Georges Surbled. Le mystère de la télépathie. Article parut dans la « Revue du monde invisible », (Paris), première année, 1898-1899, pp. 14-24.
Georges Surbled (1855-1913). Médecin polygraphe défenseur du spiritualisme traditionnel, il participe à des nombreuses revue, en particulier dans La Revue du Monde Invisible fondée et dirigée par Elie Méric, qui parut de 1998 à 1908, soit 10 volumes. .
Comme toujours la conclusion fait allégeance totale à l’église bien-pensante.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons corrigé quelques fautes de typographie. – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr
[p. 14]
LE MYSTÈRE DE LA TÉLÉPATHIE
La télépathie est un mot nouveau qui a fait une rapide et éclatante fortune et n’a plus besoin d’être défini : il caractérise tout un monde de connaissances qui sont positives, incontestables, sans avoir encore trouvé dans la science une explication plausible. On ne nie plus les faits télépalhiques, on les enregistre avec soin, et, toujours dans l’espoir de pénétrer le mystère profond qui les enveloppe, on imagine des hypothèses et des théories pour en rendre compte. Quelle valeur rationnelle ou scientifique ont ces hypothèses ? Quel crédit doit-on leur faire ? C’est ce que nous allons examiner dans ces courtes pages.
I
La plupart des savants matérialistes s’abstiennent de juger les faits télépathiques ou s’efforcent d’en contester la nature et l’authenticité : fidèles à leur doctrine, ils restent dans la logique de leur rôle. Comment, sans renoncer à leurs idées, sans renier tout leur passé, se rangeraient-ils à l’opinion nouvelle qui pose en fait l’existence de l’immatériel, de l’invisible et du préternaturel ? Les trois auteurs anglais, dont l’ouvrage sur les Apparitions des vivants (1) a eu tant de succès et de retentissement et a mis la télépathie à la mode, MM. Guruey, Myers et Podrnore, sont très catégoriques dans leur foi spiritualiste : ils résument leur doctrine dans les trois propositions suivantes :
1° L’expérience prouve que la télépathie, c’est-à-dire la transmission des pensées et des sentiments d’un esprit à un autre SANS L’INTERMÉDIAIRE DES SENS, est un fait.
2° Le témoignage prouve que des personnes qui traversent quelque crise grave ou qui vont mourir apparaissent à leurs amis et à leurs parents, ou se font entendre par eux avec une fréquence telle que le hasard seul ne peut expliquer les faits. [p. 15.]
3° Ces apparitions sont des exemples de l’action supra-sensible d’un esprit sur un autre.
En présence de l’extra-naturel aussi nettement manifesté, le matérialisme ne peut qu’abdiquer et se taire. Cependant nous devons noter qu’il a audacieusement tenté la lutte. Une théorie physique de la télépathie a été proposée par le Dr Liébeault. Notre vénérable confrère de Nancy, voulant révéler le mécanisme télépathique, n’a pas craint de chercher dans la matière même l’explication suffisante des communications psychiques à distance.
« Je ne crains pas déjà, écrit-il, d’émettre l’hypothèse probable que, si dans certains états organiques, les sens et le cerveau de l’homme reçoivent des impressions plus vives et élaborent des opérations intellectuelles plus complexes que d’habitude, ces organes peuvent bien dans les mêmes états, surtout chez quelques sujets très sensitifs, être susceptibles de fonctionner avec une délicatesse plus grande qu’on ne l’a soupçonné encore. Par exemple, si l’on admet, avec quelques esprits non prévenus, que des vibrations transmises par contact, entre endormeurs et somnambules, sont non seulement saisies, mais comprises par ces derniers, on ne doit pas être éloigné de croire que comme pour un grand nombre de phénomènes physiques acceptés de tous, des ondulations, vrais prolongements de ces vibrations, ne puissent se transmettre par l’air, puis être ensuite ressenties et interprétées à de grandes distances par des sujets éminemment nerveux ?…
« Il est reconnu que les pigeons voyageurs, transportés au loin, retrouvent leur demeure sans qu’on sache bien comment ; que des chiens, des chats, des ânes, etc., ont aussi la même faculté ; que des animaux beaucoup moins haut placés dans la chaîne des êtres : l’abeille, la tortue, le saumon, etc., sont doués d’un même pouvoir, et l’on refuserait à l’homme, dont on sait combien les sens et l’intelligence arrivent parfois à un grand degré d’exaltation et de pénétration, on lui refuserait la faculté élevée d’être apte à recevoir des communications suggestives venues de lieux éloignés et provoquées tacitement par action mentale ?
