Le fou du château de D… Etude psychologique et médico-légale. Par le Docteur Lisle. 1862.

LISLELEFOU0001Lisle Pierre-Egiste (    –    ). Le fou du château de D… Etude psychologique et médico-légale. Extrait de « L’Union médicale », (Paris), nouvelle série, octobre-novembre 1862. Et tiré-à-part: Paris, Typographie Félix Malteste, s. d. [1862]. 1 vol. in-8° (16/24), 22 p., 1 fnch. C’est de ce dernier document que nous proposons le texte ci-dessous.
L’auteur est plus connu pour les publications suivantes :  Du suicide : statistique, médecine, histoire et législation. Paris, .J.-B. Baillière et M. Lévy, 1856. – Ses lettres sur la folie : .- Lettres sur la folie.  Paris, J.-B. Baillière, 1856. – Lettres sur la folie.  Paris, J.-B. Baillière, 1861. – Clinique des maladies mentales, 1re partie : du traitement de la congestion cérébrale et de la folie avec congestion et hallucinations, par l’acide arsénieux. Saint-Rémy de Provence : l’auteur, 1870.

Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.

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LE FOU DU CHATEAU DE D …
Etude psychologique et médico-légale.

PAR LE DOCTEUR LISLE,

Médecin en chef de l’Asile des Aliénés de Marseille,
Ancien Directeur de la Maison de santé du Gros-Caillou,
Membre de la Société médico-psychologique,
de la Société de statistique, etc,

Mon cher ami,

Que devenez-vous à Paris, par ce temps de villégiature et de vagabondage universel ? Tout le monde part ou est parti, répétait-on, ces jours-ci, autour de moi ; ce que voyant, j’ai fait comme tout le monde, et, depuis huit jours, je vis en pleine légende. Je m’étais laissé entraîner, sous prétexte de chasse, jusqu’au milieu de la Picardie, dans ce riche et plantureux pays des pommes et de la betterave, qui parait être aussi un vrai pays de Cocagne pour les chasseurs qui m’entourent. C’est une fusillade qui n’en finit pas, et vous devinez déjà l’air triomphant des uns, la mine piteuse des autres, lorsqu’au retour chacun est invité, par notre charmante hôtesse, à raconter ses exploits. Je sais bien que, toujours bonne et gracieuse, elle sait réserver pour les malheureux ses encouragements les plus sympathiques, mais ce n’est pas sans y mêler parfois une petite pointe d’ironie. Et puis, toutes nos dames et demoiselles sont loin d’être aussi charitables. Elles ne sont pas tenues, d’ailleurs, des mêmes ménagements, et j’ai vu maintes fois, dans leurs yeux et dans leurs sourires, tant de pétillante malice, que je n’ai pas osé m’y exposer.
J’ai donc renoncé à la chasse, et sans aucun regret. Je vous le dirai même entre nous, je n’ai jamais compris que médiocrement cet étrange plaisir. Se lancer à travers champs, par la boue et sous la pluie, faire dix lieues en quelques heures, à la suite d’un chien qui vous conduit où bon lui semble, oublier, au milieu de cette course effrénée, femme, enfants, maîtresse, tout ce qu’on aime, et cela pour égorger de sang-froid et sans l’excuse de la faim, une foule d’innocentes petites bêtes, la plupart plus utiles que nuisibles ! Et nous nous vantons d’être le peuple le plus civilisé et le plus policé de la terre ! J’ai donc renoncé à la chasse. Mais que faire, en cette saison, à la campagne, lorsqu’on se prive de ce noble passe-temps, et qu’on veut cependant se donner quelques jours de vacances complètes ? Manger et boire, bancqueter [p. 4] à l’instar de Panurge, et consulter pantagruéliquement les oracles de la dive bouteille ? Cela vaut bien son prix, mais ne peut prendre, telle bonne volonté qu’on y mette, que quelques heures chaque jour. Causer et rire ? Cela serait mieux, mais ne saurait suffire, et encore faudrait- il que rieurs et causeurs ne soient pas à courir les champs. Paresser, s’abandonner, sans souci du lendemain, à ce tant dolce farniente que nous cherchons toujours, que nous trouvons bien rarement, et dont nous savons si peu jouir ? Cela était le meilleur, et je ne m’en suis pas fait faute. Mais cette paresse, si bonne au corps et à l’âme lorsque me suit une journée bien remplie, n’est pas exclusive du mouvement. Elle s’accommode fort bien, chez moi du moins, de la vie au grand air, des longues excursions en plein soleil ; elle ne souffre nullement de cette bonne flânerie, à la poursuite de l’inconnu, dont je n’ai pas besoin de vous vanter les délices.
J’ai donc flâné tout à mon aise, allant devant moi sans but arrêté d’aucune sorte, et attendant du hasard le butin de ma journée. Et le hasard, en bon prince qu’il est, a fait grandement les choses. Il m’a mis sur la trace d’une histoire bizarre, invraisemblable, je dirai presque, impossible ; il m’a initié aux étranges mystères d’une longue vie passée dans la solitude et le silence, vraie légende de la folie et de ses plus étonnantes aberrations, que je veux vous raconter pour votre édification et celle de vos lecteurs. Vous y trouverez, j’espère, une nouvelle confirmation des doctrines que j’ai exposées bien souvent dans votre estimable journal.
Quelques mots, avant tout, sur le héros de cette histoire. Je vous introduirai ensuite dans le milieu où il a vécu, et où se sont déroulés pendant plus de soixante ans les mille accidents de cette vie étrange. Il est âgé de 85 ans, et il est fou depuis l’âge de 17. Il est fou et n’a jamais cessé de l’être depuis la catastrophe qui l’a frappé à cette époque ; j’en ai en main les preuves les plus incontestables. Et cependant il a toujours été libre de ses actions. Dernier rejeton d’une noble et ancienne famille, sans autres héritiers que des parents éloignés, il a vécu seul, absolument abandonné à lui-même, et n’a jamais été troublé, pendant cette longue vie, ni dans l’administration, ni dans la libre disposition de son immense fortune. Il a pu, dès lors, diriger sa vie selon les inspirations les plus déréglées de son imagination ; il a pu obéir, sans contrôle, à tous les caprices de son esprit, à toutes les idées extravagantes, à toutes les impulsions maladives qui venaient l’obséder. Je vous laisse à penser ce que tout cela a pu produire pendant de si longues années et avec de semblables moyens d’action.
J’essayerai tout à l’heure de vous en donner une idée. Mais souffrez que je vous rappelle auparavant que ce malheureux est âgé de 85 ans et n’est pas près de mourir. Il est cependant, depuis plus de soixante ans, affecté d’une maladie cruelle, qui, selon quelques-uns, ne diffère en rien des autres maladies ; selon d’autres, s’accompagne constamment d’une altération matérielle, visible et tangible de l’organe le plus essentiel à la vie, une maladie comme toutes les autres, une altération de la substance du cerveau qui dure plus de soixante ans sans atteindre les sources mêmes de la vie ! Pauvre science humaine ! que deviennent tes théories les plus ambitieuses en présence du grand livre de la nature ! Que sont tes découvertes les plus vantées devant les secrets de Dieu !
Le marquis de D… est né en 1775. Comment s’écoulèrent les années de son enfance ? Nul n’a pu me le dire. Tout ce que j’ai pu savoir, c’est que son père et sa mère, qui n’avaient pas voulu émigrer après 1789, furent arrêtés comme suspects pendant la Terreur, et livrés à l’échafaud par le tribunal révolutionnaire. Le jeune marquis et son frère aîné échappèrent à la fureur [p.5] des forcenés qui avaient envahi leur hôtel, grâce à la présence d’esprit et au dévouement du concierge et de sa femme, qui les firent passer pour leurs enfants. Ceux-ci parvinrent ensuite à les mettre en lieu de sûreté et les cachèrent aussi longtemps que dura le danger qui avait emporté leurs parents.
Mais les scènes de violence et de dévastation dont il avait été témoin, les dangers qu’il avait courus, les angoisses continuelles dans lesquelles il passa les mois qui suivirent, et pardessus tout la fin terrible de ses parents qu’on ne put pas lui cacher longtemps, laissèrent dans l’esprit de ce jeune homme des impressions qui ne se sont jamais effacées, Aussi loin qu’il m’a été possible de remonter dans sa vie, j’ai retrouvé les signes irrécusables d’une timidité maladive, portée souvent jusqu’à une véritable terreur. Il était d’une sauvagerie et d’une misanthropie dont rien ne saurait donner une idée. Il avait peur de tout et de tous ; il voyait partout des dangers et des ennemis ; tous les gens qu’il rencontrait étaient autant d’émissaires de la Convention chargés de l’arrêter pour le livrer à l’échafaud. Il ne se rassurait un peu que lorsqu’il était seul barricadé dans sa maison. Et par une contradiction étrange, dès qu’il put reprendre possession d’une partie de son bien, il voulut se loger dans l’hôtel qu’occupaient ses parents au moment de leur arrestation. Il s’étudia, on le croirait, à développer en lui les sentiments de haine pour ses semblables, de crainte pour ses jours, que ces lieux devaient retracer à chaque instant à sa pensée. Il veilla avec un soin religieux à ce que tout dans cet appartement, fût laissé dans l’ordre où il l’avait retrouvé. D’après ses ordres exprès, pas un meuble ne fut changé de place ; on respecta jusqu’à la poussière qui les couvrait, jusqu’aux souillures du jour néfaste qui l’avait fait orphelin. Il ne réserva pour lui que la petite chambre où il couchait autrefois, et il s’enferma là, comme dans une tombe, ne voyant et ne recevant personne, toujours seul, livré à ses pensées, entouré seulement de quelques domestiques, parmi lesquels un seul, celui à qui il devait la vie et qu’il avait attaché à sa personne, était autorisé à pénétrer auprès de lui.
