Charles Le Brun baptisé en 1619 est mort à Paris en 1690. Premier peintre du Roi Louis XIV, directeur de l’Académie royale de Peinture et de Sculpture, dont il a obtenu, accompagné de Philippe de Champaigne, la création auprès de Mazarin en 1648, et de la Manufacture royale des Gobelins. Il est surtout connu pour sa décoration du château de Versailles, et plus particulièrement de la galerie des Glaces. Le cahier que nous proposons ici a été publié après sa mort. L’interrogation sur les passions, que nous nommerions aujourd’hui sous le terme d’émotions, a été de tout temps. Pourtant c’est avec la publication de l’ouvrage de René Descartes en 1649, Les passions de l’âme, qui fut un grand succès, que l’intérêt repris vigueur. Après lui Baruch Spinoza leur consacra ses réflexions (Ethique III), puis David Hume dans son Traité de la nature humaine. Elles devinrent enfin un sujet d’étude avec la thèse de médecine d’Esquirol en 1805, Des passions considérées comme Causes, Symptômes et Moyens curatifs de l’Aliénation mentale.
Les planches reproduites ici sont la propriété de la Bibliothèque nationale de France (B.n.F.). Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire des originaux.
– Les légendes ont été mises sous chaque planche pour en rendre la lecture plus pertinente. – Nous avions précédemment ouvert le même article à la création de notre site. L’expérience aidant, nous avons préféré, vu toutes les modifications à y apporter, plutôt que le modifier, en créer un nouveau. – L’image du portait de Charles Le Brun a été rajoutée par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
Expressions des passions de l’âme. Représentées en plusieurs testes gravées d’après les desseins dr feu Monsieur Le Brun, premier peintre du Roy. A Paris, par Jean Audran, graveur du Roy en son Académie à l’hôtel Royal des Gobelins, avec Privilège du Roy. 1727. – Dessein de cet ouvrage.
Le Roy Louis XIV, de glorieuse mémoire, ayant établi l’Académie Royale de Peinture & Sculpture à dessein de perfectionner les Arts : La France lui fournit des Hommes illustres, qui, pour concourir aux grandes vues de Sa Majesté, aidés des conseils de Monsieur Colbert leur Protecteur, réglèrent des Assemblées & des Conférences, dans lesquelles on établit des principes sûrs pour former les Elèves de cette Académie. Nous ne rapporterons point ici les avantages qu’a produit ces Etablissements : Les Ouvrages des excellents Maîtres, qui en sont sortis, qui ont enrichi la France & l’Europe entière, & causé l’admiration, & même la jalousie de nos Voisins, justifient assez ce que peut la noble émulation d’un Peuple ingénieux, lorsqu’elle est soutenue de l’attention & des faveurs du Prince. Entre les discours que fit Monsieur Le Brun premier Peintre du Roy, & Directeur de l’Académie, nous avons choisi celui où il traite + de l’expression des Passions de l’Ame, où suivant les principes des anciens Philosophes, la Passion est un mouvement de l’Ame qui réside en la partie sensitive, qui luy fait poursuivre ce qu’elle pense lui être bon, ou fuir ce qui lui paraît mauvais ; il dit que ce qui cause à l’Ame quelque passion, fait faire au corps certains mouvements, & produit des altérations dont il rapporte les principales. Ensuite, il prétend que l’Ame reçoit l’impression des passions dans le cerveau, & qu’elle en ressent les effets au cœur, & que comme le cerveau est la partie du corps, où l’Ame exerce le plus immédiatement ses fonctions, le visage est aussi celle où elle fait voir plus particulièrement ce qu’elle ressent ; c’est pour cette raison qu’il est appelé le miroir de l’Ame. Il distingue, comme les Anciens, deux sortes de Passions, les simples & les composées, dont les premiers résident dans l’appétit concupiscible, les autres dans l’appétit irascible ; c’est l’odore qu’il suit ; il remarque en général que le sourcil exprime plus que tout autre partie l’impression des Passions ; ensuite les yeux, la bouche, le nez, les joues ; c’est ce qui est exprimé par divers esquisses de têtes de cet illustre Auteur, qu’on a copié fidèlement avec le précis du Discours, qui convient à chacune de ces têtes.
II. L’attention. Les effets de l’attention sont de faire baisser & approcher les sourcils du côté du nez, tourner les prunelles vers l’objet qui la cause, ouvrir la bouche, & sur toute la partie supérieure ; baisser un peu la tête de la rendre fixe sans aucune autre altération remarquable.
