fit choisir d’être assis derrière son patient [28]. C’est le génie de Freud qui lui permit, en partant de faits subjectifs, de toujours réussir à en tirer un procédé thérapeutique général et valable (v. Eissler [10]). Le cadre analytique consiste en une pièce où l’intimité et une sûre protection contre l’intrusion et les empiétements du monde extérieur sont assurées. On y trouve aussi une douce et agréable température, de l’air et un divan sur lequel s’allonge le patient pour s’y détendre. Un laps de temps bien établi, répété est prévu avec un commencement et une fin. Freud a également entrepris de se tenir éveillé, d’avoir l’esprit réceptif et en alerte, d’être capable d’agir sans se montrer importun (Rycroft [78] ; Winnicott [103]).
Une comparaison bien que banale montre avec quelle ingéniosité Freud a redistribué l’état intrapsychique du dormeur, dans la situation analytique, entre trois éléments : le patient, l’analyste, le cadre analytique ; combien aussi ces trois constituants de la situation analytique totale se prêtent au déplacement et à la projection de la structure åp. 124] tri-partite de la personnalité humaine, je veux dire Ça, Moi et Surmoi. Le fait a été montré ingénieusement et de façon très détaillée par divers analystes (v. Fenichel, Bion, Fairbairn, Klein, Strachey, etc.).
Il existe une différence décisive entre l’état du dormeur et celui de l’analysé, c’est que l’analyste à travers sa personne, rend valable une relation (le transfert) qui se trouve opposée à l’extrême à l’isolement du Moi en état de rêve. Et c’est précisément cette relation transférentielle qui donne à l’analyse, contrairement au fait de rêver, son caractère thérapeutique. Autre trait distinctif de l’activité de l’analyste : les interprétations, quand on les compare au travail onirique du rêveur. L’analyste a affaire à des pulsions inconscientes, non par le moyen de mécanismes régressifs tels que ceux dont se sert le Moi du rêveur : déplacements, condensation, hallucination, etc., mais en s’occupant à la fois des résistances et de l’utilisation pathogène des mécanismes de défense primitifs. Il n’évite pas les résistances, comme dans l’hypnose, mais s’en sert et agit sur elles, permettant ainsi graduellement au Moi du patient d’accéder à de nouvelles sources d’énergie et à des processus plus efficaces. Grâce à la relation transférentielle, Freud a rendu le Moi humain capable de réaliser au maximum la conquête de l’inconscient pour le transformer en conscient. Il a aussi ramené dans le champ de la conscience de soi et de la communication de vastes domaines d’affectivité et de vie intérieure psychique (imagination) qui jusqu’alors n’avaient été que métaphoriquement accessibles grâce aux productions des poètes, des artistes et des rêveurs doués. En un siècle presque exclusivement consacré à l’exploration et à la conquête de l’environnement physique, Freud a formulé les techniques permettant l’exploration de la vie intérieure et de ce que l’homme a fait à l’homme. Avec patience et imagination, il a rendu possible l’étude des forces et des facteurs qui nous rendent humains, je veux parler de nos émotions, de notre psyché, de nos instincts et de notre conscience. Le Moi humain put trouver en lui son premier véritable allié et non point encore un autre prophète inspiré ou quelque tyran intellectuel ou thérapeute. Les adversaires euxmêmes de Freud admettent qu’il nous a permis de pénétrer dans l’inconscient ; ce que l’on ne conçoit pas assez clairement, c’est qu’après lui et grâce à son travail, la fonction et la portée réelles de la conscience humaine se sont modifiées et élargies intérieurement et extérieurement (Trilling [97]). Ce que Freud attribue à l’esprit de Michel-Ange dans sa création de Moïse serait sans doute plus applicable à la lutte de Freud contre lui-même, lutte qui aboutit à la création de la situation analytique : [p. 125]
« Cependant Michel-Ange a placé un Moïse différent sur la tombe du pape, un Moïse supérieur au Moïse historique ou traditionnel. Il a modifié le thème des Tables brisées ; il ne laisse pas le prophète les briser dans sa colère mais le représente influencé par le danger qu’elles soient brisées et le figure calmant son courroux ou, en tout cas, empêchant ce dernier de se manifester par un acte. Par là, il a ajouté quelque chose de nouveau et de plus qu’humain à la figure de Moïse ; de cette façon, la taille du géant avec sa formidable puissance physique n’est plus que l’expression concrète de la réalisation mentale la plus élevée possible chez un homme, celle d’une lutte victorieuse contre une passion intérieure, lutte menée pour une cause à laquelle il s’est consacré tout entier… ainsi, il s’agit d’une auto-critique devenue plus forte que sa propre nature » [29], pp. 223-224. (Les italiques ont été mises par l’auteur de ce travail.)
