Deuxième article d’une série de trois qui parurent sur deux années consécutives dans la Revue Métapsychique, 1933 et 1934. [le premier est déjà en ligne sur notre site]
César BAUDI DE VESME (1862-1938). D’origine italienne il vécut la plus grande partie de sa vie en France, où il mourut. Défendant une philosophie spiritualiste, bilingue bien sûr, il publia de très nombreux articles et un ouvrage reprenant l’ensemble de ceux-ci. Il se spécialisa dans les études du paranormal et du spiritisme. Son principal ouvrage : Histoire du Spiritualisme expérimental. Paris, Jean Meyer, 1928.
Deux articles importants parmi plusieurs dizaines :
— A propos de rêves prémonitoires et de paramnésie. [Partie 1]. Article parut dans la « Revue des Etudes psychiques », (Paris), 2e série, 1er année, n° VIII-IX-X, Août-Sept.-Oct. 1901, pp. 225-242. – pp. 225-242. – pp. 225-242. Et – n° XI, Novembre. 1901, pp. 331-350. [en ligne sur notre site]
— L’obsession et la possession l’Extrême-Orient et dans les Pays non civilisés. [Partie 1] Article paru dans la « Revue Métapsychique », (Paris), n°3, année 1929, Mai-Juillet, pp. 163-183. – Septembre-Octobre, pp. 436-465. [en ligne sur notre site]
— História do Espiritismo. 1896.
— História do Espiritismo Experimental. 1927.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons corrigé quelques fautes de typographie. – Par commodité nous avons renvoyé les notes de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. . – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
[p. 369]
LA XENOGLOSSIE (1)
Je me propose de présenter ici à mes lecteurs quelques-uns des cas les plus probants et les plus caractéristiques qui militent en faveur de la réalité de la xénoglossie, dans ses différentes modalités de réalisation. J’ai jugé utile d’énumérer, dans la première partie de cet article, les principales hypothèses qui ont été mises en avant pour tenter d’expliquer la nature, l’origine de ce phénomène parapsychique ; mais je n’ai point l’intention de pousser à fond leur examen, pour le moment, d’autant que j’aurais bientôt l’occasion de le faire, au moins dans une certaine mesure, en analysant le très intéressant ouvrage que M. Ernest Bozzano a consacré à cette question.
Maintenant, il s’agit surtout pour moi de démontrer que l’on possède déjà un certain nombre d’exemples qui nous imposent de ne pas écarter dédaigneusement du pied, a priori, la xénoglossie du cercle de la phénoménologie métapsychique, et qu’il importe au contraire de la prendre sérieusement et courageusement en considération.
Je prie donc ceux qui me liront de ne pas attacher trop d’importance à la forme et à la phraséologie spirites dans lesquelles ces faits sont présentés. Les sujets qui ont servi à ces expériences étaient presque invariablement spirites, au moins de tendance, de même que les milieux dans lesquels ils évoluaient ; ne l’auraient-ils pas été que les phénomènes xénoglossiques, si étonnants et difficilement explicables, semblant d’ailleurs, au premier abord, indiquer l’intervention d’une entité étrangère au médium, devaient facilement entraîner la croyance au spiritisme. C’est à la critique de soumettre ensuite au creuset de la logique et de la science les différents récits et de découvrir, si possible, la réalité qui se cache sous les formes et les apparences. [p. 370]
La xénoglossie par l’écriture automatique.
Les quelques cas de xénoglossie que j’ai cités jusqu’ici appartiennent tous à la catégorie de la « médiumnité parlante ». Je vais maintenant passer aux cas obtenus par l’ « écriture automatique », ou « psychographie », soit que le sujet écrive avec le crayon ou la plume, soit qu’il emploie un de ces appareils, genre planchette, ouija, etc., bien connus de nos spirites.
