Henri Meige & L. Bataille. Les miracles de Saint Ignace de Loyola. Avec 2 planches hors texte. Article parut dans la « Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière », (Paris), tome septième, 1894, pp. 318-323.
Dans notre série « Les démoniaques dans ‘art », les articles qui parurent dans la Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, par Paul Richer, Henry Meige, Jean Heitz, L. Margain, Georges Gilles de la Tourette, André Marie, Paul Masoin. [Ces articles sont disponibles sur notre site.]
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’ouvrage. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original. – Par souci de clarté et commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les deux images monochromes sont celles de l’article originale; celle du portrait d’Ignace de Loyola a été rajouté par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.
[p. 318]
LES MIRACLES DE SAINT IGNACE DE LOYOLA
par Henry Meige & L. Bataille
L’an de grâce, dans cette parie de l’Espagne qu’on nomme la province de Guipuzcoa, sous le règne des Rois Catholiques don Ferdinand et doña Isabelle ; naquit, de Beltran Yanez de Oñaz y Loyola, seigneur du château et domaine de ce nom, et de doña Maria Saens de Balda, l’un et m’autre issus de la plus ancienne noblesse biscaïenne, un fils, le dernier de treize enfants, auquel fut donné le nom d’Iñigo (1).
Il devait, quarante-trois ans plus tard, entouré d’une dizaine de disciples secrètement réunis comme des conjurés dans une chapelle souterraine de l’Abbaye de Montmartre, jeter les premières bases de l’ordre de la Compagnie de Jésus (15 août 1534).
Il devait en 1541 s’en faire nommer Général.
Mort à Rome en 1556, il devait enfin être canonisé soixante-six ans plus tard, sous le nom de Saint Ignace de Loyola.
D’abord page de Ferdinand V, menant une vie toute mondaine, mêlée de nombreuses galanteries, il se battit bravement au siège de Pampelune (1521) où il reçut une blessure qui le rendit à jamais boiteux. Dès lors, il se retira du monde, s’adonna à la lecture des livres pieux et mena une vie ascétique. Il eut des rêves, des visions, des extases, et bientôt se crut appelé à la mission de propager le christianisme dans tout l’univers.
Ses austérités excessives, ses allures d’illuminé, ses récits d’apparitions merveilleuses, étonnèrent ses contemporains, mais les laissèrent longtemps incrédules. On le vit s’armer Chevalier de la Vierge, prêt à combattre un Maure mécréant ; Puis, exténué de misère et de souffrances, continuer cependant ses jeûnes et ses macérations. Enfin, hideux de malpropreté et couvert de haillons, il allait, par humilité, mendier son pain de port en porte, sous les huées de la populace.
On le crut fou, on le crut mort.
Il n’en était rien. Retiré dans une caverne, il vivait en anachorète, et un jour, il s’embraqua pour la Terre Sainte. Là, il tenta d’entraîner quelques disciples pour mener à bonne fin ses vastes projets. On l’éconduisit : son ignorance le rendait incapable de défendre victorieusement ses idées. Il [319] le comprit, et, revenu d’Espagne ; se mit en devoir de parfaire ses études, malgré ses trente-deux ans. Il ne rougit pas de s’asseoir à l’école à côté des jeunes enfants, et il parvient ensuite, à force de travail et de patience, à combler les lacunes de son éducation.
Puis il voyage de nouveau, en France, en Italie, dans les Pays-Bas, etc., et bientôt il eut des adeptes. Ses persévérance, sa foi, son énergique volonté, et aussi le merveilleux dont il entourait son existence, attirèrent à lui quelques catholiques fougueux, inquiets des progrès menaçants du protestantisme, et rebutés par la discipline ignorante et farouche de l’Eglise du Moyen-Age.
L’ordre des Jésuites, ébauché dans la chapelle souterraine de Montmartre, était, après bien des rebuffades et bien des hésitations, définitivement approuvé par le pape Paul III en 1540. Les soldats de la nouvelle milice furent éparpillés dans tous les pays du monde ; il combattirent la Réforme, défendirent les papes, firent trembler les princes et les peuples, devinrent les maîtres du monde chrétien.