Si rarement, bien rarement, il se laissait entraîner par son frère ou quelques-uns des amis qu’il avait retrouvés dans un des salons qui commençaient alors à se rouvrir, il se plaçait dans un coin, se cachant autant que possible derrière les autres invités, et restait là des heures entières, sans voir ce qui se passai autour de lui, sans adresser la parole à personne, et souvent sans répondre aux interpellations les plus directes. Il avait alors 20 ans à peine ; son éducation avait beaucoup souffert des agitations de l’époque. On rejetait donc ses manières étranges sur sa timidité naturelle, sur son âge, sur ses malheurs. On excusait même, jusqu’à’ un certain point, son aversion pour les femmes dont la société lui était plus particulièrement odieuse. On savait, en effet, qu’il leur attribuait la ruine de sa famille, et ce n’était pas tout à fait sans raison. Son père avait laissé des dettes énormes, auxquelles celles-ci avaient contribué pour une large part, et dont la liquidation emporta les deux tiers de la fortune de sa maison. Et puis il était à peu près constant que le vieux duc de D… avait été arrêté d’après les indications et sur la demande d’une de ses anciennes maîtresses. Toutes ces circonstances devaient donner le change aux rares amis qui s’intéressaient encore à lui, et nul ne soupçonna sans doute l’existence de la maladie morale qui l’avait envahi lentement, et pouvait seule, déjà à cette époque, expliquer le genre de vie qu’il avait adopté. Aussi, lorsqu’un beau jour, las sans doute de cette vie qu’il ne trouvait pas encore assez solitaire, il quitta Paris sans consulter et sans dire adieu à personne, on n’y prit pas trop garde ; et, comme il arrive toujours, on ne tarda pas à l’oublier. [p.6]
Le malheureux était cependant parti pour toujours, on peut dire ; car il n’est revenu à Paris que plus de cinquante ans après et dans les circonstances que je vous dirai tout à l’heure. Avant de quitter sa maison, il en avait confié la garde à la femme qui avait aidé à le sauver, et lui avait donné la mission expresse de tout maintenir, pendant son absence, dans l’ordre où il le laissait. Puis, ces arrangements pris, il vint s’ensevelir dans le château de D… qui lui était échu en partage lors de la liquidation de la succession de son père. C’est dans ce château que s’est écoulée la plus grande partie de sa vie. C’est là que j’ai pu retrouver, quoiqu’il l’ait quitté depuis plus de sept ans, les traces encore vivantes et les preuves les plus palpables de sa folie, dont les symptômes sont écrits en caractères irrécusables jusque dans les recoins les plus obscurs du vieux manoir.
Il eût été difficile, d’ailleurs, de trouver une habitation mieux appropriée au caractère du malade et à la nature de sa folie. Elle est située au centre d’un vaste plateau fertile et bien cultivé, mais à peu près désert et d’une monotonie désolante. Il est éloigné de plusieurs lieues de tout grand centre de population ; il n’a ni cours d’eau, ni chemins de fer : les villages en sont tristes et misérables. Celui qu’il faut traverser avant d’arriver au château est composé d’une cinquantaine de maisons, la plupart en bois et en torchis, et couvertes de chaume. Je vous laisse à penser ce que tout cela devait être il y a soixante ans. Lorsqu’on entre dans la cour d’honneur, ce qui frappe d’abord, c’est son aspect général de désolation et d’abandon, rendu plus saisissant par la grandeur et la sévérité des lignes, et la masse imposante des constructions. On a peine à démêler les pavés au milieu de l’herbe qui les recouvre. La cour elle-même et la grande allée qui la suit sont transformées en prairie. Les grandes grilles qui la ferment, magnifique ouvrage de la fin du XVIIe siècle, sont rongées par la rouille. Pas un rideau aux fenêtres, mais des carreaux salis par le temps et devenus presque opaques, remplacés par places par du bois ou du papier. On sent déjà que le malheur a passé par là.
Mais cette impression est bien autrement puissante, si on pénètre dans cette grande maison muette et silencieuse comme un tombeau. On a froid au cœur à l’aspect de ces immenses corridors déserts, humides, glacés, recouverts de larges plaques verdâtres, de ces grandes pièces presque nues, dont les boiseries et les tentures se détachent par lambeaux, dont les meubles, qui restent en bien petit nombre, sont rongés jusqu’à la corde beaucoup plutôt par les ordures qui les souillent que par le temps et l’humidité. Et l’on peut voir encore que tout cela a dû être splendide ; on reconnaît çà et là, au milieu de ces débris informes, de magnifiques étoffes de soie et de velours, de riches tapisseries, d’admirables cuirs de Cordoue, des boiseries sculptées avec une rare perfection.
Puis si vous examinez avec attention ce fouillis d’objets de toute espèce qui jonchent le sol, qui encombrent les meubles, ou sont jetés pêle-mêle dans tous les coins, vous êtes frappé de stupeur, tant le mélange que vous avez sous les yeux vous semble absurde, incohérent, impossible. Tout ce qui est entré dans le château, pendant plus de cinquante ans, soit pour la nourriture de son seigneur et maître, soit pour la satisfaction de ses besoins et de ses plus singuliers caprices, tout a été conservé avec soin, et distribué dans les innombrables pièces qui le composent. On en trouve partout. Ici un immense amas de coquilles d’huitres à côté d’instruments de jardinage de toute sorte, vierges encore de tout travail ; là une collection d’arcs et de flèches de toutes les grandeurs, des fers de lance, un énorme tas de noyaux de pèche, puis des débris de homards et de langoustes remplissant une grande armoire. Un peu [p. 7] plus loin, des coquilles de moules rangées avec symétrie dans des cloyères ou jetées dans un coin, une grande caisse remplie de petits détritus que forment les bougies en brûlant. Plus loin encore, une grande étagère recouverte de noyaux de cerises encore adhérents à leurs pédicules ; au-dessous, un sac contenant plus d’un hectolitre de débris de coquilles de noix, de noisettes et d’amandes ; un casier de l’étagère a été réservé pour les coques d’amandes vertes, et on a séparé avec soin celles qui étaient entières ou partagées par moitié, de celles qui n’avaient pu être détachées que par morceaux plus petits. Dans une grande pièce, j’ai trouvés réunis une énorme chaudière à vapeur, des caisses remplies de chaux, dont je vous dirai plus bas l’origine, des mortiers en fer de diverses grandeurs montés sur des pieds en chêne, avec leurs pilons, des matras jetés au hasard sur des fauteuils recouverts en tapisserie, et une grande manne pleine d’arêtes et de vertèbres de poisson. Une autre, l’une des plus belles du château, dans laquelle on voit encore un de ces immenses lits à colonnes du temps passé, entouré de magnifiques rideaux d’étoffe moitié or et moitié soie, déchiquetés et tombant en lambeaux, était encombrée, il y a encore quelques mois, de caisses et de paniers d’emballage pleins de détritus de même nature, et d’un nombre considérable de petites boites en bois de même grandeur, clouées et ficelées avec soin, et contenant chacune deux briques réunies l’une à l’autre par du plâtre ou du mortier.
Enfin, et c’est par là que je termine cette énumération encore bien incomplète, une grande salle, située au rez-de-chaussée, non loin d’une pièce qui a longtemps servi de chambre à coucher au marquis, contenait une remarquable collection de vases en faïence de toutes les formes et de toutes les grandeurs, rangés avec ordre et méthode, et servant à conserver tous les produits de la miction et de la défécation du possesseur du château, depuis peut-être cinquante ans. J’en ai vu encore quelques-uns qui ont été conservés comme échantillons. Car on se hasarde, depuis quelques mois, à enlever peu à peu, malgré les ordres les plus formels du maître, toutes ces ordures accumulées depuis plus d’un demi-siècle. Celui-ci est si vieux, et puis il y a sept ans déjà qu’il est retourné à Paris, et on espère sans doute qu’il ne reviendra jamais voir dans quel état se trouvent ses précieuses collections. Vous aurez sans doute grand’peine à me croire, mon cher ami, mais tout le monde m’a affirmé, à D… , qu’on en avait déjà enlevé dix énormes tombereaux, et il y parait à peine.
Il y a des fous collectionneurs ; il y en a même un assez grand nombre, à tel point que Guislain, de regrettable mémoire, a cru pouvoir en faire une catégorie distincte, dans sa nomenclature des divers genres de folie. Mais j’ai peine à croire que jamais aliéniste en ait rencontré un second aussi extraordinaire, aussi follement excentrique, et surtout aussi persévérant. Cet état est considéré généralement comme indiquant un commencement d’affaiblissement de l’intelligence. Mais ce n’est pas le cas chez M. le marquis de D…. Il me parait très probable, je dirai même certain, que ses facultés intellectuelles n’ont jamais été très développées. C’est évidemment sous ce rapport un homme très ordinaire. Rien ne prouve, toutefois, qu’il ait jamais été autrement. Il est fou, il a des idées fausses à peu près sur toutes choses ; sous l’obsession incessante du malheur qui l’avait frappé, il a compris la vie et les destinées humaines tout à fait au rebours des autres hommes, et il a agi en conséquence de ses convictions maladives. Mais il est impossible de voir là de la démence ; la durée même de cet état, pendant tant d’années, exclut absolument cette idée. La démence est toujours, ainsi que je l’ai démontré ailleurs, le résultat d’une altération matérielle du cerveau ou de ses enveloppes, [p. 8] et je ne sache pas qu’on ait vu jamais une maladie de celle nature rester stationnaire pendant plus de soixante ans.
