Louis de La Berge & Ed. Monneret. Cauchemar. Extrait du « Compendium de médecine pratique », (Paris), tome deuxième, 1837, pp. 112-118.
Alexandre Louis de La Berge (1809-1839). Médecin. Il débuta son internat à l’hôpital Saint-Louis dès 1830 et le poursuit à l’Hôtel-Dieu en 1832. De santé précaire il y attrapa la scarlatine qui l’obligea à interrompre ses travaux. Il poursuivit fièrement sa carrière et fut nommé en 1835 professeur agrégé. Il participa comme rédacteur aux Archives générales de médecine et publia dans la Revue médicale.
Jules-Auguste-Édouard Monneret (1810-1868). Professeur agrégé en médecine de la Faculté de Paris, professeur particulier d’hygiène appliquée et médecin du bureau central des Hôpitaux.
Leurs deux noms restent attachés à la publication dont nous avons extraite article, associés à celui de Louis Fleury :
Compendium de médecine pratique, ou, Exposé analytique et raisonné des travaux contenus dans les principaux traités de pathologie interne. Paris, Béchet Jeune, 1837-1846, 8 volumes.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
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CAUCHEMAR, s. m.
Dénominations françaises et étrangères. —Cauchemar, éphialte, incube, épilepsie, asthme nocturne. Fr. – Ἐπιζολή, έφιάλτης, πνιγαλίων. Grec. — Incubus, incubo, ephialtes, ludibria fauni, succubus, epilepsia nocturna, asthma nocturna.Lat.
Synonymie suivant les auteurs. — Έφίάλτνς, έπιζολή, Hip., et les anciens auteurs ; πνιγαλεωνα, Themisson ; Incubo, Cæluis Aurelianus ; incubus, Aetius, Wan-Swieten, Williams ; ludibria fauni, Pline ; incube, cauchemar, Jolly, Calmeil, etc.
Définition. —Le cauchemar est un mode de délire qui ne survient que durant le sommeil et pendant lequel le malade, en proie à une forme particulière de songe, éprouve un sentiment plus ou moins pénible d’oppression, de suffocation mêlée d’anxiété, de frayeur, avec gêne dans les mouvements, impossibilité d’articuler les sons, efforts pour crier, jusqu’à ce qu’un réveil en sursaut rende au malade la liberté de ses fonctions et de son intelligence.
Divisions. —Cet accident singulier a fixé de tout temps l’attention des observateurs. Sauvages (Nos. méth., t. 1, p. 329 et suiv.; Venise, 1772) en a décrit six espèces qu’il caractérise ainsi qu’il suit : 1° ephialtes plethorica: 2° ephialtes stomathica ; 3° ephialtes ex hydrocephalo ; 4° ephialtes venimosa ; 5° ephialtes tertianaria ; 6° ephialtes hypochondriaca. On considère généralement aujourd’hui que cet accident se manifeste particulièrement comme symptôme de l’hypocondrie, d’affections des centres circulatoires, ou de troubles dans les fonctions digestives (Chomel, Path, gén., p. 192; 1817). Comme le cauchemar se manifeste toujours avec les mêmes apparences dans les cas divers que nous venons d’énumérer, il nous semble inutile d’introduire de nombreuses divisions dans l’étude de cet accident. Les différences qu’il présente dans les cas particuliers que Sauvages a mentionnés trouveront parfaitement leur place quand nous tracerons l’histoire des causes el des complications du cauchemar.
Altération pathologiques. —Il est rare que l’on trouve l’occasion d’étudier les altérations que présentent les centres nerveux chez les sujets qui ont été affectés du cauchemar. Cet état n’est que fort passager et ne laisse point de suites qui puissent faire supposer qu’il se complique de lésions appréciables des viscères, Lower (De corde, cap. 1), qui admettait [p. 112, colonne 2] que le cauchemar se complique constamment d’épanchement séreux dans les ventricules du cerveau, a insisté beaucoup sur les lésions que ce viscère présente. Bonnet (Sepulchretum anat., t. 1, p. t 80 ) a rapporté deux observations d’individus qui, ayant présenté plusieurs atteintes de cauchemar portaient une accumulation considérable de sérosité dans les ventricules du cerveau, et c’est alors que l’on s’est cru autorisé à dire que les ondulations de ce liquide, son fréquent déplacement pouvaient expliquer les sensations qu’accusent les malades. Il s’en faut de beaucoup cependant que tous les sujets affectés de cauchemar aient eu à souffrir les accidents de l’hydrocéphale, il s’en faut de beaucoup que tous les sujets atteints d’hydrocéphale aïeul subi les troubles du cauchemar. D’ailleurs, il est à remarquer que la tête est immobile au moment où ce délire nocturne se développe, que le cerveau ne sent pas ordinairement les corps étrangers avec lesquels il est en contact, et dès lors il ne parait pas probable que la théorie, à laquelle Sauvages (Nos. méth., loc. cit., p. 330) donnait son approbation, soit admissible.