Et l’ancien page galant de la cour, le mendiant bafoué dans les rues, l’ascétique pèlerin de Jérusalem, le Général de la Compagnie de Jésus, eut la suprême satisfaction de voir, avant sa mort, que son œuvre avait atteint, sinon dépassé, toutes ses aspirations.
« Pèlerin bizarre, fanatique convaincu, dit le roi Philarète Chasles, livré aux hallucinations extatiques, mais persévérant, hardi, imperturbable dans son dessein, il réussit… La carrière que César ou Mahomet ont parcourue, n’est pas plus merveilleuse que celle d’Ignace de Loyola… »
La vie d’Ignace de Loyola méritait d’être étudiée page par page. Nombre des épisodes que ses biographes nous ont rapportés comportent une intéressante critique médicale. Le fondateur de la Compagnie de Jésus fut un visionnaire, un extatique, un halluciné, peut-être un hystérique.
« Une nuit qu’il veillait, la glorieuse Reine des anges lui apparut, son très cher Fils entre ses bras, l’éclairant de sa splendide lumière, le charmant de sa douce présence (2) »…
« Une nuit, comme il était à genoux, devant l’image de la bienheureuse Vierge Marie… soudain le démon, croit-on, ébranla tout le château de Loyola d’une si étrange façon que les vitres des fenêtres de sa chambre furent brisées (3) »
Une autre fois, étant en prières, il voit le démon sous forme de serpent (4). [p. 320]
Hallucinations de la vue, hallucinations de l’ouïe, reparaissent à chaque chapitre de son histoire.
« A l’office de Notre-Dame, il fut élevé en esprit, et vit comme avec les yeux une image de la Trinité qui lui représentait d’une façon sensible ce qu’il sentait en dedans (5) ».
Il vit le Seigneur, il vit la Vierge, les Anges, et les âmes de tous ses amis, et toujours resplendissant dans une auréole de feu.
Souvent ces hallucinations survenaient à la suite de jeûnes prolongés. Une fois qu’il resta sept jours sans prendre de nourriture, il se crut « assailli par des démons qui le rouaient de coups » (10). D’autres fois, « il chassait le diables avec un bâton ».
Il eut aussi à plusieurs reprises des crises de léthargie :
« Un samedi, à l’heure de complies, il tomba en extase ; à cette vue, grand nombre d’hommes et de femmes, le croyant mort, se disposait à l’enterrer, si l’un d’eux n’eût constaté que son cœur battait encore faiblement. Ce merveilleux état dura jusqu’au samedi suivant, à la même heure. Alors, en présence de plusieurs personnes qui le regardait, il ouvrit les yeux, et, comme réveillé d’un doux sommeil, il dit amoureusement : « Ah ! Jésus… (11) ».
Ces exemples pris au hasard suffisent simplement. Ils sont en tous points conformes à ceux qu’on retrouve dans la plupart des Vies des Saints. Leur critique a été faite trop souvent pour qu’il soit nécessaire d’y insister. On ne saurait en effet méconnaître la nature pathologique de ces hallucinations et de cette léthargie. Nous nous contentons de les signaler en passant.
Notre intention n’est pas en effet d’entreprendre une analyse des épisodes de la vie de St Ignace qui peuvent donner lieu à une interprétation médicale des faits et gestes de ce visionnaire.
Nous voulons seulement commenter un certain nombre de dessins anciens destinés à illustrer une Vie en gravures de St Ignace de Loyola et composés d’après les écrits de ses premiers biographes, Joanne Petro Maffeio, (8) et surtout Pedro de Ribadeneira (9).
Ce Ribadeneira, Né à Tolède en 1527, fut un des premiers disciples d’Ignace de Loyola et fit beaucoup pour la propagande de la Compagnie de Jésus en Espagne, dans les Flandres et les Pays-Bas.