Cette deuxième catégorie de manifestations xénoglossiques, généralement moins impressionnante que la première, offre néanmoins l’avantage très appréciable de fournir aussitôt un document durable et précis, ce qui vaut infiniment mieux que de se confier seulement à Ia mémoire, si souvent fallacieuse, des témoins. Par contre, il s’agit dans l’écriture d’un travail plus mécanique que dans la parole, où la prononciation, l’accent créent généralement un surcroît non indifférent de difficultés ; ce qui fait que l’on subit plus naturellement, devant un médium psychographe, l’impression que celui-ci reproduit peut-être consciemment des phrases qu’il a eu soin d’apprendre par cœur, ou subconsciemment des phrases qui lui sont tombées jadis sous les yeux et dont il n’a gardé qu’un souvenir latent.
La « communication » obtenue médiumniquement est parfois d’une telle longueur, que cette deuxième hypothèse — celle de la « cryptomnésie » —- tombe aussitôt d’elle-même. La longueur de l’écrit parvient, en certaines occasions, à rendre très invraisemblable même l’hypothèse de la fraude.
Le cas le plus caractéristique que l’on connaisse est probablement, à cet égard, celui de la personnalité médiumnique s’appelant « Patience Worth », qui a dicté rapidement par la bouche de l’américaine Mrs. Curran, des volumes entiers, dont un poème idyllique en vers libres, Telka, dont le sceptique docteur Walter F. Prince, qui l’a analysé dans une magistrale étude, place la valeur littéraire bien au-dessus même des œuvres, d’un genre analogue, de Maeterlinck.
Ce poème est écrit dans la langue anglaise désuète du XVe siècle, si différente de celle moderne, qu’un Anglais de culture moyenne ne la lit qu’avec difficulté, en s’aidant de glossaires ; il est en outre tout farci de mots appartenant au vieux dialecte du Dorset où « Patience Worth » affirme avoir vécu, il y a près de trois siècles. Dans cet ouvrage de 70.000 mots (270 pages d’imprimerie) les critiques ne sont pas parvenus à dénicher un seul vocable entré dans la langue anglaise après 1600. Et cependant, il était dicté par Mrs. Curran avec une telle vitesse, que la personne lui servant de secrétaire avait de la peine à la suivre ; la dictée tout entière n’a pris que 35 heures. Mlle F. C. Schiller, professeur de Logique [p. 371] à l’Université d’Oxford, et qui, de même que le Docteur W. Prince, que je viens de citer, a été Président de la S. P. R., a proclamé cet ouvrage un « miracle philologique », défiant même des explications fondées sur des hypothèses telles que celles selon lesquelles le médium entrerait en rapport avec le supposé « Réservoir cosmique des souvenirs », ou avec l’Absolu (2).
Et pourtant, je crois que la presque totalité des métapsychisles seraient difficilement convaincus par des expériences de cette sorte, tellement est naturelle notre tendance à considérer la littérature et l’art automatiques simplement comme un produit d’une cérébration subconsciente, fondé sur des notions latentes acquises par le sujet ; tellement nous sommes habitués aux pastiches habilement forgés en un style antique ou en une langue morte (que n’as-tu pas fait à ce sujet, pauvre Chatterton, à l’âge de seize ans !), et tellement, est pénible l’examen de cas qui nécessitent une profonde connaissance philologique, des recherches longues, malaisées et incertaines, que d’ailleurs quelques érudits anglo-saxons seraient seuls en mesure d’entreprendre,
Les cas simples et concis possèdent, par ces qualités mêmes, beaucoup plus de clarté et de force de persuasion que les plus volumineuses productions des pasticheurs conscients et subconscients.
D’autre part, il est manifeste que le moindre dialogue, dans lequel les phrases xénoglossiques constituent des réponses appropriées aux questions posées par les expérimentateurs, et ne peuvent donc pas avoir été préparées d’avance, revêt infiniment plus de valeur théorique qu’une maxime quelconque qu’on est parfois exposé à découvrir ensuite en des ouvrages auxquels elle peut avoir été empruntée.
Dans le cas où il y a dialogue, pour admettre la possibilité d’une supercherie il faut supposer que le médium ait secrètement étudié la langue dans laquelle est conçu le « message » — ce qui est beaucoup plus improbable dans la plupart des circonstances, et presque inadmissible dans certaines autres.
