Raoul Leroy et C. Pottier. Délire systématisé de persécution et de possession démoniaque consécutif à des pratiques spirites. Article paru dans les « Annales médico-psychologiques », (Paris), douzième série, tome deuxième, quatre-vingt-huitième année, 1930, pp. 217-232.
Raoul Leroy (1869-1941). Médecin psychiatre, ancien interne des asiles de la Seine. Il est à l’origine du concept de « l’hallucination lilliputiennes » dont nous présentons ici le texte princeps et qui sera suivi de très nombreux travaux sur la même question juste après la première guerre mondiale. André Breton y puisera quelque idée dans un de ses poèmes en 1934. Quelques publications :
— Les persécutés persécuteurs. Paris, 1896.
— La responsabilité des hystériques. Rapport présenté au congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et des pays de langue française, Seizième session, Lille, 1-7 aout 1909. Lille, Le Bigot frères, 1906. 1 vol. in-8°, 2 ffnch., 177 p., 1 fnch.
— Les hallucinations lilliputiennes. Article paru dans les « Annales médico-psychologiques, (Paris), neuvième série, tome deuxième, soixante–septième année, 1909, pp. 278-289. [en ligne sur note site]
— Manuel technique de l’infirmier des établissements psychiatriques : à l’usage des candidats aux diplômes d’infirmier de ces établissements. 3e édition revue, corrigée et augmentée / Par les Drs Roger Mignot et L. Marchand ; Préface de R. Leroy ; [Préface de la 1re édition par P. Sérieux et Ed. Toulouse ; Préface de la 2e édition par le Dr Henri Colin.] / Saint-Amand, impr. Bussière , 1939.
— (avec) Rogues de Fursac. Les hallucinations lilliputiennes. Article paru dans la revue « L’Encéphale », (Paris), quinzième année, 1920, pp. 189-192.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr
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Délire systématisé de persécution et de possession démoniaque consécutif à des pratiques spirites.
par B. LEROY et C. POTTIER
Les délires survenus à la suite de pratiques spirites sont bien connus et Lévy-Valensi a pu dire, avec véracité, que le salon spirite est, pour certains, l’antichambre de l’asile. Ce n’est pas sans raisons que la plupart des ministres des religions condamnent l’évocation des esprits comme dangereuse, immorale et damnable.
La médiumnité s’explique par un phénomène de désagrégation mentale. La personnalité sub-consciente se sépare de la personnalité consciente ; toutes deux s’ignorent et se développent indépendamment l’une de l’autre. Il en résulte la production d’une nouvelle personnalité que le sujet ne reconnait pas comme sienne et à laquelle il attribue les manifestations spirites. Sans doute, les médiums ne tombent pas tous dans la folie, mais on comprend facilement que des pratiques favorisant la désagrégation psychique peuvent, tout au moins chez certains individus, amener l’éclosion de l’automatisme mental et du délire hallucinatoire.
OBSERVATION — Le M…. Aline, âgée de 38 ans, artiste peintre, a été internée d’office à l’Asile Ste-Anne le 26 juillet 1930 par suite de son attitude dans une église.
A. H. : Aucun antécédent. héréditaire connu ; parents bien portants, un frère marié, stable, abonné à la Revue Spirite.
A. P. : Enfant chétive, anémique pendant sa croissance, réglée à 15 ans, se développe normalement à partir de 17 ans. A cet âge, elle entre à l’Ecole des Beaux-Arts de Rouen. le milieu artistique de sa famille ayant dêvetoppé chez elle le goût de la peinture.
En juin 1924 à 32 ans, Aline épouse un de ses camarades d’école ; mariage d’inclination. Elle est heureuse en ménage : ni enfant, ni fausse-couche ; veuve à 37 ans. en janvier 1929, après 5 années de bonheur. [p. 218]
La perte de son mari la fait beaucoup souffrir. Elle est prise du désir de le revoir d’une manière ou d’une autre, et le plus tôt possible. Une âme aussi droite, aussi élevée, aussi pure que celle de son mari ne peut être qu’au paradis. Son frère l’entretient de l’« au-delà » ainsi que des amis qui s’adonnent aux pratiques spirites. Emerveillée par cette révélation, elle vient-immédiatement à Paris, sans hésitation ; en mars 1929, se rend à l’Institut d. Métapsychique, demande à être initiée. Elle achète les ouvrages traitant de la question métapsychique ainsi que la planchette avec laquelle on reçoit les communications des esprits. Elle s’instruit peu à peu, assistant notamment à une séance nocturne de l’Institut de Métapsychique, où des médiums, écrivains, auditifs, voyants. s’exhibent à la foule recueillie et admirative.