Quel a donc été le point de départ de toutes ces étranges aberrations ? Sous l’empire de quelles idées fausses, de quels sentiments pervertis se sont accomplis tous ces actes calculés avec tant de suite, exécutés avec tant de persévérance, et cependant si dépourvus de toute raison ? Ici je reconnais tout mon embarras et je ne sais vraiment que penser ; j’aime par nature à pénétrer au fond des choses, à remonter des effets observables aux causes intimes et cachées des phénomènes. J’ai donc essayé de me procurer autant qu’il était possible, dans une question aussi délicate, les éléments de la solution que je cherchais. J’ai causé longuement avec des gens qui ont été longtemps attachés au service du vieux marquis ; j’ai écouté avec patience leurs longues histoires. J’ai trouvé chez quelques-uns des lettres, des feuilles volantes, vraiment précieuses, écrites par leur ancien maitre, et, après cette longue et minutieuse enquête, je suis forcé d’en convenir, j’en suis encore réduit aux conjectures. Cependant j’ai recueilli des faits en grand nombre, et je suppose que ce qui me reste de mieux à faire, c’est de vous les raconter. A vous et à vos lecteurs de tirer les conséquences.
En arrivant à D…, le jeune marquis s’installa dans quelques pièces du rez-de-chaussée, ferma toutes les autres avec soin, et défendit à ses domestiques d’y pénétrer sous aucun prétexte.
En même temps, il réduisit sa maison à un petit nombre de serviteurs auxquels il imposa un silence absolu au moins dans le voisinage de son habitation, les laissant d’ailleurs à peu près libres de ne rien faire et d’agir à leur guise. Il exigea, toutefois, une ponctualité extrême et une obéissance passive dans tout ce qu’il lui plaisait d’ordonner pour son service  personnel. Son valet de chambre fut seul admis à pénétrer auprès de sa personne, et, comme à Paris, il eut ordre de ne jamais rien changer, même par mesure de propreté, à la disposition qu’il lui plaisait de donner aux meubles ou objets quelconques à son usage. Cette recommandation si impérieuse, et en même temps si absurde, n’a jamais varié un instant durant cette longue vie, et, aujourd’hui encore, tout le monde est obligé de s’y conformer, quelque malpropreté qu’il en résulte, sous peine d’encourir toute la colère du maître et d’être renvoyé immédiatement.
Ainsi installé selon ses goûts, ou plutôt selon les impulsions de son délire, M. de D… put se livrer tout à son aise à son amour si extrême pour la solitude. Il ne sortait de ses appartements que quelquefois, et la nuit seulement, tant il craignait de voir quelqu’un ou d’être vu, et se contentait de faire quelques courtes promenades dans son parc. Mais le reste de son temps, comment le passait-il ? Nul ne le sait que lui ; ses précautions étaient bien prises, comme vous venez de le voir, pour n’avoir jamais de témoins. Il parait certain, toutefois, qu’il lisait beaucoup. Son père lui avait laissé une bibliothèque considérable, et il l’a beaucoup augmentée lui-même. Il semble qu’il affectionnait surtout l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. J’en ai vu des volumes disséminés dans les différentes chambres qu’il a successivement habitées, et le reste est encore dans son grand salon. Cependant, j’ai des motifs sérieux de croire qu’il ne comprenait pas grand’chose à ses lectures. Il écrivait beaucoup, mais c’était presque toujours pour copier sur des chiffons de papier, de toute forme et de toute grandeur, les idées ou les phrases qui sans doute l’avaient frappé. J’ai vu un grand nombre de ces petits papiers et je n’y ai rien trouvé que de très vulgaire, soit pour le fond, soit dans la forme. Quelques-unes de ces phrases sont reproduites plusieurs fois, soit sur la même page, [p. 9] soit sur des pages différentes. Il y en a une, et certes elle n’a rien de saillant, que j’ai ainsi retrouvée plus de cinquante fois.
Mais s’il comprenait peu les livres qu’il lisait, il n’en est pas moins certain que ceux-ci faisaient parfois sur lui une impression profonde et durable. Il y prenait, à tort et à travers, des idées qui, ne trouvant pas de contre-poids dans les contradictions du dehors, étaient assimilées tant bien que mal par cette intelligence sans cesse ballottée entre la raison et la folie, et devenaient peu à peu des convictions dont les déterminations les plus graves étaient la conséquence. Un exemple entre mille. Il y a bien des années, plus de trente ans peut-être, il renonça tout à coup à se raser ; cependant, au bout de quelques jours, sa barbe le gêna, et, pour s’en débarrasser, il s’imagina de la couper avec des ciseaux ; cela était peu commode ; mais M. le maquis était tenace : il fit faire exprès de petits ciseaux d’une forme particulière, et, depuis, il ne s’est pas servi d’autre chose. Après s’être ainsi réformé lui-même, il voulut faire des prosélytes. Il avait pris en affection un paysan, son voisin, qui lui faisait quelquefois la lecture, et de qui je tiens ce détail. Il l’engagea vivement à suivre son exemple, et, pour le décider, il lui dit avoir lu dans un excellent livre que l’action des rasoirs sur la peau était très pernicieuse et pouvait être portée jusqu’au point de faire tomber les dents.
Ceci me donne, ce semble, le droit de supposer que quelques-unes de ses déterminations les plus étranges, celles peut-être qui ont eu le plus d’influence sur sa vie tout entière, n’ont eu d’autre point de départ que des lectures mal comprises, mal digérées ou mal interprétées. Il a eu, pendant de longues années, un singe qui vivait dans sa chambre et ne le quittait, ni jour ni nuit, et qu’il paraissait aimer beaucoup. Il pleura longtemps, m’a-t-on dit, quand il mourut, et l’enterra lui-même dans un coin de son parc. Qu’était ce singe pour notre pauvre
Fou ? Était-ce un simple moyen de distraction, un compagnon de jeux dans les jours de gaieté, un souffre-douleur dans les moments d’excitation et de colère ? Peut-être tout cela. Mais si j’en juge par le contenu d’un de ces petits papiers dont je vous parlais tout à l’heure, ce devait être quelque chose de plus important. Ce papier était le double d’une commande signée du marquis, avec cette mention faite en double (sans date), envoyée à un marchand au Havre, et contenant une longue énumération d’objets de toute nature, des arcs, des coquillages, des noix de coco, des oiseaux empaillés, etc. Elle se terminait ainsi :
« 15° Chercher un singe d’une espèce particulière, dont je ne sais pas le nom, décrite dans les livres d’histoire naturelle, comme ayant la tête dégarnie de poils à son sommet, de manière à imiter la tonsure d’un prêtre. Si on le trouve, l’envoyer avec le reste ; car cette tonsure indique que ces singes ont de la religion plus que les autres. »
Que pouvait faire M. de D… d’un singe qui était tonsuré et avait de la religion ? Lui faisait-il dire la messe dans quelque recoin de son château ? Mais voici qui est plus sérieux, et qui vaut la peine que je m’y arrête quelques instants. Il y a bien longtemps, on croit que cela remonte aux premières années de son installation à D…., il s’avisa un jour de bannir de son régime alimentaire, les œufs et la viande de quelle nature qu’elle fût, volaille, gibier, bœuf, mouton, etc. Depuis ce temps il a vécu exclusivement de poisson, de coquillages, de légumes et de fruits, et n’a jamais fait la plus petite infraction à la règle qu’il s’était imposée. Un peu plus tard il trouva qu’il était mauvais et dangereux de s’asseoir pour manger, et qu’il valait mieux prendre ses repas debout et en marchant, et aujourd’hui encore, tout vieux qu’il est, il ne fait jamais autrement.
M. le marquis de D… s’est-il ainsi condamné à un carême perpétuel, pour obéir à une [p. 10] exagération maladive du sentiment religieux. Cela est peu croyable. Il ne parait pas qu’il y ait jamais eu chez lui aucune exagération dans ce sens. Il n’a pas mis les pieds dans une église depuis son retour à Paris, et a refusé obstinément sa porte au curé de sa paroisse et à différents ecclésiastiques qui ont essayé de pénétrer jusqu’à lui. A D… il recevait quelquefois son curé et ceux des villages voisins ; mais presque toujours, il les laissait diner seuls, ou se cachait pour leur parler derrière un paravent ou derrière les rideaux de son lit. C’est d’ailleurs ainsi qu’il en usait à peu près constamment et avec tout le monde. Il se contentait enfin d’assister à la messe le dimanche, et, dans ce but, il avait fait disposer dans l’église une tribune où personne ne pouvait le voir, et dans laquelle il entrait par une porte secrète communiquant avec le château.
Il faut donc chercher ailleurs les motifs qui l’ont déterminé à adopter ce singulier régime. J’ai eu pendant longtemps dans mon établissement un ancien professeur qui se piquait d’être un profond philosophe. Il avait tout lu, disait-il souvent, tout médité, tout approfondi ; la métaphysique n’avait plus de mystères pour lui. Cependant il lisait encore beaucoup comme le marquis de D…, et, comme lui, il était vivement impressionné par ses lectures ; souvent même il était tenté d’arranger sa vie en conséquence de ses impressions. Fort heureusement il était beaucoup moins persévérant, et l’idée ou les préoccupations d’aujourd’hui faisaient place facilement le lendemain à une préoccupation nouvelle. Un jour vint cependant où les choses ne se passèrent pas tout à fait ainsi. Je lui avais donné à lire une histoire des doctrines religieuses des Brahmanes. Leurs idées sur la transmigration des âmes le frappèrent vivement. Il les adopta avec enthousiasme, et il en conclut, avec les Brahmanes, qu’on ne pouvait manger de la chair sans commettre un abominable crime.