« Dans les cas spéciaux que j’examine, il n’y a certes rien d’impossible que, à de grands éloignements, il n’y ait eu, sans qu’ils se soient morne sentis impressionnés, de la part des somnambules et des médiums, une réception par les sens d’ébranlement de l’air, et ensuite une e interprétation intellectuelle de ces ébranlements : et si dans le dernier cas de transmission de pensée transcrit par moi, la communication s’est faite à une distance de 250 kilomètres (entre Nancy et [p. 16] Coblentz), n’est-ce pas aussi que les ondulations transmises étaient renforcées chez l’un des sujets, par une disposition sensitive exceptionnelle, et chez l’autre par un état émotif excessif, celui qui s’est exprimé par la pensée au dernier moment de l »existence ? Quand on sait que des forces inférieures en qualités aux forces pensantes : forces attractives, lumineuses, caloriques, électriques, etc., pénètrent à des éloignements incommensurables, dans toutes les directions et à travers les interstices des globes célestes, remplissent les espaces et les mondes, c’est bien le moins que la pensée humaine, cette puissance que nous sommes si loin de connaitre, ne puisse, par certaines ondulations à travers l’atmosphère, se transmettre d’une personne qui exprime cette pensée à une autre qui, à son tour, sympathiquement en ressent les signes transmis et les interprète ensuite (2). »
M. le Dr Liébeault a parfaitement raison de croire, et de dire qu’on ne connaît pas toutes les ressources de la nature, et qu’un jour nous amènera peut-être l’explication scientifique, rationnelle, complète de la télépathie. Il serait plus que téméraire d’affirmer que la communication à distance est naturellement impossible. Les découvertes de la science qui se multiplient tous les jours sont si merveilleuses, si déconcertantes qu’on ne peut dire où elles s’arrêteront. La correspondance des esprits, qui s’opère si singulièrement par la télépathie trouve déjà, dans l’industrie humaine, des moyens que ne pouvaient soupçonner nos aïeux. « Est-ce que les relations actuelles sont comparables à celles d’antan ? Le passé est garant de l’avenir. La communication instantanée entre deux hommes éloignés était impossible autrefois : elle se réalise aujourd’hui par le fil télégraphique on téléphonique. La transmission électrique a surpris et émerveillé les gens, elle ne nous étonne plus ; mais elle se perfectionne de plus en plus, et Dieu sait où elle arrivera. Ne se fait-elle pas déjà sans fil grâce aux beaux travaux de Branly et de Marconi ? Ces découvertes de la physique moderne en laissant pressentir d’autres, et qui sait ? peut-être la cause matérielle de la télépathie (3). »
En attendant que cette explication souhaitée, et possible, nous soit fournie, il faut reconnaître que la télépathie reste un fait impénétrable. On peut s’associer aux espérances très légitimes du Dr Liébeault sans accepter aucunement son interprétation physiologique ou plutôt physique des phénomènes. Que l’action des esprits [p. 17] s’opère à distance, nul n’y contredit ; mais il est impossible d’accepter à la suite de notre auteur et même de concevoir des ondulations de la pensée humaine à travers l’atmosphère, des vibrations d’esprits, etc., bref toute une physique mentale.