Dans sa chambre, le soir, elle s’efforce d’entrer en communication avec l’« au-delà » à l’aide de sa planchette triangulaire et d’un alphabet. Elle concentre toute son attention sur le souvenir de son mari. D’après ses dires. la planchette se déplace dans le champ de l’alphabet, sa pointe désignant telle ou telle lettre. L’assemblage de ces lettres donne les mots traduisant la pensée de l’esprit qui est dans l’« au-delà ».
Au début, les résultats sont médiocres. La planchette ne répond guère que par oui ou par non. Si minime que fut le résultat, il n’en était pas moins encourageant. Dès les premiers jours, elle obtint le mot « ciel » qui vint rassurer son inquiétude de savoir où son mari vivait dans l’« au-delà »
Ces communications de pensée duraient parfois 2 h. à 3 h., « le temps qu’elle voulait ». Commencée à 9 h. du soir, la séance durait parfois jusqu’à minuit. une heure du matin. Quand elle était seule à la maison, et qu’elle n’était pas obligée de se cacher, elle se livrait à cet exercice dans la journée.
Les progrès s’accentuèrent et, peu à peu, la malade devient « médium-écrivain » (avril 1929). Elle posait la main tenant un stylographe sur le papier, s’abandonnant à l’impulsion de l’esprit. L’écriture était machinale.
Comme elle avaît la conviction d’écrire sous la dictée de son mari, A1ine fut ravie de ces communications. Le cher époux était bien avec les bonnes âmes comme elle avait osé l’espérer, il ne lui dictait que de bons conseils, n’exprimait que des idées abstraites, hautement morales. C’était « une nature d’élite qui s’était dématérialisée avant de s’en aller ». Il lui faisait « sentir qu’il était là, heureux ; qu’il [p. 219]
fallait faire le bien, donner aux pauvres, que Dieu existait… » Où bien encore il dictait : « Donne au pauvres, si pauvre que tu sois, etc… »
Petit à petit, les communications deviennent plus « terrestres ». L’esprit de l’« au-delà » traite maintenant de sujets banaux. Ce changement ne tarde pas à l’étonner. Elle pense qu’un autre médium l’interroge en même temps qu’elle et le « ramène dans ces zones basses, le rive à la terre… » Quoi qu’il en soit, son mari persiste dans ce genre banal de communications. Elle s’explique cette nouvelle manière de penser par « la poussée d’autres esprits intérieurs qui contraignent celui-ci à faire des communications dont il n’aurait pas eu l’idée ».
D’autres fois, elle tenait nu crayon et l’esprit de son mari intervenait pour diriger sa main dans des dessins. Elle reconnaissait « son trait ». Elle était donc devenue aussi « médium-dessinateur ». Cette qualité, dit-elle, s’était développée chez moi ; plus on fait d’expériences, plus cela se développe ». Il ne lui avait pas fallu moins de 6 mois pour devenir véritablement médium-écrivain et dessinateur. Par la suite, la « qualité » se développant, après avoir été « médium-écrivain ». pendant environ 6 mois, elle devint, « medium-auditive » (août 1929). Elle estime qu’elle aurait pu devenir « médium-voyante ».
Ludwig von Hoffmann (1861-1945) ~ Apparition (1895-1898) – Merci à The Cabinet of the Solar Plexus.
Un beau jour, en septembre 1929, son mari attire son attention sur un de ses voisins. Il lui vante ses qualités physiques et morales. Le lendemain et les jours suivants, il réitère. Enfin, affirmant sa pensée. et son désir, il en vient à lui conseiller de le prendre comme amant. Désormais, tous les jours, il l’engagera à « s’offrir » à cet homme. lequel est marié, et ne lui a jamais rien demandé. Son mari lui recommande du ciel de bien aimer cet homme. La malade est fort surprise qu’une âme si élevée lui donne de pareils conseils. Mais, tout de suite, il lui vient à penser que son mari ne peut plus communiquer avec elle librement. Il subit l’ascendant d’autres esprits de l’« au-delà », dont le fluide est plus fort que le sien.
Elle se demande même, pendant un certain temps, si ce n’est pas ce voisin lui-même qui, par des pratiques spirites, influencerait son mari et l’obligerait à ces mauvaises pensées. Mais, elle ne persiste pas dans cette croyance. Il lui semble, au contraire, que son voisin cherche « à se dégager de l’emprise des voix ».