Il résolut, dès lors, de supprimer dans son régime alimentaire les œufs, la viande et même le lait et le beurre. Plus logique que les Brahmanes, il retrancha tout ce qui était en laine dans ses vêlements, et ne voulut pas d’autres chaussures que des sabots. Mais, par une singulière contradiction, il excepta le poisson de la proscription commune. Pendant plusieurs mois, il résista opiniâtrement à toutes mes observations ; il se serait plutôt laissé mourir de faim que d’enfreindre en rien les préceptes de sa religion nouvelle. Nous étions alors en été, et cela présentait peu d’inconvénients. Mais lorsque vint l’hiver, le froid aidant, il en arriva peu à peu à comprendre toute l’absurdité de ses idées et finit par y renoncer.
Il me parait fort probable qu’il arriva au marquis de D… quelque chose d’analogue. Il lui tomba sous la main, dans l’Encyclopédie ou ailleurs, une exposition des idées et des systèmes religieux de l’Inde, ou peut-être encore de la Philosophie de Pythagore. La résolution qu’il prit vers la même époque de prendre ses repas debout ou en marchant viendrait à l’appui de cette dernière idée. Ce régime une fois accepté, il y a persisté par habitude, et plus encore, cela me parait incontestable, parce qu’il ne s’est trouvé personne auprès de lui qui est intérêt à le lui faire abandonner ; car il est bien loin d’apporter en tout la même persévérance et la même ténacité. Il en est de lui comme de la plupart des fous, de ceux surtout dont la maladie est déjà ancienne. Leurs idées, leurs sentiments, leurs désirs changent et se modifient avec une extrême facilité, pour peu qu’ils soient, dès l’origine, contrariés ou combattus par des impressions nouvelles, soit spontanées, soit provoquées. Mais si ceux-ci ne trouvent rien qui leur fasse obstacle ni dans l’esprit du malade, ni chez les personnes qui l’entourent, on les voit dégénérer peu à peu en habitude et s’incarner, si j’ose ainsi dire, avec lui, au point de produire ces miracles de persévérance et de résolution dont le marquis de D… nous offre un si [p. 11] curieux exemple. De là ce singulier contraste d’une énergique volonté portée quelquefois jusqu’au fanatisme, alliée à une mobilité et à une versatilité dont on ne retrouve les analogues que chez les enfants.
Ce contraste existe au plus haut degré chez M. de D…. et constitue, à mon sens, le caractère essentiel de sa folie. Je vous ai donné des preuves de son entêtement à poursuivre une idée jusque dans ses conséquences les plus absurdes ; en voici un maintenant de sa versatilité. Il eut un jour la fantaisie de faire de l’astronomie ; mais il n’avait pas d’observatoire dans son château. Il fallut aussitôt en construire un ; et comme il ne voulait pas introduire des étrangers chez lui, il décida que cette construction serait faite au milieu d’un champ situé à cinq ou six cents mètres en dehors du village. Il avait d’ailleurs une certaine prédilection pour ce champ qu’il avait déjà fait entourer d’une haie vive une année auparavant, et dans lequel il avait fait planter une vigne. Une vigne au milieu de la Picardie, dans un pays plus ou moins ouvert à tous les vents ! On se mit donc à l’œuvre, et on bâtit une magnifique tour en briques qui rappelle assez bien la colonne Vendôme comme forme et comme élévation, et dont la dépense s’éleva à plus de 30,000 fr. Dans les premiers jours, M. le marquis ne paraissait pas penser à autre chose ; il pressait vivement son intendant d’activer les travaux. Puis ce grand enthousiasme se calma peu à peu ; la tour n’était pas finie qu’il avait oublié le motif pour lequel il l’avait fait construire, et il n’y est même jamais entré. Ceci s’est passé il y a environ trente ans ; et depuis, par un juste retour des choses d’ici-bas, on ne l’appelle plus dans le pays que la tour de la folie !
Sous l’impression des idées toujours nouvelles qu’il puisait dans ses lectures, M. le marquis achetait au hasard une foule d’objets qui témoignaient des intentions les plus édifiantes, mais malheureusement aussi les plus excentriques. C’est ainsi que j’ai trouvé pêle-mêle, avec ses autres collections, une masse considérable d’instruments de jardinage, des alambics, des matras, des cornues, une énorme chaudière à vapeur, des creusets, des mesures de capacité, des balances de toutes les grandeurs, de nombreux échantillons de produits chimiques, un petit pressoir, etc., etc. Et tous ces objets sont neufs, quelques-uns encore à moitié emballés.
On voit clairement qu’on n’a pas même essayé de s’en servir. Il en est cependant qui paraissent avoir été moins délaissés. On peut voir réunis, dans une même pièce, deux rouets et un dévidoir, avec tous leurs accessoires, deux métiers d’une destination douteuse, et dans une armoire quelques grands écheveaux d’un fil brun et très grossier. A quoi tout cela avait-il pu servir ? On m’apprit que, dans un jour de ferveur industrielle, M. de D… avait fait semer des orties dans une de ses plates-bandes ; celles-ci venues à point, il leur fit subir, tant bien que mal, les opérations nécessaires pour les transformer en filasse, et en fit lui-même le fil dont j’avais des échantillons sous les yeux. Puis enfin avec ce fil il parvint, après une foule de tâtonnements, à faire une paire de bas. Ce jour-là fut certainement un des plus beaux jours de sa vie. Il s’attacha à cette paire de bas, qui était son œuvre, au point de ne plus vouloir en porter d’autres. Il ne les quitta plus ni le jour ni la nuit, jusqu’à ce qu’ils tombèrent en lambeaux, et finit, au bout de quelques mois, par les cacher si bien qu’on n’a jamais su ce qu’ils étaient devenus.
C’est à des essais de cette nature et de cette portée que venait forcément aboutir, dans cette pauvre tête, l’immense mouvement industriel qui fait la gloire de notre époque et dont le bruit pénétrait de temps à autre jusqu’à lui. Abandonné à ses seules inspirations, M. de D… était incapable d’en comprendre les merveilles ; la folie entrait toujours pour une bonne part [p. 12] dans ses meilleures déterminations et rapetissait tout à son niveau ou lui imprimait le cachet de sa radicale impuissance. Un autre jour, il eut l’idée triomphante d’utiliser les coquilles d’huîtres qui s’accumulaient depuis de longues années dans l’une des salles de son château. Et, dans ce but, il en fit de la chaux qu’il enferma ensuite, comme un objet précieux, dans les caisses dont j’ai parlé plus haut.
Après l’industrie, les arts avaient aussi leur tour. Il faisait de la sculpture sur bois, il dessinait, il peignait ; il enluminait des images, les premières qui lui tombaient sous la main ; celles, par exemple, qui se voient en tête des factures de quelques maisons de commerce. Il s’inquiétait fort peu, d’ailleurs, de la régularité du dessin non plus que de la vérité ou de l’harmonie des couleurs. J’ai vu de lui des paysages et même des portraits qui sont de véritables chefs-d’œuvre de confusion, de discordance et de naïveté enfantine. Il aimait aussi beaucoup la musique ; il en avait du moins réuni une énorme collection. Les instruments qu’il préférait étaient le tambour et le cornet à bouquin. Aidé de son domestique, il se donnait à lui-même, de temps en temps, des concerts qui duraient plusieurs heures et dont le bruit se prolongeait au loin dans la campagne. Je vous laisse à penser, mon cher ami, ce que devaient être ces étranges concerts ; M. de D… tapait à tour de bras tantôt sur son tambour, tantôt sur une grosse caisse, tandis que son valet de chambre soufflait à pleins poumons dans son cornet à bouquin ou dans un énorme trombonne.
Je n’en finirais pas vraiment si je voulais continuer et achever cette énumération que vous devez trouver déjà bien longue. Cependant, tout ce que je viens de vous raconter ne peut guère être considérée que comme l’enveloppe extérieure du délire de M. de D…, ou, si vous aimez mieux, comme son côté accidentel passager ou plus ou moins durable, et immédiatement saisissable à tous les yeux. Mais que serait-ce donc si j’avais pu pénétrer dans la vie intime de ce malheureux, soulever quelques coins du voile qu’il a interposé, avec une sorte de pudeur, entre le monde extérieur et lui, et arriver jusqu’aux causes intimes, jusqu’aux mondes cachés de tous ses actes ? Que serait-ce si j’avais pu sonder les plaies et les douleurs de cette pauvre âme cherchant péniblement sa voie au milieu du brouillard épais qui l’entoure, et se débattant sous les étreintes de la plus lamentable des affections humaines.