Les altérations pathologiques que l’on observe chez les sujets qui ont été affectés fréquemment de cauchemar sont excessivement variables, les unes résident dans les organes centraux de la circulation et sont caractérisées par une hypertrophie du cœur ; les autres ont pour siège l’estomac et consistent en une lésion plus ou moins manifeste des parois qui le constituent ; parfois c’est une maladie de la glande biliaire que l’anatomiste rencontre, souvent encore le mal semble être indépendant de toute lésion appréciable des viscères et se rapproche beaucoup sous ce rapport de certaines névroses avec lesquelles il a la plus grande affinité.
Symptomatologie. —Au milieu de son sommeil, généralement dans la première moitié de la nuit, un individu est pris d’une oppression très-grande, c’est avec peine qu’il peut dilater sa poitrine pour y introduire une certaine quantité d’air ; au centre épigastrique, il sent une constriction excessive ; en songe il croit qu’un corps pesant et volumineux repose sur son ventre et sur son thorax ; son imagination lui donne une forme, un caractère particulier ; tantôt c’est un cheval monstrueux, un homme difforme, une vieille femme qui semblent bondir sur le corps du patient et y reposer de tout leur poids ; tantôt c’est un fantôme, un démon qui vient l’embrasser fortement et lui faire subir une sorte de strangulation ; pour celui-ci c’est un singe énorme qui s’est introduit furtivement dans l’appartement et s’est glissé sous la couverture du lit ; pour celui-là c’est un chat, un gros chien qui en ont agi semblablement ; d’autres fois le patient a été transporté sur le bord d’un précipice , il veut fuir, mais une main ennemie [p. 113, colonne 1] le retient et paralyse ses mouvements ; en butte à une position si cruelle le malheureux atteint de cauchemar veut échapper au danger, mais ne peut se mouvoir, veut appeler à son aide et reste sans voix, veut éloigner ce songe affreux et demeure sous son influence ; son anxiété est extrême, il s’agite enfin avec violence, il laisse exhaler des cris confus, de sourds gémissements ; il se réveille en sursaut, le corps couvert de sueurs, en proie à des palpitations violentes, à une céphalalgie intense, quelquefois à un violent mouvement fébrile, et ne reprend le libre exercice de ses sens, n’échappe au sentiment de terreur et de peine qui l’accablait, qu’après plusieurs minutes passées dans un état de rêvasseries confuses.
Le reste de la nuit s’écoule sans que le sujet puisse retrouver du sommeil, ou s’il en obtient, ce sommeil est léger, peu réparateur ; parfois cependant il retombe dans un accablement profond et y est de nouveau assailli par les mêmes terreurs.
Le lendemain, à son réveil, il accuse une grande faiblesse, un sentiment de courbature, des douleurs contusives se font sentir dans tous les membres, l’intelligence elle-même n’est pas libre, le malade se plaint de pesanteur de tête, d’inaptitude au travail; il mange sans appétit et passe ainsi toute sa journée dans un état de malaise général.
Chez l’homme arrivé à l’âge adulte, chez le sujet qui est doué d’une saine intelligence, le cauchemar n’est, le plus souvent, qu’un accident sans importance, qui d’ordinaire ne conduit à aucune suite fâcheuse. Lorsque ce mal sévit sur des sujets superstitieux, sur de jeunes enfants dont l’esprit n’est point encore formé et qui par faiblesse sont généralement timorés, sur des individus disposés à l’aliénation mentale, de tristes résultats peuvent en être la conséquence. Le sujet superstitieux y voit souvent une sorte de pronostic, ses terreurs augmentent, son humeur est altérée, il tombe dans une mélancolie qui peut conduire à la folie ; l’enfant, sous cette influence, contracte souvent des attaques d’épilepsie qui se renouvellent avec plus ou moins de fréquence ; l’individu disposé à l’aliénation mentale en reçoit un choc qui hâte la manifestation du mal. Chez les jeunes filles, l’hystérie reconnaît assez communément une pareille origine. Enfin il n’est pas rare de voir le délire monomaniaque emprunter au cauchemar ses principaux éléments. Pendant le jour, il n’existe aucune lésion des sens ; mais le malade raconte avec effroi tout ce qu’il a souffert pendant la nuit, et l’interprétation qu’il donne aux sensations pénibles qui l’obsèdent pendant son sommeil, l’entrainent dans de continuelles divagations et à des actes qu’il faut parfois soigneusement réprimer (Calmeil).
