Les hallucinations autoscopiques et leur rapport avec les apparitions télesthésique. Article paru dans la « Revue des Etudes Psychiques », (Paris), 2e série. – 2e année, n° VI, juin 1902, pp. 161-169.
Parmi ce que nous appelons aujourd’hui les troubles spéculaires, nous trouvons les hallucinations autosomiques, appelées aussi deutéroscopiques, dont Paul Sollier fut un des principaux concepteur. La critique spiritualiste présentée ici nous propose un regard différent.
[p. 161]
LES HALLUCINATIONS AUTOSCOPIQUES
ET LEURS RAPPORT AVEC LES APPARITIONS TELESTHESIQUES
HALLUCINATIONS SUBJECTIVES ET HALLUCINATIONS OBJECTIVES
M. le Dr Sollier a lu dernièrement à la Société de Psychologie de Paris une étude sur les hallucinations autosomiques, c’est-à-dire celles où le sujet à la vision de lui-même.
Brierre de Boismont les avait signalés sous le nom d’hallucinations de deutéroscopiques. Ch. Féré y a substitué celui d’hallucinations spéculaires, pour mieux encore autoscopiques, car l’aspect sur lequel se montre le double de soi-même peux n’être pas identique comme attribut au sujet dans le moment actuel. Ce phénomène, n’était pas inconnu des anciens, puisque Aristote en rapporte un exemple ; Goethe en cite également un cas dans ce mémoire ; Wigan, Michéa, Brierre de Boismon, Lasègue, en ont signalé d’autres. Mais le phénomène n’en est pas moins très rare puisque, dans son enquête, la Society for Psychical Researches de Londres, n’en a relevé que sept cas. Féré en a rapporté deux, dont un particulièrement intéressant, dont il a pu suivre l’évolution. Le Dr Sollier en apporte aujourd’hui douze cas nouveaux recueilli ou observer par lui-même, qui représente l’hallucination autoscopique négative. [p. 162]
Ces différents cas représentent tous les degrés du phénomène et l’auteur les rapporte dans leur ordre de croissance.
Dans le premier cas, il s’agit d’une jeune fille de vingt-trois ans, Gabrielle L…, qui présenta des idées de persécution, puis de la confusion des idées avec hallucinations de tous les sens. Un jour, elle se promenait tranquillement dans les rues de Paris, quand tout à coup sa propre image se dressa devant elle, à deux ou 3 m environ, identiques aux costumes à elle-même. C’était la véritable hallucination spéculaire. Elle dura quelques instants et disparus.
Voici un autre exemple pittoresque d’autoscopie. Il s’agit, cette fois encore, d’une jeune fille de vingt-deux ans, grand hystérie, souffrant d’hallucinations visuelles. Un soir qu’elle était assise près d’une table où il y avait une petite lente, ne faisant rien, et rêvassant, elle se vit tout à coup comme dans une glace – c’est elle-même qui l’expliqua ainsi. – Elle avait les mêmes vêtements, mêmes mains et même figure. Mais ce qu’il effraya surtout, c’était de voir ses yeux qui la regardaient effarés. Elle se voyait respirer et vivre à l’unisson avec elle-même. C’est l’hallucination spéculaire parfaite. Elle ne proféra aucune parole. Cela dura assez longtemps. Elle ne sait plus ce qu’elle a ressenti alors. « Je ne sais pas ce que je sentais, dit-elle, c’est comme si c’était moi qui avais été en face. » En pensant à ces yeux qui avaient l’air effarés, elle fit au Dr Sollier la réflexion que les siens devaient avoir cette même expression dans le même moment, car elle était très effrayée. Cela dura une heure environ ; puis tout devint noir et elle se retrouva dans son fauteuil courbaturée et toute tremblante.
Un ami intime de Guy de Maupassant rapporte au Dr Sollier qu’en 1889, c’est-à-dire au moment où il entrait dans la paralysie générale, il avait eu cette hallucination d’une façon très nette un après-midi et la lui avait raconté le soir même.
Étant à sa table de travail dans son cabinet, où sont domestiques avec ordre de ne jamais entrer pendant qu’il écrivait, il lui sembla entendre sa porte s’ouvrir. Il se retourna et ne [p. 163] fut pas peu surpris de voir entrer sa propre personne qui vint s’asseoir en face de lui, la tête dans les mains, et se mit à dicter tout ce qu’il écrivait. Quand il eut fini et se leva, l’hallucination disparue. Du reste, le Horla de cet auteur mais que l’ébauche de l’hallucination cénesthésique que nous décrivons ici.
