Cesar Lombroso (1835-1909) et Guglielmo Ferrero (1871-1942). Le crime chez les femmes sauvages et primitives – Sorcellerie etobsession – Vénéfice. Extrait de : La femme criminelle et la prostituée par C. Lombroso et G. Ferrero. Traduction de l’italien par Louise Maille. Revue par M. Saint-Aubin, avocat général. Avec 13 planches hots texte. Paris, Ancienne Librairie Germer Baillière et Cie, Félix Alcan, éditeur, 1896, pp. 201-209.
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Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original.
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Le crime chez les femmes sauvages et primitives
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Sorcellerie et Obsession. – La sorcellerie et l’obsession étaient, pendant le Moyen-Age, les crimes les plus graves de la femme.
La croyance aux sorcières dans l’antiquité, comme chez les peuples sauvages, est affirmée par Horace, Lucain, Lucien et Apulée ; mais c’est au Moyen-Age seulement, sous l’influence du Christianisme, que la sorcellerie compliqu6e de l’obsession devint un délit.
Aucun doute, du reste, que la sorcellerie et l’obsession ne fussent des phénomènes hystériques-épileptiques.
La grande preuve, en effet, de culpabilité en sorcellerie, étaient les signes de la griffe du diable, lorsque les piqûres de la peau n’y provoquaient ni douleur, ni hémorrhagie ; il [p. 202] s’agissait évidemment de ces zones analgésiques si caractéristiques de l’hystérisme.
Tous les auteurs sont d’accord pour admettre que les sorcières surpassaient en nombre les sorciers ; parce que, dit Spunger [Sprenger], auteur du Malleus maleficarum, ce livre classique de la sorcellerie, « la femme est plus vicieuse que l’homme ; et a trois vices principaux : l’infidélité, l’ambition et la luxure : le nom même de fœmina signifie fille minus, moins de foi » ; ou bien parce que, suivant Guillaume de Paris, « les femmes bonnes sont excellentes, les méchantes sont exécrables. » Ce qui concorde avec la plus grande fréquence de l’hystérisme chez la femme, hystérisme (1) que l’on pourrait définir l’exagération de la féminité. (Voir IVe partie.)
Un autre trait caractéristique de la sorcière était de parler des langues qu’elle ne connaissait pas : phénomène qui n’est pas rare dans l’hystérisme et n’est que le passage de quelques impressions de l’inconscience dans la sphère de la conscience, Les possédées du démon, écrit Ambroise Paré, parlent des langages inconnus,.
Les nonnes d’Auxonne, chez lesquelles une épidémie d’hystérisme éclata en 1652, semblaient avoir, suivant les contemporains, le don des langues.
Les nonnes de Loudun (1632) dans leurs accès, parlaient latin, sans le connaitre, et entendaient des mots prononcés à voix basses à de grandes distances ; elles furent pour cela déclarées possédées.
En 1534, à Rome, dans un hospice d’orphelines, 80 jeunes filles furent prises de convulsions et de délire ; pendant les crises, elles avaient le don des langues, ainsi que le disaient les contemporains, pour démonter qu’elles étaient possédées du diable.
Parfois s’y joignent aussi les phénomènes de télépathie. [p. 203]
L’évêque de Chalons ayant ordonné mentalement à Denise Parisot d’aller chez lui pour être exorcisée, elle s’y rendit, bien qu’habitant dans un quartier éloigné : le même évêque ayant commandé mentalement à la sœur Borthon d’aller s’agenouiller devant la croix, elle obéit immédiatement.
En 1491, les nonnes de Cambrai, possédées du démon, devinaient, ainsi que le disait un écrivain de l’époque, les choses cachées et prédisaient l’avenir. A Nantes, en 1549, furent brûlées sept extatiques se vantant de savoir tout ce qui s’était passé dans la ville pendant leurs accès.
Jeanne d’Arc (qui fut brûlée comme sorcière) prédisait, dit-on, l’avenir ; elle se vantait de voir un ange qui la guidait à la victoire ; et, ce qui parut très-grave, elle n’avait jamais eu de menstruation, ainsi qu’il résultat d’un examen fait par une femme.