Le cauchemar semble affecter en général des formes [p. 113, colonne 2] différentes suivant la nature de souffrances organiques qui lui donnent lieu. Chez les sujets en butte à des affections du cœur, il s’accompagne d’idées de lutte, de combat, et cesse par un réveil brusque qui parait être occasionné par une. commotion, une percussion violente.
Chez le malade qui souffre d’une maladie du foie ou de l’estomac, il parait surtout être occasionné par le poids d’un corps volumineux qui s’opposerait à l’abaissement du diaphragme et ne se dissipe que lentement, laissant après lui de cruelles souffrances, des nausées, des vomissements, des éructations, des coliques et souvent de la diarrhée.
Chez l’individu qui subit les premières atteintes d’une maladie mentale, il est plus varié, plus animé, plus compliqué, semble associé à des idées fantastiques, donne lieu à l’apparition d’êtres imaginaires et bizarres, et laisse après lui l’insomnie ou un état de rêvasserie durant lequel le patient ne peut se soustraire aux pensées singulières auxquelles ce trouble momentané de l’intelligence semble avoir donné lieu.
Marche. —Ordinairement, chez les sujets sains, le cauchemar n’est qu’un accident passager, qu’un trouble insolite comme les rêves ; il se manifeste à des intervalles fort éloignés, et fixe à peine l’attention de la personne qui en a subi les atteintes. Chez les sujets qui sont en butte à une lésion viscérale, il se manifeste avec plus de persistance, devient un des symptômes incommodes de la maladie et préoccupe le malade qui s’en plaint avec insistance. Dans les affections des centres circulatoires, par exemple, il semble exaspérer notablement les souffrances ; dans les affections du foie et de l’estomac il laisse constamment après lui un état de malaise fort pénible ; dans les maladies mentales il perpétue les troubles de l’intelligence. On peut dire en général qu’il se manifeste par accès, ou rares, ou très-rapprochés, suivant l’âge, la constitution, les souffrances et le degré d’excitation cérébrale du sujet qui en est atteint. Ces accès peuvent se manifester avec beaucoup d’irrégularité, revenir toutes les nuits et même plusieurs fois dans la même nuit ; ils peuvent même, d’après une observation de Forestus (lib. X, obs. LII), affecter un type régulier intermittent, comme le type tierce par exemple.
Durée. —ll est rare que l’accès de cauchemar se prolonge au delà de quelques minutes, un quart d’heure tout au plus. Le réveil est d’autant plus prompt que l’état de malaise est plus prononcé ; à peine réveillés, les malades apprécient d’ordinaire à leur juste valeur les frayeurs imaginaires auxquelles ils se sont abandonnés , la respiration se rétablit, le cœur cesse de battre convulsivement et si le sommeil ne revient plus aussi profond qu’il était [p. 114, colonne 1] cependant, par quelques heures de repos, le malade oublie facilement l’accident qui lui est survenu. Nous n’avons eu vue ici que les cas les plus ordinaires, les plus communs. Boisseau (Nos. org., t. IV, p. 769) reconnait que l’accès est ordinairement de peu de durée, que s’il en était autrement un pareil état serait intolérable, et il considère comme fort douteux, sinon comme tout-fait inexact, qu’un paroxysme de cette nature ait pu durer trois heures.
Terminaisons. —Plus haut nous avons dit quelles terminaisons fâcheuses peut avoir le cauchemar. Nous devons ici faire remarquer que, comme il est plus ordinaire de voir ce trouble des fonctions n’amener aucune conséquence fâcheuse, il est bien permis de supposer que quand il détermine l’épilepsie, la mélancolie, la manie et d’autres perturbations nerveuses, il n’agit que comme cause occasionnelle sur un sujet déjà prédisposé.
Espèces et variétés. — Les anciens auteurs ont établi une distinction entre l’incube et le succube , tout en rapprochant ces deux perversions fonctionnelles. Pour eux, l’incube est une espèce particulière de songe, dont le caractère principal consiste dans le sentiment d’une forte pression que le malade attribue à un poids quelconque, et le plus souvent à un être vivant placé sur la poitrine ; le succube survient particulièrement chez la femme, et a pour caractère un sentiment d’oppression qui leur fait quelquefois imaginer, durant le sommeil, qu’elles ont commerce avec un de ces esprits fantastiques que, dans leur délire, elles ont animés des traits les plus bizarres. Il faut ne pas confondre le cauchemar avec le rêve voluptueux, que les jeunes sujets éprouvent souvent, quand ils observent une longue continence ou lorsqu’ils excitent leur pensée en s’abandonnant à des idées de luxure ; cependant toutes les fois que l’oppression est un des caractères les plus prononcés de ce délire nocturne , on peut le rattacher au cauchemar.