Ici se présente une question que je puis maintenant aborder sans crainte, et dont la solution ne sera, j’espère, douteuse pour personne. M. le marquis de D… est-il véritablement fou ? Ou bien ne serait-il pas plus exact de ne voir en lui qu’un de ces hommes singuliers, comme on en rencontre quelquefois, dont les bizarreries et les excentricités touchent de près à la folie, mais n’arrivent pas cependant jusque-là ? Je crois avoir démontré ailleurs, en m’appuyant sur une opinion de notre honorable confrère M. Baillarger, que la folie étudiée à son point de vue le plus général, est constituée par la privation du libre arbitre à la suite d’un désordre de l’entendement. Or, est-il possible de méconnaitre l’existence de ces deux caractères essentiels de la folie dans les faits qui précèdent ? Le désordre de l’entendement est-il contestable chez un homme qui s’imagine, sous l’empire de je ne sais quelle idée absurde, ou à la suite de je ne sais quel raisonnement impossible, qu’il doit conserver avec soin ses urines et excréments ? Jouit-il de son libre arbitre lorsque, pendant plus de soixante ans, il obéit obstinément à cette idée folle, et, malgré le dégoût que doit lui inspirer celle besogne repoussante, transporte lui-même chaque jour le produit de la journée dans la pièce qu’il a destinée à cet usage dont lui seul a la clef ? Jouit-il davantage de son libre arbitre lorsque, pour obéir à une autre idée aussi évidemment délirante, il veut réaliser autour de lui le conte de [p. 13] la Belle au bois dormant et tout maintenir dans une immobilité absolue, sans se préoccuper en rien de la dégradation lente et graduelle de toutes choses, de la révoltante saleté au milieu de laquelle il vit, etc., etc.
Que si vous doutez encore, j’ajouterai que cette sainte horreur pour le changement s’étendait jusqu’à sa personne et à ses vêtements. Il ne prenait aucun soin de propreté; il ne se lavait jamais même les mains ; personne ne se rappelle à D… qu’il ait pris un seul bain pendant toute la durée de son séjour, c’est-à-dire pendant plus de cinquante ans. Il gardait souvent, pendant plusieurs mois la même chemise et les mêmes vêtements ; ce n’était que lorsque tout tombait en lambeaux qu’il consentait à les changer, et encore son domestique était-il obligé de déployer toute son adresse et toute sa diplomatie pour l’y décider. Enfin le sacrifice accompli, tout disparaissait sans retour, soit qu’il l’eût brûlé, soit qu’il l’eût si bien caché, que personne ne le revoyait jamais.
Ceci ne vous suffit-il pas encore ? Voici une pièce qui me semble de nature à convaincre les plus récalcitrants. Je copie textuellement sur un de ces petits papiers, dont je vous ai déjà parlé, et qui est écrit tout entier de la main de M. de D…. Elle porte en tête ces deux mots :

Le matin.
« Les portes de l’appartement, où, il y a une clochette, étant fermées, se mettre le malin d’assez bonne heure, en s’y prenant de sorte qu’on fasse tout ce qu’il faut faire avant midi, les chambres, tant celle où on est que celles où l’on va aller, doivent l’être aussi, tandis que l’on y fera ce qui va être dit. Les volets de la chambre où on commencera devront être fermés, excepté celui de la fenêtre contre la cheminée. Lever le pied droit et lever la tête pour voir l’heure qu’il est à la pendule, dans l’espoir d’avoir tout fait avant midi, ensuite recommencer seulement de la tête.
« Ouvrir la porte qui mène à une seconde pièce, qui mène à la chambre de la femme de chambre, y ouvrir aussi la porte contre celle qui donne dans le coffre à bois, et ouvrir aussi celle-ci, ouvrir, si cela ne l’est pas du matin, le côté gauche de la fenêtre en demi-cercle, ouvrir le volet contre la porte ouverte ordinairement par où on vient de passer, ouvrir ensuite l’autre volet, et ensuite les deux volets de la fenêtre de cette salle qui se rapproche du milieu du château…… (Suivent quelques lignes entièrement illisibles.)
« Oter le crochet et le remettre avant de fermer, en le pliant, le volet qui est à la fenêtre qui est contre la porte de la salle des Chasses, qui est près de la fenêtre circulaire, et qui est le plus près des deux qui sont à celle fenêtre de celle salle des Chasses, lequel est contre cette porte ; aller contre le poêle de cette salle, prendre la baguette blanche qui est au côté de cette porte qui est du côté du poêle, la placer de l’autre côté de la porte qui est contre le mur du grand salon, ouvrir cette porte, entrer dans la pièce du billard, fermer cette porte, approcher près de la cheminée qui est au bout de cette pièce, près de l’antichambre de la pièce où il y a un grand lit ; en traversant toujours dans la même direction 1e château, laisser derrière son dos l’extrémité du billard de ce côté, et se mettre vis-à-vis la pendule susdite qui est sur la susdite cheminée, de cette pièce susdite encore du billard susdit, lever le pied droit, et lever, la tête qui sera, immédiatement avant, tenue baissée, et en même temps qu’on, lèvera la tête, regarder avec attention l’heure qu’il est à cette pendule, et s’en ressouvenir, ou sinon recommencer jusqu’à ce qu’on sache l’heure et s’en ressouvienne ; baisser la tête et la relever pour voir encore l’heure qu’il est à cette pendule sans lever le pied, s’en ressouvenir, ou sinon recommencer aussi jusqu’à ce qu’on s’en ressouvienne. » [p. 14]

Cette note est précieuse, tout en offrant une lacune regrettable. Elle nous montre que cette vie si solitaire, en apparence oisive, devait être au contraire très occupée. «  Se mettre le matin d’assez bonne heure, de sorte qu’on fasse tout ce qu’il faut faire avant midi. » Elle nous dit en même temps de quelle nature étaient ces occupations, et quel étrange contraste elles faisaient avec l’importance que M. de D… y attachait, et le sérieux avec lequel il devait s’y livrer. Elle semble indiquer encore que celui-ci avait peu de mémoire, soit que cela ait été toujours ainsi, soit que celle-ci eût diminué au moment où la note a été écrite. Mais elle ne nous ôte rien de notre incertitude sur les mobiles réels de ces actes si puérils et si absurdes, et réglés cependant avec tant de suite et une si minutieuse ponctualité.
Il est de toute évidence que ces actes sont bien ceux d’un fou. Sans aucun doute, il y a là privation du libre arbitre à la suite d’un désordre de l’entendement. Mais ce désordre de l’entendement ? quel est-il ? J’en suis encore réduit aux probabilités et aux conjectures. Il y a eu des idées fausses, diversement associées et combinées entre elles, et ayant ainsi donné naissance à des jugements et des raisonnements faux comme elles, déduits avec la logique inflexible qu’on observe si souvent chez les fous, et poussés enfin jusqu’à leurs conséquences les plus extrêmes. Il y a eu encore une perversion des plus graves des instincts et des sentiments affectifs, soit que celle-ci ait précédé, soit qu’elle ait suivi le trouble des idées. Mais n’y a-t-il eu que cela ? Ne s’y est-il pas joint de temps à autre, si ce n’est constamment, des illusions ou des hallucinations ? Cela me parait fort probable, quoique je ne puisse vous en apporter aucune preuve positive.
Toutes les personnes qui ont approché M. de D… s’accordent à reconnaître qu’on l’entend quelquefois parler seul, d’autres disent avec beaucoup d’animation. Aujourd’hui encore, il aime à revenir, pendant les rares conversations qu’on peut avoir avec lui, sur les scènes de la Terreur dont il a été à la fois le témoin et la victime : il s’exalte en les racontant ; il en tremble de frayeur comme si ce n’était que d’hier, ou comme si le danger durait encore et était là toujours menaçant et suspendu sur sa tête. Les diverses révolutions qui se sont succédé depuis 1793, le retour même des Bourbons, n’ont rien changé à celle conviction, quoique tous ces événements lui soient parfaitement connus. Celle-ci serait-elle donc entretenue par une hallucination de la vue ou de l’ouïe ? Je me contente de poser la question. Toutefois, vous me permettrez, mon cher ami, de vous raconter un épisode des plus curieux qui trouve ici tout naturellement sa place et que je livre à votre appréciation.
On était en 1834, vers le milieu de l’été. M. de D… fit appeler un garde qu’il avait depuis longtemps à son service, et qui l’accompagnait habituellement pendant ses excursions nocturnes. Il lui annonça qu’il allait faire un petit voyage, et lui ordonna de se tenir prêt à l’accompagner dans une heure. Il venait de diner et sa table n’était pas encore desservie. Il défendit à son domestique d’y rien toucher, non plus que dans son appartement ou le reste du château. On attela deux chevaux à une voiture qui n’avait pas servi depuis plusieurs années, et il partit à la nuit tombante, sans faire connaître ni le but de son voyage, ni l’époque de son retour. Il resta deux mois absent, sans donner de ses nouvelles, et personne n’a pu me dire ce qu’il était devenu. Il parait que le garde qui l’accompagnait était très discret, et il est mort depuis longtemps, emportant avec lui les secrets de son maître.
J’ai eu cependant, par une personne tout à fait digne de foi, qu’à son retour, M. de D… s’arrêta, pendant quelques heures, à St-Quentin. Il avait conservé ses habitudes de D… et ne voyageait que la nuit. La journée était magnifique. Se fiant sans doute à l’incognito qu’il [p. 15] avait gardé jusque-là, il sortit de la ville et alla se promener sur la route de Ham. Celle-ci était à peu près déserte, et il marcha longtemps sans rencontre suspecte. Il allait revenir sur ses pas lorsqu’il fut rejoint par un soldat en congé, qui, voyant un homme seul et d’une mise plus que négligée, n’hésita pas à l’aborder, et, après quelques mots échangés, l’engagea à entrer avec lui dans un cabaret, devant lequel ils se trouvaient, pour se rafraîchir de compagnie. Notre homme fut profondément troublé par cette proposition, qu’il n’osa pas cependant repousser ouvertement. Il prétexta un besoin à satisfaire, et dit à son interlocuteur de le précéder dans le cabaret pour y commander le nécessaire. Puis, aussitôt qu’il se vit seul, il se mit à courir devant lui, sans s’inquiéter de la direction qu’il prenait, et ne s’arrêta qu’à Ham, où il arriva vers le milieu de la nuit, épuisé de fatigue et mourant de faim.