La terreur se basait spécialement sur les confessions des hystériques mêmes, qui, sous l’influence d’hallucinations le plus souvent d’origine sexuelle, admettaient d’avoir eu commerce avec le diable, d’être enceintes de lui et d’être allées au sabbat.
Un des examens les plus fréquents auxquels on soumettait les hystériques nubiles, était celui de leur virginité ; on croyait qu’en prenant possession de la jeune fille, le diable la violait.
Jeanne Herviller, brûlée en 1578, à Ribemont, racontait qu’elle avait été possédée par le diable dès l’âge de 12 ans : et lorsque le diable descendait au couvent, le choix tombait toujours sur les plus jeunes.
L’abbesse Madeleine de Cordoue, estimée comme une des plus grandes saintes de son temps dont la bénédiction était implorée même du Pape et du roi d’Espagne, risqua d’être brûlée vive et fut privée de tous les honneurs ecclésiastiques pour avoir tout à coup déclaré être l’amante d’un ange déchu, avec qui elle dormait dès l’âge de 13 ans.
En 1650, au couvent d’Ubertet, les nonnes, après 40 jours de jeûne presque absolu, furent possédées du diable ; elles [p. 204] blasphémaient, disaient les plus grandes sottises et tombaient en convulsions.
En 1609, à Aix, les sœurs Ursulines déclaraient avoir été violées par leur Prieur qui fut brûlé,
Certaine Amère, en Lorraine, accusée d’avoir fait tomber un enfant de la fenêtre en le regardant, soumise à la torture, se mit à décrire le diable en désignant un point de la muraille où il se trouvait, à la grande terreur des juges, qui cependant… ne voyaient rien.
Amoulette Defrasne, à Valenciennes, arrêtée comme sorcière et accusée d’avoir fait mourir plusieurs de ses amies, nia tout ; mais, pressée par les demandes, torturée, insultée, elle avoua être sorcière, dit que le diable lui était apparu quinze ans avant, et avait demandé et obtenu d’être son amant.
La légende du Sabbat est également née d’hallucinations qui se propageaient par contagion et étaient favorisées par ces onctions de belladone et d’autres solanées, très usitées en ce temps-là et qui provoquent, on le sait, des hallucinations et une sorte d’ivresse. Une gravure du XVIe siècle montre précisément une sorcière faisant l’acte de s’oindre tandis qu’une autre s’échappe par le tuyau de la cheminée, (Regnard, Les Sorcières, Bulletin de l’Association Scientifique, 1882.) [Article mis en mis en sur notre site]
Souvent aussi la sorcière niait ; mais jetée dans un horrible cachot, torturée, pressée par les demandes obstinées des juges, qui devenaient de vraies suggestions, elle finissait par avouer qu’elle était allée au Sabbat et le décrivait minutieusement. Ainsi Françoise Sacretan [Secretan], à St-Claude, emprisonnée pour soupçon de sorcellerie, nie d’abord obstinément, puis finit par avouer être possédée du diable, être allée un grand nombre de fois au Sabbat sur un bâton blanc, avoir dansé, avoir battu l’eau pour amener la grêle, et avoir fait mourir plusieurs personnes avec une poudre que le diable lui avait donnée, (Richet). [Carles Richet, Les démoniaques d’aujourd’hui et d’autrefois. in « Revue des Deux-Mondes », (Paris), années 1880, 15 janvier, pp. 340-372, 1er février, pp. 552-583, 15 février, pp. 828-863.] [p. 205]
« Ordinairement, – écrit de Lancres [Pierre de Lancre], un des auteurs les plus compétents dans les faits de sorcellerie du XVIIe siècle, – ce sont les femmes qui mènent le Sabbat ; elles volent et courent, échevelées comme des furies, avec la tête si sensible qu’elles ne peuvent supporter aucune espèce de chapeau. Elles vont nues, parfois enduites de graisse ; arrivent et partent à cheval sur un manche à balai, sur un banc ou en croupe sur un enfant. »
