Lucien Nass. Le sommeil. Extrait des « Curiosités médico-artistiques » (Paris), troisième série, 1914, pp. 286-297.
Lucien Nass (1874-1933). Médecin. – Historien. – Directeur de la « Revue d’hygiène sociale ».
Quelques publications :
— La bestialité antique. Extrait de la revue « Æsculape », (Paris), juillet 1912, pp. 9-12. [en ligne sur notre site]
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – A part le portrait de l’auteur en titre, toutes les images sont celles de l’article original. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
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Le sommeil.
Ne critique n’a que le choix parmi les dessins, tableaux, estampes ou caricature où le sommeil a été interprété de façon plus ou moins heureuse.
Ce sont les petits maîtres du dix-huitième siècle qui ont, de préférence, traité ce sujet. Il y ont vu l’occasion unique de donner libre cours à leur esthétique optimiste, à leur goût raffiné, ou l’amour de la beauté ce marie si étroitement à la recherche du côté galant, voire érotique. Aussi, en feuilletant l’incomparable collection de leurs œuvres exquises, on trouve de nombreux chefs-d’œuvre consacré au sommeil, et surtout au sommeil de la femme toi
C’est d’abord une gracieuse composition de Sicardi, gravée à la manière noire de Burke –le graveur du Réveil de Pénélope, – qu’ils montre Pierrot en extase devant Colombine assoupie. Quelle est jolie ! s’écrie-t-il en réunissant ses doigts pour lui adresser, à la muette, un des fervent. Le sommeil de la jeune femme est très heureusement interprété. Outre que le modèle du visage, des épaules, des seins Elle est artistiquement interprète, le dessinateur à Fort heureusement rendu l’abandon, la demi-résolution musculaire du sujet endormi : la bouche, entrouverte sur une rangée de dents délicates, laisse passer le souffle régulier de la respiration. La composition forment un ensemble mièvre et charmant. Pauvre Pierrot, qui ne se doute point qu’Arlequin est l’objet des rêves de son infidèle Colombine !
C’est le même sujet que Tassaert a traité dans le Sommeil. Cette fois il ne s’agit plus des personnages légendaires de la comédie italienne, mais des contemporains de la période de romantique du dix-neuvième siècle ; Tassaert est un petit maître attardé. La femme qu’il montre assoupie sur la chaise longue dort profondément, comme [p. 287] celle de Sicardi ; comme elle, et pour les besoins de l’art. elle a dégrafé son vêtement et donné de l’air à sa ravissante poitrine. La tête est rejetée en arrière, le bras posé sur le sommet du crâne, dans
Sicardi. — Qu’elle est jolie !
l’attitude spéciale des migraineux, ce qui, à en juger par l’apparence de santé du sujet, ne doit pas être le cas de cette charmante femme.
Dans le Joli Dormir, Jeaurat célèbre les douceurs de la sieste, par un chaud après-midi d’été. Son modèle, une délicate jeune femme [p. 288] que René Boylesve aurait pu placer dans le cadre poétique de sa Leçon d’amour dans un parc, dort, confortablement assis dans un de ces bons fauteuils Louis XV, amples et confortables. La dormeuse a laissé tomber l’ouvrage de dames qu’elle confectionnait sans grand
Jeaurat. — Le joli dormir.
Enthousiasme. Elle appuie sur sa main droite son visage rond et plein comme celui d’une poupée, Et, seule avec son petit chien couché sur un coussin de soie, Elle est partie vers le pays des rêves, songeant à quelque histoire d’amour, où un galant cavalier, taillé sur le modèle [p. 289]
Tassaert. — Le sommeil.
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du vicomte de Valmont, ce permet les pires audaces, sûr du pardon et de l’impunité.
Chez les modernes, nous trouverons une interprétation plus exacte et moi un mièvre, du sommeil, comme du reste des principales attitudes.
De la Gandara. — Jeune femme endormie.
Ils ne subordonnent pas l’heure à au souci de faire œuvre galante est plus ou moins érotique. À vrai dire, les trois tableau précédents que nous venons d’analyser n’ont rien que de très convenable. Mais, à côté d’eux, combien d’autres, de la même époque, sont puremnt licencieux, le sommeil de la femme plus ou moins nul étant [p. 291]
Girodet. — Le sommeil d’Endymion.
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l’occasion, le prétexte d’une scène érotique où un amoureux indiscret détaille à loisir les charmes de sa maîtresse endormie. Aujourd’hui, le véritable artiste à dépouillé le vert-galant d’autrefois. Que ce soit dans une étude de nu, ou de demi-nu, il n’obéit qu’à un seul mobile : la création de l’œuvre d’art. Aussi, comme la vérité gagne à cette conception esthétique ! Voilier la jeune femme endormie de M. de la Gandara.
Roll. — Femme qui dort.