Tournons notre attention vers les aspects cliniques de la situation analytique. Durant les deux premières décennies de la psychanalyse, cette situation avait pour but de faire face aux besoins et aux exigences des névrosés (Freud [31]). Autrement dit, on considérait que le malade, supposé apte à se soumettre à l’analyse, devait fort probablement avoir atteint un degré satisfaisant d’intégration du Moi et de développement libidinal. Les conflits devaient résulter de tensions non résolues entre le Moi, le Surmoi, les pulsions prégénitales et les relations objectales. Chez ces patients, les fonctions du Moi étaient restées plus ou moins intactes et leurs symptômes résultaient d’une intrication des dites fonctions intactes du Moi avec les pulsions primitives du Ça et les sentiments de culpabilité. Les conflits n’avaient à aucun degré miné ou altéré les fonctions du Moi elles-mêmes. C’est pourquoi ces malades pouvaient utiliser avec confiance la fonction transférentielle de la situation analytique. Comme dans le cas du « bon rêve », les pulsions du Ça perturbantes ne brisent pas le contrôle de la régression du Moi dans le travail du rêve pour se transformer en motilité (autrement le dormeur se réveillerait) et le Moi n’a pas besoin de faire usage de défenses primitives globales dans ses rapports avec le rêve (comme dans la psychose, v. Nunberg [72], et Bion [5]). De même, pour ces patients le potentiel transférentiel de la situation analytique suffit à soutenir la pensée régressive et les investissements de désir et à les traduire en paroles dans le processus analytique. Ces malades ne se servent de « passages à l’acte » ni dans l’analyse ni dans leur vie sociale de façon nuisible ou exagérée. Mon expérience clinique m’a appris que les patients qui ne peuvent avoir un « bon rêve » s’avèrent incapables
VI. — CAS LIMITES, RÉGRESSION
ET LES NOUVELLES EXIGENCES DE LA SITUATION ANALYTIQUE
Au cours des trois dernières décennies, toutes sortes de malades sont venus pour se faire traiter parce que, à cause de la nature même de leur maladie, ils n’étaient pas arrivés à profiter d’une manière constructive de la situation analytique classique. Les troubles de leur personnalité les ont empêchés de pouvoir se soumettre à ce qui est attendu d’eux dans l’analyse comme d’obéir aux règles qu’elle impose. Ils viennent se faire traiter sans présenter de symptômes spécifiquement identifiables, sans même ressentir un désir bien établi de guérir. Bien qu’intellectuellement ils puissent tous trop aisément saisir les exigences de la situation analytique, affectivement et au point de vue du processus du Moi, ils sont incapables d’en tirer profit (Reich [76]). Ils se figent au lieu d’associer librement ; ils se cramponnent régressivement à divers éléments de leur analyse et à la personne de l’analyste (Fliess [23]) et ne peuvent établir ni alliance thérapeutique (Zetzel [109]), ni une névrose de transfert (Sterba [90] ; Stone [91]) exploitable. Placés dans la situation analytique, il se produit chez eux une confusion régressive, un brouillage continuel des limites de soi, de l’analyste et du cadre analytique. Les cas de semblables patients ont été diversement qualifiés : cas limites (Greenacre [37] ; Stone [92]) personnalités schizoïdes (Fairbairn [14] ; Khan [50]), névroses narcissiques (Reich [76]), personnalités écomme sié (Deutsch [8]), troubles de l’identité (Erikson [13] ; Greenson [38]), malades d’une déficience « spécifique du Moi » (Gitelson [35]), « fausse personnalité » (Winnicott [105] ; Laing [57]) et « imperfection fondamentale » (Balint [4]), etc. Les déformations primitives du Moi de ces malades n’ont pas amené chez eux « cette scissure bénigne » qui constitue une condition préalable du succès du processus clinique dans la situation analytique classique. En pareils cas, les confusions de soi avec l’objet, les désirs pressants de maîtriser, par la motilité et la défense intellectuelle, les expériences affectives psychiques régressives (A. Freud [24]), le transfert illusoire (Little [64] ; Stone [92]), et les états de dépendance symbiotique envahissent très rapidement la situation analytique (Sterba [90]). Et ils s’acharnent, à l’aide de toutes sortes de mécanismes de défense bizarres et primitifs, à faire entrer cette situation analytique tendue dans le champ de leur omnipotence (Winnicott [108]). Les procédés techniques nouveaux, les modifications, les innovations proposés durant ces trois dernières décennies par les analystes, avec [p. 127] plus ou moins de conviction et d’assurance résultent tous d’une honnête tentative clinique pour faire face à ces états cliniques.