Il entra dans la première auberge qu’il aperçut, demandant à manger et un asile pour la nuit. Il avait tout l’air d’un vagabond, et l’agitation de sa démarche, l’altération de ses traits, n’étaient pas faits pour prévenir en sa faveur. On lui demanda son nom; il refusa de le donner ; des papiers constatant son identité, il n’en avait pas. On lui ferma la porte, en le menaçant de prévenir l’autorité. Il alla se réfugier dans un mauvais bouchon, situé à l’autre extrémité de la ville. Là, même demande et même refus de répondre. Mieux avisé, cependant, il avoua qu’il était de D…, et comme on insistait encore, il se recommanda du régisseur du château, qui était très connu à Ham. On consentit enfin à le recevoir. Mais, dès le lendemain, on écrivit au régisseur, qui, croyant reconnaître son maître dans le portrait qu’on lui faisait de l’inconnu, accourut aussitôt. Il se présenta à M. de D… comme si le hasard seul l’avait amené, et trouva celui-ci encore très préoccupé de sa rencontre de la veille, et tout fier cependant d’avoir échappé, par sa présence d’esprit, à un immense danger. Le soir venu, ils partirent à pied pour revenir à D… , où ils arrivèrent, sans autre aventure, quelques heures après, et sans que M. de D… parût s’inquiéter de son garde qu’il avait laissé à St-Quentin.
Cette frayeur subite et que rien ne justifiait, la fuite précipitée qui en fut la conséquence, l’obstination de M. de D… à cacher son nom, ce qu’il avait fait d’ailleurs pendant toute la durée de son voyage, tout cela est-il l’indice d’un état habituel ou même accidentel d’hallucination ? Je ne sais trop vraiment qu’en penser, et je laisse à mes lecteurs le soin de prononcer. Cela n’a pas d’ailleurs une bien grande importance. Que M. le marquis de D… ait eu ou non, à un moment donné, des illusions ou des hallucinations, il n’en résulte pas moins de tout ce qui précède qu’il est fou aujourd’hui, qu’il l’était hier, et qu’il n’a jamais cessé de l’être plus ou moins, depuis la catastrophe qui l’a frappé en 1793. Je dis qu’il a toujours été fou plus ou moins et à des degrés très divers ; ceci a besoin d’être expliqué.
Il est certain que notre libre arbitre n’est susceptible ni de partage, ni de limite. Il est tout entier ou il n’est pas, et je partage entièrement la manière de voir de mes honorables confrères MM. Baillarger et Moreau, lorsqu’ils ont dit : « On est fou ou on ne l’est pas; on ne peut être plus ou moins fou, fou à demi, plus fou qu’un autre fou. » Mais les manifestations de la folie, ou, si vous aimez mieux, les lésions de nos facultés qui les constituent sont extrêmement variables dans leur intensité, dans leur nombre, dans leur combinaison, dans leur durée. Elles peuvent être générales et embrasser, dans leur ensemble, l’entendement tout enlier ; elles peuvent être, au contraire, très bornées, très réduites, à tel point que quelques-uns admettent encore l’existence de la monomanie, dans la rigoureuse acception donnée à ce mot par Esquirol.
C’est à ce point de vue seulement que je dis que la folie de M. de D… a présenté des [p. 16] caractères et des degrés très divers. J’ai hâte d’ajouter qu’elle ne parait pas avoir été générale au moins d’une manière durable ; le plus ordinairement, elle est restée bornée à la lésion de quelques-unes seulement de ses facultés intellectuelles et morales. Il est constant, en effet, que M. de D… a toujours conservé la libre administration de sa fortune, et ne l’a pas encore tout à fait compromise. Il est encore positif que, malgré toutes les énormités dont je viens de vous entretenir, il se rattachait à la vie réelle par quelques bons sentiments, Il était bienfaisant et charitable à ses heures, et je pourrais ajouter à sa manière. Il donnait peu à la fois, mais souvent, et à beaucoup de gens, et toujours il exigeait des reçus de ceux qu’il obligeait ainsi. Il en demandait même à une vieille parente à qui il envoyait de temps en temps des secours. Il recevait beaucoup de lettres, et y répondait presque toujours, en peu de mots, d’un style parfois peu correct : mais dans aucune de celles que j’ai eues sous les yeux, une seule exceptée, je n’ai rien trouvé qui fût de nature à faire soupçonner, même de fort loin, le véritable état de son esprit.
Il a des parents qui ont essayé quelquefois de pénétrer jusqu’à lui, et qu’il a toujours refusé de recevoir. Voici une lettre sans date que je copie sur le brouillon écrit de sa main, et qui parait être une réponse à une tentative de ce genre.
«  J’ai l’honneur de vous annoncer, à mon grand regret, que je suis beaucoup trop honteux pour avoir celui de vous recevoir. Les fâcheuses circonstances du temps passé, pour la haute noblesse et, en particulier, ma famille, font que d’en fréquenter les membres me cause de pénibles souvenirs. Je mène tant soit peu ma maison ; je me porte assez bien, et je suis souvent content de mener une vie retirée et pénitente. Souffrez que je prenne ici la liberté de vous offrir mes souhaits de bonheur pour vous, vos enfants, et tout ce qui peut vous toucher. »
Cette lettre n’a, certes, rien de bien remarquable ; mais rien n’indique non plus qu’elle ait été écrite par un fou. Et croirait-on jamais qu’elle est de la même personne que celle qui suit, et qui doit avoir été écrite à peu près à la même époque ?
« Je vous avoue que je suis content de vous voir ; je ne saurais vous témoigner le plaisir que j’en ressens, miséricorde, battoir, comité, page, paquet, cor, cou, col, c… , queue, pou, ut, ré, mi, fa, sol, la, si, ut, Jérémie, Bartholomé, Barthélemy, Bajazet, baptême, Jean, Baptiste, Amédée, Louis, Frédéric, Emmanuel, André, D… (sans particule), Dordogne, Périgueux, cripte, chat, ciguë, guimbarde, flûte, pan, pan, peau, pot, pif, paf, pelle, muse, mellé, miel, mine, mufle, motte, mer, m… e, mi, mie, oh ! or, sel, selle, sillon, selon, salon, Béelzébuth, Asmodée, pin, asphalte, bitume, boue, botte, bal, belle, belle, belle, bille, bulle, bon, bonne, bouton, noisetier, noix; miel, mulot, mil, nid, nature, non, noeud, non, nerprun, nid, néant, nid, nud, nippe, nippé, nipper, nappe, mappe-monde, moule, maux, même, mien, mienne, mulet, âne, cul, cul-de-lampe, cristaux, crise, cric, oie, caille, pie, chef, chien, chat, chat, chat, racahou, racahou des Arabes. Il est déraisonnable aujourd’hui d’alléger la grande propriété an profit de la petite. Si la petite propriété est contraire à la production des objets de consommation ; d’un autre côté, la grande propriété est contraire à la liberté des travailleurs. Sous ce dernier régime, on voit, au milieu du luxe des riches, les classes de prolétaires mourir dans les fatigues, la misère et l’abrutissement ; et, sous le précédent, les produits, plus faibles et en même temps plus répandus laissent une grande partie des citoyens dans la gêne et ne satisfont personne. Aussi, n’y a-t-il pas lieu de s’étonner de ce que les économistes recommencent, contre la petite propriété, la lutte que les philosophes avaient victorieusement [p. 17] terminée contre la grande propriété. Cependant, en principe, les propriétés, petites ou grandes, sont également respectables ; elles ne sont ni plus ni moins sacrées l’une que l’autre. » Cela continue ainsi toute une longue page écrite d’un caractère très fin, et je vous en fais grâce.
Il est donc avéré que M. le marquis de D… est fou, et l’a été constamment depuis environ soixante-sept ans. Mais quel nom donner à sa folie ? Le plus sage, à mon sens, est de n’en donner aucun ; je n’en connais pas du moins qui lui soit rigoureusement applicable. Dans quel genre, dans quelle espèce connue la faire rentrer avec quelque apparence de vérité et de fondement ? Je n’en sais vraiment rien, et je laisse à de plus habiles le soin de résoudre ce difficile problème. Mais il est une antre question plus sérieuse sur laquelle je vous demande la permission de vous dire ma pensée tout entière.
Je vous prie, avant tout, de ne pas oublier, mon cher ami, que M. de D … a 86 ans, et que la catastrophe qui l’a rendu fou remonte à 1793. Cette catastrophe elle-même se résume en une violente émotion morale qui n’a eu, sur toute son organisation, qu’un retentissement insignifiant ou du moins très passager. Car il est constant, d’après le rapport unanime des personnes qui l’ont connu, qu’il a joui constamment, malgré la faiblesse apparente de sa constitution, d’une santé excellente. Est-il possible d’admettre, dès lors, que sa folie ait eu pour point de départ une altération quelconque de l’organisme ? Et ne suis-je pas fondé à dire qu’elle n’est et ne peut être autre chose que le résultat d’une maladie, ou, si vous l’aimez mieux, d’une souffrance de l’âme dont la nature intime nous est inconnue ?