Un abîme sépare le monde des esprits de celui des corps, et ce n’est pas l’activité nerveuse qui peut le combler. Quelques auteurs avaient cru y voir une transition facile et naturelle des forces mentales aux forces physico-chimiques ; mais il est démontré que la force nerveuse est d’ordre vital et n’a aucune ressemblance avec les simples forces cosmiques. Elle ne se réduit pas à un ébranlement moléculaire ou à une ondulation des nerfs, elle ne sort pas des éléments qui lui sont propres et n’est pas de nature à parcourir le monde sur l’aile du vent et au gré des hommes (4). D’ailleurs la transmission physiologique de l’influx nerveux ne saurait rendre compte de la télépathie, puisque celle-ci est exactement définie par les auteurs, notamment par MM. Gurney, Myers et Podmore, comme « la transmission des pensées et des sentiments d’un esprit à un autre sans l’intermédiaire des organes des sens ». Il faut décidément renoncer, dans l’état présent de la science, à l’explication physique de la télépathie.
II
Cette explication ne sera-t-elle pas fournie un jour par la science, ou plus exactement est-elle dès à présent contradictoire et impossible ? Nous ne le pensons pas ; mais nous n’avons aucune idée dans ce qu’elle pourrait être et nous ne jugeons pas utile d’imaginer actuellement une théorie sans base au risque d’être démenti demain. Ce n’a pas été l’avis d’un savant philosophe, M. l’abbé Gayraud, qui a proposé et soutenu devant la Societe des sciences psychiques (5), une hypothèse toute théorique pour l’explication de la télépathie en même temps que de la suggestion mentale. Elle nous paraît problématique, inacceptable, mais mérite d’être signalée à cause de sa hardiesse et de son originalité : elle fait certes honneur à notre savant ami et prouve que la philosophie catholique ne s’effraie pas des problèmes transcendants de la science et qu’elle ne recule pas devant les solutions les plus audacieuses.
M. l’abbé Gayraud s’appuie sur l’enseignement de saint Thomas pour établir que tous les phénomènes de télépathie ne réclament pas [p. 18] une cause surnaturelle. « La loi, invoquée par les théologiens pour démontrer le caractère surnaturel de la suggestion mentale et des phénomènes télépathiques, à savoir que « nous ne pouvons découvrir ce qui se passe en dehors de nous qu’à l’aide de nos sens, ni surtout la pensée et la volonté d’autrui que par des signes extérieurs qui les manifestent », cette loi, dit notre philosophe, n’est pas absolue, mais conditionnelle : elle ne régit que les cas ordinaires de la connaissance et ne s’applique pas à certains cas exceptionnels, tels que ceux de la divination et de la prophétie naturelle. N’est-ce pas exactement la pensée de saint Thomas d’Aquin ?? Il me parait clair que, dans les faits de prévision de l’avenir sous l’influence des corps célestes, la loi qui règle la connaissance ordinaire n’est point appliquée. L’avenir, en effet, est inconnaissable à nos sens… Par conséquent, il reste à examiner si parmi les cas exceptionnels, où la connaissance de ce qui se passe au dehors de nous se produit sans l’intermédiaire des sens externes, on ne peut compter les phénomènes de suggestion mentale et de télépathie.
« Je remarque d’abord que les cas de divination, dans lesquels on prévoit l’avenir, paraissent en eux-mêmes plus difficiles à admettre et à expliquer naturellement que la suggestion mentale, qui consiste à percevoir un fait actuellement réalisé, à savoir la volonté de l’hypnotiseur, et même que la télépathie, où il ne s’agit d’ordinaire que de connaître des événements présents ou passés. D’où je conclus que si l’on admet avec saint Thomas, la possibilité d’une explication naturelle des premiers, il serait logique de ne pas repousser a priori tout essai d’explication naturelle des seconds, le présent et le passé étant par eux-mêmes plus faciles à connaître que le futur.
« Où serait la contradiction dans la possibilité d’une explication naturelle de la suggestion mentale ?? Toute la difficulté se réduit à ceci : une image cérébrale peut-elle être transmise directement à un autre cerveau ?… Que faut-il pour cela ? — Un milieu proportionné entre les deux cerveaux, et une action suffisant de l’un sur l’autre, voilà tout ; une action sui generis, telle que l’action psycho-physiologique qui produit les images sons l’influence des sensations ; et un milieu qui relie l’agent au patient, le cerveau excitateur au cerveau récepteur, car l’action à distance est une impossibilité métaphysique.
