Les symboles traditionnels et le freudisme. Par Laignel-Lavastine et Vinchon. 1922.

LAIGNELPSYCHANALYSE0001Maxime Laignel-Lavastine et Jean Vinchon. Les symboles traditionnels et le freudisme. Article parut dans la revue « Paris médical : la semaine du clinicien », (Paris), n°40, 1921, page 151-155.

Paul-Marie-Maxime Laignel-Lavastine (1875-1953). Internat de Paris en 1898, Médecin des Hôpitaux en 1907, agrégé en 1910. Enseignant l’histoire de la médecine, c’est très tôt qu’il s’intéressera à la psychiatrie, mais c’est seuelment en 1939, en prenant la succession de Henri Claude à Sainte Anne et en occupant la chaire de Clinique des maladies mentales qui se consacra à cette discipline. Organiciste convaincu, il prendra étonnement part à la défense de la psychanalyse comme nous le constatons ici.  Quelques uns de ses travaux :
— Recherches sur le plexus solaire. 1903.
— La pratique psychiatrique à l’usage des étudiants et des praticiens. Avec 19 figures. Paris, J.-B. Baillière et fils, 1919. 1 vol. in-8°, 834 p.
— A propos d’une observation de Psychanalyse. Paris, 1920.
— Pathologie sympathique. 1924.
— La méthode concentrique dans l’étude des psychonévroses. Paris, 1928.
— Les maladies de l’esprit et leurs médecins du XVIe au XIXe siècle (écrit en collaboration avec Jean Vinchon). 1930.
— Histoire générale de la médecine, comme directeur de la publication. 1936. 3 vol.

Pour les éléments biographiques de Jean Vinchon, nous renvoyons à l’article en ligne sur notre site  : [La part de la maladie chez les mystiques. 1926.]

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
 – Par souci de clarté et commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. Une erreur de numérotation des notes étant intervenue dans l’original nous l’avons rétablie – Les  images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr

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LES SYMBOLES TRADITIONNELS
ET LE FREUDISME

PAR

LAIGNEL LAVASTINE et Jean VINCHON

L’Ecole de Zurich a cherché dans la symbolique des rêves de Freud, la clef des légendes de la mythologie classique, qui out fleuri aux bords de la Méditerranée, il y a des milliers d’années, comme le montrent les objets trouvés dans l’île de Crète, plus anciens que tous ceux que l’on connaissait jusqu’ici. Or c’est précisément dans les pays latins, héritiers de ces légendes, que la symbolique, comme toute la doctrine de l’Ecole de Vienne, a trouvé le plus de détracteurs, et nous citerons seulement un de leur porte-parole, Tanzi, qui la qualifie de science hermétique, et s’exclame plaisamment : « Salire la scala vuol dire compiere il coit ; essere insequiti da una vacca significa subire un’ azione pederastica ; veder la torre pendante da Pisa e lo stesso che dubitare della propria potenza sessuale ; un armadio , una stuffa, una tachacchiera simboleggiano il corpa feminile !! » (1)

Il nous semble que c’est être injuste envers travailleur consciencieux qu’est Freud. Si l’on a tenté d’appliquer sa méthode, on apprécie vite les services qu’elle peut rendre et il faut savoir vaincre les répugnances d’nue culture trop affinée, pout aller au delà des apparences et en tirer la valeur exacte de symptômes, qui nous paraissent à première vue sans signification. Après expérience, certains symboles sont d’ailleurs si clairs que la conviction s’impose : les malades en donnent la clef eux-mêmes, aidés par les souvenirs affectifs de leurs rêves. Les érudits de la Renaissance out composé de très nombreux recueils de symboles et d’emblèmes inspirés des lettres classiques. dont le goût se généralisait ; en même temps l’esprit [p. 149 – colonne 2] critique se donnait libre cours dans tous les domaines, s’attaquait même à la morale et à la religion des ancêtres et publiant des œuvres, qui font déjà pressentir le XVIIIe siècle et les Encyclopédistes. Ainsi Jean Huarte (2). dans son livre de l’Examen des esprits, s’essayait à une étude des caractères et recherchait des causes physiques qui modifient ; il citait, entre autres, la satisfaction de l’instinct sexuel, l’envisageant comme un adepte de l’école de Freud : « que si Aristote croit que l’homme et la femme ne viendraient pas à être malades et à mourir par une trop grande rétention de semence, c’est coutre l’opinion de tous les médecins, principalement de Galien qui affirme que plusieurs femmes, qui étaient demeurées veuves fort jeunes, sont venues à perdre le sentiment et le mouvement, le pouls et la respiration et, après cela, la vie ».

