Henry Lemesle. Les procès aux animaux. Article paru dans la « Revue de l’hypnotisme et de la psychologie physiologique », (Paris), 14e année, n°1, juillet 1899, p. 364-367.
Henri Lemesle (1871-1949). Médecin psychiatre il exerça à Loches, et avocat il fut membre de la Cour d’appel de Paris. Nous renvoyons à l’étude d’Anne Barjansky pour une vue d’ensemble de ce psychiatre.
Les procès aux animaux.
Par M. le Dr Henry Lemesle, avocat à la Cour d’appel.
[p. 364]
Il m’a paru intéressant d’appeler l’attention de la société sur une série de faits qui, dès l’abord, pourrait sembler plaisant, mais que nous devons retenir et étudier en raison des caractères de rigoureuse authenticité dont ils sont revêtus. Je veux parler des procédures dirigées contre les animaux pendant le Moyen-Âge et même pendant les temps modernes.
L’étude de ces faits nous montrera de quelle nuit fut entourée durant cette période la conception des responsabilités morales et pénales et quelle en fut la perversion. Je veux me borner, quant à présent, à citer quelques-uns de ces procès étranges, dont j’ai trouvé un grand nombre de recherches aux bibliothèques Nationale et Mazarine.
D’une façon générale, il convient de dire, à la louange des dépositaires de la justice d’alors, que toutes les formes de la procédure étaient observées et que les inculpés à quatre pattes étaient mis dans la prison commune : l’autorité payait le même prix pour l’entretien de tous les prisonniers sans distinction de race.
En 1120, l’évêque de Laon, pour combattre des chenilles, lança contre elle la même excommunication que le concile de Reims fulminait l’année précédente contre les prêtres mariés. [p. 365]
En 1386, une truie, qui avait tué un enfant, fut condamnée à être pendue. Les manuscrits qui nous rapportent ces hauts faits ajoutent que l’exécution coûta 10 sols 10 derniers, plus un gant neuf donné à l’exécuteur et que la truie fut exécutée en habit d’homme sur la place de l’église de Falaise. Une fresque de Falaise consacre même le souvenir de cette exécution.
La France Pittoresque.
Au XVe siècle, Félix Malleolus, théologien, rapporte le procès intenté à des mouches cantharide de Mayenne. Le juge leur lança, avec le plus grand sérieux un ordre de comparaître, ce qu’elles ne firent point. On attribua cela à leur « leur petitesse et à leur éloignement de l’âge de majorité », et l’on nomma un curateur chargé de les défendre, ce qu’il fit avec une grande correction. Le tribunal conclut paternellement que les cantharides devaient être chassées du pays, mais à la condition qu’on leur réserva un espace spécial pour qu’elles pussent se retirer et finir leur vie.
En 1405, un bœuf est exécuté pour ses « démérites. »
En 1454, l’évêque de Lausanne introduisit une instance en justice contre les sangsues qui infestaient les eaux de Berne. L’évesque envoya au juge de Berne un délégué porteur de ces instructions : « il serait convenable de se procurer un ces vers aquatiques et de le mettre en présence d’un magistrat… Le délégué avertira ensuite lesdites sangsues, tant celles qui sont présentes que les absentes, d’avoir abandonné les lieux qu’elles ont témérairement occupés et de se retirer là ou elles ne peuvent nuire, leur accordant à cette fin trois délais d’un jour chacun, formant autour de trois jours pleins… »
Citées à comparaître personnellement les sangsues firent défauts. Un curateur leur fut nommé et elles furent jugées par contumace. L’évêque de Lausanne eut gain de cause : les bestioles furent condamnées à se retirer dans les trois jours au lieu désigné sous peine d’excommunication. Les délais expirés sans résultat elles furent anathématisées.
En 1457, nous trouvons dans une procédure suivie contre une truie et ses six pourceaux coupables de meurtre et homicide : « Le demandeur pour nobles demoiselles dame de Savigny, et le défendeur entendu, disons et prononçons la truye de Jean Baldi pour raisons de ministre homicide par elle commis et perpétrée en la personne de Jean Martin être confisqué à la justice pour être mis au dernier supplice et être pendu par les pieds de derrière à un arbre… et à ladite truye, menée sur une charrette est étendue par les pieds de derrière, en exécution de ladite sentence, par Estienne Rinceau, maître de la haulte justice, demeurant à Chalon-sur-Saône. (du 10 janvier 1457 au vendredi après la purification de Notre-Dame vierge.)