Je sais bien que, par le temps où nous vivons, et par les doctrines qui règnent encore en médecine, cette proposition risque beaucoup de soulever de nombreuses protestations. Mais je sais aussi, mon cher ami, que vos lecteurs sont des hommes instruits, indépendants et impartiaux, qui savent combien nos théories sont peu de chose en présence du grand livre de la nature, et je leur dis : Quelle est la lésion matérielle du cerveau à laquelle pourraient se, rapporter les désordres si variés des facultés intellectuelles et morales que je vous ai si longuement et si incomplètement décrits ? Quelle serait cette altération singulière qui pourrait présenter de telles variations et de telles irrégularités dans son action, sa marche, ou sa durée ? qui échapperait aussi complétement à toutes les lois de l’organisation ? qui durerait pendant plus de soixante ans sans augmentation ou diminution notable, et sans exercer aucune influence sérieuse sur les fonctions essentielles à la vie ? Vous savez tous ce que produisent les altérations matérielles durables et permanentes du tissu même du cerveau. Vous connaissez leur marche graduelle, très lente quelquefois, presque insensible, mais, en réalité, constamment progressive et fatalement mortelle, dans l’immense majorité des cas. Est-il possible de voir rien de semblable dans le fait qui nous occupe ? Il est certain, toutefois, que le cerveau de M. de D… n’est pas dans un état tout à fait normal. Mais il est de toute évidence que la lésion ou plutôt les modifications qu’il a subies ne peuvent être que des modifications dynamiques et purement fonctionnelles, consécutives à la souffrance de l’âme et aussi variables que e les expressions mêmes de cette souffrance. Ces modifications sont très probablement d’une nature sinon pareille, du moins analogue à celles qui produisent les rêves de l’homme endormi ou les erreurs de l’homme éveillé, à celle qui préside à l’explosion de nos passions, etc., etc.
J’étais donc tout à fait dans le vrai, lorsque j’écrivais en 1856 : « Mais si le cerveau n’est pas atteint dans sa substance, doit-on en conclure qu’il reste tout à fait étranger à la maladie [p. 18] qui nous occupe ? Évidemment, non, pas plus qu’il ne reste étranger aux manifestations de l’âme en possession de l’exercice régulier de ses facultés. Le cerveau souffre et cela est incontestable ; sa fonction la plus essentielle est troublée, cela est encore certain. Cependant ce trouble, cette souffrance diffèrent essentiellement de tout ce qu’on observe dans les maladies qui attaquent le tissu même de l’organe. Ils ne sont et ne peuvent être que l’expression de la souffrance de l’âme, soumise à quelqu’une des causes très diverses et très nombreuses dont j’ai dit quelques mots dans ma dernière lettre. Ils en suivent toutes les vicissitudes, toutes les intermittences souvent si subites et si inattendues, toutes les alternatives si fréquentes d’augmentation et de diminution. Enfin il suffit, pour les guérir, de soustraire l’âme d’une manière définitive aux causes de souffrances et de maladie qui l’oppriment (1).
J’étais donc encore dans le vrai lorsque j’ajoutais : « La folie n’est pas une maladie comme une autre, n’en déplaise à M. Ferrus, et je ne vois pas ce qu’il trouve de si contradictoire dans ces deux termes : maladie psychique, maladie de l’âme. L’honorable académicien rappelait, l’autre jour, dans son discours, cette parole de Locke : « Si Dieu l’eût voulu, pourquoi la matière ne penserait-elle pas ? »Ne puis-je pas lui dire, avec non moins de raison : Si Dieu l’eût voulu, pourquoi l’âme ne pourrait-elle pas être malade ? Et ne suis-je pas en droit d’ajouter que, malheureusement pour l’humanité, Dieu l’a chargée de cette malédiction ? Qu’est-ce donc, en effet, que la douleur morale ? Et l’erreur, les vices, les passions, que sont-ils, sinon autant de maladies de l’âme, de l’esprit ou du principe pensant, comme il vous plaira de l’appeler ? Je ne tiens pas à un mot plutôt qu’à un autre, pourvu qu’on m’accorde le fait que ce mot sert à exprimer. Et l’ignorance, la superstition, le fanatisme ? Je n’en finirais pas si je voulais pousser jusqu’au bout cette triste nomenclature. M. Ferrus voit-il à tout cela un point de départ organique ? Pourrait-il nous dire quelle est la lésion matérielle qui le produit ou qui en prolonge la durée ? La folie exempte de toute complication (et c’est le cas chez M. le marquis de D…) est évidemment de même ordre que ces affections de l’âme si nombreuses et si variées ; elle en est le produit direct, et comme le dernier degré. Tous les aliénistes, Esquirol à leur tête, sont d’accord avec moi sur ce point, lorsqu’ils disent que la folie n’est souvent autre chose que l’exagération d’une idée ou d’une passion. Il y a longtemps qu’on a dit : Ira furor brevis est. Les passions, selon Esquirol, sont de vraies folies, mais des folies passagères : elles s’emparent des facultés intellectuelles, les absorbent si énergiquement, que l’homme n’est plus capable de penser à autre chose qu’à l’objet de sa passion (2). »
Je borne là ces réflexions qui s’éloignent un peu de mon sujet. Je ne veux pas, d’ailleurs, à propos d’une simple observation, tout intéressante qu’elle soit, me hasarder à traiter ici et seulement d’une manière incidente cette question si délicate et si importante de la nature intime de la folie. Je tenais seulement à vous rappeler des opinions que vos lecteurs connaissent déjà depuis longtemps, et qui trouvent dans toute cette histoire du marquis de D… la confirmation la plus éclatante.
Permettez-moi d’ajouter que les faits de même ordre sont loin d’être rares. Il en existe quelques-uns dans les annales de la science. Mais ils ont tous été observés dans des asiles [p. 19] d’aliénés ; chez aucun la folie n’a présenté une aussi longue durée, et, ce qui est plus fâcheux, les auteurs se sont contentés de les mentionner. Je ne sache pas qu’aucun ait été étudié et décrit avec détail. Aucun surtout n’a présenté celle circonstance exceptionnelle d’une vie entièrement libre et indépendante chez un individu réunissant, au prestige d’un grand nom, la disposition absolue d’une fortune considérable.
Ceci me conduit à vous dire quelques mots, et c’est par là que je termine, d’une question grave de médecine légale qui se rattache à mon sujet. Posons d’abord quelques principes. La société a, vis-à-vis des fous, des droits et des devoirs essentiels que la loi a définis au titre de l’Interdiction du Code civil, et dans la loi du 30 juin 1838 sur les aliénés. Le droit de la société est absolu et n’a jamais été contesté, au moins d’une manière sérieuse. C’est celui de se défendre contre les divagations des fous et contre leurs fureurs. D’où découle encore le droit tout aussi absolu de les mettre, le cas échéant, dans l’impossibilité de nuire à eux-mêmes ou aux autres. Mais si la société a des droits, elle a aussi des devoirs sacrés auxquels elle ne peut se soustraire, c’est de protéger les fous dans leur personne et dans leurs biens, d’abord contre eux-mêmes, ensuite contre les entreprises de ceux, quels qu’ils soient, qui seraient tentés d’abuser de leur triste situation dans le but de leur nuire.
Or, ce devoir rigoureux, la société l’a-t-e\le rempli vis-à-vis de M. le marquis de D… ? A-t-elle apporté à ce malheureux, que sa famille avait cornplètement abandonné, celte protection active qu’il avait le droit d’attendre d’elle ? La solution de cette question vous intéresse, chers et honorés lecteurs, plus que vous ne sauriez le croire. Vous savez ce que pensent, de notre intervention dans les cas de folie qui leur sont soumis, quelques magistrats même parmi les plus haut placés. Vous savez qu’il en est qui vont jusqu’à nier notre compétence, et se croient plus aptes que nous à décider, avec leur simple bon sens, les questions les plus ardues de notre science. Ce ne sont là, il est vrai, que des exceptions ; et la plupart reconnaissent sans hésiter toute l’étendue des services rendus, par les travaux des aliénistes modernes, à la législation, dans les questions qui se rattachent à la folie. Mais cette législation, ou plutôt la jurisprudence qui en a fixé le sens, présente des lacunes regrettables qu’il est du devoir de chacun de signaler à l’attention publique toutes les fois que l’occasion s’en présente.
Si nous nous reportons à l’époque à laquelle fut promulgué notre Code civil, le titre de l’Interdiction constituait un grand progrès sur les lois antérieures. Il consacrait, en partie du moins, la grande révolution opérée dans l’étude et l’appréciation de la folie par l’illustre Pinel, qui avait prouvé que les fous pouvaient guérir, et avait élevé ces malheureux parias au rang et à la dignité de malades. Mais sous l’impulsion imprimée aux études médico-psychologiques par cet homme éminent et, après lui, par Esquirol, la science marcha rapidement, les découvertes se multiplièrent, et la loi du 30 juin 1838, sur les aliénés, consacra à son tour les nouveaux progrès accomplis. Cette loi était, en effet, l’expression à peu près exacte de la science de celle époque. Les médecins les plus autorisés furent consultés, et leurs opinions furent d’un grand poids auprès des législateurs : cependant elle eut le grand tort de ne s’occuper que d’une classe particulière de fous, ceux qui sont séquestrés dans les asiles publics ou privés qui leur sont destinés. Elle pourvut à l’organisation de ces asiles ; elle entoura l’admission et le séjour des malades de toutes les mesures protectrices indiquées par le progrès des mœurs et les exigences de la science ; elle donna à ceux-ci toutes les garanties les plus propres à assurer bien-être, et, s’il est possible, leur guérison. Enfin, elle pourvut à la [p. 20] conservation et à  l’administration de leurs biens sans les soumettre aux formalités si longues, si irritantes, et souvent si dangereuses, prescrites par le code, pour arriver à l’interdiction ou en obtenir la mainlevée.
