Edmond Goglot. Le souvenir des rêves. Article paru dans la « Revue Philosophique de la France et de l’Etranger »,(Paris), XLII, juillet à août 1896, pp. 288-290.
Cité par Freud dans son ouvrage : La Science des rêves.
Edmond Goglot (1858-1935). Philosophe qui s’intéressa sur le tard à la sociologie. Il soutiendra sa thèse en 1898 : Essai sur la classification des sciences. Comme philosophe il contribua au renouvellement de la théorie de la démonstration. Ses réflexions sur le rêve se résument à seulement trois petits articles, mais qui firent date.
— Le souvenir des rêves. 1896. « Revue Philosophique de la France et de l’Etranger », (Paris), 1896.
— Le souvenir du rêve. 1897. « Revue Philosophique de la France et de l’Etranger », (Paris), 1897. [en ligne sur notre site]
— Analyse d’un rêve. 1922. « Revue Philosophique de la France et de l’Etranger », (Paris), 1922.
[p. 288]
LE SOUVENIR DES RÊVES
« Le rêve, a-t-on dit, est la pensée du sommeil. » A-t-on jamais songé à mettre en doute l’exactitude de cette formule ? Je pense qu’il convient de la modifier, et de dire : « Le rêve dont on se souvient est la pensée du réveil. »
Le passage de la veille au sommeil et du sommeil à la veille n’est jamais instantané. Un organe, un tissu mettent un temps à passer de la torpeur à l’activité tous les organes, tous les tissus ne se réveillent pas en même temps. Il serait intéressant de rechercher, par des expériences et des mesures exactes, dans quel ordre et avec quelle vitesse se fait, par exemple, le retour de la sensibilité cutanée dans les diverses parties du corps, de la motilité dans les différents muscles, etc. Une excitation énergique peut abréger la période de transition entre le sommeil et la veille, mais non la supprimer tout à fait. Tout changement s’accomplit en un temps.
Ceci est également vrai du sommeil provoqué, bien qu’ici les deux transitions, initiale et finale, soient ordinairement beaucoup plus rapides ; je connais un sujet que je puis endormir très brusquement, en lui disant : « Dormez ! » ou même d’un simple geste. Parfois je lui ai suggéré : « Pendant toute cette soirée, chaque fois que je lèverai le doigt, vous dormirez », et elle n’y manquait pas une fois. Le sommeil la saisit et l’immobilise dans l’attitude où elle se trouve : il n’est pourtant pas rigoureusement instantané, car elle ne tombe jamais, même si elle s’endort en marchant l’attitude subitement figée est toujours une attitude d’équilibre ; le sujet a donc eu le temps de reprendre son aplomb, et de réagir contre la vitesse acquise. Quant au réveil (en soufflant au visage), quiconque a vu des hypnotisés a pu observer qu’il a une durée, souvent très courte, mais toujours appréciable.
Or je pense que les seuls rêves dont on se souvienne se rapportent à cette période de transition le réveil. Voici pour quelles raisons :
D’abord, je ne connais pas un seul récit de rêve qui ne se termine par le réveil, et presque aucun qui n’aboutisse au réveil en sursaut. Le narrateur dit ordinairement que le dernier tableau du rêve l’a saisi d’une émotion si vive qu’il s’est réveillé. Il attribue le réveil à l’intensité du rêve. En réalité l’intensité du dernier tableau est due à ce que le dormeur est déjà presque réveillé. On peut même se servir du rêve [p. 289] pour définir la période du réveil : elle commence à l’instant le plus reculé où puisse remonter le souvenir; elle se termine au moment précis où se fait la distinction des perceptions et des images, et où l’on se dit : « Je dormais », ou « C’était un rêve.
En second lieu, dans tous les rêves dont j’ai cherché à me souvenir au moment du réveil, j’ai toujours pu suivre la succession et la transformation des tableaux jusqu’à la perception de la réalité ambiante ; en y faisant attention, j’ai toujours retrouvé la continuité entre le rêve et la veille. Je vois alors le réel, le présent, s’insérer par degrés dans les tableaux imaginaires ; le rectangle clair de la fenêtre, les rideaux blancs d’un lit d’enfant, le bruit d’une porte qui s’ouvre, se mêlent aux débris du songe qui s’efface, avec une incohérence qui m’inquiète et parfois m’angoisse ; enfin la réduction se fait et tout s’évanouit.
