Louis de Jaucourt. SONGE VÉNÉRIEN, SONGE, (Critique sacrée.), SONGES, (Mytholologie.), SONGE, (Poésie.), SONGES, (fête des).] in « Encyclopédie, éd. de Denis Diderot », (Paris), vol. 15, 1751,p. 357-359.
Louis de Jaucourt (1704-1779). rédacteur de l’Encyclopédie et docteur en médecine français.
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SONGE VÉNRIEN, (Médec.) Maladie que Cœlius Aurelianus appelle en grec ὀνειρόγονος. Hippocrate dit aussi ὀνειρώσσειν, avoir des songes vénériens. Ce n’est point une maladie, dit Cœlius Aurelianus, ni le symptôme d’une maladie, mais l’effet des impressions de l’imagination, qui agissent durant le sommeil. Cet état vient ou de beaucoup de tempérament, de l’usage des plaisirs de l’amour, ou au contraire d’une continence outrée. Il demande différens traitemens selon ses causes. Chez les uns il faut détourner l’imagination des plaisir de l’amour, & la fixer sur d’autres objets. Les anciens faisoient coucher les personnes sujettes à l’oneirogonie dans un lit dur, lui prescrivoient des remèdes rafraîchissans, des alimens incrassans, des boissons froides & astringentes, le bain froid, & lui appliquoient sur la région des lombes des éponges trempées dans de l’oxicrat. Quelques-uns ordonnoient au malade de se coucher avec la vessie pleine, afin qu’étant de tems-en-tems éveillé, il perdît les impressions des plaisirs de l’amour qui agissent dans le sommeil ; mais cette méthode seroit plus nuisible qu’utile, parce qu’une trop longue rétention d’urine peut devenir la cause d’une maladie, pire que celle qu’il s’agit de guérir. (D. J.)
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SONGE, (Critique sacrée.) Il est parlé dans l’Écriture de songes naturels & surnaturels ; mais Moïse défend également de consulter ceux qui se méloient d’expliquer les songes naturels, Lévit. xix. 26. & les surnaturels, Deuter. XIII. 1. C’étoit à Dieu & aux prophètes que devoient s’adresser ceux qui faisoient des songes pour en recevoir l’interprétation. Le grand prêtre revêtu de l’éphod, avoit aussi ce beau privilège.
Fusslii – Crayon.
On lit plusieurs exemples de songes surnaturels dans l’Écriture ; le commencement de l’évangile de saint Matthieu en fournit seul deux exemples : l’ange du Seigneur qui apparut à Joseph en songe, & l’avis donné aux mages en songe, de ne pas retourner vers Hérode.
Les Orientaux faisoient beaucoup d’attention aux songes ; & ils avoient des philosophes qui se vantoient de les expliquer ; c’étoit un art nommé des Grecs onéirocritique. Ces philosophes d’Orient ne prétendoient point deviner la signification des songes par quelque inspiration, comme on le voit dans l’histoire de Daniel. Nabuchodonosor pressant les mages des Chaldéens de lui dire le songe qu’il avoit eu, & qu’il feignoit avoir oublié, ils lui répondirent qu’il n’y a que les dieux qui le savent, & qu’aucun homme ne pourroit le dire ; parce que les dieux ne se communiquent pas aux hommes, Daniel, II. 11. Les mages ne prétendoient donc point être inspirés. Leur science n’étoit qu’un art qu’ils étudioient, & par lequel ils se persuadoient pouvoir expliquer les songes. Mais Daniel expliqua le songe de Nabuchodonosor par inspiration ; ce qui fit dire au prince, que l’esprit des saints dieux étoit en lui.
Il ne faut pourtant pas déguiser au sujet du songe de Nabuchodonosor, qu’il y a une contradiction apparente dans le ch. IV. v. 7. & 8. & le ch. II. v. 5. & 12. du livre qui porte le nom de Daniel. On rapporte au ch. iv. l’édit de Nabuchodonosor, par lequel il défend de blasphémer le Dieu des juifs. Il y fait le récit de ce qui s’étoit passé à l’occasion du songe qu’il avoit eu. Il déclare qu’ayant récité ce songe aux philosophes ou mages de Chaldée, aucun d’eux n’avoit pu le lui expliquer, & que l’ayant ensuite récité à (p. 358, colonne 1] Daniel, ce prophète lui en avoit donné l’explication.
Le fait est rapporté bien différemment dans le second chapitre. Ici Nabuchodonosor ne voulut jamais déclarer aux mages le songe qu’il avoit eu. Il prétendit qu’ils le devinassent, parce qu’il ne pouvoit s’assurer sans cela que leur explication fût vraie. Ils eurent beau protester que leur science ne s’étendoit pas si loin ; il ordonna qu’on les fît mourir comme des imposteurs. Daniel vint ensuite, à qui le roi ne dit point le songe en question ; au contraire il lui parla en ces termes : me pourriez-vous déclarer le songe que j’ai eu, & son interprétation ? Dan. II. 26. Là-dessus Daniel lui fait le récit du songe & l’explique.
Un savant critique moderne trouve la contradiction de ces deux récits si palpable, & leur conciliation si difficile, qu’il pense qu’on doit couper le nœud, & reconnoître que les six premiers chapitres de Daniel ne sont pas de lui ; que ce sont des additions fait par des juifs postérieurs à son ouvrage, & que ce n’est qu’au chapitre sept que commence le livre de ce prophète. (D. J.)