De Maupassant n’est pas le seul écrivain célèbre a qui un tel phénomène se soit présenté.
Dr Sollier remarque que Musset, dans la Nuit de décembre, a parfaitement décrit le phénomène de l’hallucination autoscopique, qu’il a dû éprouver dans les circonstances les plus émouvantes de son existence, quand il dit :
Du temps que j’étais écolier,
Je restais un soir à veiller
Dans notre salle solitaire.
Devant ma table vint s’asseoir
Un pour enfants vêtus de noir,
Qui me semblait comme un frère.
Son visage était triste et beau :
A la lueur de mon flambeau,
Dans mon livre ouvert il va lire.
Il pencha son front sur sa main,
Et resta jusqu’au lendemain,
Pensif avec un doux sourire.
Ce personnage lui apparaît dans les diverses phases de son existence mouvementée :
Partout où j’ai voulu dormir,
Partout où j’ai voulu mourir,
Partout où j’ai touché la terre,
Sur ma route est venue s’asseoir,
Un malheureux vêtu de noir
Qui me ressemblait comme un frère.
Et le poète se demande :
Qui donc es-tu, qui est donc es-tu, mon frère
Qui n’apparaît qu’au jour des pleurs ? [p. 164]
M. Sollier trouve qu’il s’agit là d’une véritable auto observation très précise.
Shelley voyait aussi sa propre personne, qui parfois lui adressait la parole.
Le Dr Sollier avait parlé « d’un cas cité par Goethe dans ses mémoires ». Il aurait pu ajouter que le cas en question a trait à l’auteur du Faust lui-même, lequel rentrant un soir dans sa chambre, s’arrêta, frappés de stupeur, sur le seuil de la porte, en se voyant soi-même – ou pour mieux dire, son alter ego – assis à son bureau et en train de travailler. Un ami qui était avec lui le vit de même. Il est à remarquer, que Goethe était un poète doublé d’un savant tirer on connaît ses découvertes dans le domaine de l’anatomie, etc. – et que c’était un esprit fort capable d’analyser ses visions, ou ses hallucinations. Je regrette de ne pas avoir entre les mains le récit du cas en question pour pouvoir le rapporter en entier.
Du reste, comme on le pense bien, l’étude de M. Le Dr Sollier Et tout à fait incomplète et unilatérale. Dieu nous garde d’adresser pour cela un reproche au distingués directeurs du Sanatorium de Boulogne ; dans l’état actuel de la Science officielle à l’égard des études « psychiques » il serait absurde et ridicule de supposer qu’il ait pu parler autrement.
Cela n’empêche point qu’il y a lieu de déplorer que ladite Science officielle s’obstine à ignorer systématiquement ces phénomènes psychiques supernormaux, dont l’étude a été poussée très loin surtout par la Society for psychical Research.
Par exemple, on ne conçoit pas que l’on puisse étudier des hallucinations autoscopiques sans les rapprocher des hallucinations alloscopiques examinées apr Gurney, Myers et Podmore dans leur livre fameux des Phantasms of the Living. Ce livre suffit à nous apprendre que l’on ne peut guère considérer les hallucinations d’une façon aussi simpliste qu’on le fait d’habitude, puisqu’il y a nombre d’hallucinations véridiques, c’est-à-dire correspondant à un fait réel, qui se [p. 165] passe en dehors du sujet, est que celui-ci ne peut même pas connaître d’une manière normale.