Convient-il, dans l’état actuel de la science, d’admettre et de décrire les nombreuses variétés que Sauvages a fait connaître dans sa Nosologie méthodique ? Nous ne le pensons pas, mais nous croyons qu’il est nécessaire de conserver les quatre espèces que nous avons signalées, en rattachant à la première toutes les formes de cauchemar passager, indépendant d’une souffrance organique habituelle ; à la seconde, le cauchemar qui semble se développer sous l’influence d’une maladie du cerveau et qui occasionne plus tard un délire habituel ; à cette forme appartient, dans le plus grand nombre des cas, l’ephialteshypochondriacade Sauvage, dont on trouve des exemples dans Etmuller (De aeris inspir.), dans Schenkius ( centur. I, observ.) , dans la thèse de M. Dubosquet (juin 1815) et qui est admise par Esquirol [p. 114, colonne 2] (Dict. des scienc. médic., T. XXIV, p. 306), par M. Calmeil (Dict. de méd., 2eédit., t. VII , p. 28), l’ephialtes ex hydrocephalomentionnée par Sauvages et observée par Lottichius (Observ., lib. IV, observ. III), Bonnet (Sepulch., t. I, p. 180, observ. 1), Lower (De corde, cap. 1) et par d’autres encore ; à la troisième, le cauchemar qui résulte d’un trouble dans la circulation, et qui semble comprendre le cauchemar pléthorique de Sauvage et de Craanen, ainsi que le cauchemar qui complique les fièvres intermitentes (Forestus, lib. X, observ. LII) ; à la quatrième, l’ephialte stomathicaadmise par Sauvages et par Rivière, et l’ephialtes verminosasur laquelle Etmuller a insisté.
Nous ne reviendrons pas à la description de ces variétés de cauchemar, qui ont été précédemment indiquées avec quelques détails.
Complications. —Nous ne voyons pas qu’il soit nécessaire d’insister sur les complications de cet accident, puisque, d’après les considérations qui précèdent, il est facile de les apprécier.
Diagnostic. —Les auteurs n’ont généralement présenté aucune considération sur le diagnostic de l’affection qui nous occupe, ce qui jette beaucoup d’obscurité sur les principales circonstances qui s’y rapportent. Pour obvier à toute confusion sous ce rapport , nous nous en tenons aux termes que nous avons employés pour définir cette perturbation singulière. Nous établissons qu’il n’y a cauchemar que quand les accidents surviennent pendant le sommeil, dès lors nous ne pouvons consentir à comprendre dans notre description les faits qu’invoque M. Jolly (Dict., de méd., et de chir. prat., T. V, p. 106) et que cet observateur a empruntés à Georget et à Boisseau (Nos. org., T. IV, p. 170 ) ; nous ne voyons là que des hallucinations qu’il faut distinguer avec soin des phénomènes du cauchemar. Nous admettons, comme deux autres caractères essentiels du cauchemar, l’oppression et l’impossibilité d’émettre aucun son vocal, dès lors nous comprenons volontiers dans notre description tous les cas de succubes rapportés par les auteurs, et nous ne partageons pas la manière de voir de.M. Calmeil qui se prononce contre tout rapprochement entre le succube et l’incube, et qui voudrait voir le premier cas compris dans une nouvelle classification des sensations morbides (loc. cit., p. 27).
En admettant que le cauchemar est une forme de délire qui ne survient que durant le sommeil, qu’il a pour caractères essentiels un sentiment profond de suffocation et l’impossibilité d’émettre aucun son vocal, malgré les efforts que fait le patient pour crier, ou obvié à toute confusion possible dans l’histoire de cet accident pathologique, et par des données positives, on peut le distinguer des rêves, des hallucinations, [p. 115, colonne 1]de la manie, de l’hystérie, de l’hypocondrie, etc…
Pronostic. —Le cauchemar n’est point en général un accident fâcheux, lorsqu’il ne se renouvelle que deux ou trois fois dans l’espace de plusieurs années ; s’il survient plus fréquemment, s’il sévit sur des sujets déjà malades, s’il atteint des individus prédisposés aux maladies mentales, à l’hypocondrie, il devient plus important, plus redoutable, et commande l’emploi de moyen propres à en dissiper le retour. Rhodius cite le cas d’un professeur de Pavie chez lequel le cauchemar fut suivi d’apoplexie ; ce signe précurseur de l’hémorrhagie cérébrale n’est point un phénomène que l’on observe communément, dès lors il est permis de ne pas y attacher une grande importance.