Jusqu’alors, elle était peu renseignée sur la nature des esprits inférieurs et mauvais qui se servaient de l’esprit de [p. 220] son mari pout lui donner de mauvaises idées. En septembre 1929, elle a la révélation d’une vieille dame de ses amies, également dans l’« au-delà » qui l’éclaire sur la personnalité et le rôle des mauvais esprits. Elle lui dit, en parlant de son mari : « Ma petite amie, ce n’est pas lui. Ils ont le sens, les salauds ! »C’est à peu près 3 sematnes après, au début d’octobre 1929, que les voix, et de son mari, et des mauvais esprits, deviennent plus fréquentes. Elle apprend ainsi que ce sont les démons qui veulent qu’elle devienne là maîtresse de son voisin, bien que, ni lui, ni elle, n’en manifestent nulle envie.
Le voisinage de cet homme, coïncidant avec la recommandation continuelle des voix de se mal conduire, lui devient une obsession. Elle épia, surveilla les sorties, les allées et venues de ce voisin. Tout, dans ses allures, semble corroborer l’opinion qu’elle en a. Tantôt, il lui semble qu’il cherche à la rencontrer, comme s’il cédait à l’inspiration des mauvais esprits, et qu’il veuille se déclarer le premier. D’autres fois, il semble parvenir à se ressaisir, à pouvoir l’éviter. Mais, elle-même est en proie à un conflit. Elle rit des mauvais esprits pour leur montrer qu’elle n’est pas dupe du procédé consistant à se servir de son mari pour lui donner de mauvais conseils. Il est des jours où elle n’a pas trop de toute sa volonté pour résister au fluide que les démons lui envoient, et ne pas aller se donner à cet homme. « Ils arrivaient à me diriger, dit-elle, sans même, quelquefois, que je m’en aperçoive. » Ces démons s’efforçaient de placer son voisin sur son chemin, et lui répétaient constamment son nom en lui infligeant simultanément des désirs charnels qu’il lui était très difficile de réprimer. C’était « terrible ». Jusqu’alors, cependant, malgré qu’ils possédassent son imagination, ils n’avaient pas pu réussir à lui faire éprouver de volupté complète. Ils agissaient sur ses sens en lui disant : « Nous avons décrété que cela se fera. » Leur fluide lui arrivait par des passes magnétiques et ils ajoutaient : « Nous t’avons projeté du philtre d’amour et nous arriverons à ce que nous voulons… »
Désormais, la malade a peu de répit. Elle entend, alternativement, les bonnes et les mauvaises voix. Parmi les bonnes, celle de son mari est la plus nette, Les « mauvaises voix » sont celles des démons. La voix de son mari l’avait avertie que c’étaient « les démons du rire et de la chair… » Les « bonnes voix » étaient lointaines et lui disaient : « Mets-toi à genoux et prie… » Mais, les mauvaises voix étaient prépondérantes, nuit et jour. Au début, elles [p. 221] proféraient des menaces, des injures, des grossièretés : « Il y avait de tout. » Elles étaient plus fortes que les voix des bons esprits, notamment celle de son mari, qui était douce, assourdie, lointaine. De plus, ces voix ne permettaient pas de déterminer le sexe des individus dont elles émanaient. Souvent, on n’aurait pu dite s’ils étaient un ou plusieurs.
Au fur et à mesure, la malade perçoit de plus en plus des pensées, et de moins en moins des mots. Cela devenait « de la transmission de pensée pure et simple… » (hallucinations psychiques).
Bien entendu, les mauvais esprits ne lui donnaient que de mauvais conseils, ne l’incitaient qu’à de vilaines choses. Simultanément, ils influençaient son humeur et sa cénesthésie. Ils avaient le pouvoir de la rendre euphorique. Ils « amplifiaient son goût du rire » afin de s’éloigner de la prière. Aussi, la bonne voix de son mari lui disait : « Prie et ne ris pas » ou bien encore : « Il ne faut pas rire, c’est ainsi que tu les attires… » D’autres fois, c’était la voix anonyme des bons esprits qui déclarait : « Le rire est sur la terre, mais au ciel on ne rit pas… » Tout motif d’hilarité qui se présentait à elle, ramenait automatiquement les mauvaises voix.
Quelquefois, les mauvaises voix prenaient l’apparence des bonnes, pour qu’elle leur prête attention. C’est ainsi qu’elles lui disaient : « Prie », et profitaient alors de son relâchement pour s’imposer à elle.
Dans les premiers mois de 1930 surviennent des hallucinations cénesthésiques. Les démons agissaient sur son corps, lui faisaient craquer le crâne, lui congestionnaient la tête, lui donnaient la sensation d’être rongée par les poux, lui envoyaient des sueurs de sang, la faisaient cracher, lui piquaient les genoux, lui brûlaient la gorge, au point qu’elle devait boire de l’eau bénite. A défaut de celle-ci, elle jetait de l’eau pour les chasser. Enfin, ces âmes maudites agissaient sur ses organes génitaux, lui donnaient des jouissances charnelles, même par l’anus. La malheureuse était obligée de se protéger contre leurs manœuvrés en enfouissant. dans son vagin et dans son rectum, une éponge de caoutchouc.