[p. 358, colonne 1]
SONGES, (Mythol.) Enfans du sommeil, selon les poëtes. Les songes, dit Ovide, qui imitent toutes sortes de figures, & qui sont en aussi grand nombre que les épis dans les plaines, les feuilles dans les forêts, & les grains de sable sur le rivage de la mer, demeurent nonchalamment étendus autour du lit de leur souverain, & en défendent les approches. Entre cette multitude infinie de songes, il y en a trois principaux qui n’habitent que les palais des rois & des grands, Morphée, Phobetor & Phantase.
Pénélope ayant raconté un songe qu’elle avoit eu par lequel le prochain retour d’Ulyse & la mort de ses poursuivans lui étoient promis, ajoute ces paroles : « J’ai oui dire, que les songes sont difficiles à entendre, qu’on a de la peine à percer leur obscurité, & que l’événement ne répond pas toujours à ce qu’ils sembloient promettre, car on dit qu’il y a deux portes pour les songes, l’une est de corne & l’autre d’ivoire ; ceux qui viennent par la porte d’ivoire, ce sont les songes trompeurs qui font entendre des choses qui n’arrivent jamais ; mais les songes qui ne trompent point, & qui sont véritables, viennent par la porte de corne. Hélas, je n’ose me flatter que le mien soit venu par cette dernière porte » !
Horace & Virgile ont copié tour-à-tour cette idée d’Homère, & leurs commentateurs moralistes ont expliqué la porte de corne transparente, par l’air, & la porte d’ivoire, opaque, par la terre. Selon eux, les songes qui viennent de la terre, ou les vapeurs terrestres, sont les songes faux ; & ceux qui viennent de l’air ou du ciel, sont les songes vrais.
Lucien nous a donné une description toute poétique d’une île des songes dont le Sommeil est le roi, & la Nuit la divinité. Il y avoit des dieux qui rendoient leurs oracles en songes, comme Hercule, Amphiaraüs, Sérapis, Faunus. Les magistrats de Sparte couchoient dans le temple de Pasiphaë, pour être instruits en songes, de ce qui concernoit le bien public. Enfin on cherchoit à deviner l’avenir par les songes, & cet art s’appelloit onéirocritique. Voyez ce mot. (D. J.)
[p. 358, colonne 1]
SONGE, (Poésie.) Fiction que l’on a employée dans tous les genres de poésie, épique, lyrique, élégiaque, dramatique : dans quelques-uns, c’est une description d’un songe que le poëte feint qu’il a, ou qu’il a eu ; dans le genre dramatique, cette fiction se fait en deux manières ; quelquefois paroit sur la scène un acteur qui feint un profond sommeil, pendant lequel il lui vient un songe qui l’agite, & qui le porte à parler tout haut ; d’autres fois l’acteur raconte le songe qu’il a eu pendant son sommeil. Ainsi dans la Mariane de Tristan, Hérode ouvre la scène, en s’éveillant brusquement, & dans la suite il rapporte ce songe qu’il a fait. Mais la plus belle description d’un songe qu’on ait donnée sur le théâtre, est celle de Racine dans Athalie ; épargnons au lecteur la peine d’aller la chercher. C’est Athalie qui parle scène V. acte II.
Un songe (me devrois-je inquieter d’un songe ?)
Entretient dans mon cœur un chagrin qui le ronge.
Je l’évite partout, partout il me poursuit.
C’étoit pendant l’horreur d’une profonde nuit.
Ma mère Jézabel devant moi s’est montrée,
Comme au jour de sa mort pompeusement parée.
Ses malheurs n’avoient point abattu sa fierté.
Même elle avoit encore cet éclat emprunté,
Dont elle eut soin de peindre & d’orner son visage,
Pour réparer des ans l’irréparable outrage.
Tremble, m’a-t-elle dit, fille digne de moi.
Le cruel Dieu des juifs l’emporte aussi sur toi.
Je te plains de tomber dans ses mains redoutables,
Ma fille… En achevant ces mots épouvantables,
Son ombre vers mon lit a paru se baisser.
Et moi, je lui tendois mes mains pour l’embrasser,
Mais je n’ai plus trouvé qu’un horrible mélange
D’os & de chair meurtris, & traînés dans la fange,
Des lambeaux pleins de sang, & des membre
affreux,
Que des chiens dévorans se disputoient entr’eux, &c.
(D. J.)
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SONGES, fête des, (Hist. mod.) Les sauvages de l’Amérique septentrionale appellent fête des songes ou du renversement de cervelle, une espèce de bacchanale qui se célèbre parmi eux vers la fin de l’hiver, & qui dure ordinairement 15 jours. Pendant ce tems, il est permis à chacun de faire toutes les folies que la fantaisie lui suggère. Chaque sauvage barbouillé ou déguisé de la manière la plus bisarre, court de cabanes en cabanes, renverse & brise tout sans que personne puisse s’y opposer ; il demande au premier qu’il rencontre l’explication de son dernier rêve, & ceux qui devinent juste, sont obligés de donner la chose à laquelle on a rêvé. La fête finie, on rend tout ce qu’on a reçu, & l’on se met à réparer les désordres qu’une joie licentieuse a causés. Comme l’ivresse est souvent de la partie, il arrive quelquefois des tumultes & des catastrophes funestes dans ces sortes d’orgies, où la raison n’est jamais écoutée.
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