Étiologie. —C’est particulièrement pour arriver à la connaissance des causes du cauchemar que les auteurs ont multiplié leurs recherches. Mais à cet égard tant d’opinions théoriques ont été admises que l’on doit supposer que bien souvent on s’est guidé dans ces recherches plutôt par des conceptions à priori, que par le rapprochement de nombreuses observations.
On observe le cauchemar chez les femmes hystériques, chez les hypocondriaques, les hommes timides, les individus impressionnables et nerveux et plus particulièrement chez les jeunes sujets à l’âge de la puberté. Avec l’âge, le cauchemar diminue ordinairement, pour peu que le sujet qui y était en butte évite tout ce qui peut irriter les nerfs, accélérer la circulation et stimuler trop vivement les voies digestive,.
Ce mal est ordinairement sporadique ; il n’atteint que des individus isolés, mais il parait que dans certaines circonstances il s’est montré sous forme épidémique, portant sur un grand nombre de personnes en même temps. « Memorat Silimaccus », Hippocratis sectator, contagione quàdam, plurimos ex istà passione, veluti lue, apud urbem Romam confectos » (Cælius Aurelianus, Morb. chron., lib. 1, cap. III, p. 30. éd. Haller; Lausanne, 1774 ). Il semble positif qu’il peut, sous l’influence d’une impression morale puissante, attaquer à la fois un nombre considérable de personnes (Calmeil). On lit dans le Dictionnaire des sciences médicales( t. XXIV, p. 309) le récit d’un fait curieux qui fut observé en Italie. Le premier bataillon d’un régiment français, ayant fait une marche forcée durant une journée très-chaude, eut à souffrir, pendant deux nuits de suite, des accidents du cauchemar : les soldats étaient couchés, tout habillés, sur de la paille, dans un lieu étroit et malsain ; s’étant soustraits à cette influence nuisible, ils évitèrent la récidive de l’accident.
Quoi qu’il en soit, ce trouble dans les fonctions [p. 115, colonne 2] d’innervation provient de causes diverses et nombreuses qui agissent directement sur les centres nerveux, qui influencent primitivement les organes contenus dans la poitrine ou les organes contenu dans le ventre. Les auteurs sont presque unanimes pour admettre ces divers agents de production du cauchemar.
Parmi les influences qui déterminent cet accident par une action directe sur l’encéphale, on cite la fatigue de l’esprit, des préoccupations douloureuses, les excès de veilles, les lectures de contes fantastiques, d’ouvrages qui parlent vivement à l’imagination, les émotions vives, etc. Les auteurs out beaucoup insisté sur ces influences dont l’action ne saurait être révoquée en doute, et qui semblent présider surtout au développement du cauchemar idiopathique.
Certaines causes passent pour modifier directement l’organe central de la circulation. Elles résultent d’un décubitus horizontal, d’une attitude vicieuse dans le lit, le corps étant fortement fléchi en avant, d’un refroidissement notable des extrémités pelviennes, d’un état de pléthore habituel, de l’omission d’une saignée que l’on se fait ordinairement pratiquer, de la rétention d’une évacuation sanguine qui se manifeste en général avec régularité. Elles ont d’autant plus d’action que le cœur se rapproche moins de l’état physiologique, qu’il est hypertrophié, que le passage du sang à travers ses orifices se fait plus difficilement. Ici la cause agit en quelque aorte continuellement ; aussi n’est-il pas rare de voir les accidents de cauchemar se renouveler fréquemment.