III. Admiration simple. Cette Passion ne causant que peu d’agitation, n’altère aussi que très peu les parties du visage ; cependant le sourcil s’élève ; l’œil s’ouvre un peu plus que d’ordinaire. La prunelle placée également entre les paupières, parfois fixée vers l’objet ; la bouche s’entre-ouvre & ne forme pas le changement marqué les joues.
IV. Admiration avec étonnement. Les mouvements qui accompagnent cette Passion, ne sont presque différents de ceux de l’admiration simple, qu’en ce qu’ils sont plus vifs & plus marqués ; les sourcils élevés, les yeux plus ouverts, la prunelle plus éloignée de la paupière inférieure, & plus fixe ; La bouche plus ouverte, & toutes les parties dans une tension beaucoup plus sensible.
V. La vénération. De l’admiration nait l’estime, & celle-ci produit la vénération, qui lorsqu’elle a pour objet quelque chose de divin & de caché aux sens, sait incliner le visage, abaisser les sourcils ; les yeux sont presque fermés & fixes ; la bouche fermée. Ces mouvements sont doux, & ne produisent que peu de changements dans les autres parties.
VI. Le ravissement. Quoique le ravissement ait le même objet que la vénération, considérée différemment, les mouvements n’en sont point les mêmes ; la tête se penche du côté gauche ; les sourcils & la prunelle s’élèvent directement ; la bouche s’entre ouvre, & les deux cotés sont aussi un peu élevez. Le reste des parties demeurent dans son état naturel.
VII. Le désir. Cette Passion rend les sourcils pressez & avancez sur les yeux, qui sont plus ouverts qu’à l’ordinaire ; la prunelle enflammée se place au milieu de l’œil ; les narines s’élèvent & se ferment du côté des yeux ; la bouche s’entre-ouvre, & les esprits qui sont en mouvement donnent une couleur vivre & ardente.
VIII. La joie tranquille. L’on ne remarque que peu d’altération dans le visage de ceux qui ressentent les douceurs de la joie ; le front est serein ; le sourcil sans mouvement, élevé par le milieu ; l’œil médiocrement ouvert & riant ; la prunelle vive & brillante ; les coins de la bouche s’élèvent un peu ; le teint est vif, les jouent & les lèvres vermeilles.
IX. Le ris. De la joie mêlée de surprise naît le ris, qui fait élever le sourcils vers le milieu de l’œil & bisser du côté du nez ; les yeux presque fermez paraissent quelquefois mouillez. Ou jeter des larmes qui ne changent rien au virale ; la bouche entre-ouverte, laisse voir les dents ; les extrémités de la bouche retirées en arrière, sont un pis aux joues qui paraissent enflées & surmonter les yeux ; les narines sont ouvertes, & tout le visage de couleur rouge.
X. Douleur aiguë. La douleur aiguë fait rapprocher les sourcils l’un de l’autre, & élever vers le milieu ; la prunelle se cache sous le sourcil, les narines s’élèvent & marquent un plis aux joues ; la bouche s’entre-ouvre & se retire. Toutes les parties du visage sont agitées à mesure de la violence de la douleur.
XI. Douleur corporelle simple. Cette Passion produit à proportion les mêmes mouvements que la précédente ; mais moins aigus ; les sourcils s’approchent & s’élèvent moins. La prunelle paraît fixée vers un objet. Les narines s’élèvent ; mais le plis des joues est moins sensible. Les lèvres s’éloignent vers le milieu, & la bouche est à demi ouverte.
XII. Tristesse. L’abattement que la tristesse produit fait s’élever les sourcils vers le milieu du front plus que du côté des joues ; les yeux presque fermez, mouillés & abaisses du côté des joues ; la prunelle est trouble ; le blanc de l’œil jaune ; les paupières abattuës & un peu enflées ; le tour des yeux livides ; les narines tirant en bas ; la bouche entre-ouverte & les coins abaissez ; la tête nonchalamment penchée sur une des épaules ; la couleur du visage plombée ; les lèvres pâles & sans couleur.