C’était là un progrès considérable, et un immense bienfait pour les fous encore susceptibles de guérison. Mais, je le répète, il n’était applicable qu’à ceux qui sont séquestrés dans les asiles consacrés à leur traitement. Il ne bénéficie en rien à ceux, en si grand nombre, qui vivent en dehors de ces asiles. La dernière statistique publiée par le gouvernement établit que, sur 46,357 aliénés reconnus en France en 1851, 24,433 vivaient dans leurs familles, et 21,924 seulement dans les asiles publics ou privés. Et ces chiffres sont encore loin d’être exacts, un grand nombre de ces malheureux ayant été certainement soustraits par leurs familles aux recherches de l’autorité publique. Ainsi, plus de la moitié, les deux tiers peut-être des fous qui existent en France sont encore placés sous le régime du Code civil, et n’ont pas d’autres moyens efficaces de protection que l’interdiction. Mais combien peu, parmi ceux-là, sont interdits, soit que leurs familles aient reculé devant les frais considérables de cette procédure, soit, ce qui doit être beaucoup plus fréquent, qu’elles aient redouté pour elles-mêmes les suites de la publicité retentissante que celle-ci entraîne.
Combien, dès lors, sont abandonnés sans défense, sans protection aucune, à la mauvaise humeur, aux rancunes et souvent à l’avidité de leurs proches, ou, ce qui est plus grave et peut-être plus fréquent, à la rapacité et à la brutalité de mercenaires étrangers ? Voilà précisément la situation dans laquelle s’est trouvé M. le marquis de D… depuis plus de soixante ans. Sa famille l’a complétement abandonné. Elle a eu sans doute ses motifs pour agir ainsi ; peut-être n’a-t-elle jamais connu son véritable état mental ! Peut-être a-t-elle reculé devant l’éclat d’un procès en interdiction ! Cela se comprendrait d’ailleurs jusqu’à un certain point, si on veut bien se l’appeler que M. de D… est le dernier héritier de l’un des plus grands noms de l’ancienne noblesse française. Mais l’abandon de la famille justifie-t-il celui de la société : et suffisait-i1 pour dégager cette dernière de ce devoir de protection active et de diligente surveillance qui lui incombe vis-à-vis de tous les fous, selon l’énergique expression du ministre de l’intérieur, défendant la loi du 30 juin 1838 ? Évidemment, non.
Pourquoi donc ne l’a-t-elle pas rempli ? Pourquoi les magistrats et le parquet sont-ils restés inactifs en présence des faits que je vous ai signalés, et de la situation si précaire et si grave que ces faits révélaient ? Et qu’on ne vienne pas invoquer comme excuse l’ignorance de ce qui se passait. Ces faits ont toujours été de notoriété publique dans le pays et jusqu’à plusieurs lieues de distance. On aurait même pu savoir, si peu qu’on l’eût voulu, que M. le marquis de D…, tout en conservant les apparences de l’autorité sur les gens qui l’entourent, était en réalité entièrement dominé par eux. Depuis bien longtemps, il ne voit que par leurs yeux, et ne se détermine que par leurs conseils ; il ne reçoit surtout que les personnes qui leur plaisent ; j’ai eu à ce sujet les détails les plus positifs. On aurait encore pu savoir que ses revenus sont toujours restés les mêmes, quoi qu’il ait recueilli des sommes considérables par héritage, et quoique la propriété territoriale ait au moins triplé de valeur depuis le commencement du siècle. On aurait su enfin que M. de D… trouve moyen d’avoir constamment des dettes avec un revenu de 60,000 francs par an, et quoique ses dépenses personnelles soient généralement très bornées.
Que fait-il de plus et qu’attendait donc le parquet pour agir ? Toutes ces rumeurs ne suffisaient-elles pas pour lui démontrer l’existence de la folie ? Mais il n’avait qu’à commencer [p. 21] une enquête pour trouver la lumière et en être inondé. Encore une fois, je le demande, pourquoi cette inaction ? Le procureur impérial s’est-il donc senti désarmé, et n’a-t-il trouvé dans la loi aucun texte qui pût justifier son intervention ? (3) Mais alors vous m’avouerez, mon cher ami, qu’il y a là une lacune des plus cruelles et des plus regrettables, et qui constitue un véritable déni de justice. Quoiqu’on fasse, on ne sortira pas de ce dilemme.
Or supposez maintenant qu’il arrive, comme il est d’ailleurs à peu près certain, qu’à la mort de M. le marquis de D…, on ne trouve plus rien de cette grande fortune, qui aura passé peu à peu entre les mains des gens qui le servent et le dominent. Qu’adviendra-t-il de cette grande iniquité préparée de si longue main, et perpétrée presque publiquement et avec une si étrange sécurité ? Que répondra la magistrature à la famille si indignement dépouillée ? Pourra-t-elle du moins réparer le mal qu’elle aura laissé faire, et annulera-t-elle des actes édictés par la folie la plus irréfragablement constatée ? Elle se trouvera en présence de l’art. 504 du Code civil qui est ainsi conçu :
« Après la mort d’un individu, les actes par lui faits ne pourront être attaqués pour cause de démence qu’autant que son interdiction aurait été prononcée ou provoquée avant son décès, à moins que la preuve de la démence ne résulte de l’acte même qui est attaqué . »
Elle sera donc obligée de courber la tête et de confesser sa radicale impuissance. Et c’est lorsque la législation et la jurisprudence sont encore aussi imparfaites, lorsqu’elles laissent sans aucune protection des milliers de malheureux qui vivent dans une situation plus ou moins analogue à celle dont je viens de vous signaler les dangers ; c’est alors, dirai-je, que des magistrats que je ne veux pas nommer, ne craignent pas de dénier notre compétence, et de nous reprocher avec des paroles amères et blessantes la prétention ridicule de vouloir imposer nos oracles à la jurisprudence.
Permettez-moi, mon cher ami, de mettre, en finissant, sous les yeux de vos lecteurs, un passage emprunté à l’un des premiers magistrats du temps. Ce passage, que notre honorable confrère le professeur Tardieu a déjà signalé, il y a quelques mois, à l’Académie de médecine, vaut, en effet, la peine d’être médité. Vous le trouverez, j’espère, tout à fait à sa place à la fin de cette lamentable histoire qui en montre si bien le vide et l’injustice.
«  La médecine appelée légale affecte, depuis quelque temps, la prétention d’imposer ses oracles à la jurisprudence… Il faut l’avouer, ce que j’ai vu et entendu de certains médecins, dans ma carrière judiciaire, dépasse toute croyance : il n’y a pas un homme que l’on ne pourrait déclarer monomane en les écoutant. Si Pascal n’était pas mort, il devrait prendre garde à [p. 22]  lui, car je connais maint docteur qui le lient pour halluciné. Socrate est bien heureux d’être venu sitôt, il a péri du moins avec la réputation du plus sage des hommes, tandis qu’on pourrait bien, trouver, dans plus d’un savant écrit médical, qu’il était à peu près monomane avec son démon familier. Enfin, faut-il dire, combien n’ai-je pas vu de consultations qui rappellent, trait pour trait, les scènes de notre divin Molière. Un mouvement nerveux dans le visage, un tic familier, une manière de parler, un geste, les choses, en un mot, les plus simples et les plus naturelles étaient tournées en diagnostic et perverties comme la  sputation fréquente de M. de Pourceaugnac. Et l’on voudrait que nous autres juges, qui tenons dans nos mains la liberté et la capacité civile des personnes, nous fissions dépendre de si frivoles symptômes ces grandes questions où sont engagés l’honneur des familles, la succession des biens et les droits les plus chers de l’homme ! Je pense que la médecine légale n’a ajouté aucun progrès sérieux aux doctrines reçues dans ta jurisprudence, et quelle ne doit en rien les modifier. »

E. LISLE.

Château de Tirlancourt, 15 octobre 1862.

(1) Lettres sur la folie, première série, page 60.
(2) Lettres sur la folie, première série, page 40.
(3) Les dispositions de la loi du 30 juin 1838 n’étant applicables qu’aux aliénés séquestrés, le seul texte qui pouvait être invoqué est l’art. 491 du Code civil :
« 491. Dans le cas de fureur, si l’interdiction n’est provoquée ni par l’époux, ni par les parents, elle doit être par le procureur du roi, qui, dans le cas d’imbécillité ou de démence, peut aussi la provoquer contre un individu qui n’a ni époux, ni épouse, ni parents connus. »
Mais, outre qu’il n’eût pas été rigoureusement applicable à M. de D… cet article n’autorise le procureur impérial qu’à provoquer l’interdiction, Or, tout le monde reconnait aujourd’hui que cette mesure présente des inconvénients tellement graves que, malgré les termes impératifs des art. 489 et 491, elle n’est plus guère appliquée qu’aux aliénés en démence et reconnus incurables.
Il n’y a à mon sens, qu’un remède à un état de choses si regrettable, ce serait d’étendre par une disposition législative ou autrement, aux malades si nombreux qui se trouvent dans une situation analogue à celle de M. de D.., les dispositions de la loi du 30 juin 1838, qui permettent aux magistrats de nommer un administrateur provisoire ct un curateur, pour les aliénés séquestrés dans un asile, hors de leur présence et sans besoin de les interroger. (Art. 32 et suiv.)

Paris. – Typographie Félix Malteste et Cie, rue des Deux-Portes-St-Sauveur, 22.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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