D’autres fois, c’est, sous l’influence d’un état de malaise ou d’altération morbide des organes du ventre que le mal en question se développe. Un individu qui est habituellement en butte aux accidents de la gastralgie, d’une gastrite chronique, un sujet qui a d’ordinaire les digestions difficiles, fait un excès de table, il mange plus abondamment que de coutume, il choisit mal ses aliments, fait usage de légumes venteux et indigestes, de poissons gras et pesants, comme l’anguille, de vins chargés d’acide carbonique ; il sort de table et s’endort ; le ventre est gonflé, tuméfié, il s’oppose à l’abaissement régulier du diaphragme, et sous cette influence le cauchemar se développe. La cause qui lui a donné lieu en ce cas est presque entièrement mécanique. Il est facile par quelques précautions hygiéniques de remédier à la récidive du mal. « Un sujet que nous avons exploré, dit M. Calmeil, et dont le foie est volumineux, éprouve constamment les angoisses du plus violent cauchemar chaque fois qu’il se couche sur le côté gauche. Plusieurs personnes éprouvent les mêmes accidents chaque fois qu’elles prennent leur repas un peu trop tard, chaque fois qu’elles font usage d’une quantité de vin assez considérable pour produire l’ivresse, chaque fois que, pendant le sommeil ,elles reposent [p. 116, colonne 1] sur le ventre ; chez quelques enfants, le cauchemar parait être la conséquence et le symptôme de l’accumulation d’entozoaires dans le canal intestinal. »
- Jolly, qui a voulu analyser le mode d’action de ces causes diverses, s’exprime dans les termes qui suivent à ce sujet(loc. cit., p. 106) « Pour se faire une juste idée du cauchemar, il faut se rappeler que toutes les sensations internes ou externes peuvent s’exercer pendant le sommeil comme pendant la veille, que toutes peuvent être mises en jeu par des rêves comme par des souvenirs, et offrir alors toutes les nuances, toutes les anomalies dont elles sont susceptibles dans l’état de veille. On rêve que l’on éprouve une difficulté ou une impossibilité de respirer, comme on rêve que l’on éprouve le besoin de la faim ou de la soif, etc.,… que l’on aperçoit un précipice, que l’on entend une voix menaçante, que l’on sent une odeur fétide, etc… Or; le cauchemar n’est autre chose que l’exercice insolite, exagéré, et en quelque sorte imaginaire de la sensibilité qui préside au besoin de respirer, et qui fait naitre la crainte de la suffocation. Quelquefois l’estomac seul paraît être le siège du cauchemar, comme Moreau de la Sarthe l’a observé chez un sujet qui, bien que soumis à une diète rigoureuse, rêvait, chaque fois qu’il s’endormait, qu’il avait mangé du jambon ou tout autre aliment indigeste, qui lui causait les angoisses de l’indigestion. Mais le plus ordinairement, tous les organes qui sont sous la dépendance du nerf pneumo-gastrique participent à cette affection : ainsi l’estomac, le poumon, le larynx, sont simultanément affectés. La coordination du sentiment et du mouvement, nécessaire à l’exercice de leurs fonctions, se trouve suspendue par suite d’une anomalie d’action de l’appareil nerveux de la digestion, de la respiration et de la phonation. Il est remarquable que cette difficulté d’articuler, dans le cauchemar, est réellement un des caractères propres de la maladie ; le malaise, les souffrances causées par d’autres rêves, qui mettent enjeu d’autres sensations, qui font naitre d’autres besoins, ne privent pu de la faculté de parler, de crier, comme il arrive dans le cas de cauchemar »
Nous avons voulu exposer ici cette opinion de M. Jolly parce que, suivant nous, elle détermine plus complétement qu’on ne l’avait fait jusqu’à ce jour, le point de départ, l’origine du phénomène que nous étudions, et parce qu’elle résume assez exactement les diverses influences qui président au développement du cauchemar, tout en appréciant leur mode d’action. Nous reviendrons sur cette question curieuse quand nous aurons à nous prononcer sur la nature du cauchemar.
Traitement. —La thérapeutique que l’on dirige contre le cauchemar varie suivant les causes qui ont déterminé cet accident. Contre le cauchemar nerveux [p. 116, colonne2 ] idiopathique, simplement passager, le médecin est rarement appelé à indiquer des moyens de guérison ; cette maladie, en effet, n’est pas susceptible de récidives rapprochées, et quand l’accès est passé, le malade peut se considérer comme guéri.
Contre le cauchemar dépendant d’une souffrance des centres nerveux, il faut opposer la distraction, l’exercice musculaire, l’éloignement des excitants intellectuels, des fatigues d’esprit, des lectures de romans, de contes fantastiques et de toutes les circonstances qui parlent trop vivement à l’imagination, les bains tièdes, les bains froids, le coucher dans un lit dur, l’habitation de la campagne, l’usage des préparations antispasmodiques ; ce n’est souvent qu’à la longue que l’on triomphe entièrement du mal.