Ces hallucinations qui donnèrent naissance à la légende du Sabbat, ont été résumées ainsi par Regnard : « La cérémonie avait lieu de nuit, dans quelque bruyère, cimetière ou couvent abandonné ; pour y aller il fallait que la sorcière se oignit avec l’onguent donné par le diable (belladone), prononçât les mots magiques et enfourchât le manche à balai. Arrivée sur le lieu, il fallait faire constater le Stigma diavoli : scène dont Teniers a laissé la reproduction dans un tableau ; puis rendre hommage au diable, figure monstrueuse à la tête et aux pieds de bouc, ayant une grande queue et des ailes de chauve-souris ; puis renoncer à Dieu, à la Vierge, aux Saints, et recevoir enfin le baptême diabolique, caricature du baptême catholique. Après minuit, avait lieu le festin, composé de crapauds, de cadavres, de foies et de cœurs d’enfants non baptisés ; après quoi, commençaient les danses obscènes jusqu’au chant du coq, qui dispersait en un instant l’assemblée. »
Ce qui redoublait la terreur, c’était le caractère contagieux de ces épidémies hystériques, regardées comme des sortilèges jetés par malice. Il y en eut en Alsace (1511) ; à Cologne (1664) ; en Savoie (1574) ; à Toulouse, (1577) ; en Lorraine (1680) ; dans le Jura (1590) ; dans le Brandebourg, (1590) : dans le Béarn (1605)
Toutefois, bien que la sorcellerie ne fut que de l’hystérisme ou de l’hystéro-épilepsie, aucun autre phénomène de la pathologie mentale ne frappa aussi vivement l’imagination [p. 206] humaine. C’était surtout, cette fréquente exaltation des facultés mentales, pendant l’accès, qui étonnait particulièrement.
« Il n’y a pas de théologien – écrit Boguet – qui puisse mieux qu’elles, interpréter les Saintes Ecritures ; de jurisconsulte plus compétent en fait de testaments, contrats et affaires ; de médecin qui connaisse mieux la composition du corps humain et l’influence du ciel, des étoiles, des oiseaux, des poissons et des arbres, etc., etc. »
« Elles pouvaient, en outre, produire à volonté le froid et le chaud (sic) ; arrêter le cours du fleuve, stériliser la terre, tuer les troupeaux ; et surtout ensorceler et vendre au diable les autres hommes. »
On craignait spécialement les sorcières accoucheuses, qui pouvaient vouer au diable les enfants nouveau-nés.
La férocité en usage dans les répressions, suffirait pour démonter la terreur que ces folles inspiraient. Dans le Languedoc, en 1527, le Sénat de Toulouse condamna 400 sorcières à être brûlées vives. En 1616, De Lancie [de Lancre], président du Parlement de Bordeaux, envoya au bûcher un grand nombre de femmes, sous prétexte qu’il était monstrueux de voir dans l’église plus de 40 femmes aboyer comme des chiennes. Grey rapporte que sous le Long Parlement, 3,000 personnes furent brûlées en Angleterre pour délit de magie. En 1610, le duc de Wurtemberg ordonna aux magistrats de brûler chaque mardi de 20 à 25 sorcières, jamais moins de 15. Sous le règne de Jean VI, électeur de Trêves ; l’acharnement des juges et du peuple fut tel que dans deux villages il ne restât plus que deux femmes.
Boguet se vantait d’avoir brûlé, à lui seul, mille sorcières.
A Valery, dans la Savoie, en 1574, 80 furent brûlées ; à Labourd, en 1600, également 80 en quatre mois ; à Logrono, 5 en 1610.
C’est seulement à l’envahissement du scepticisme du XVIIIe siècle que l’on doit le ralentissement de cette féroce répression ; [p. 207] mais pour voir complètement banni du monde civilisé l’idée de la possession diabolique, il faut arriver jusqu’au commencement de notre siècle, à Pinel.
Vénéfice. – Un délit fréquent chez la femme antique est le vénéfice ou empoisonnement.