Pour limiter nos recherches, nous n’avons retenu que trois livres d’emblèmes et de symboles :

Les Commentaires hiéroglyphiques ou images des choses de Jean Pierius mis en françois par Gabriel Chappuy, Tourangeau. Lyon, Barthélémy Honorat, MDCLXXVI ; puis les Emblemata Florentii Schonhovii édités par les Ezévirs en 1626 (2) et enfin les Symbola heroïca de m. Claudii Paradini et D. Gabrielis Symconis, un des plus beaux livres sortis des presses de Christophe Plantin d’Anvers en 157.

* * * *

Ces livres montrent dans des gravures sur bois tous les détails de la figuration des symboles : nous lisons les commentaires qui s’élèvent de aspects particuliers vers les conceptions générales et se terminent par une application morale. Ces études furent menées au milieu de l’engouement du public, surtout eu Italie et en France, par des [p. 150 – colonne 1] chercheurs qui comme Bleuler pensaient y trouver non seulement la clef des scènes figurées sur les monuments antiques, mais encore de la vie actuelle. Ils évoquaient avec les classiques le temps où l’on « philosophait plus ouvertement et plus simplement de chaque chose » et ils devinaient les mystères de l’Egypte, initiatrice d’Athènes et de Rome. Venise avait aussi apporté dans ses navires les grimoires de l’Orient, chargés des méditations des soufis et des poésies de Saadi, d’Hafiz et d’Omar Khaymm ; peu à peu on retrouvait tous les documents, oubliés dans l’inconscient des hommes et qui avaient servi à édifier la symbolique.

L’observation critique des philosophes et des médecins contemporains avait appris à discerner les songes vrais des songes faux et Pierius, après Philostrate, décrivait le Palais du sommeil avec ses portes de corne et d’ivoire, car lorsque l’âme est « délivrée du soucy du corps, les songes qui n’excèdent l’estat et la qualité de la personne, sont certains et simples comme la corne, suivant ceux qui ont escrit de l’interprétation des songes ; et au contraire les songes sont menteurs, qui supassent la condition et ont trop d’ornements ; d’où vient la fiction de la porte d’ivoire comme plus riche et plus ornée ».

 Sleep tight...

Sleep tight…

L’origine des songes est multiplié : nous les recevons des astres, de l’esprit et du corps, c’est-à-dire d’humeurs « superflues ou mauvaises ». Ambroise Paré et Cardan, après Hippocrate, pensent alors que la maladie s’aggrave et qu’il faut craindre la mort. Cardan (3) remarque l’importance de l’état affectif antérieur au sommeil : « si l’excitation et émotion du corps ou de l’esprit a esté grande, comme la crainte principalement, car la crainte coutumièrement excite des terreurs et espoirs variés ». Il considère le songe comme « la réalisation d’un espoir » ; c’est presque la définition de Freud, qui remplace espoir par désir.

Après ces généralités, passons maintenant à l’étude des symboles de désir sexuel, particulièrement dans l’œuvre de Pierius.

Au serpent revient la place d’honneur. Le serpent est le vieux tentateur de la Bible :

D’hanter Folye fut la commencement.
Avec Eve, de tous humains la mère,
Le faux serpent par ses exhortement
Fist transgresser divin commandement
Dont tous vivants sentent douleur amère, etc.
(4)

Ce sont aussi, comme dans le tableau de l’école de Botticelli qui est au Louvre, les blonds serpents de la chevelure de vénus :

Celle, serpents malicieux
Qui vous meurtrit visiblement
(5).

Une zoologie fantastique décrivait les mœurs du serpent au moment du rut :

Ceu coit et dulci Veneris jacet ebria motu
Vipera contuncat insidiosa marem
Hoc Venus omnis habet, primo sua gaudia fundit
Postmodo sed stimulis corda fruentis agit.

La fin du mâle de la vipère signifiant les suites amères de la volupté. En lisant les commentaires de Pline, on évoque certaines pages de Fabre sur les scorpions.) Puis les vipères tuaient leur mère dès la naissance et obéissaient ainsi aux lois d’une « Némésis tardive ».

