Marcel Mangin. A propos du cas de xénoglossie de Mme X. Extrait de la revue « Annales des sciences psychiques », (Paris), 15e année, n° 10, pp. 597-603.

Marcel Mangin. A propos du cas de xénoglossie de Mme X. Avec une réponse de M. Charles Richet. Extrait de la revue « Annales des sciences psychiques », (Paris), 15e année, n° 10, 1905, pp. 597-603.

 

Marcel Mangin (1852-1915). Artiste peintre britannique.
— La photographie spirite en Angleterre. Extrait des « Annales des sciences psychiques », juillet 1895, pp. 234-242.

[p. 597]

MARCEL MANGIN

A PROPOS DU CAS
DE XENOOLOSSIE DE -Mme X.

Aux trois hypothèses que M. Richet expose à la suite de sa stupéfiante communication sur un cas de xénoglossie automatique et qu’il rejette comme absurdes, je voudrais en ajouter une, sans prétendre qu’elle soit à l’abri de toute objection, mais dans l’espoir que si elle paraissait digne d’être examinée, elle conduirait à faire des expériences qui seraient d’une très grande utilité.

Faut-il d’abord, avec les trois hypothèses critiquées, rejeter entièrement celle de la transmission de pensée ? M. Richet lui-même qui, on le sait, trouve qu’on en abuse, écrit pourtant  « Si, à la rigueur extrême, on peut l’admettre pour les dernières phrases données alors que j’avais déjà, étant près de Mme X …, lu et parcouru attentivement le dictionnaire, elle est inadmissible pour toutes les phrases du début, les plus nombreuses qui m’ont été données alors que j’ignorais totalement l’existence du livre. » Je crois, au contraire, qu’elle doit, en dehors de l’influence de M. Richet, entrer aussi pour une part dans l’explication des premiers messages. Avec la télépathie, l’éloignement plus ou moins grand de l’agent n’est pas une objection. II serait donc très intéressant de se rendre compte aussi complètement que possible du rôle joué par M. Shipley. Pour avoir découvert les sources des communications, M. Shipley doit être un helléniste distingue et pourrait bien avoir été, au moins quelquefois, le collaborateur inconscient du moi subliminal de Mme X… [p. 568]

Nous aurions aussi été heureux de savoir comment a été découverte l’origine des communications tirées du dictionnaire de Byzantios. Est-ce encore M. Shipley qui a fait cette trouvaille ? Et qu’est-ce que M. Courtier ? Est-ce aussi un helléniste ? Par quel génial enchainement d’idées a-t-il trouvé la citation de Paul et Virginie dans le Littré ? Possède-t-il un dictionnaire de Byzantios ou en a-t-il feuilleté un exemplaire ?

Les deux passages de grec ancien, c’est-à-dire de Platon, n’ont pas un sens quelconque ; ils ont une tournure mystique qui leur donne bien l’apparence spirite. Je soupçonne plutôt en ce cas M. Myers d’avoir inconsciemment agi sur le médium On se rappelle que personne ne possédait mieux Platon que Myers et comment de plus en plus ses idées avaient tourné au mysticisme et au spiritisme.

Si l’on ne craignait pas de pousser l’hypothèse de la télépathie jusqu’à son extrême limite, mais ce serait cette fois vraiment en abuser, on pourrait encore dire ceci : Il existe quelque part quelqu’un qui n’est pas Mme X… et qui connait à fond, par cœur, le dictionnaire de Byzantios première édition, mais toute sa science du grec ne va pas plus loin. Lorsque l’expérience a lieu, la subconscience de cette personne entend par l’intermédiaire de Mme X… la question posée ou bien ressent ses impressions (coucher de soleil) et y répond en grec moderne, à l’aide de sa connaissance complète du dictionnaire, acquise par des moyens normaux. Mme X… ne fait que reproduire la réponse.

Cela est bien complique ! La Nature cherche toujours pour arriver à ses fins les voies les plus directes. J’aime donc mieux attribuer ces opérations à la subconscience de Mme X… elle-même, et avant de dire quelle ressource il nous reste pour ne faire intervenir aucune intelligence étrangère, je voudrais discuter un peu avec M. Richet sur l’hypothèse de l’exaltation de la mémoire, car tout en reconnaissant avec lui qu’elle serait insuffisante à elle toute seule pour toutes les excellentes raisons qu’il donne, je pense pourtant qu’elle est un des éléments nécessaires à la solution. N’est-ce pas d’abord M. Richet lui-même qui, dans son discours présidentiel, disait : « L’hypnotisme [p. 599] nous a révélé que la mémoire est une faculté implacable de notre intelligence ; aucune de nos perceptions n’est jamais oubliée…

« Dès qu’un fait a frappé nos sens, alors, de manière irrémédiable, il se fixe dans la mémoire. Peu importe qu’il puisse être évoque à notre gré : peu importe que nous ayions gardé la conscience de ce souvenir ; il existe, il est indélébile…, il peut, dans certains états mentaux particuliers, reparaitre en son intégrité… »