Et pourtant l’examen le moins approfondi nous convainc qu’ils sont contradictoires (v. Balint [3]). Certains analystes sont portés à exploiter les processus régressifs de leur patient et les situations analytiques dans le but de recréer la personnalité de ce dernier (v. Little [64]). D’autres se méfient du potentiel transférentiel régressif et de la situation analytique et imposent de ce fait au patient des restrictions et des obligations prudemment choisies, tout cela dans l’espoir de le guider grâce à des « expériences correctives émotionnelles » vers une liberté et une vitalité nouvelles de ses fonctions du Moi et de sa santé psychique (v. Alexander [2] ; Macalpine [65], etc.). Aujourd’hui, la plupart d’entre nous s’accordent à croire qu’en ce qui concerne l’étiologie de ces troubles nous devons nous reporter dans le passé bien avant la situation œdipienne, les conflits préœdipiens du Ça et les relations objectales. Gitelson, traitant de ces cas, dit que « notre pensée s’est engagée dans une direction qui suppose une défectuosité spécifique du Moi ». Nous sommes de plus en plus enclins à attribuer ces troubles aux perturbations survenues au stade primitif de la différenciation du Moi et de son émergence à partir de l’ambiance des soins nourriciers vers une unité de soi. De ce fait et par définition, le caractère même de notre tâche thérapeutique et de la fonction du cadre analytique se trouve modifié. Il ne nous est plus possible de consacrer exclusivement notre art à l’évolution de la névrose de transfert dans la situation analytique où s’exprimeraient les conflits latents du malade, et où l’interprétation et l’élaboration les résoudraient. Je n’ai pas le temps de traiter cette question en détail (v. Eissler [9] et Khan [48]). Je me contenterai d’indiquer brièvement que lorsque le processus clinique dépasse « les limites du transfert » de la situation analytique et que le malade compulsivement et de façon concrète agit ses besoins (comme s’il agissait contre des désirs, pour lesquels l’expression symbolique verbale suffisait), et lorsqu’il existe des déformations primitives du Moi, alors l’analogie entre le sommeil et la situation analytique cesse d’être vraisemblable. Dans le chapitre VII de La science des rêves, Freud explique clairement que, dans les rêves, la réalisation d’un désir n’est possible que si les images mnémoniques de l’ancienne satisfaction des besoins restent utilisables pour l’investissement. C’est ce qu’il résume en quelques mots : « Le premier désir semble avoir été un investissement hallucinatoire du souvenir de quelque satisfaction. » Ajoutons que chez un sujet qui n’aurait pas obtenu, étant nourrisson, de semblables satisfactions, par suite du caractère mal [p. 128] assuré, inconstant ou mal adapté de celles-ci, la faculté d’utiliser ces « images mnémoniques de satisfaction » en vue de faire apparaître un désir onirique doit, par définition, manquer ou être déformée (v. Winnicott [100]). En pareilles circonstances, le développement ultérieur du Moi peut servir de moyen magique pour compenser l’insuffisance des expériences de satisfaction précoce. Au point de vue intrapsychique, on peut penser à un emploi abusif du rêve pour créer un monde onirique magique tout puissant tendant à donner l’illusion d’une satisfaction des besoins réels avec négation omnipotente de la nécessité, pour se satisfaire, d’objets réels et d’une dépendance à leur égard. C’est un état que nous observons de la façon la plus frappante dans certaines psychoses (Bion [6]). L’expérience m’a montré que les malades atteints de ces déformations très primitives du Moi, sont incapables de tirer profit du transfert symbolique propre à la situation analytique. Ou bien ils refusent radicalement de s’y soumettre, ou bien ils tentent de contraindre cette dépendance à se muer en une omnipotence magique de la pensée, ou encore la régression les amène à exiger la satisfaction de besoins réels absolument hors de la portée de l’analyste ou de son cadre. Celui-ci n’a pas qualité pour agir sur les crises cliniques de ces patients et si nous ne voulons pas nous égarer en présence d’un cas pareil, nous ne devons jamais oublier que ce n’est pas la situation analytique qui a créé cet état de choses, comme l’ont suggéré Macalpine, Alexander et Fairbairn, mais le besoin du patient. Ce qui permet d’affronter ces crises cliniques c’est le fait que l’instrument analytique de Freud est élastique et assez souple pour faire face à ces « besoins » et peut supporter toutes les « illusions » primitives (Little), toutes les déformations auxquelles le patient les soumet. Comme l’ont dit Winnicott, Spitz, Milner, Scott et d’autres encore, dans de telles circonstances le langage « transférentiel » de la situation analytique se transforme en un mode d’action plus primitif, primaire, rappelant beaucoup la situation du petit enfant que l’on soigne. Et quand cliniquement tout se passe ainsi, la validité d’un procédé thérapeutique spécifique dépendra de la « théorie » suivant laquelle l’analyste travaille. Et plus nous pourrons discuter ouvertement les théories, les espérances et les attitudes prévues avec lesquelles nous abordons ces crises cliniques, plus nous tirerons profit de ces entretiens et plus nous arriverons à améliorer nos méthodes et à mettre réellement au point nos procédés analytiques, En attendant, le mieux pour nous sera de tenir compte des avertissements donnés par Freud à son auditoire au Ve Congrès international tenu à Budapest en 1919 : [p. 129]
« Nous avons refusé de la façon la plus catégorique de faire d’un malade qui se remet entre nos mains pour y chercher un secours notre propriété, de le contraindre à adopter nos propres idéaux et, avec l’orgueil d’un Créateur, de le former à notre propre image et de trouver cela bien. »
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