Le serpent symbolisait encore la volupté à cause de sa peau « peinte et embellie de couleurs », mais surtout parce qu’il vit de coutume dans l’obscurité, comme ceux qui recherchent les satisfactions de sens. C’est pour cela que, suivant Origène, la Vierge Marie « ne fut oncques déçue par le serpent, ny imbue et infectée de son air impur et contagieux ». La salive de l’homme à jeun tue le serpent « comme le jeûne la paillardise ». Plutarque conte des amours de serpents pour les filles, qui font songer au trouble de Salammbô, chargée du poids du grand Python noir, avant l’entrevue avec Matho. Le père d’Hécate se mue en serpent pour la violer. Le serpent mord Eurydice au talon, qui devient une des parties du corps consacrées « aux voluptueuses affections », si vulnérable qu’Achille lui-même y est blessé. Dans le Nouveau Testament, le lavement des pieds est prescrit avant la Cène, à cause de cette signification particulière. Enfin, Hercule enfant étrangle les serpents, comme plus tard il suivra le chemin de la vertu.

Serpent a un sens érotique si fort sous la Renaissance qu’il devient synonyme de satyre, pris dans la même acception : le démon qui tenta Eve est appelé tantôt faune ou satyre et tantôt serpent.

Par contraste, un rêve de serpent peut vouloir dire continence (symbole ex contrario de Freud), subtilité ou prudence. Moïse l’appelle « le plus prudent de toues les bestes bruts » et fait forger « Dan serpent » en airain pour « déclarer la vertu qui résiste à la volupté et garantit l’homme de tout venin mortel ».

Pour les femmes enceintes, rêver d’un serpent était heureux. Leur enfant serait fort et mériterait le nom de vir, comme on le voit par les exemples [p. 151 – colonne 1] d’Alexandre Sévère et d’Alexandre le Grand. C’est en souvenir de ce présage que la mère de Néron donna une peau de serpent à son fils.

De tous les rêves d’animaux, le rêve de serpent a seul un sens exclusivement érotique (il est souvent confondu avec le scorpion) ; pour les autres bêtes, ce sens n’est qu’épisodique : c’est le rêve du poulpe uni au dauphin aux pieds de Vénus ; c’est le rêve du cheval « emblème de Paillardise » ; ce sont les rêves de lionnes, de pourceaux, de béliers, « de juments ou de mules eschaufffées, lesquelles dressent la queue ».

Les rêves sont les clés pour sortir de nous-mêmes.

Les rêves sont les clés pour sortir de nous-mêmes.

Les pièces de vêtements, qui signifient le désir sexuel, sont les ceintures, les coiffures, surtout masculines, et le tablier. La ceinture, comme il est classique, est l’emblème des vierges ; la ceinture détachée présage la grossesse ou l’accouchement prochains ; par contraire, elle indique aussi la tempérance. Un chapeau d’homme signifie un mariage prochain ; si vous confiez le vôtre à une jeune fille, elle sera votre femme ; c’est aussi connue souvent la marque de l’affranchissement de la noblesse, de la virilité. Ce ne sont d’ailleurs que synonymes de la puissance sexuelle, commue le montrent ces colonnes antiques où des organes génitaux masculins, sculptés dans la pierre, rappellent le courage des guerriers commémorés. [p. 151 – colonne 2]

Ainsi chez les anciens, comme chez Freud, la fonction sexuelle représente les autres. Il nous faut encore, pour en finir avec les vêtements, dire un mot du tablier, qui couvre seulement le devant, d’où son nom de « devanteau ». « Cette manière d’accoutrement comporte sa signification, car on dit communément qu’il
ne faut point se « fier ny à la femme, nu au giron pour autant qu’elle est instable et légère et souvent par oubli cc qu’elle a mis à son gire vient à tomber quand elle se lève. »

Certains arbres expriment le sexe masculin, comme le chêne, le laurier, le cèdre. Le myrte est l’arbre de Vénus. Le cyprès conserve souvent chez nous son sens oriental, celui des tombes des cimetières de l’Islam, qu’a chanté Saadi dans l’histoire XX du Gulistan :

Ce cyprès, a la taille droite et élancée, s’est présenté à mes yeux,
Il a enlevé mon cœur et l’a jeté à ses pieds.