Il faut en effet tenir compte, tout d’abord, de certaines circonstances concomitantes qui interviennent quelquefois à compliquer le phénomène xénoglossique de manière à en confirmer l’authenticité.
Il en est ainsi, par exemple, dans les fameuses « communications »,
en langue chinoise obtenues en 1928 à Boston avec « Margery », la femme du Docteur Crandon, concurremment avec le médium à « voix directe » Valiantine, qui se trouvait à New-York, et le médium docteur Hardwick, qui était à Niagara-Falls. Tous les trois obtenaient, à la même heure, le même texte chinois, qu’ils ne comprenaient pas, et qu’ils devaient ensuite soumettre à des lettrés chinois, qui les [p. 372] traduisaient et en constataient la concordance. C’était en somme une espèce de « correspondance croisée » (3) compliquée de xénoglossie.
Voici un épisode de cette série d’expériences. Au cours de la séance du 17 mars, « Walter » —(l’entité qui se manifeste le plus constamment dans les séances de « Margery », dont elle dit être le frère décédé), — demanda aux expérimentateurs de lui indiquer une phrase, courte et claire, qu’il se chargerait de communiquer à des esprits de Chinois, lesquels la transmettaient au médium Hardwick à Niagara-Falls, après l’avoir traduite dans leur langue. Un des expérimentateurs, Mr. Malcolm Bird, research officer de l’American S. P. R., proposa le proverbe : Pierre qui roule n’amasse pas mousse — proverbe existant presque exactement dans la même forme en langue anglaise. « Walter » accepta. Aussitôt à Niagara-Falls, le Docteur Hardwick, en transe, écrivit quatorze caractères chinois disposés sur deux colonnes. Le professeur Lees, auquel ils furent soumis, les traduisit ainsi : Un précepteur qui voyage n’amasse guère de l’argent » — ce qui constitue la forme chinoise du même proverbe.
Dans cette circonstance, Valiantine ne reçut rien.
Admettons, si vous voulez, une transmission de pensée. Celle-ci ne se rapporterait, en tout cas, qu’à l’idée contenue dans l’adage.
Mais il faudrait encore expliquer comment cette idée a pu être exprimée en langue chinoise. Et comme il s’agissait d’une phrase suggérée librement par les expérimentateurs, il ne peut s’agir de connivence entre les deux médiums ; il faudrait admettre la complicité d’un au moins des expérimentateurs. De plusieurs expérimentateurs, même, si l’on considère tous les épisodes de cette série de « correspondances croisées ». Trouve-t-on bien vraisemblable une collusion exposant à des révélations scandaleuses et des chantages trois médiums non professionnels et des expérimentateurs dont on a pu discuter la capacité, mais dont on n’a pas mis en doute la bonne foi ?
La série von Reuter.
La vraisemblance qu’un médium ait clandestinement appris une langue qu’il feint ignorer, diminue, naturellement, lorsqu’il s’agit, non pas d’une seule, mais de cinq, de dix langues diverses, dont quelques-unes absolument rares, dialectales ou mortes. Elle diminue de même selon la condition sociale et morale du sujet qui a servi à l’expérience et d’autres circonstances analogues.
C’est ce qui rend si intéressante la série d’expériences dont les sujets étaient un des concertistes de violon les plus connus de nos jours, M. Florizel von Reuter, et spécialement sa mère. Les « communications » dont il s’agit étaient obtenues à l’aide d’un petit [p. 373] appareil appelé Additor, qui constitue une variété améliorée du cadran alphabétique avec aiguille mobile, laquelle indique successivement les différentes lettres — appareil bien connu des spirites et qui agit grâce à l’automatisme moteur. C’est au moyen de cet appareil, sur lequel la mère et le fils posaient chacun une main, qu’ils reçurent des messages en quinze langues diverses. N’insistons pas sur celles que les deux médiums n’ignoraient point ; ils sont tous les deux des polyglottes remarquables, connaissant plus ou moins bien l’anglais, leur langue maternelle, l’allemand, le français, l’espagnol, l’italien, ainsi qu’un peu de suédois et de latin. Mais ils reçurent des messages en russe, magyar, norvégien, polonais, hollandais, irlandais, persan, arabe et turc. Remarquons que Mme Reuter, souvent seule à l’appareil, a l’habitude de se faire bander les yeux avant les expériences et ne peut donc pas diriger l’aiguille de l’Additor. Il est d’autant plus probable que le bandage soit efficace que, lorsque cette dame reçoit des communications en des langues ignorées, c’est fréquemment en écriture inverse, c’est-à-dire « en miroir » ; et pourtant l’aiguille de l’appareil marche avec une telle rapidité, qu’il est quelquefois malaisé de saisir toutes les lettres qu’elle indique.