Les hallucinations auditives, bonnes ou mauvaises, n’étaient perçues d’abord que par périodes ; elles deviennent ensuite constantes. Il arriva un moment où les bons esprits n’étaient plus capables de contrebalancer suffisamment l’influence néfaste des mauvais. Elle se défendait par des prières, l’eau bénite, des ablutions. Ces moyens n’étant [p. 222] plus suffisants, la malade en arriva à ne plus retrouver le calme que dans les églises. Pendant sa jeunesse, de son aveu. elle n’avait pas été particulièrement pieuse : « Comme beaucoup, j’avais fait ma première communion, sans comprendre, dit-elle. »
Même dans les églises, les démons la poursuivaient, lui envoyant des jouissances pendant ses prières, en même temps qu’ils lui disaient : « Tu es la reine des démons, tu es avec nous… »
L’influence du démon devint ainsi véritablement obsédante. Toutes ses manifestations s’accompagnaient partout de la sensation de sa présence. Il lui semblait qu’il était continuellement auprès d’elle, avec la même réalité que si elle avait été suivie d’un être humain vivant.
Possédée du démon, elle essaya de s’en débarrasser par la communion. Elle communia 5 à 6 fois en deux mois. Chaque fois, elle ne retrouve que passagèrement la paix et la tranquillité. Dès que quelques jours se sont passés, le démon se manifeste à nouveau dans son ambiance. C’est un meuble qui craque, c’est le cri de certains oiseaux ou « bruits des esprits ». La prière ne parvient plus que très rarement à évincer ce démon accompagnateur.
Désespérée, elle aurait voulu se faire exorciser. Elle demanda dans ce but, au début de juillet 1930, une audience à l’archevêché de Paris. Elle fut reçue par un évêque coadjuteur qui, dès les premières paroles qu’elle proféra, fronça le sourcil et bondit en s’écriant, le doigt tendu vers-la porte : « Sortez, Madame ! Je ne veux pas vous entendre davantage… » Comme elle se lamentait en partant, il lui lança verbalement l’adresse du Père de Touquédec, exorciseur du Diocèse de Paris. Elle se rendit immédiatement chez lui. En l’absence de celui-ci, elle se réfugia dans une maison religieuse. rue St-Guillaume, sans y trouver la tranquillité d’esprit espérée. Les nuits sont particulièrement mauvaises. Plus que jamais, les démons déversent sur elle leur fluide. Seule, l’eau froide la calme un peu. Elle passe sa première nuit à la recherche d’une baignoire. La durée de ses stages au lavabo et ses diverses manifestations font scandale. Au bout de quelques jours seulement, elle doit sortir de cette pension religieuse, sans aucun bénéfice physique ou moral.
C’est peu après sa sortie que survint l’incident qui provoqua son arrestation et son internement. Toujours possédée par le démon, et cherchant un peu de calme par la prière, elle errait d’église en église. Un jour, dans l’église de la rue Vercingétorix. à la fin de juillet 1930, elle dut prolonger ses [p. 223] prières fort longtemps avant de trouver un apaisement. A force de prier avec ardeur, elle tombe, dit-elle, dans une sorte d’extase. Elle était agenouillée, les bras en croix, et éprouvait, suivant son expression, « une paix, une joie inhumaine ». La voix de la chaisière disant : « Celle-là voilà bientôt deux heures qu’elle est là » lui sembla provenir d’un autre monde. Dans cette extase, elle fut secouée par un frémissement, « un frisson divin, tellement il était agréable ». Il lui sembla tout oublier de ce monde. Mais, elle fut tirée de son absence et de son inertie par des agents de police. Effrayées par sa ferveur, des dévotes avaient averti le prêtre de la paroisse qui avait envoyé quérir les agents. La malade fut conduite à l’infirmerie spéciale du dépôt et de là à Ste-Anne.