« Eh bien, quel savant ou quel philosophe a le droit d’affirmer qu’il n’existe aucun milieu matériel propre à transmettre les actions psycho-physiologiques ? A celui qui nierait a priori l’existence possible d’un tel milieu, je demanderais : quel est donc le milieu qui, d’après la théorie scolastique de la sensation, porte à l’œil la qualité [p. 19] sensible des objets que l’œil perçoit ? N’y a-t-il pas un milieu matériel par lequel l’image visuelle passe pour devenir image cérébrale et fantôme de l’imagination ? Pourquoi donc n’existerait-il pas un milieu plus subtil capable de transmettre directement au-dehors les actions psycho-physiologiques exercées dans le cerveau par des images d’une grande intensité ?… Il ne répugne pas d’admettre l’existence d’un milieu matériel propre à transmettre hors du cerveau les actions exercées par les images dans l’organe cérébral. Un milieu existe qui porte au cerveau les qualités sensibles des corps et transmet des actions qui ont pour résultat la formation des images. Où est l’impossibilité de concevoir un milieu analogue qui soit le conducteur pour ainsi dire en sens inverse de l’activité des images ? Je regarde donc comme possible — je ne dis pas comme réelle — l’existence d’un tel milieu.
« Quant à l’action transmissive de l’image cérébrale, ne peut-on la concevoir comme une sorte de mouvement ayant quelque rapport avec ceux de la lumière ou de l’électricité ? Il est certain que l’image vive on ravivée [sic] est une espèce d’activité de l’âme et du corps à la fois, une action psycho-physiologique. Or, toute action de ce genre est un mouvement, au sens scolastique de ce terme, et ce mouvement se produit dans une portion déterminée de matière. N’est-il pas de la nature même de tout mouvement matériel d’être communicable et transmissible dans un milieu proportionné ? Où donc, je le demande encore, est l’impossibilité de concevoir une explication naturelle du fait étrange de la suggestion mentale ?
« Reste, il est vrai, la direction volontaire de l’action et de l’image vers tel cerveau déterminé ; et ce point, je le reconnais, n’est pas facile à éclaircir. Mais, encore que ce soit une difficulté très obscure, est-ce une impossibilité absolue ? La vraie question est là… Pourquoi serait-il impossible à la volonté de produire, dans le milieu spécial des actions psycho-physiologiques, certains courants aboutissant à des organismes qui sont naturellement disposés à devenir des récepteurs ?… Peut-être les faits, dans lesquels une direction volontaire imprimée au courant psychique ne saurait être supposée, paraîtront-ils difficiles à expliquer. Mais la volonté instinctive et subconsciente du sujet ne suffirait-elle pas à rendre compte de la perception de l’image ? Si l’on admet l’existence du milieu psycho-physiologique, y a-t-il quelque évidente contradiction à admettre dans son sein des espèces de courants qui relient d’une manière plus ou moins constante, soit des personnes entre elles, soit même des personnes et des choses inanimées ?… [p. 20]
« Que l’on me permette une dernière considération. La théologie chrétienne enseigne le dogme de la future résurrection de tous les hommes, à l’instar de la résurrection de Jésus-Christ. Il est certain, au point de vue de la foi, que 1es corps ressuscités, encore qu’ils soient identiquement les mêmes que les corps vivants de cette vie terrestre, jouiront de qualités très différentes de celles que la science leur reconnait ici-bas. On peut dire que l’état du corps ressuscité, spécialement du corps glorieux, est comme un quatrième ou cinquième état de la matière, laquelle sera cependant alors de la même nature ou essence que la nôtre. Cet état, il est vrai, comme celui du monde à la fin des temps, appartient à l’ordre surnaturel, et je ne prétends pas qu’il existe naturellement une matière dans un tel état. Mais ne peut-on concevoir l’état de la matière des corps glorieux comme une sorte de limite de perfection de la matière, et supposer qu’il se trouve dans la nature un milieu matériel qui approche de cette perfection ?