César rapporte que chez les Gaulois l’usage était, lorsqu’un homme mourait, de brûler avec lui toutes ses femmes, si l’on élevait un soupçon de mort non naturelle ; procédure expéditive qui dut avoir son origine dans la fréquence des vénéfices.
En Chine, les Mi-fu-Kau, espèce de sorcière, possèdent le secret de faire mourir un homme, et ont une large clientèle parmi les femmes mariées. (Kataher, Bilder aus Chinesischem Leben, Leipzig, 1881.)
En Arabie, ce sont les femmes qui, presque exclusivement, connaissent les poisons et en font commerce.
A Rome, sous le consulat de Claude Marcel et de Tite Valère, on découvrit une association de 170 patriciennes, qui avaient fait un tel ravage parmi leurs maris, que l’on crût à une épidémie. (Tite Live VII.)
Les bacchanales étaient une association de luxure et de débauches, dans lesquelles un nombre énorme de crimes furent commis.
La tradition de Canidie, de Locuste, etc., transmise par les poètes romains, nous montre comment la connaissance des poisons fut considérée presque comme une spécialité des femmes. Juvénal, dans ses Satires, parle de l’empoisonnement des maris, comme d’une chose ordinaire dans l’aristocratie romaine,
En Egypte, au temps des Plolémées, l’adultère et l’empoisonnement furent épidémiques chez les femmes. (Renan, Les Apôtres.)
En Perse, la femme qui enfante le premier fils du schah devient l’épouse officielle : mais souvent ces enfants sont [p. 208] empoisonnés par les envieuses compagnes du harem. (Pfeiffer, Reiss, 1889.)
En France, pendant le XVIIe siècle et particulièrement sous Louis XIV, il y eut une épidémie de vénéfice, spécialement parmi les dames de l’aristocratie. Le roi fut obligé de créer un tribunal spécial, la Chambre royale de l’Arsenal, ou Chambre ardente pour juger les seuls procès de vénéfice (Lettres-patente du 7 avril 1769) ; on en était arrivé à un tel degré de terreur, qu’une célèbre empoisonneuse, la Delagrange, put faire durer son procès pendant des années, en déclarant seulement que l’on tramait contre la vie du roi.
Les noms de la Voisin, de la Vigouroux, de la Mme de Brinvilliers sont restés célèbres dans l’histoire du crime. Olympie Mancini même, nièce de Mazarin et mère du prince Eugène, fut soupçonnée.
En 1362, A Palerme, on exécuta comme préparant des poisons une certaine Théophanie qui semblait avoir fourni le moyen de commettre un grand nombre de crimes ; l’année suivante, une de ses élèves, Françoise la Sarda eut le même sort. En Sicile, l’expression Gnura Tufania est restée comme synonyme d’empoisonneuse (Salomon Marino. L’acqua Tofana Palerme, 1882), d’où l’eau tofana, qui était composée surtout avec de l’arsenic.
En 1642, à Naples, une eau mystérieuse fit de grands ravages, faisant mourir à temps beaucoup de monde, il semble qu’elle était vendue par une femme en relation avec la Théophanie.
A Rome, vers la même époque, quatre femmes, Marie Spinola, Jeanne de Grandis, Jéronime Spana, Laure Crispiolti, vendaient la Manne de Saint-Nicolas ; poison composé sans doute d’arsenic ; elles étaient, surtout la Spana, très appréciées par l’aristocratie à qui elles fournirent le moyen de commettre un grand nombre de crimes, spécialement aux femmes lasses de leurs maris. [p. 209]
En général, pourtant, exception faite de l’infanticide et de l’avortement, la femme sauvage de même que la femelle, commet moins de crimes que l’homme, bien que comme nous l’avons vu, elle soit plus méchante que bonne ; les crimes pour lesquels elle est punie, sont en grande partie conventionnels, comme ceux contre le tabou et la sorcellerie. Ce qui correspond au délit du mâle c’est pour la femme sauvage, ainsi que nous le verrons, la prostitution.
(1) C’est cette plus grande fréquence qui est cause, comme nous verrons, que les habillements des prêtres sont copiés d’après ceux des femmes (V. Appendice)
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