Dans le cas des autoscopies, il ne s’agit évidemment pas d’un phénomène télépathique, mais s’il peut être question d’un phénomène de dédoublement télesthésique du sujet – d’un dédoublement réel, parfois même plastique, corporel, telle que M. Aksakof le présente aux paragraphes III et IV du chapitre IV d’Animisme et spiritisme (1). On connaît surtout l’exemple célèbre de Mlle Émilie Sagée, institutrice dans un pensionnat de Neuwelke, en Livonie, et dont le double apparaissait fréquemment auprès d’elle – jamais à une grande distance. Un jour, entre autres, ces élèves, au nombre d’une quarantaine, occupées à des travaux de broderie, voyaient Mlle Sagée, occupée à cueillir des fleurs dans le jardin. Un certain moment, la maîtresse chargée de la surveillance, dut s’absenter pendant quelque temps ; son fauteuil resta vide. Mais ce ne fut que pour peu de temps, car les jeunes filles y aperçurent tout à coup la forme de Mlle Sagée. Aussitôt elles portèrent le regard dans le jardin et la virent toujours occupée à cueillir des fleurs ; seulement, ses mouvements étaient plus lents et plus lourds, pareils à ceux d’une personne accablée de sommeil épuisée de fatigue. Deux des élèves les plus hardies, quelque peu habituées à ces étranges manifestations, s’approchèrent du fauteuil et, touchant l’apparition, crurent y rencontrer une résistance comparable à celle qu’offrirait un léger tissu de mousseline ou de crèpe (2). L’une osa même passer au delà du fauteuil et traverser en réalité une partie de la forme. Malgré cela, celle-ci durera encore un peu de temps, puis s’évanouit graduellement. L’on observera que Mle Sagée avait repris sa cueillette de fleurs avec une vivacité habituelle. Les quarante-deux pensionnaires constatèrent le [p. 166] le phénomène de la même manière. Quelques-unes d’entre elles demandèrent ensuite à Mlle Sagée si, à cette occasion, elle avait éprouvé quelque chose de particulier ; elle répondit qu’elle se souvenait seulement d’avoir pensé : « J’aimerais mieux que l’institutrice ne s’en fût pas aller ; sûrement, ces demoiselles vont perdre leur temps et commettre quelques espiègleries. »
Dans les pages qui suivent, M. Aksakof cite plusieurs exemples dans lesquels le caractère objectif, corporel, du double résulte mieux que dans l’exemple ci-dessus.
Nous voyons enfin que, parmi les savants qui se sont donnés la peine d’examiner les phénomènes médiumniques – telles que les matérialisations – et qui n’ont pu s’empêcher d’en reconnaître l’authenticité, il y en a plusieurs qui ont refusé de le reconnaître tout caractère spirite, en les considérant comme des phénomènes dus exclusivement à l’extériorisation de certaines forces du médium. Or, si le médium peut ainsi, inconsciemment, former des corps humains, plus ou moins entièrement matérialisée, qui ne lui ressemblent guère, il est tout naturel qu’il puisse aussi bien extérioriser un corps humain qui lui ressemble – c’est-à-dire son double. On peut citer de nombreux exemples de ces dédoublements ; on peut voir, toujours dans Aksakof (Chap. IV, paragraphe IV), l’exemple du jeune Ira Davenport, dont le révérend J.-B. Fergusson disait : « J’ai vu de mes propres yeux ses bras, son buste et, à deux reprises, son corps entier, à une distance de deux à cinq pieds de l’endroit où il se trouvait en personne, ainsi que tout le monde l’a pu voir, attaché solidement à sa chaise. » Et plus loin : « Dans certaines conditions, encore peu déterminées, les mains, les bras et les vêtements des frères Davenport ce dédoublent tant pour lui que pour le toucher » William Crookes a observé le même phénomène avec Mme Fay ; le juge Cox, qui était présent, le confirme.
Or, si les autres personnes peuvent voir parfois le double d’un médium, pourquoi le médium lui-même serait-il le seul à ne pas pouvoir apercevoir ? [p. 167]
D’ailleurs, M. le Dr Sollier est tout prêt à reconnaître que l’autoscopie « n’est pas rattachable aux hallucinations visuelles proprement dites, mais plutôt à des hallucinations cénesthésiques (3), et n’est qu’une forme de dédoublement de la personnalité. »
Assurément, « dédoublement de la personnalité » ne signifie pas encore « dédoublement plastique ». Mais enfin, dans l’hypothèse du Dr Sollier long voit déjà poindre quelque peu le rôle que joue, on peut jouer, dans les autoscopies, la partie normalement invisible de notre être. Il ne s’agit plus d’hallucination visuelle proprement dites – et c’est déjà un pas en avant.
Mais ce n’est pas tout.
Voici comment parle de lui-même l’un des sujets étudiés par le Dr Sollier, Marguerite L…, Jeune fille de 26 ans :
« je me vois quelquefois – ceci dans le cas d’émotion seulement, – mais je me sens surtout. Je sens que l’on tire une personne de moi, comme si on allongeait mes membres pour en former d’autres. La dernière fois que cela m’est arrivé, quand mon père est revenu de Paris, la sensation était si forte que j’en ai plaisanté en disant : « Je suis dans la situation du père Adam, quand on sortait sa femme de sa côte ».