… La matière est un grand inconnu ; saint Thomas et l’Ecole disent un inconnaissable ; et ce ne serait peut-être pas d’un bon esprit philosophique que de nier a priori la possibilité d’un milieu matériel différent de tous ceux que la science connaît ou suppose d’ordinaire, et propre à mettre en relation certains organismes dans la complexion desquels cette matière jouerait, par intermittences, sinon constamment, un rôle spécial : rôle que les sciences psychiques auront précisément à déterminer. Croit-on que les facultés sensibles des corps glorieux fonctionnent comme les nôtres ? Certes non, puisque ces corps sont impassibles et qu’il n’y a point en eux circulation de la matière ; puisque l’activité de leurs organes n’est pas soumise aux lois qui règlent actuellement l’impression des objets sur nos sens. Il n’est pas facile de concevoir ce que sont en réalité les sensations d’un corps glorieux. Voilà pourquoi ce serait peut-être faire preuve d’ignorance plutôt que de sagesse, si l’on refusait d’admettre la possibilité de certaines lois exceptionnelles de la connaissance sensible et imaginative différentes de celles qui régissent, à l’état ordinaire, commun et, si l’on veut, normal, les rapports de nos facultés avec leurs objets. Telles sont les raisons philosophiques et théologiques qui m’induisent à penser qu’il n’est pas absolument clair et certain que l’on doive rejeter a priori tout essai d’explication naturelle des faits de la suggestion mentale et de la télépathie (6) ».
La thèse originale de M, l’abbé Gayraud ne démontre rien, comme il l’avoue Iui même, elle a seulement pour but d’établir qu’une [p. 21] explication naturelle de la télépathie (et de la suggestion mentale) n’est pas impossible a priori, et nous aurions mauvaise grâce à la critiquer longuement. La science ne s’édifie pas sur des possibilités, mais sur des faits. Aucun fait ne démontre l’existence d’un milieu matériel spécial, plus ou moins subtil, capable de transmettre les images d’un cerveau à l’autre. L’action transmissive de l’image cérébrale ne saurait être d’ailleurs un mouvement physique, si l’on s’en rapporte aux derniers travaux de neurologie. Enfin — et c’est l’objection fondamentale, irréductible — la direction volontaire vers un cerveau donné, acceptable pour la suggestion mentale, n’existe pas dans la télépathie, quoi qu’en dise M. l’abbé Gayraud. L’impression télépathique est subite, inattendue, échappe à toute prévision, et rien n’explique comment le « courant psychique » supposé part d’un cerveau pour aboutir à un autre cerveau déterminé, plutôt qu’à tels ou tels autres, car les parents ou les amis de la personne souffrante ou mourante sont nombreux, et un seul est l’objet de la communication télépathique. La suggestion mentale, quand elle ne se rapporte pas à l’hypnose, accuse toujours une tension cérébrale, un effort de volonté. La télépathie, qui n’offre pas ces caractères, doit en être soigneusement distinguée ; et la confusion que font entre elles M. l’abbé Gayrand et, avec lui, nombre d’auteurs, n’est pas pour éclaircir la question et faciliter la solution.
III
Le fluide magnétique animal ou vital arriverait-il à expliquer les phénomènes télépathiques ?? On l’a récemment soutenu, mais nous devons remarquer qu’il faut donner au magnétisme animal une extension démesurée pour le rendre capable de pareille merveille. L’existence du fluide magnétique vital nous paraît incontestable, mais dans les limites mêmes que l’expérimentation scientifique a fixées (7). Hors de là, il n’y a place que pour de vaines hypothèses ou des théories dangereuses qu’inspire le spiritisme.
C’est ainsi que M. de Rochas ne s’est pas borné à affirmer l’existence des effluves magnétiques, mais a prétendu établir, par l’hypnose profonde et l’extériorisation de la sensibilité, que ces effluves ne sont autres que le corps astral ou le périsprit. Mais l’extériorisation de la sensibilité n’est pas plus démontrée que l’hypnose profonde, [p. 22] et il faut une foi robuste pour accepter sans discussion les affirmations audacieuses de M. de Rochas.