Au fur et à mesure que les manifestations paranormales se réalisaient et devenaient de plus en plus étonnantes, M. Florizel von Reuter en rédigeait des comptes rendus dont il adressait une copie à son ami le Docteur Walter Prince. Il était sans cesse tourmenté par le doute, non pas précisément au sujet de l’authenticité des phénomènes, mais de leur nature ; il se demandait s’il n’y avait pas moyen de les expliquer scientifiquement, sans sortir des limites de la psychologie normale. Le Docteur Prince, à son tour, soulevait sagement un monde d’objections, qui eurent l’heureux résultat de corser de plus en plus les exigences scientifiques de l’expérimentation et d’en améliorer les résultats jusqu’à atteindre la mesure de ce que l’on peut considérer comme étant humainement irréprochable. M. de Reuter a publié ensuite le récit de ses expériences en deux ouvrages intitulés respectivement : Psychical Experiences of a Musician, et The Consoling Angel, trop peu connus en dehors des pays de langue anglaise.
Voici quelques exemples des cas de Xénoglossie qu’on trouve enregistrés dans ces deux livres :
Un jour, la personnalité « Nicolo » (Nicolo Paganini), que M. von Reuter considère comme son « esprit-guide », ouvrit la séance en écrivant par la main de Florizel lui-même qu’un ami hollandais désirait le saluer par l’entremise de sa mère. Remarquez bien que cet avertissement ne venait donc point de la mère et que celle-ci n’avait donc pas amené cette ouverture de « communication », [p. 374] pour avoir l’occasion de débiter quelque chose qu’elle avait préparé d’avance. Et voici le récit de M. von Reuter :
… L’Additor commença aussitôt à écrire un message en hollandais qui se prolongea jusqu’à occuper trois pages d’écriture en gros caractères… J’ai transmis le message au consul de Hollande à Berlin, qui pourvut aimablement à la traduction, que je reproduis ici avec le texte hollandais :
— Goeden avond. Hoe vaart ge ? Ik ben een vriend. Ik ben verhengd u weertezien, myn vriend. Ge ziet goed uit. (Bonsoir. Comment allez-vous ? Je suis un de vos amis. Je suis heureux de vous revoir encore une fois, cher ami. Je vous trouve bien portant).
A ce moment, ne sachant pas qu’il avait écrit qu’il était un de mes amis, j’ai demandé=
— Vous ai-je connu en vie ?
— Zeer wel. — (Très bien).
— Voulez-vous me donner votre nom ?
— Pieterse. — (C’était le nom d’un de mes anciens amis, autrefois consul à Smyrne).
— Vous trouvez-vous bien où vous êtes ?
— Ik dank u, zeer god. Ik heb voor u cen raod, met uw verlof. Sta mij
die bede toe ? Zal ik myn raad geven ? — – (Très bien, merci. Si vous me le permettez, je voudrais vous donner un conseil. Me le permettez-vous ? Puis-je vous donner mon conseil ?).
Et le message continua à se dérouler longuement. Lorsque le Consulat me transmit la traduction, je constatai que le texte se rapportait à une affaire privée qui était alors pendante et qui n’est pas de nature à pouvoir être publiée ici. Il me suffira de dire que le conseil résulta par la suite excellent. Le message contenait entre autres les expressions suivantes :
— Ge waart onvoorzichtig voor een jaar. — – (Vous avez été imprudent il y a un an).
— Dat zal nietzel Ijaan. — (Gela ne peut pas bien marcher).