Par contre, saule et figuier signifient tempérance et chasteté. Nous n’insisterons pas sur le langage des fleurs, le même à peu près qui charme encore les loisirs des ménagères ; un grand nombre de fleurs sont des emblèmes d’amour ; mais le sens si spécial des fleurs rouges, comme de la [p. 152 – colonne 1] couleur rouge en général, symbole du désir ou de la venue des menstrues, n’y apparait pas, sans doute par pudeur, avec la même netteté que dans Freud. Parmi les fruits, la pomme: est celui de Vénus, comme le cadeau du serpent à Eve : en voir en rêve, c’est signe de progrès en amour, d’amour mutuel, de promesses, « de follastreries de filles » ou au contraire d’amour désespéré. Une racine magique, la mandragore, se présente tantôt à l’image d’un corps d’homme, tantôt d’un corps de femme, d’où son nom « d’anthropomorphe » et depuis Pythagore son emploi pour les sorts érotiques. Son apparition dans les songes est inquiétante. Pierius considère l ‘étude de ses propriétés comme dangereuse, « parce que c’est vertu d’ignorer certaines choses ». Les jardins représentent des corps de femme ; en rêve c’est penser à un mariage prochain ; la belle Heaulmière (7) regrette

… ce sadinet
Assis aux grosses fermes cuisses
Dedans son joly jardinet.

Et Minoutchehr chante dans son Divan les amours du jardin et du nuage : Le jardin est la [p. 152 – colonne 2] maîtresse et le nuage l’amour. La maîtresse était plongée dans le sommeil et son amant était au loin.

« L’amant revenant regarda de loin sa bien- aimée. Il poussa un cri qui retentit dans toutes les oreilles. Son cœur était brûlant ; il y porta les mains et déchira sa tunique de sorte que sa bien-aimée vit le feu qui consumait son amant pendant son absence. L’eau fertilisante s’échappa des yeux du nuage, coula avec abondance et l’herbe poussa dans le cœur de la maîtresse (8)

L’idylle du nuage et du jardin est un symbole de même sens que celui des amours du rossignol pour la rose, chantées par les poètes de l’Islam et dont l’image décore les miroirs et les boites à fard des femmes de là-bas.

Parmi les parties, du corps humain, les dents, d’après Aristander Telmesius, représentent la famille : celles du haut sont les hommes et les parents directs ; celles du bas, les étrangers habitant la maison ou les femmes ; pour Freud, le même symbole a une signification plus érotique [p. 153 – colonne 1] expliquée par le procédé du transfert en haut d’un organe sans équivalent dans la sphère génitale. La paupière, pour Pierius, est l’indice de violents désirs sexuels, surtout quand elle n’a pas de poils. Les visions de nombril indiquent tantôt la concupiscence et tantôt la chasteté comme celle du membre viril circoncis. Les relations « du nombril avec la matrice » pendant la grossesse et l’accouchement sont la cause de cette croyance.

Un corps ou d’homme ou de femme comporte les sens suivants : « Car même les devins présupposent que la femme ayant mary et enfant sera bientôt veuve, si elle songe qu’elle soit changée en homme et que par ce moyen elle fera office d’homme ; que celle qui n’a pas d’enfants enfantera des mâles et que celle qui est vierge sera bientôt mariée. Aussi ceste partie du corps humain démonstre quelque chose qui concerne les affaires d’un galland homme ». Les devins prétendaient aussi « que si quelque prince se pense être dégénéré (songeant) en la forme d’une femme, qu’il adviendra qu’il sera démis de son bien, pour autant que pour la plus grande part les femmes sont soumises et subjectes au commandement des hommes.

La colonne est l’emblème des cuisses féminines : les architectes du temple de Diane firent de grêles colonnes à à leur ressemblance ct les allongèrent de la huitième partie de la grosseur « avec un soubassement au lieu de soulier et en la tête des crespillons et, autres ornements de femmes ».

Le puits, dans ses « commentaires hiéroglyphiques » est l’hiéroglyphe de la femme. Suivant le précepte de Salomon : « Boy l’eau de tes vases et la source de tes puits. Le nom de Betsabée est interprété le septième puits, laquelle fut la septième femme de David ; car quiconque apaisera la soif dans les claires eaux recevra la rosée céleste ».