Nous ne faisons pas difficulté d’ailleurs de reconnaître que si ces affirmations étaient fondées, l’explication naturelle de la télépathie semblerait en voie d’ébauche ; mais combien insuffisante et illusoire ! Le fluide magnétique ou l’od serait capable de s’emparer de la sensibilité d’un sujet et de la transporter à distance ; que disons-nous ? ce serait cette sensibilité même sortant du corps, s’extériorisant et voyageant au loin par ondes successives. De là à se communiquer à une autre personne, il n’y a qu’un pas ; mais ce pas n’est pas franchi. Rappelons que le sujet, dont M. de Rochas prétend soustraire ainsi la sensibilité, doit être préalablement plongé en hypnose profonde, Or, dans la généralité des cas, la télépathie ne suppose ni hypnose profonde, ni hypnose commune ou légère, elle réclame l’état vigile et conscient : il faut donc renoncer à chercher son explication de ce côté.
Peut-on la trouver dans les travaux de Crookes et les curieuses expériences d’extériorisation de la motricité ? Encore moins. Le savant anglais n’a pas caché ses préoccupations spirites et a usé de l’intermédiaire d’un médium ; mais ses travaux, en supposant qu’ils démontrent l’action à distance, ne sont d’aucun service à la cause de la télépathie qui est essentiellement la communication sensible à distance, la transmission des sentiments et des idées.
Tel n’est pas l’avis de M. Gasc-Desfossés qui s’efforce d’établir dans un ouvrage récent un rapprochement impossible entre des phénomènes aussi différents. « Qu’y a-t-il d’impossible, d’absurde a priori, écrit-il, à supposer, dans le cas de la transmission de la pensée ou de la télépathie, une extériorisation organique analogue à celle que l’on suppose se produire dans le cas de l’extériorisation de la sensibilité et de l’accroissement de la pesanteur sans effort musculaire, avec la production concomitante du fait mental ou intellectuel, comme il y a production concomitante du fait sensible (8) ? » Nous concédons volontiers à notre auteur, comme à M. l’abbé Gayraud, que la voie des possibilités est illimitée, mais nous lui demandons en grâce de nous en tenir à la science, de rester dans le domaine des faits. Il ne nous refusera certes pas une concession : celle d’attendre, pour établit, son rapprochement, que l’extériorisation de la sensibilité soit démontrée et que M. de Rochas ait raison. Cette petite latitude nous suffit. [p. 23]
Maria Orsic
IV
La science actuelle nous refuse l’explication de la télépathie. Dans ces conditions, n’est-il pas indiqué de se réserver, n’est-il pas sage d’avouer notre ignorance ?? Il est des esprits auxquels cette ignorance pèse et qui ne veulent pas s’y résigner : ils réclament quand même une explication et la cherchent partout avec une ardeur brouillonne. Quand ils ne la trouvent pas dans l’ordre naturel, ils n’hésitent pas à la prendre dans le monde surnaturel. Cette conduite est légère, imprudente et ne saurait être trop sévèrement blâmée. L’enseignement du passé ne doit pas être perdu, et les leçons de la saine philosophie veulent être écoutées. Comme nous l’écrivions récemment au sujet de cette même question, « il faut se garder, en face des mystères de la nature, d’invoquer prématurément les causes extra-sensibles, il faut craindre d’en abuser à plaisir. Les explications actuellement fournies par les savants pour rendre raison de la double vue (ou télépathie) ne sont pas acceptables, mais il ne résulte pas de cette constatation imposée par l’évidence la conclusion fort grave que la double vue est d’origine surnaturelle. Nous le disons ailleurs à propos d’une autre énigme de la science, avec un tel raisonnement, le champ du surnaturel serait en proportion inverse de celui de nos connaissances : immense à l’origine, il reculerait peu à peu devant les lumières de la science. Or, le surnaturel n’est pas en opposition avec la raison, et le miracle ne saurait naître de notre ignorance. Le mécanisme de la double vue n’a pu être encore révélé : mais, de ce qu’il nous échappe actuellement, il ne s’ensuit nullement qu’il nous échappera toujours. La porte reste ouverte aux hypothèses nouvelles, aux progrès de la science, et, qui sait ? à l’explication cherchée (9). »
Ce monde terrestre est plein de mystères ; et il n’y a pas de raison qui nous oblige à voir dans certains la main du diable, l’intervention extraordinaire des esprits supérieurs, quand d’autres, non moins incompréhensibles, ne la manifestent pas et nous paraissent absolument naturels. Tel est par exemple le merveilleux sens d’orientation des oiseaux voyageurs que nous avons étudié naguère (10) et à l’occasion duquel on a gravement invoqué la télépathie.