— Ik spreek ernslig. — (Je vous parle avec effusion).
— Ik vind het beter. — (Mon conseil est le meilleur).
— Ja, ik weet her zeker het is beter. — (Oui, je suis sûr qu’il est le meilleur).
— Neem u een andermal in acht. — (Une autre fois, agissez avec prudence).
— Ik waarschuw u. — (Je vous en préviens).
—Weest verstanding, in dien u mijn raad wilt volgen. — (Ecoutez-moi et suivez mon conseil).
— Spreken wijer niet meer van mijn vriend. — (Enfin, n’en parlons plus, mon ami).
— Ik moet heen. —.::.(Je dois m’en aller).
— Tot wederziens, een ander maal zat ik wat langer blijven, als mij vergund. — (Au revoir; une autre fois je pourrai demeurer plus longuement, si cela me sera loisible).
— Het is laat. Ik heb niet gedacht dat het zoo laat was. — (Maintenant c’est tard. Je ne m’étais pas aperçu que c’était tard…).
— Mijn groeten aan uwe moeder. Tot wederziens. Droom zalig. Ik dank u. — (Mes salutations à votre mère, jusqu’à quand nous nous reverons. Des rêves agréables. Merci à vous). [p. 375]
La personnalité qui s’exprimait de la sorte paraissait bien caractéristique du consul Pieterse, tel qu’il était en son vivant : homme énergique, un peu autoritaire, mais exceptionnellement aimable et sincère, grand culteur de l’art musical.
Le Consul néerlandais à Berlin, traducteur du message, avait joint à la traduction la lettre suivante :
« En réponse à votre lettre datée du 21 courant, je vous renvoie le document que vous m’aviez transmis, avec la traduction. La langue hollandaise du message est correcte, hormis quelques fautes d’orthographe, que j’ai corrigées à l’encre rouge. Le consul Ujie Pieterse dirigeait le Consulat général de Smyrne. — Salutations distinguées. » (Suit la signature).
M. von Reuter explique les quelques légères fautes orthographiques de ces messages en disant qu’elles sont inévitables avec un appareil du genre de l’Additor ; ce qui se comprend aisément.
Quelques « communications » obtenues par M. et Mme von Reuter sont en langue russe. Je me borne à reproduire le compte rendu de l’une d’elles. La circonstance qu’une personne née en Russie était présente à la manifestation peut, en un certain sens! Diminuer un peu l’intérêt que présente ce cas ; par contre, une autre circonstance rend cet épisode, très caractéristique : c’est que la personnalité qui se manifeste, tout en montrant connaître fort bien l’anglais, s’exprime d’abord en russe, évidement pour donner une preuve de son identité. M. F. von Reuter, écrit :
Le premier cas se produisit le 11 août, en présence de deux jeunes filles juives : Miss Minna Eckmann et Miss Dorothy Schapira. Cette dernière était née en Russie, mais sa famille avait émigré en Amérique lorsqu’elle n’était âgée que de deux ans. Son père était décédé depuis quelques années. .
Je ferai suivre les phrases russes de la traduction ; mais il doit être bien entendu qu’aucun des assistants ne connaissait le russe (pas même Miss Schapira qui chez elle n’avait jamais entendu parler d’autres langues que l’anglais et le judaïque).
Dès que l’Additor commença à se mouvoir, nous avons demandé : « Qui est présent ? » La réponse fut :
— Ja etah. — (C’est moi).
— Qui êtes-vous?
— Ja ahtayts. — (Suis père). (Note du traducteur : En russe on omet les articles).
— Avec qui désirez-vous parler ?
— Dahch mne. — (Avec fille mienne). (Note du traducteur : « Avec ma fille » serait plus naturel, mais l’autre expression peut aussi aller).
— Est-ce que la langue dans laquelle vous écrivez est le russe ?
— Da. — (Oui). — Etah menyah oshen rohdooyet. — (Cela me fait bien plaisir de l’écrire). — Kak ya schahsleep. — (J’en suis heureux).
— Etes-vous le Père Stanislow ? (3) [p. 376]
— Nett. —- (Non).