Si le délire nocturne semble tenir à une modification des organes de circulation, si le sujet est pléthorique, si son cœur bat avec violence, la saignée lui conviendra parfaitement ; il faudra aussi surveiller l’attitude qu’il affecte dans son lit ; en général, le décubitus horizontal donne lieu au retour des accidents. Bonet rapporte qu’un homme robuste, et d’ailleurs bien portant, éprouvait depuis deux mois des attaques de cauchemar qui le prenaient toutes les fois qu’il lui arrivait de dormir couché sur le dos. Il prit le parti de faire coucher dans son lit un domestique qui , lorsqu’il s’apercevait que son maitre éprouvait une attaque de cauchemar, changeait immédiatement sa position dans le lit. Ce procédé ne manqua jamais de faire cesser l’accès sur-le-champ. Le docteur Gregory rapporte l’observation d’un monsieur qui, ayant une fois dormi dans un lieu humide et bas, fut, à dater de cette époque, fort sujet aux accidents de suffocation nocturne quand il dormait horizontalement couché : il croyait voir alors un squelette qui s’approchait de lui et le saisissait violemment par la poitrine. Cependant ce monsieur reposait avec calme quand il restait assis dans son lit. Après avoir cherché divers expédients pour ne point échapper à cette attitude durant son sommeil, ce monsieur s’arrêta à l’idée de faire tenir devant lui une personne en sentinelle, qui avait pour mission de l’éveiller dès que son corps s’inclinait. Une fois, cependant, les accidents du cauchemar se renouvelèrent, et le malade fut en proie à une longue et violente agitation avant de sortir de ce songe. Comme il se plaignait à son gardien de son défaut de surveillance, il apprit qu’il n’avait pas été un seul instant couché horizontalement, et ne put attribuer ce retour du mal qu’à une position légèrement inclinée que son domestique lui avait laissé prendre. Ce ne fut qu’après un espace de temps fort considérable que ce monsieur revint à un état complet de santé (J.-B. Williams, The cyclop. of pract. med., vol. II, p. 608 ; Lond. , 1833 ). Les préparations de digitale, en ralentissant les mouvements du cœur [p. 117, colonne 1], doivent aussi contribuer à éloigner ces rêves importuns et fatigants.
Quand le cauchemar est produit par une souffrance des organes du ventre, le traitement repose sur des indications fort multipliées et diverses, contre l’indigestion, la diète, des boissons stimulantes, des lavements, contre la gastralgie des préparations calmantes, contre la gastrite chronique un régime sévère et lacté, contre l’embarras gastrique des émétiques, des purgatifs, des boissons acidulées, amères, contre l’engorgement du foie les mercuriaux, les purgatifs, etc… Le lecteur comprendra que nous ne pouvons aborder complétement ici les considérations qui se rattachent à ce sujet complexe.
Suivant M. Calmeil (Loc. cit., p. 29) le cauchemar symptomatique d’une maladie du foie, d’une hypertrophie du cœur, de l’oblitération des gros vaisseaux résiste presque toujours aux efforts de traitement le plus sagement combinés. Quelquefois on soulage les malades en changeant la disposition de leur lit, en leur donnant l’ordre de se coucher de préférence sur l’un ou sur l’autre côté du corps, en modifiant leur régime alimentaire, l’heure des repas, celle du coucher, etc. S’aperçoit-on aux mouvements de l’enfant qui a coutume de faire des rêves effrayants, qu’il va éprouver une nouvelle atteinte de cauchemar, on s’empresse de faire cesser le sommeil, de rassurer son imagination alarmée. Sur les personnes âgées le cauchemar est quelquefois le signe précurseur d’affections cérébrales plus ou moins dangereuses, et que le médecin s’efforce de prévenir. Le cauchemar finit par pousser les aliénés au désespoir, et , s’ils n’étaient pas convenablement surveillés, plusieurs d’entre eux porteraient atteinte à leurs jours. Du reste, c’est presque toujours de la connaissance des causes que l’on apprend à déduire le traitement le plus convenable à chaque espèce de cauchemar.
Nature et classification dans les cadres nosolosiques. —Le cauchemar n’est le plus ordinairement qu’un accident symptomatique, qu’un mode de manifestation de souffrances. Comme le délire, avec lequel il a la plus grande analogie, il peut dépendre d’altérations fort diverses, et c’est à tort que certains pathologistes ont décrit tous les cas de cauchemar comme une affection distincte, comme une véritable maladie. Cependant, il faut avouer que, dans certaines circonstances, il nous est impossible de rattacher à aucune lésion antécédente cette perturbation grave que l’on observe durant le sommeil ; elle se manifeste chez un sujet qui jouit de la santé la plus brillante et la plus parfaite, elle n’occasionne aucun trouble à sa suite, et, sous ce rapport, mérite d’être rapprochée de certaines névroses qui se manifestent par accès plus ou moins éloignés, sans laisser [p. 117, colonne 2] après elle aucune trace, sans entrainer aucun désordre pathologique subséquent.