Tous les lieux retirés : grottes, chapelle, ont également le même sens. Comme les vierges noires, la « Vénus Honneste doit être noire et cachée dans une autre, car les animaux seuls s’amusent en plein jour et à la vue d’un chacun à perpétrer et conserver leur espèce, mais les hommes en secret et le plus souvent de nuit ont accoutumé d’engendrer leur semblable » (Pierius cite Pausanias, 8e livre).

La clef est le symbole du bon accouchement : « Aussi était-ce anciennement la coutume, entre autres choses, de donner une clef aux femmes mariées, ce qui se faisait pour un bon encontre, savoir qu’elles enfantent aisément. »

Le rêve d’escalier, comme dans les observations de psycho-analyse, évoque le coït à cause des mouvements rythmés nécessaires pour l’ascension. [p. 153 – colonne 2]

Les vieux auteurs, que nous étudions, ne s’en occupent accidentellement qu’à propos de l’échelle de Jacob et nous n’avons trouvé chez eux aucune représentation analogue à celles des planches des rêve de Piranèse, qui hantèrent le délire de Thomas de Quincey, quand il revoyait les escaliers se multiplier et se perdre dans l’infini. (9)

La boîte de Pandore, où quand elle est ouverte ne reste que le mal avec « l’espérance arrêtée au couvercle », vue en rêve est signe d’amour ; les vases pleins d’eau ou vides indiquent à leur tour toutes les phases de la vie conjugale : mariage, grossesse, naissance des enfants, veuvage ; l’amphore à deux becs versant d’un côté l’eau douce et de l’autre l’eau salée annonce l’inceste, ou au contraire une heureuse union ; En Orient, la matière du vase indique le rang de la femme désirée.

Les grenouilles, les flambeaux, les lampes sont aussi les images des organes génitaux des deux sexes.

Stephen Ellcock.

Stephen Ellcock.

Il n’est pas jusqu’aux symboles les plus abstraits, comme le nombre 16, qui ne puissent être représentatifs des choses et des gestes du plaisir sexuel : les astrologues rapportent que : « la lune gouverne l’enfant jusqu’au cinquième an ; ils en donnent 10 à Mercure (10), d’où vient qu’en cet âge il a envie de plusieurs choses, il change et est inconstant, désirant tantôt une chose, tantôt une autre ; depuis ce temps, il désire jouer, se colère et s’apaise sans cause, et, comme dit Horace, il change d’heure en heure. Après ils disent que l’homme à seize ans vient à être soumis à la puissance de l’amour. » Les hiéroglyphes représentent le membre 16 par le doigt du milieu étendu, l’index et la pouce étant recourbés.

*****

Nous avons choisi des symboles ayant une signification bien précise ; mis si l’on voulait avec Freud étendre le sens de la Libido, il faudrait faire rentrer dans cette étude les innombrables symboles compris dans un livre comme celui de Jean Pierius, qui en analyse plus de trois mille. D’ailleurs l’écrivain de la Renaissance a conscience lui-même de cette possibilité d’interpréter son œuvre, puisqu’il fait allusion dans plusieurs chapitres aux sens multipliés du mot virilité ; nous avons résumé l’un de ces chapitres qui ne laisse pas de doute à ce sujet. [p. 154 – colonne 1]

Les songes de serpents, d’arbres, de fleurs, de jardins, de dents, de paupières, de nombril, de colonnes, de grottes, de boites, de flambeaux et de lampes avaient donc à la Renaissance le même sens que dans la symbolique de Freud. Comme lui, les vieux auteurs avaient constaté que le même songe était susceptible de deux acceptions différente et opposées et acquis cette notion du contraire qui n’est pas une découverte de la psychologie moderne. Ils y étaient parvenus peut-être en étudiant le contenu affectif d’un rêve, si différent pour la même représentation, comme dans l’exemple des serpents.

Le marquis d’Hervey de Saint-Denis a publié en 1867, chez l’éditeur Amyot, le journal de ses rêves sous le titre Les Rêves et les moyens de les diriger. Sur la première page illustrée de ce livre apparaissent encore les mêmes symboles : visions de portiques avec des symboles qui en sortent, visions d’escalier, de serpents, etc.