— Il est regrettable que nous ne comprenions pas le russe.
— Neecheevo. — (N’importe).
Miss Schapira remarqua : « J’ai un vague souvenir de ce mot ».
J’ai demandé de nouveau : « Qui êtes-vous donc ? »
— Ahtayts. — (Père). (Parole qu’aucun de nous ne comprenait en ce moment).
Miss Schapira demanda : « Etes-vous un esprit sincère ? »
— Da, Ya preeshol skasaht vam. — (Oui ; je suis venu pour te dire que c’est moi). —- Pahnemayen ? — (Me comprends-tu ?)
Miss Schapira dit : « Ce dernier mot signifie : « Comprends-tu ? »
J’ai demandé : « Etes-vous donc un parent de Miss Schapira ? »
— Ahtayts. Dahch mne. — (Le père. C’est ma fille). — Prashchaite. —
(Adieu).
Après cela, la même entité commença à s’exprimer en anglais, en disant : « Je crois vous avoir assez intrigués ».
— Mais qui êtes-vous donc ? — demandai-je encore.
— Je l’ai écrit deux fois déjà. Dorothy (Miss Schapira) doit porter à la maison ce que je viens d’écrire pour le faire traduire par Ma.
— Par qui ?
— Par sa mère.
Miss Schapira : — Mais, dites-moi donc qui vous êtes.
— Ne te souviens-tu pas comme on dit « père » en russe ?
Miss Schapira remarqua en ce moment que son père avait toujours aimé la plaisanterie à surprise, et admit que la personnalité qui se manifestait paraissait bien typique de lui…
S’il me semble incontestable que la présence d’une personne qui ne pouvait que posséder quelques notions subconscientes de la langue russe enlève au cas que l’on vient de lire une partie de sa valeur théorique, il n’est pas moins vrai que cet inconvénient ne se présente point dans plusieurs autres cas ; dans un, entre autres, au sujet duquel M. von Reuter demeura quelques mois dans l’embarras, ne parvenant pas à percer le mystère d’une langue qui avait été parlée par l’une des personnalités médiumniques qui s’étaient manifestées au cours d’une séance ; le professeur Hans Driesch, bien connu des métapsychistes, parvint enfin à découvrir que c’était du lithuanien (idiome d’origine finnoise), et le fit traduire par son collègue de l’Université de Leipzig, le professeur Gerullis, spécialiste des langues baltiques.
Mais le cas le plus remarquable de la série est probablement le suivant. Tel que le raconte M. von Reuter il est un peu long ; aussi je me trouve dans la nécessité d’y introduire un certain nombre de coupures.
Le 14 février 1927, une Intelligence s’est manifestée en annonçant, en anglais : « Je puis écrire une langue que vous ne connaissez point… » Nous l’avons invitée à le faire, et aussitôt on dicta une série de mots,
dont celui de « Sahib », qui me fit supposer qu’il s’agissait de l’hindoustani. Désirant présenter des témoignages dans une expérience aussi importante [p. 377] qu’un message en hindoutani (langue dont ma mère et moi n’avions pas la moindre idée), nous avons prié l’Intelligence de revenir le soir même, à 9 h. 30. Les témoins qui sont intervenus à l’heure indiquée étaient la comtesse P… et le baron Friederich von und zu Konig-Warthausen, qui signa le procès-verbal de la séance.
Le soir suivant, la même Intelligence s’est de nouveau manifestée et a écrit dans la même langue. Avant de prendre congé, il dit être Pierre Loti, que v. Reuter, alors « enfant prodige », avait connu lorsque le célèbre écrivain commandait le stationnaire français à Constantinople.
Après quelques démarches restées sans résultat, le texte obtenu a été envoyé au bureau des « Interprètes gouvernementaux » de Berlin, qui répondit : « Il s’agit de persan, mais d’un persan parlé dans l’Inde ». La traduction accompagnait la lettre.
Voici d’abord un extrait de la première séance du 14 février :
— Assalemaleikum, Sahib. — (Bonsoir, Monsieur),
— Dewande. — Ecrivez-vous en hindoustani ?