Quelle exactitude dans le dessin, quelle sobriété dans l’interprétation ! L’anatomie du vivant reprend ici tous ses droits. La plupart des artistes, en effet, qui campent des sujets endormis, ne paraisse clairs connaître la différence qui distingue l’immobilité du sommeil de l’immobilité de la mort. Devant la toile de M. de la Gandara, on devine qu’un sommeil léger a fermé les paupières de son sujet, on voit, pour ainsi dire, le mouvement rythmique et du thorax que le jeu de la respiration élève et abaisse alternativement.
Demain, la Femme qui dort d’Alfred Roll et d’une exécution [p. 293] scrupuleusement exacte, si exacte qu’elle en est un peu sèche. Comme le dit fort bien M. Baschet, l’artiste n’a cherché ni exprimé autre chose que la fraicheur des carnations. La grâce de l’attitude , l’harmonie des lignes ne l’ont pas séduit davantage ; il s’est complu seulement dans l’interprétation d’une élude de nu. Mais ce que la reproduction ne peut traduire, c’est l’admirable coloris de la toile, c’est le teint éclatant de cette chair étendue parmi le blanc du linge, contrastant avec le ton chaud de la couverture. Toutefois, on pourrait faire à l’éminent artiste le reproche de n’avoir pas suffisamment vivifié son sujet, dont l’attitude générale est un peu cadavérique.
Adan. — La sieste.
Signalons, en passant, une fort jolie pochade de M. Emile Adan, la Sieste, qui montre une paysanne endormie dans un champ, et dont la pose est parfaite, et arrivons aux scènes consacrées au sommeil, moins poétique, de l’homme.
La mythologie nous offre le someil d’Endymion. Ce jeune homme, d’une beauté à rendre jaloux Apollon et Narcisse eut la rare fortune d’être aimé de la lune, Séléné. Amante féconde qui lui donna cinquante filles. Amante jalouse, elle obtint de Zeus qu’il s’endormit d’un sommeil éternel, en conservant sa jeunesse et sa beauté . C’est ce sujet que Girodet a traité dans une toile célèbre du musée du Louvre. Endymion dort profondément, étendu sur son manteau, le bras replié, les jambes légèrement fléchies. L’attitude du dormeur est d’une correction qui n’exclut pas la grâce. [p.294]
Plus nombreuses sont les scènes comiques.
Une des meilleures, signée Clavareau, rappelle la jolie scène du Barbier de Séville, où Bartholo s’endort, cependant qu’Almaviva déguisé en mettre de musique, et remplaçant Basile, donne une leçon son de chant à la futée Roselyne. La Barthlo de Clavereau est un vieillard décrépit et chauve, affalé dans son fauteuil, la tête penchée sur la poitrine ; le corps est tassé, ainsi qu’il convient, la résolution
Ducreux – La Bâilleur.
Musculaires profonde. Le vieillard ne dort pas, en effet, Comme les jolies femmes de Tassaert ou de Jeaurat, la tête renversée en arrière, le bras arrondis au-dessus de l’occiput. Aussi le dormeur de Clavareau est-il d’une facture exacte, et son attitude de contraste-t-elle heureusement avec la grâce et la jeunesse des deux amoureux.
Puis, c’est d’une estampe de Ducreux, traitée avec beaucoup de caractère : le Bâilleur. Son dessin et si saisissant de vérité, que —[p. 295]
Daumier. — « Oui, c’est Agamemnon, cet ton roi veille… »
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La contagion aidant — le spectateur a peine à retenir à son tour un bâillement. Le plissement du front, la contraction des muscles les paupières, la face, l’extension du bras droit, le repliement du
Clavareau. — La leçon de musique.
bras gauche avec fermeture de la main sont. d’une observation remarquable et d’une exécution impeccable.
Pour finir cette série que l’on pourrait prolonger indéfiniment, Une caricature de Daumier bien amusant, extraite de ses Physionomies [p. 297] tragiques. C’est une charge du début célèbre d’Iphigénie, de Racines :
Oui, c’est Agamemnon, cet ton roi veille.
Viens, reconnaît la voix qui frappe ton oreille.
Début analogue à celui d’Euripide : « Vieillards, sort de ta tante et viens ici… — J’accours, le sommeil n’appesantit point ma vieillesse, mon œil est encore vif et persant. La verve inépuisable de Daumier pouvait se donner libre cours en traitant à la blague, ce sujet classique. Tandis qu’Agamemnon, orné d’une fausse barbe, réveille son confident d’un geste royale, Arcas, assoupi sur l’oreiller, les yeux clos, la bouche ridiculement petite, dort toujours, songeant sans doute au courroux de Neptune qu’il ne veut pas laisser partir la flotte des souverains alliés. La pochade est très amusante, est traité avec la maîtrise coutumière du caricaturiste, aussi grand par l’esprit de sa satire que par la sûreté son dessin.
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