Enfin nos essais de psycho-analyse nous ont appris que l’expression de l’inconscient dans les rêves continue toujours à revêtir les mêmes aspects : il y a là une persistance qui mérite d’être notée, car elle montre bien que le tréfond de l’homme change peu, malgré que le temps et les apports des civilisations semblent l’avoir modifié. [p. 154 – colonne 2]

Dans le milieu où nous observons à Paris, nous avons pu recueillir toute une série de symboles, dont une de nos malades a présenté un ensemble remarquable. C’est une psychasthéniques que nous avons étudiée en détail : el l’interrogeant sur ses rêves, nous avons retrouvé les églises, les escaliers, les taches rouges, les troncs d’arbre, les promenades en compagnie d’enfants, les chapeaux, dont elle donnait elle-même au réveil la version exacte. Une convalescente de confusion mentale du service voir également des chapeaux, des scènes de théâtre, des horloges dont elle aime le tic-tac. Jeanne, une cocaïnomane en voie de sevrage, voit des escaliers, des poursuites de voleurs, des fleurs de toutes couleurs. Une autre psychasthénique rêve souvent d’escalier avec angoisse, car ils à claire-voie ; elle y monte seule ou en compagnie de personnages variés, mais parvient difficilement au sommeil : c’est l’image de obstacles qui l’empêchent de se marier, entre autres une rétroversion utérine dont elle est très préoccupée. Un groupe de mystiques retrouvent dans le serpent le vieux tentateur : c’est tantôt un serpent qui leur paraît un homme et tantôt une vipère représentant une femme. Une fumeuse d’opium est obsédée par des fantômes, par des représentations de cadavres de [p. 155 – colonne 1] soldats qui pourtant marchent et montent à cheval, parce qu’elle croit son ami mort à la guerre ; ses rêves disparaissent quand elle le retrouve. Une démente précoce, qui répond bien au tableau de la schizophrénie de Bleuler, voit souvent dans la nuit un gros serpent qui marche debout sur sa queue comme un homme, que l’on choie et que l’on habille de couvertures. Toutes, au moment où nous les interrogeons, étaient depuis longtemps soumises à la continence obligatoire. Leurs rêves revenaient souvent et prenaient une intensité singulière ; la rêverie de la journée les prolongeait parfois, et telle malade qui rêvait de danses, continuait dans la cour à se balancer. Mais ce toute certainement ce sont les psychasthéniques inquiètes et scrupuleuses qui nous ont fourni la symbolique la plus riche. Ce sont les mêmes malades d’ailleurs, qui trouvent un dérivatif pathologique de leurs instincts refoulés dans toutes sortes de manifestations bien [p. 155 – colonne 2] étudiés par l’école de Freud. Pour leurs rêves, le vieil automatisme hérités des anciens fournit à profusion les images traditionnelles ; dont quelques-unes, comme celles des pièces de vêtement peuvent être rapprochées des objets du fétichisme pathologique. Faut-il en tirer l conclusion que l’a priori du « Pansexualisme » est démontré ? Pour répondre, comme dit Pierre Janet, il faudrait avoir la foi, et nos constatations n’envisagent pas des cas particuliers, dans un milieu bien déterminé. De plus, après Freud, nous avons trouvé de graves facteurs, de rôle capital dans l ‘étiologie des psychonévroses ; comme « la crainte de la lutte pour la vie », expression des instincts égoïstes, qui souvent dominent l’instinct désintéressé de l’espèce. C’est par un artifice que l’école de Vienne fait rentrer ces instincts égoïstes dans la vaste conception de la Libido. La question se pose de savoir si cette synthèse est indispensable à la pratique psychothérapeutique.

 

NOTES

(1) Tanzi et Lugano, Traité, Milan, 1914.

(2) Né en 1520, à saint-Jean-Pied-de-Port.

(3) Paris, Jean de Boue, 1645.

(4) Cardan, De subtilitate. Trad. Rich. Le Blanc, Paris, Jullian, 1578, p. 435.

(5) Le triomphe de Haulte Folie, vers 20 à 25. Paris, Willem, S. G.

(6) Rémy de Gourmont, Le livret de l’image (Sagittaire, 1920).

(7) Minoutchehr (XIIe siècle de notre ère), Le Divan, trad. Barbier de Meynard in Ma Poésie en Perse, cité Encyclopédie littéraire, Michaud, p. 127.

(8) Ibid.

(9) Thomas de Quincey, Confessions d’un mangeur d’opium. Trad Descreux, Paris, Stock, 1903.

(10) Dans d’autres passages, l’image de Merure est un symbole sexuel, parce que Jupiter l’a chargé de jeter les semences du ciel sur la terre.

 

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