Réponse. — Nachar bi Choda. — (Non, mon Dieu).
D. — Vous avons-nous connu en vie ?
R. — Muddati ast. — (Il y a plusieurs années). — Salem modar, salem pisar. — (Je salue la mère, je salue le fils…)
Lorsque la séance a été reprise, le soir même, en présence de la comtesse P… et du baron von Konig, les deux Reuter posèrent conjointement chacun une main sur l’Additor, sans regarder l’appareil en action.
D. — Etes-vous présent ?
R. — Bali.
D. — Est-ce que « Bali » est un mot ?
R. — Bali, Sahib. Tschi hidmat baman darid ? — (Que désirez-vous de moi ?)
A ce moment, M. de Reuter dit : « Bali signifie probablement « oui ».
R. — Rast miguid. — (Tu as raison).
D. — Vous avons-nous connu quand vous étiez vivant ?
R. —. – (Il y Muddati ast bist sal a vingt ans).
Comtesse P… — Qu’elle langue est-ce ?
R. — Istifal kun. — (On devrait dire : Istifsal kun : « C’est à vous de le chercher ».
Comtesse P… — Ne voulez-vous pas dire de quel pays vous êtes ?
R. (en anglais). — Non, parce que je désire que vous fassiez des Recherches. »
F. v. Konig. — Nous ferons de notre mieux pour chercher et trouver,
R. — Chaili chob, Sahib. — (Très bien, Monsieur).
Comtesse P… — Ecrivez-vous en turc ?
R. — Nachar bi Choda. – (Non, par la volonté de Dieu).
F. v. Konig. — Est-ce du persan ?
R. — Istifal sals. (On devrait dire : Istifsal : « Cherchez ». On fit cependant une tentative pour corriger cette faute orthographique).
F. v. Konig. — Veuillez écrire encore.
R. — Bas ast. — (Assez pour le moment).
F. v. Konig. — Viendrez-vous de nouveau ?
R. — Namidanam. — (Je ne sais pas).
F. v. Konig. — Venez-vous souvent en Wiesenburg ?
R. — Na, na, — (Non, non).
(Suivent les signatures de M. de Reuter et du baron de Konig-Warthausen). [p. 378]
Séance du 15 février. – L’Additor écrit :
— Selam, batscham. — (Bonjour, enfants). — Banda, tschi bajard bikuman ? — (Que désirez-vous que je fasse ?) — Bibi tschi hasir kun. – (Occupez-vous toujours de ce qui est nouveau).
F. v. Reuter demande à l’Intelligence d’écrire encore quelque chose, cela présentant pour lui un vif intérêt.
R. — Chaili mimonum i schuma hastan. — (« Je vous suis obligé », ou bien : « Je vous remercie ».
Sans comprendre la signification de ces mots, M. de Reuter répondit : « Je vous remercie ».
R. — Tschisi nist. — (Ce n’est rien).
D. — Voulez-vous me dire comment on écrit : « Je le remercie » ?
R. (en anglais). — Je l’ai déjà écrit.
Le dialogue continue quelque temps encore par des phrases que l’espace dont je dispose ne me permet pas de reproduire ici.
M. von Reuter remarque : « Ni moi, ni ma mère avons jamais été dans l’Inde ou en Perse ; jamais nous n’avons été en rapport avec des personnes de ces pays ».
N’oublions pas qu’il s’agissait parfois de réponses à des questions posées, non pas seulement par les Reuter, mais par la Comtesse P… et le baron von König.
Le Docteur Walter Prince dut reconnaître, cette fois, qu’il s’agissait d’un cas de nature à satisfaire les plus strictes exigences de la recherche scientifique.
C. DE VESME.
(A suivre).
NOTES
(1) Suite ; voir le numéro de septembre-octobre de la Revue Métapsychique. [en ligne sur notre site]
(2) Proceedings of the S. p. R. ; vol. XXXVI, pp, 574 et 575.
(3) Quelques communications précédentes en langue russe provenaient de la personnalité d’un soi-disant moine russe de ce nom .
— C. V
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