Je préférerais, quant à moi, ne pas généraliser et dire :

« Dans certains états mentaux particuliers et seulement chez quelques rares individus. » Si la subconscience de Mme X…, — j’aimerais mieux dorénavant dire Mme X2, pour la distinguer de Mme X1.. , — a cru que le meilleur moyen d’apprendre le grec était d’apprendre par cœur le dictionnaire de Byzantios avec ses citations, nous ne pouvons pas dire que son idée était irréalisable, pourvu que Mme X2… soit une de ces personnes pour qui « aucune perception n’est jamais oubliée ». Du reste, pourquoi l’esprit de Mme X2… ne se composerait-il que de mémoire ? Le peu d’anglais que je sais, c’est principalement à la méthode Robertson que je le dois et l’on sait qu’elle consiste à apprendre une histoire par cœur ; en en comprenant le sens, bien entendu. Au lieu d’une histoire, c’est un dictionnaire et ses citations que Mme X2… a appris par cœur. Comment n’en résulterait-il pas une certaine connaissance de la langue, la faculté de placer les accents presque sans faute et d’adapter les citations a des circonstances données ou à des questions ?

Les fautes qu’elle commet viennent, sans doute, de ce que c’est Mme X1… qui tient la plume et elles disparaîtraient si c’était Mme X2… Voilà une belle expérience a tenter. Du reste, si Mme X1… consentait à se soumettre à des hypnotisations suivies, je ne doute pas qu’on arriverait à lui faire donner elle-même la clé du mystère. Pourquoi laisser aux spirites l’emploi d’une méthode que mieux que personne jusqu’a présent ils ont su appliquer : la méthode des questions à l’esprit ? L’excellent M. Antoine Renouard s’est trop vite retiré, froissé qu’on ne crût pas à son existence. En lui accordant, au contraire, toute [p. 600] votre confiance, mon cher Richet, vous l’auriez encouragé à se manifester, et il vous eut peut-être dit comme Rector a Stainton Moses, que les esprits peuvent lire les livres fermes dans les bibliothèques. C’eût été ce que j’appelle la clé du mystère. Mais, bien entendu, vous eussiez demandé une preuve séance tenante de la possibilité de ce miracle. J’en doute encore, de cette possibilité, tandis que vous ne tenez pas la télesthesie pour un miracle plus grand que la télépathie. «  Entre la clairvoyance télépathique, disiez-vous dans votre discours présidentiel, et la clairvoyance non télépathique, je ne peux vraiment trouver que des nuances. » Et un peu plus loin vous ajoutiez : « Il me parait impossible de nier que la lucidité existe.

M’appuyant sur ce passage et sur l’expérience de Crookes avec Home, que j’ai rappelée, dernièrement, je prétends qu’il n’y a pas d’absurdité à se demander si, pendant son sommeil, en état de somnambulisme lucide, Mme X… n’a pas pu lire, relire, apprendre par cœur le dictionnaire de Byzantios première édition, celui par exemple qui se trouve à la Bibliothèque Nationale et dont, par une singulière coïncidence, la première partie seulement était coupée (p. 331 des Annales) (1).

Je comprends qu’on éprouve une extrême difficulté a admettre la possibilité de la lecture d’un livre fermé. C’est bien vite dit : un sens nouveau. Mais ce sens n’aurait aucune analogie avec nos cinq sens. Les caractères des mille [p. 601] pages d’un gros volume se superposent. Il faut donc supposer que c’est la faculté de perception qui va où elle veut et ne sent que ce qu’elle veut. C’est ce pouvoir d’inhibition qui me confond ! Cependant, dans le monde inanimé, il y a ce qu’on appelle l’accord. Au milieu d’une tempête de sons, la corde d’un piano ne vibrera que si la note qu’elle peut produire se produit. Peut-être le sens nouveau at-il la faculté de se mettre d’accord avec la vibration que le sujet veut sentir et de ne vibrer avec aucune autre. C’est sans doute là la façon de procéder du sens télesthésique. Si le sujet ne veut sentir que les caractères de la page 347, il sera insensible aux autres. Je crois que les hypnotistes ont prouve la réalités de l’état de rapport qui fait que le sujet peut entendre au milieu d’une salle de spectacle le chuchotement de son magnétiseur, absolument imperceptible pour le voisin le plus rapproché.

Je souhaite donc ardemment que M. Richet puisse faire avec ce merveilleux sujet qu’est Mme X…, des expériences qui établiront d’une façon définitive la lecture sans le secours des yeux. Alors, la métapsychique aura fait un pas immense.