Depuis son entrée dans le service, la malade a conservé les mêmes convictions délirantes. Elle se croit toujours possédée du démon, incomprise des prêtres et des médecins. Elle a toujours confiance dans les pratiques religieuses et dans l’intervention de Dieu. Elle rend le spiritisme responsable de son état. Son imagination demeure active, ayant à son service une certaine culture. Ses diverses hallucinations demeurent nombreuses et fréquentes, ainsi que ses interprétations délirantes. Elle observe beaucoup autour d’elle, n’hésitant pas à expliquer bien des phénomènes par ses croyances délirantes. C’est ainsi que les cris de certains agités sont dus à des esprits. Elle pense également que les hallucinations visuelles des malades sont en rapport avec un sens spécial qui leur permet de voir les esprits tels qu’ils sont. « Ils sont à moitié dématérialisés grâce à un sens que nous n’avons pas… »
Aline est d’un caractère agréable, elle se montre douce, aimable, docile. Malgré ses souffrances, sa foi la rend généralement souriante. On est frappé du contraste qui existe, d’une part, entre sa culture intellectuelle, et, d’autre l’art, sa crédulité immense. L’insuffisance de son sens critique pour tout ce qui a trait à son délire. Il s’agit donc d’un délire systématisé avec hallucinations et interprétations.
Au point de vue organique, rien à signaler, sinon une hyperémotivité caractérisée par : tachycardie, tremblement des doigts et de la langue, hyperesthésie cutanée et tendineuse, Aucun stigmate de dégénérescence physique. Menstruation régulière.
Celte malade est sortie le 15 août 1930 pour être transférée dans une maison de santé privée. [p.224]
Cette observation demande quelques commentaires. Notre sujet n’a pas d’hérédité névropathique reconnue, elle a toujours eu un parfait caractère, sans idées religieuses développées antérieurement. On ne saurait la considérer comme une débile, mais elle a une logique et une mentalité différente des nôtres, une véritable mentalité primitive. « Pour la mentalité primitive, dit Lévy Bruhl, le monde visible et le monde invisible ne font qu’un. La communication entre ce que nous appelons la réalité sensible et les puissances mystiques est donc constante. » Le délire systématisé hallucinatoire d’Aline ressemble aux délires de persécution et de possession du Moyen Âge.
C’est en avril 1929, après un mois d’initiation, que la malade devient médium écrivain sous dictée (fausses hallucinations graphiques motrices). Les hallucinations auditives apparaissent en août. Les hallucinations cénesthésiques et de la sensibilité générale accompagnées d’un véritable délire de persécution et de possession se développent au début de 1930 — à remarquer les moyens de défense. — Le début a été brusque, la marche rapide.
Si les hallucinations psychiques, auditives, cènesthèsiques sont ici prépondérantes, on ne constate pas d’hallucinations psycho-motrices pourtant si fréquentes dans le délire spirite, pas de lévitation, pas de paroles automatiques (glossolalie). Pas d’hallucinations visuelles. Aucune idée de grandeur. Nous devons signaler les
variations de l’état affectif, l’extase avec son frisson divin se produisant au milieu des pires persécutions diaboliques. Enfin, cette observation est une nouvelle preuve des rapports bien connus de l’érotisme et de la folie mystique.
Quel pronostic porter sur cette malade ? On voit de tels cas guérir, certains s’améliorer avec ou sans rechute, d’autres rester chroniques. Vurpas (conférence donnée à l’hôpital Henri-Rousselle, 7 juillet 1929, non encore publiée), distingue dans les psychoses dues au spiritisme deux modalités : 1° une forme aiguë curable ; 2° une forme chronique. Notre observation parait rentrer dans cette seconde variété. [p. 225]
DISCUSSION
Dr DE CLER\MBAULT. — Les Délires à Début Spirite sont les derniers à poser encore la question des Hallucinations Psychogènes.
L’origine organique des ballucinations tend de plus en plus à être admise. Elle a pour elle l’analogie entre les cas cryptogéniques et les cas nettement organiques, entre les psychoses systématiques nettement secondaires et celles qui paraissent ne pas l’être ; elle a pour elle la terminaison démentielle et les caractères intrinsèques de certaines hallucinations jusqu’à maintenant trop négligées : neutres, athématiques, voire anidéiques. Au cours de ces dernières années, d’une part les Séquelles d’E. E., d’autre part les bouffées hallucinatoires chez les P. G. malarisés sont venues apporter de nouvelles preuves d’une genèse purement mécanique des hallucinations d’abord, ensuite des conceptions systématiques elles mêmes.
Dans l’histoire de la Psychlatrte, rarement les théories dualistes ont prospéré. Ainsi, en matière de P. G. ni le dualisme nosologique de Baillarger, ni l’éclectisme étiologique qui régnait il y a quarante ans n’ont survécu. Toutes probabilités sont donc a priori en faveur d’une thèse uniciste.