Ne dirait-on pas entendre un médium en train de définir les tiraillements qu’il éprouve au moment de produire une matérialisation ?
M. Sollier parle de la sorte d’un autre de ses sujets, Dinah M…, jeune fille de 17 ans avec le trouble variable de la sensibilité générale, extases et variations de la personnalité :
« Il y a donc dédoublement sous tous les rapports ; dédoublement de la personnalité sensible : elle sent et croire qu’elle ne sent pas ; – dédoublement de la personnalité intellectuelle : deux voies épigastriques contradictoires ; – dédoublement de [p. 168] la personnalité morale : elle-même et le personnage objectivé, extériorisé, qui ne lui ressemble pas physiquement mais qu’elle sait être elle-même et qui est identique à elle comme sentiments. L’hallucination, quoique ne représentant pas physiquement le sujet, peut donc être encore dit autoscopique, je crois, puisqu’il y a représentation du sujet au point de vue moral. Ce cas montre bien les rapports de l’hallucination autoscopique avec le dédoublement de la personnalité, et son origine anesthésique et non visuelle. »
« Son origine anesthésique ! » Voilà un autre point sur lequel il importe d’arrêter l’attention du lecteur.
Le Dr Sollier réveille son sujet – jeune femme de 28 ans, morphinomane, qui se trouve dans un état catalytique. « Elle s’étire les membres et le tronc, baille, et a le regard beaucoup plus clair. Elle se figure encore que c’est seulement à l’instant même que je viens d’arriver et qu’elle me voit pour la première fois. Elle voit encore son double, mais elle ne voit ni ses bras, ni ses pieds. Or je constate qu’elle commence à recouvrer la sensibilité des bras et des jambes et qu’elles sont maintenant quand on la pince. Mais le tronc et la tête sont encore anesthésiés… »
Maintenant, est-il possible de ne pas rapprocher ces troubles anesthésiques de que ce que nous avons vu chez Mlle Sagée, par exemple, là où il est dit : « Ses mouvements étaient plus lents et plus lourds, pareils à ceux d’une personne accablée de sommeil ou épuisée de fatigue… » ? Un peu plus loin, la Baronne Julie de Güldenstubbe, auteur de ce récit ajoute : « On remarquera qu’à mesure que le double devenait plus net et prenait plus de consistance, la personne elle-même devenait plus raide et s’affaiblissait, et réciproquement, qu’à mesure que le double s’évanouissait, l’être corporelle reprenait cette force. »
N’est-ce pas toujours ce que l’on remarque aussi chez les médiums à « matérialisation » ?
Est-ce à dire que les phénomènes observés par M. le Dr Sollier après positivement à caractère objectif, réel ? [p. 169] Nous somme bien loin de l’affirmer, surtout pour certains des cas dont il s’agit.
Tout ce que nous voulions dire, c’est que dans les hallucinations que nous appellerons halloscopiques par opposition aux autoscopiques du Dr Sollier, et dans lesquels l’on voit, où l’on croit voir le fantôme d’une autre personne, il faut distinguer les « hallucinations visuelles » proprement dites, les « hallucinations télépathiques », les « hallucinations télesthésiques », etc. De même, il est peu probable que l’on puisse ranger toutes les autoscopie dans le même ordre de phénomènes.
En second lieu, nous avons voulu faire remarquer de quelle utilité – de quelle indispensabilité, même – est désormais l’étude des phénomènes psychiques super-normaux pour ceux qui s’occupent de psychiatrie. Les négligés, c’est ne voir qu’un côté de ce polyèdre qu’est la personnalité humaine. C’est surtout s’exposé à nier souvent les phénomènes qui se rapportent à une réalité objective, et cela uniquement par ce que, par profession, l’on étudie que les hallucinations subjectives de sujets hystériques ou aliénés.
NOTES
(1) L’on peut se reporter aussi à l’exemple que nous avons cité dans la livraison de mai, page 51.
(2) C’est l’impression que produisent souvent les formes humaines imparfaitement matérialisées dans les séances médiumniques.
(3) Cénesthésique ou cœnesthésie du grec koinos, commun ; aisthesis, sensation). On appelle ainsi le sentiment intime de notre être, que nous avons indépendamment du témoignage d’essence.
LAISSER UN COMMENTAIRE