C’est ainsi que cela se passe quand on a bien dormi et qu’on se réveille naturellement. Si le réveil est brusqué par une secousse violente, un appel, un carillon, une lumière apparue soudain, le rêve se réduit à un seul tableau, chaotique, déchiré et comme en lambeaux, et, bien qu’on se sente éveillé, l’imaginaire continue quelques instants encore à se mêler au réel. Dans ce cas, la continuité du rêve avec la veille est encore plus manifeste.
En somme, ni dans les récits, ni dans mes propres observations, je n’ai pu trouver l’exemple d’un rêve qui se termine autrement que par le réveil.
Max Ernst – Une semaine de bonté.
On objectera peut-être des observations de Maury sur des rêves qui semblent continuer des hallucinations hypnagogiques, et se rapporter, pour cette raison, plutôt au commencement qu’à la fin du sommeil. Mais ces hallucinations qui ne semblent pas être normales ont toujours un caractère obsédant. Maury en fait la remarque : « Des figures bizarres, grimaçantes, à coiffures insolites, se présentaient avec une incroyable persistance devant mes yeux déjà clos. » (Le Sommeil et les Rêves, p. 51.) Il n’est donc pas étonnant que les images du réveil soient précisément celles dont on est particulièrement disposé à être assailli. D’ailleurs, en se reportant au texte de Maury, on remarquera qu’il veut parler d’une analogie, non d’une continuité entre les hallucinations hypnagogiques et le rêve.
Enfin, l’opinion que je propose est une explication relative d’un fait observé par tous, et qui a toujours étonné les observateurs quand on rêve tout haut, on ne se souvient jamais de son rêve. Pourtant ce rêve, qui se manifeste par des paroles, des cris, des gestes, est vraisemblablement un rêve plus intense que les autres, et comme tel il devrait être mieux retenu. Il est oublié, non pas plus que les autres, mais aussi bien que les autres, parce qu’il n’est pas suivi de réveil. On ne se souvient pas, non parce qu’on a rêvé tout haut, mais quoiqu’on ait rêvé tout haut, et tout simplement parce que l’on dormait. C’est sans doute pour la même raison qu’il ne reste aucun souvenir du [p. 290] sommeil provoqué ni des divers sommeils pathologiques. Un rêve est un réveil qui commence ; s’il s’achève, le souvenir du rêve persistera pendant un temps assez court on sait qu’il faut se hâter de l’écrire pour le conserver ; si le réveil ne s’achève pas, le sommeil redevenant plus profond, ce même rêve ne laissera aucune trace dans la mémoire, même s’il a été intense, assez intense pour provoquer des mouvements, des cris, des paroles.
Je suis donc disposé à conclure qu’on ne se souvient jamais d’avoir rêvé en dormant, mais seulement d’avoir rêvé en s’éveillant. M. V. Egger a bien montré que, le rêve étant une série de tableaux, et non pas une série d’événements, une action assez compliquée peut tenir dans une durée très courte, sans qu’il soit nécessaire de supposer une vitesse prodigieuse de la pensée (Rev. phil., juillet 1895). On a cité, au sujet de Maury guillotiné, un grand nombre de rêves à circonstances multiples qui avaient tenu dans les quelques secondes du réveil. Sont-ce là des exceptions ? n’est-ce pas plutôt le fait ordinaire ou même constant ?
Occupé par d’autres travaux, je ne puis me livrer à une étude suivie et méthodique du rêve, je soumets les présentes réflexions à ceux qui s’occupent spécialement de cette question intéressante.
E. GOBLOT.
Peut on supposer que l oubli du rêve est causé par la force et la pression le conscient sur le bagage de l inconscient qu on se réveille ; surtout que ce genre de rêves est souvent très émotionnel !!!
La question est très pertinente. Mais je n’ai pas de réponse. Toutes les hypothèses sont permises.