Il était d’un esprit remarquablement simple. Plusieurs de ses écrits [p. 321] sont d’une naïveté lamentable. Dans un ouvrage intitulé pompeusement « Fleur des vies des Saints » (1599-1610, 2 vol. in-folio) parlant de l’enfance de St Nicolas, il dit :
Cet enfant, en naissant donna des marques qu’il était choisi par Dieu, car, au même instant qu’il commença à vivre, il commença aussi à se révérer ; sitôt qu’il sut ce que c’était de manger, il sut de que c’était de jeûner ; car, ayant coutume de prendre tous les jours souvent le sein de sa nourrice, les mercredis et les vendredis il ne le prenait qu’une fois par jour, vers le soir, sans qu’on put lui faire avaler autre chose pendant qu’il tétait… (10) ».
Une telle crédulité est affligeante. Cependant Ribadeneira a une qualité : il est sincère dans ses descriptions.
Ignace de Loyola fut aussi thaumaturge. Et son fidèle historien se complait à décrire les miracles qu’il a opérés.
Les deux dessins que nous reproduisons (Pl. XXXIX et Pl. XL) ont trait à deux guérisons merveilleuses survenues à Azpeitia (11).
Le premier représente Ignace de Loyola guérissant un épileptique : lisons hystérique.
« Il y avait à l’hôpital un infirme nommé Bastida, qui, depuis de longues années, était atteint d’épilepsie ( ?). Les crises étaient fréquentes, et si violentes que plusieurs hommes pouvaient à peine le contenir. Un jour que sa furie était pire que jamais, le saint, qui était présent, s’approcha du malade, fit une courte prière, les yeux fixés au ciel, et touche de la main la tête de Bastida. A ce contact ; celui-ci ouvrit les yeux comme au sortir d’un profond sommeil, et se trouva si parfaitement guéri, que, de toute sa vie, il ne ressentit plus aucune atteinte de ce terrible mal (12) ».
Il s’agit là, à n’en pas douter, d’une des guérisons d’attaque hystérique à la suite de l’imposition des mains, comme en sont peuplées les chroniques de l’époque.
L’artiste a rendu fort exactement cette scène en tous points comparables à celles que Charcot et P. Richer ont reproduites et commentées dans les « Démoniaques dans l’art ».
NOTES
(1) D’après P. Ribadeneira. Vie de Saint Ignace de Loyola.
(2) La vie de St-Ignace de Loyola, par le P. Charles Clair, Plon, Nourrit, 1891, p. 20.
(3) Ibid., p. 25.
(4) Maffeio, De Vita et moribus Ignatiii Loyola, 1, I, chap. 7.
(5) P. Charles Clair, l. c. p. 59. — Maffeio, 1, I, ch. 7.
(6) Maffeio, 1, I, c. 5 et 6.
(7) Ibid., p. 60.
(8) Maffeio, De Vita et moribus Ignatiii Loyola, qui Societatis Jesu fondavit, 3 vol. Rome. 1585 (1 édit).
(9) P. Ribadeneira. Vita Ignatii Loyolae, Societatis Jesu fondavit, 5 vol. — 1er édit., Naples, 1582, suivie de beaucoup d’autres, traduite en toutes les langues.
(10) Trad. De l’abbé Daras, t. XII, p. 87.
(11) Ces dessins font partie d’un cahier de croquis originaux faits à la plume et ombrés à la sépia, reproduisant les principaux épisodes de la vie de St Ignace de Loyola d’après Maffeio et Ribadeneira. Ils ont appartenu en 1792, à Joseph-Jean-Marie Bonese, d’Andorno (Italie) et son aujourd’hui en la possession de M. Théophile Belin, éditeur, qui a eu l’extrême obligeance de la mettre à notre disposition. — Aucun d’eux n’est signé. — Ils étaient destinés à illustrer une Vie en gravures de St Ignace de Loyola. Ils ont été gravés, et plusieurs de ces gravures ont été reproduites dans l’ouvrage du P. Charles Clair.
(12) Ribadeneira, l. c., p. 45 et l. c., p. 184.
Cet article a aussi pour auteur Henry Meige
Cordialement
Exact. Merci pour cette précision. Je rectifie. Cordialement.