XIII. Le pleurer. Les changements que cause le pleurer sont très marquez ; le sourcil s’abaisse sur le milieu du front ; les yeux presque fermés, mouillés & abaissés du côté des joues ; les narines enflées ; les muscles et veines du front sont apparents ; a bouche fermée ; les cotés abaissés faisant des plis aux joues. La lèvre inférieure renversée, pressera celle de devant : tout le visage ridé et froncé ; sa couleur rouge, surtout à l’endroit des sourcils, des yeux, du nez & des joues.
XIV. La compassion. L’attention vive aux malheurs d’autrui, qu’on nomme Compassion, fait abaisser les sourcils vers le milieu du front ; la prunelle est fixe du côté de l’objet ; les narines un peu élevées & avancées ; tous les muscles & toutes les parties du visage abaissées & tournées du côté de l’objet qui cause cette Passion.
XV. Le mépris. Les mouvements du mépris sont vifs & marqués ; le front se ride ; le sourcil se fronce, s’abaisse du côté du nez, & s’élève beaucoup de l’autre côté ; l’œil fort ouvert, & la prunelle au milieu ; les narines élevées se retirent du côté des yeux & font des plis aux joues ; la bouche se ferme, ses extrémités s’abaissent, & la lèvre
XVI. L’horreur. L’objet méprisé cause quelquefois de l’horreur & pour lors le sourcil se fronce & s’abaisse beaucoup plus. La prunelle située au bas de l’œil est à moitié couverte par la paupière inférieure ; la bouche entre-ouverte, mais plus serrée par le milieu que par les extrémités, qui étant retirées en arrière, forment des plis aux joues ; le visage pâlit & les yeux deviennent livides ; les muscles & les veines sont marqués.
XVII. L’effroy. La violence de cette Passion altère toutes les parties du visage, le sourcil s’élève par le milieu ; les muscles sont marquez, enflez, pressez contre l’autre, & baissez sur le nez, qui se retire en haut aussi-bien que les narines ; les yeux forts ouverts ; la paupière de dessus cachée sous le sourcil ; le blanc de l’œil environnée de rouge ; la prunelle égarée se place vers la partie inférieure de l’œil ; le dessous de la paupière s’enfle & devient livide ; les muscles du nez et des houes s’enflent, & ceux-ci se terminent en pointe du côté des narines ; la bouche fort ouverte, & les coins fort apparents ; les muscles et les veines du col tendus ; les cheveux hérissés, la couleur du visage comme du bout du nez, des lèvres, des oreilles, & le tour des yeux pâle & livide ; enfin tout doit être fort marqué.
XVIII. La colère aiguë. Les effets de la colère en font connaître la nature. Les yeux deviennent rouges & enflammés ; la prunelle égarée et étincelante ; les sourcils tantôt abattus, tantôt élevés également ; le front très ridé ; des plis entre les yeux ; les narines ouvertes & élargies ; les lèvres se pressant l’une contre l’autre, l’inférieure surmontant la supérieure, baisse les coins de la bouche un peu ouverts, formant un ris cruel & dédaigneux.
XIX Haine ou Jalousie. Cette Passion rend le front ridé ; les sourcils abattus & froncés ; l’œil étincelant, la prunelle à demi cachée sous les sourcils tournés du coté de l’objet : elle doit paraître pleine de feu aussi-bien que le blanc de l’œil & les paupières ; les narines pâles, ouvertes, plus marquées qu’à l’ordinaire retirés en arrière, ce qui fait paraître des plis aux joues ; la bouche fermée en sorte que l’on voit que les dents sont serrées ; les coins de la bouche retirez & fort abaissez ; les muscles des mâchoires paraîtront enfoncés ; la couleur du visage partie enflammée, partie jaunâtre ; les lèvres pâles ou livides.
XX. Le désespoir. Comme cette Passion est extrême, ses mouvements le sont aussi ; le front se ride de haut en bas ; les sourcils s’abaissent sur les yeux, & se pressent du côté du nez, l’œil en feu & plein de sang ; la prunelle égarée, cachée sous le sourcil, étincelant & sans arrêt, les paupières enflées & livides ; les narines grosses, ouvertes, & élevées ; le bout du nez abaissé ; le muscles, tendons, veines enflés & tendus ; le haut des joues gros, marqué & serré à l’endroit de la mâchoire ; la bouche retirée en arrière est plus ouverte par les côtés que par le milieu. La lèvre inférieure grosse et renversée ; l’on grince des dents ; l’on écume ; l’on se mord les lèvres, qui sont livides comme tout le reste du visage ; les cheveux sont droits & hérissées.
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