En présence d’un délire à début spirite, nous devons tout d’abord nous demander si le début apparent du délire a bien été le début réel de la psychose. Bien des sujet sont attirés par les praticiens et adeptes du magnétisme, du spiritisme, de l’occultisme, précisément parce que, hallucinés déjà, ils cherchent en dehors du concret des explications à leur cas ; d’autres, par suite des simples malaises de la période d’incubation, cherchent un réconfort moral dans une foi et dans l’esprit de groupe ; les deuils récents, qui sont une cause de ralliement au spiritisme et semblent agir en développant la crédulité du sujet, agissent surtout en activant, par une mélopragie globale, la maturation dé la psychose encore latente. — J’ai vu ainsi passer le même jour dans mon service deux veuves, hallucinées [p. 226] chroniques, qu’exploitait un magnétiseur, amant de toutes deux ; d’autres sujets, en apparence hypomaniaques, en réalité déments précoces ou déments adultes, avaient fréquenté des Instituts Psychologiques, où ils espéraient raviver leurs forces mentales (l’un était devenu professeur après avoir été élève) ; plusieurs de mes malades ont changé de religion soit au début, soit dans le courant de leur psychose.
Dans le cas des spirites devenant hallucinés, on croit saisir la gradation entre une phase psychologique initiale et une phase morbide terminale. L’hallucination résulterait chez eux de l’intensification de l’idée (et de l’affectivité connexe) dont elle serait un retentissement sensoriel : la morbidité résulterait de l’exaltation de la fonction même. Ball comparait le déclanchement sensoriel incoercible au cas du balai enchanté que le magicien ne sait plus retenir. Joffroy et ses élèves ont soutenu qu’hallucinations et interprétations s’équivalaient, traduisant, chacune sur un mode, une même idée fondamentale dont elles n’étaient que le résultat. Cette conception n’est pas encore abandonnée ; elle a même, je crois, emprunté au freudisme quelques moyens de rajeunissement.
Or, nous ne surprenons jamais sur le fait la transformation de l’idée en hallucination vraie. Les hallucinations des foules, celles des hystériques, des anxieux, des obsédés, sont tout autrement constituées que celles du persécuté chronique, de l’intoxiqué ou du maniaque. Les persécutés raisonnants ne deviennent jamais hallucinés. Bien plus, dans de nombreux cas où régulièrement l’hallucination devrait apparaître si elle était le résultat de la fonction intensifiée, l’hallucination n’apparaît pas. Une voyante célèbre qui pendant quatre ou cinq années a donné le spectacle quotidien d’un mécanisme psycho-verbal surentraîné (car elle improvisait en vers toutes ses réponses, souvent fort longues), a passé dans mon service, quelque vingt ans plus tard, mégalomane et visiblement prédémente, mais exempte de tout phénomène psycho-moteur verbal. [p. 227
Dans l’étude des halhrcinations on a négligé jusqu’ici un facteur que je crois pouvotr isoler, sans qu’on puisse, jusqu’à nouvel ordre, le définir : c’est l’hallucinabililé. Aucune hallucination, thématique ou athématique, ne peut se produire sans une condition préalable qui est l’Imminence Hallucinatoire. C’est cet état qui s’intercale entre l’idée préalable, quand elle existe, et sa transposition en hallucination. Cette vérité parait naïve ; cependant elle est méconnue quotidiennement. D’autre part les deux stades de l’hallucination (stade virtuel et stade effectif) sont, chez certains malades, distincts, et étudiables séparément,
Chez les alcooliques aigus ou subaigus, à côté des hallucinations spontanées s’observent, chacun le sait, des hallucinsttons exogènes, provocables, dans quelque mesure, à volonté. Ce sont les hallucinations visuelles obtenues par pression des yeux, et les hallucinations auditives provoquées par un bruit soudain (claquement d’une porte) ou scandé (bruits du réveil, du robinet, etc.), ou uniforme (filet d’eau, rotation, roule ment). Le stimulus qul agit sur un centre sensoriel (soit dit ainsi pour abréger) est ainsi de nature mécanique ou de nature déjà sensorielle. Manifestement, dans ces cas, l’imminence hallucinatoire dans le centre concerné est tout, le stimulus externe n’est rien ; il pourrait être remplacé par un stimulus d’un autre genre, il peut même être supprimé, et les mêmes hallucinations ou d’autres à peu près semblables se produiront ; ce processus n’a qu’une valeur provocatrice, il n’a pas de force créatrice. Il en sera exactement de même, quand le mécanisme provocateur sera une idée ; exemple une suggestion verbale. D’autre part si un tel stimulus réussit, c’est dans une mesure limitée et une forme prédéterminée, le sujet ne pouvant être amené par suggestion à voir et entendre que les choses qu’il est déjà capable de voir ou entendre spontanément, c’est-à-dire dont ses centres sensoriels (soit dit encore elliptiquement) se trouvent être déjà en charge, et en charge pour des raisons non idéiques. Ce dernier point, [p. 228] d’une démonstration délicate pour les hallucinations auditives, est évident pour les visuelles : aucune idéation n’a jamais préparé l’alcoolique à imaginer des insectes, des fils flottants et des paillettes, ni à craindre tout spécialement de grands serpents ; et nous ne pouvons par suggestion lui faire voir d’objets d’un autre ordre. Le même raisonnement vaut pour les autres toxiques : ils ont chacun son répertoire d’hallucinations favorites.