En 1474 à Bâle, un coq fut accusé et convaincu de sorcellerie. Il fut condamné à être brûlé par la main du bourreau et l’exécution eut lieu devant un grand concours de population.
En 1499 un taureau des environs de Beauvais est condamné à être [p. 366] suspendu à la potence jusqu’à mort inclusivement… pour avoir par furiosité occis un jeune fils de 14 à 15 ans.
En 1516, le dispositif d’une sentence prononcée par l’official de Troyes se terminait ainsi : « Parties ouïes, faisant droit à la requête des habitants de Villenoxe, admonestons les chenilles de se retirer dans six jours et à défaut de se faire les déclareront maudites et excommuniées. »
En 1522, les habitants d’Autun, engagèrent un procès qui durant 8 ans contre les rats dont leurs maisons étaient infestées. Le tribunal donna aux accusés un défenseur d’office : le jurisconsulte Chassanée. Celui-ci employa des moyens dilatoires ; il représenta au tribunal que beaucoup de ses clients étaient dispersés dans la campagne et n’avait pu être touchés par la citation, il obtient en conséquence qu’on leur notifierait une seconde citation au moyen des publications faites en chaire au jour de prêche de chaque paroisse. – Les rats allaient être déclaré contumace, Chassanée invoqua pour leur défense, la longueur et les difficultés du voyage, les dangers auxquels étaient exposés de la part des chats leurs ennemis mortels lesquels avaient été informés de la chose les guettaient au passage ; enfin il ajouta qu’il était injuste d’accuser tous les rats des méfaits de quelques-uns et eut recours à d’autres considérations sentimentales.
En 1546, une vache est condamnée à être pendue let brûler avec un homme.
En 1552, le 2 mars, le Chapitre de Chartres, après information faite, condamna un pourceau qui avait occis une fille, à être pendu à une potence placée sur le lieu même du délit.
En 1572, un port est condamné à être pendu à une potence par les maire et échevins de Nancy pour avoir dévoré un enfant à Moyen Moutier.
En 1600, le Parlement condamne dame Claude de Culaire à être pendue, ainsi que son chien à une potence.
En 1685, les chenilles du diocèse de Vaucluse furent traduites à la barre. Le procès fut plaidé très solennellement. Finalement on enjoignit aux chevilles de quitter le diocèse.
En 1690, on note un procès identique contre les chenilles de l’Auvergne que l’on pria de se réfugier dans un terrain spécial que le tribunal voulut bien spécifier.
Vers la même époque le grand vicaire de Valence fit citer d’autres chenilles par devant lui et les condamna à vider le diocèse. Elles ne tinrent aucun compte de ce verdict et continuèrent leur dégradation. Ce que voyant on eut recours à la malédiction et à l’excommunication ; mais deux jurisconsultes et deux théologiens s’y opposèrent et l’on n’usa que d’abjurations, de prières et d’aspersions d’eau bénite. L’effet fut merveilleux, les chenilles disparues : c’était apparemment que pendant le procès qui fut fort long, les chenilles étaient devenues papillons…
En 1720, un procès fut instruit contre une ânesse, complice de son maître dans un crime abominable. À cette ânesse, qui était très estimé{p. 367] dans le pays, le curé et les notables délivrèrent le certificat suivant : « Nous soussignés, prieur et habitants de la paroisse de Vanvres, certifiant que depuis quatre ans que nous fréquentons l’ânesse de Jacques Perrot, celle-ci s’est toujours montrée sage et de bonne conduite, tant à la maison que dehors, n’ayant jamais été importune à personne ni en action, ni en parole et quant à ses mœurs nous portons garants de sa parfaite honnêteté ; en foi de quoi nous avons signé de notre main. – Fait à Vanvres, le 19 septembre 1720, Pintuel, prieur ». – Le maître fut condamné et l’ânesse fut acquittée.
Le 27e brumaire an 11, le tribunal révolutionnaire, présidé par Dumas, eu à juger un chien qui fut condamné à mort.
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Nous terminerons ici cette énumération que nous estimons suffisante pour établir l’existence indiscutable de procédure contre les animaux. Malgré le ridicule des pareils actes, pouvons-nous, en conscience, être fié des progrès accomplis ?
Si l’aberration qui consistait à punir des animaux a disparu, n’est-il pas décevant de songer qu’au regard des humains, la machine ne va guère mieux qu’autrefois, et au grand comme aux petits criminels, l’erreur judiciaire est souvent cultivée par des magistrats fermés aux lois de la psychologie pathologique et qui s’obstine à vouloir découvrir dans les corpus juris le fonctionnement cérébral du corpus humanum.
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