La faculté d’orientation des oiseaux est complètement inexpliquée, nous ne disons pas inexplicable. Elle ne doit pas son origine à [p. 24] l’éducation, comme les savants l’ont cru d’abord ; et on a dû, faute de mieux, en attribuer la cause à l’instinct. La vue est manifestement incapable d’en rendre compte, bien qu’elle ait un rôle important dans son développement. Les oiseaux voyagent la nuit, même par un temps couvert, traversent la mer immense, etc. : et la seule vue ne suffirait pas à les guider sûrement dans leurs longues pérégrinations. C’est pourquoi des auteurs, las de chercher une explication raisonnable, ont cru ingénieux de faire appel à la télépathie. Pourquoi, ont-ils pensé, ne pas accorder aux oiseaux mêmes cette faculté extraordinaire qu’on rencontre chez l’homme et qui consiste à voir à distance à travers l’espace ?
Il est difficile de prendre au sérieux une pareille boutade. Comment des esprits réfléchis, scientifiques ont-ils pu songer à expliquer le sens d’orientation par la télépathie, ou inversement à rendre compte de cette dernière par la faculté des oiseaux voyageurs ? La vraie nature de l’une et de l’autre nous échappe totalement. Un mystère ne saurait en éclaircir un autre ; et la science doit se résigner plus d’une fois à se taire et à avouer son ignorance.
La cause de la télépathie n’est pas élucidée. Le principe qui gouverne les migrations des oiseaux n’est pas mieux connu ; et pourtant nul ne songe à les attribuer à une influence surnaturelle, à une action diabolique. Pourquoi ne pas observer la même réserve au sujet de la télépathie ? Pourquoi ne pas se rendre à cette opinion motivée que la double vue dépend d’un principe naturel que nous ne connaissons pas encore, mais que l’avenir nous révélera ? C’est la position qu’indique la science et que la raison nous défend d’abandonner.
La télépathie sera expliquée un jour, tout comme le sens d’orientation; mais dès maintenant, on peut dire que ces deux facultés étonnantes ne sont pas venues toutes seules et qu’elles ont été données par l’Artiste suprême qui a créé les insectes et les mondes, le ciel et la terre, l’homme et l’ange.
Voilà la part du surnaturel, celle qui est définitivement acquise, inaliénable et intangible, celle qui ne sera jamais contestée. La nature garde ses mystères, au moins pour quelque temps ; mais nous avons l’honneur et le bonheur d’en connaître le principe et la fin, et nous nous inclinons, ravis et confondus, devant les œuvres merveilleuses de Dieu.
Dr SURBLED,
NOTES
(1) Phantasm of lite living, traduit en français par M. MARILLIER sous le titre menteur d’Hallucinations télépathiques.
(2) Dr LIÉBAULT. Thérapeutique suggestive, 1891, p. 279-281.
(3) Dr SURBLED. Pour ou contre l’hypnotisme, Sc. cath., 15 mars 1898.
(4) Cf. SURBLED. Spiritualisme et Spiritisme, 1898.
(5) Séances de janvier 1896.
(6) GAYRAUD. Suggestion mentale et télépathique, ext. de la Quinzaine, 1896, p. 20-28.
(7) Cf. SURBLED. Spiritualisme et Spiritisme.
(8) Magnétisme vital, 1897, p. 132-133.
(9) La Vie psycho-sensible, 1898, p. 196.
(10) Science catholique, 15 mai 1896.
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