En résumé, la traduction d’une tdée sous forme sensorielle est subordonnée à un éréthisme sensoriel préalable sans lequel elle restera idée, éréthisme lui-même peu plastique, et d’autre part capable de se passer d’idées ou d’en créer. Telle est la loi certaine dans les délire toxiques.
Or, l’hallucinabilité, c’est-à-dire le don de résonance à un stimulus extérieur, varie au cours d’un cas donné selon une courbe qui lui est propre, je veux dire qui ne se confond, pas avec la courbe des hallucinations spontanées.
Je n’ai parlé de provocations que dans le domaine d’un seul et même sens : par exemple les bruits suscitant les paroles. Mais la provocation peut s’exercer aussi d’un sens à un autre, l’éréthisme du domaine idéo-visuel se propageant au domaine idée-auditif, ou inversement : le sujet entend parler ses persécuteurs en même temps qu’il les aperçoit ; il voit l’eau et les fils en même temps qu’il les sent, etc. ; Il y a en un mot hallucinations combinées. Ce phénomène ne se produit que durant le stade aigu des délires éthyliques ; il n’appartient ni à la période subaiguë, ni au stade de défervescence, ce qui montre bien qu’il dépend directement d’une imprégnation élective. Ainsi l’association des hallucinations, où les anciens auteurs voyaient la preuve d’une origine psychique, s’explique d’une tout autre façon.
Cette action intersensorielle est de même ordre que l’action intrasensorielle plus haut citée. Dans les deux cas, il y a éréthisme de frayage :: dans un cas frayages intérieurs à un domaine (centre ou réseau comme on [p. 229] voudra), dans l’autre cas frayages plus longs et moins usuels qui relient deux domaines différents. La liaison intersensorielle soit, elle aussi, une courbe spéciale. Elle apparait beaucoup plus tard et disparait beaucoup plus vite que la liaison intrasensortelle, C’est elle qui réalise ce qui d’un point de vue psychogéniste s’appellerait auto-suggestion : suscitation simultanée de toutes les données sensorielles afférentes à une même idée. Quant à l’hétéro-suggestion, c’est-à-dire suggestion verbale, le fait que son efficacité soit limitée à l’acmé de la maladie la montre nettement suhordonnée àl une formule histo-chimique portant sur les frayages seulement. En résumé, les frayages intrasensortels, les frayages intersensoriels et les frayages psycho-sensoriels sont susceptibles d’éréthismes latents, et ces éréthismes spéciaux sont dans une très forte mesure indépendants des éréthismes généraux de ces mêmes centres.
L’éréthisme des voies de liaison, condition et mécanisme des associations hallucinatoires rationnelles, éclaire la genèse des Synesthésies Paradoxales. Les Synesthésies sont fréquentes dans les intoxications subtiles : éther, hachich, peyotl ; elles s’observent quelquefois aussi dans la manie. Ces Synesthésies interviennent dans les états dits ineffables, qu’il s’agisse de bienêtre global ou de sentiments intellectuels. Le Sentiment de Compréhension Universelle, assez fréquent dans les intoxications subtiles et nullement rare dans la manie, nous semble pouvoir en grande partie être ramené à une exaltation des Sentiments de Zone ou de Catégorie (mot sur la langue, solution proche, etc.) qui jouent à vide, de même, que souvent jouent à vide Ies Sentiments d’Imminence, de Virtualité, de Reconnaissance, de Déjà Vu. Ces processus sont frères des hallucinations. Ils constituent des Paresthésies des Frayages ; ils donnent la perception factice d’un terminus là où n’y a qu’une direction. Si l’on admet qu’il y ait, une sensibilité des frayages (et le terme Sentiment de Zone implique cette seusibilltè) on doit admettre que cette sensibilité comme toute autre peut s’exalter et jouer à vide, sous l’action élective d’un processus morbide, spécialement intoxication. [p. 230]
C’est encore par une fixation tout élective d’un processus sur des frayages que nous paraît devoir s’expliquer la remise au jour de blocs idéo-affectifs, telle qu’elle s’observe, dans la (Manie, dans les Ivresses Pathologiques, dans les Psychoses Systématisées. Cette fois. il est vrai, il s’agit de l’utilisation des frayages, non de leur mise en jeu illusoire et isolée ; mais entre les deux ordres de cas, il ya au moins ceci de commun : l’éréthisme des voies de liaison.