Avant de terminer, j’aurais encore une troisième supposition à exposer, qui ne s’appuierait guère que sur un seul exemple analogue (2). Mais comme cet exemple vient d’un homme d’une grande valeur, qui avait réuni une somme de preuves et de témoignages extrêmement frappants, il faut en tenir compte. Il s’agit de l’apparition et de la matérialisation d’un double racontées par M. Stead (Borderland, avril 1896, et Annales1896, p. 263). D’un côté, une série de témoins sérieux et dont nous n’avons pas le droit de suspecter la bonne foi, affirmaient que de telle à telle heure Mme A… était chez elle ; d’un autre côté, une autre série de témoins très nombreux affirmaient avoir remarqué sa présence à la même heure à l’église et l’avoir vue une fois prendre un livre qu’on lui offrait, mais ne pas l’ouvrir, et une autre fois en prendre un que l’ouvreuse lui [p. 602] offrait, mais qu’elle laissait sur l’appui devant elle. Que l’on relise tous les détails de la discussion que nous avions faite à cette époque et l’on sera, je crois, bien près d’être convaincu qu’il a pu y avoir la un fantôme assez matérialisé pour ouvrir une porte, tenir un livre ou le déposer sur un banc. Ce n’est, me dira-t-on, que remplacer une difficulté par une autre et si Mme X… est capable de se dédoubler, de visiter en esprit la Bibliothèque Nationale et de s’y matérialiser assez longuement pour feuilleter un dictionnaire et l’étudier, il est inadmissible que son double n’ait jamais été vu dans d’autres circonstances et toute cette accumulation de miracles est encore plus exorbitante que la lecture d’un livre fermé.

]’en reviens donc à mon souhait de tout à l’heure et pour terminer, je conclus que jamais occasion meilleure ne s’est présentée de s’assurer de la réalité de la double vue.

#   #   #

Les observations de M. Mangin à propos du cas de xénoglossie nous prouvent à quel point nous sommes impuissants à construire des hypothèses ; car celles que M. Mangin propose, encore qu’elles témoignent de son ingéniosité, ne peuvent guère soutenir la discussion. Il me paraît plus sage de dire tout naïvement : nous ne savons pas et nous ne comprenons pas.

Pour ce qui est de M. Shipley, il n’a vu les textes en question que longtemps après, au mois de mai 1905, et il n’a pas connu avant cette époque le dictionnaire de Byzantios.

Quant à l’origine de la découverte de ce dictionnaire, j’ai indiqué dans mon article quelle en est l’assez étrange filiation. J’avais prié mon ami M. Courtier, qui est à la fois psychologue et helléniste, de faire la traduction exacte des phrases 8 (v. p. 326). Or, au mot damas qu’il chercha dans le dictionnaire de Littré pour savoir si ce mot est bien français, M. Courtier trouva la phrase 8. A. en francais, J’en écrivis au Dr Viavianos à Athènes, et le Dr Viavianos, qui sans doute, pour apprendre le français à Athènes, avait fait usage en sa jeunesse du dictionnaire de Byzantios, se rappela que les phrases incriminées devaient avoir cette origine. On en sait la suite (p. 327}.

Je profite de cette occasion pour rectifier quelques erreurs de texte que l’imprimeur a commises, malgré cinq ou six corrections successives.

II faut lire, en effet (p. 324, ligne VI), οντως au lieu de ουτως.
P. 326, ligne 20, σϰιλπνα ai lieu de στυλπνα.

P. 326, ligne 22, ϰαι περίξώματα τής au lieu de ααι περιξώματ ϰτης.

P. 326, ligne 23, πολυειδων au lieu de πολευειδων

P. 332, ligne 20, σολισμαδς au lieuu de στσλισμούς et ανθρωπίων au lieu de ανθρωτίων.

P. 332, ligne 23, άποϰρύρου au lieu de άποϰρύφου

P. 338, ligne 32, ἑν au lieu de ἑγ.

P. 350, ligne 20, τών au lieu de τώγ

P. 353, ligne 1, au lieu de ούε ιϰτ, il faut lire ούϰτι.

Charles Richet

Note

  1. Ce petit détail, cette singulière coïncidence n’aurait-elle pas une importance capitale ? Et la plus simple des explications ne serait-elle pas si l’on découvrait qu’en plein jour même, Mme X a deux personnalités ? On se rappelle les célèbres exemples de dédoublement, dans lesquels A2 ignore complètement l’existence de A1. En plein jour donc Mme X2, a son propre insu, et à l’insu de ses parents, aurait pu allez a la Bibliothèque nationale se faire donner cet exemplaire et — nous sommes forcés toujours d’ajouter — l’apprendre entièrement par cœur, pour répondre à !’objection des citations choisies en accord avec les circonstances ? Mais ce serait beaucoup moins mystérieux que la lecture sans le secours des yeux. Tout et particulièrement !’incident αλλια (p. 331) et I’erreur δισεγγενος (p. 348) concourt ) prouver que l’« esprit » ne se sert que du dictionnaire grec francais.
  2. Il y aurait aussi celui cité par M. FIammarion dans « Uranie » : le fantôme à bord du navire assez matérialisé pour écrire un conseil sur la direction a donner au navire.

 

 

 

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