- Jolly, qui a fait une étude particulière des maladies nerveuses, a présenté des considérations intéressantes sur la nature du cauchemar : nous les transcrivons ici textuellement : « Le cauchemar, dit-il, peut, comme toutes les anomalies des sensations en général, tenir à trois ordres de causes, savoir : ou à un état de souffrance quelconque des organes digestifs et respiratoires, ou à quelques affections des nerfs qui leur appartiennent, ou, ce qui est le plus ordinaire, à un trouble de la faculté pensante, de toute sensation, à un exercice insolite du cerveau ; comme on le remarque lorsque cet organe est surexcité par des affections morales tristes, par une forte contention d’esprit, une imagination exaltée, une hypocondrie, etc. Je suis même persuadé que la surcharge de l’estomac, que l’on regarde généralement comme la seule cause du cauchemar, est le plus ordinairement étrangère à celle affection. L’exemple observé par Moreau de la Sarthe peut servir de preuve à cette opinion. Il est surtout remarquable que le cauchemar affecte plus particulièrement les enfants, les individus qui sont doués d’une imagination vive, ardente, ceux qui se livrent habituellement à des travaux intellectuels et ceux qui sont atteints ou menacés d’hypocondrie, d’hystérie, de manie, etc. : en un mot, ceux dont la sensibilité cérébrale est plus ou moins exaltée. Or, chez aucun de ces individus, les digestions ne sont ni plus lentes, ni plus laborieuses que chez beaucoup d’autres qui n’ont jamais connu les effets du cauchemar. Il en résulte évidemment que le cauchemar doit être considéré comme une maladie essentiellement nerveuse, et dont il faut toujours rechercher les causes dans les circonstances qui peuvent imprimer à la sensibilité digestive, respiratoire ou cérébrale une modification accidentelle. Par la même raison, le cauchemar n’est jamais continu, alors même qu’il est lié à quelque affection organique.»
Suivant M. Calmeil le cauchemar est un mode de délire ; Boisseau l’avait déjà rangé parmi les maladies du système nerveux avec aberration de fonctions ; la nature de cet accident paraît avoir été convenablement appréciée, et nous pensons qu’il est impossible de faire des objections sérieuses aux dernières opinions que nous venons d’exposer, et auxquelles nous nous associons sans hésitation.
Historique et bibliographie. —Hippocrate a mentionné le cauchemar dans ses écrits. Son livre sur la maladie sacrée (De morbo sacro liber. cap. 1) contient une description de cet accident. Il y en a, dit-il, qui, dans Je sommeil, crient et gémissent ; certains qui se sentent étouffés, quelques-uns qui sautent du lit, qui marchent et sont hors de leur [p. 118, colonne 1] raison, jusqu’ à ce qu’après s’être éveillés, ils se trouvent aussi sains qu’auparavant, jouissent parfaitement de toutes leurs facultés ; on remarque seulement qu’ils sont un peu pâles et faibles. Or ce sont des faits, peu communs à la vérité, qui cependant ne sont pas arrivés une seule fois, mais plusieurs.
Cælius Aurelianus (Morb., chron., lib. I, cap. III) nous a transmis une description assez complète du cauchemar, qu’il désigne sous le nomIncubo ; il a fait l’analyse des opinions de ses prédécesseurs et de ses contemporains sur cette maladie, et en a tracé avec soin le traitement.
Depuis lui, les observations particulières, les théories se sont multipliées sur ce sujet.
Sauvages, dans sa Nosologie, a rapporté à la classe cinquième, intitulée anhelatione, les divers casqu’il a rencontrés dans les auteurs, et les a rangés dans six espèces différentes.
Van-Swieten (Comment. in H. Boerrh, aph., T III. p. 29 ; Lugd.Bat., 1755) a mentionné aussi les principales circonstances qui caractérisent ce mal.
Cullen, qui a étudié cette maladie sous le nom d’oneirodynia gravanset qui l’a placée dans la classe des vésanies, parait avoir saisi convenablement son véritable caractère, avoir apprécié avec justesse sa nature (Synop. nos. meth., t. II, p. 264 , Edimb. 1795, et Méd. prat., t. II, p. 510, Paris 1787, édit. Bosquillon).
Le docteur Good (The study of Med., vol. I, p.60S5 ; Lond. 2825) a critiqué celte manière de voir et a rattaché la cause excitante de ce mal, tantôt à une souffrance de l’estomac, tantôt à une souffrance du sensorium communeet le plus souvent à un état de malaise portant sur ces deux appareils.
Boisseau (Nos. org., T. IV, p. 769) a décrit le cauchemar parmi les maladies du système nerveux avec aberrations de fonctions.
Quelques thèses ont été publiées sur ce sujet : parmi elles on cite particulièrement celle de M. Dubosquet (juin 1815, Thèses de Paris).
Ailleurs on en a donné une description assez complète : Dans le Dictionnaire des science médicales(T. XXIV, p. 304 et suiv.), dans le Dictionnaire de médecine et de chirurgie pratique, (T. V, p. 105 et suiv.), dans le Dictionnaire de médecine (2e éd., T. VII, p. 26), dans l’Encyclopédie anglaise de Médecine pratique, publiée par M. Forbes (T. II, p. 606 etl suiv.) on trouvera une histoire assez détaillée de cet accident.
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