Revenons aux Psychoses à Début Spirite. Y trouverons-nous quelques indices d’une hallucinabilité prééta blie ? Cette hallucinabilité peut-elle elle-même être produite par l’entrainement aux manœuvres du spiritisme ?
Je ne crois pas avoir rencontré un seul sujet à développement hallucinatoire rapide qui ne présentât un état d’ordre hypomaniaque, tel qu’il se constate au début de beaucoup de psychoses chroniques et tel qu’il se développe souvent à la période prédémentielle de ces psychoses : euphorie, idéorrhée, mentisme, vivacité générale. J’ai noté surtout des troubles très marqués du réflexe oculo-cardiaque. Ce dernier était ascendant presque toujours, parfois fortement descendant, enfin, tel que dans la manie. Ce signe a une grosse importance, car il prouve un déséquilibre dans le domaine neuro végétatif et dans les domaines endocriniens, déséquilibre qui, s’il ne produit pas lui-même les hallucinations résulte de la même cause profonde que ces dernières. Cette cause profonde peut être grossièrement organique dans les cas même où l’anamnèse semble démontrer une gradation psychogénique. Ainsi un homme de 55 ans environ, veuf, ayant connu en villégiature, tout récemment, un groupe spirite, entraîné au graphisme passif, communiquant ainsi avec l’esprit de sa femme, était, après deux ou trois mois de ce régime, amené dans mon service dans un état sensiblement hypomaniaque, avec insomnie et inappétence : il mourait moins de 10 jours après dans un asile. De tels états hypomaniaques présentent, par rapport à la manie vraie, quelques détails différentiels ; mais ce point n’importe pas à notre thèse. J’insiste sur la présence [p. 231]des troubles du R. O. C. et recommande de compléter (suivant le conseil de Gorriti), la numération après pression par une ou plusieurs autres numérations, de 30 en 30 secondes, afin de déceler les réactions soit retardées, soit prolongées. — Je ferai remarquer que dans la manie proprement dite les hallucinations ne sont pas absolument rares, qu’elles affectent des caractères un peu spéciaux, et que I’ensemble clinique lui même, en pareil cas, s’écarte du type ordinaire par diverses nuances.
Ici se pose la dernière question. L’état hypomaniaque et les hallucinations qui en résultent (ou s’y rattachent) peuvent-ils être le résultat des émotions liées constamment aux préoccupations spirites ? Autrement dit dans quelle mesure une activité préfrontale peut-elle influencer les systèmes végétatif et glandulaire ? Des expériences sur la tortue et la grenouille ont montré une inhibition gastro-intestinale se produisant à la suite d’une incitation sur leur télencéphale rudimentaire. D’autre part les suites des émotions : insomnie, troubles du régime, recours aux stimulants divers (caféisme ou théisme fréquents) semblent de nature à pouvoir réaliser la sensibilisation psycho sensorielle plus haut décrite, l’hallucinabilité. — Mais dans cette hypothèse encore on voit qu’entre l’idée initiale et l’idée devenue hallucination, s’il y a continuité verbale et affective, la continuité mécanique n’existe pas. L’hallucination n’est pas le résultat d’un monoidéisme extensif, mais d’une préparation entièrement organique, sans laquelle les échos sensoriels d’une idée ne pourraient se produire, et qui, sans idée préalable, produirait encore et des voix et des idées.
En d’autres termes, entre une idée (préalable ou non préalable) et sa traduction sensorielle, s’interposent ce qu’on peut appeler le Processus Intermédiaire. Ce processus intermédiaire est évident dans le cas d’imprégnation toxique ou de manie, a fortiori dans les tumeurs et les démences. Il doit être supposé, par voie d’analogie et pour d’autres raisons encore dans les Psychoses Cryptogéniques. Il est autonome, c’est-à-dire susceptible [p. 232] de fonctionner avec ou sans provocation. avec idée ou sans idée, capable de créer des idées, d’en combiner d’en réveiller et d’en choisir. — Dans le cas des Psychoses Spirites, le processus le plus bénin qu’on puisse admettre comme processus interposé est un état hypo maniaque ; et, bien que compréhensible en soi, la genèse d’un état de ce genre, du moins durable, par les seuls facteurs émotifs, n’est pas totalement établie.
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