Les suceuses convulsionnaires sucent-elles, sans qu’elles le sussent, d’une façon suspect ou miraculeuse ? Non elles sucent naturellement. Démonstration.
[Hecquet Philippe [1661-1737]]. La Suceuse convulsionnaire, ou la Psylle miraculeuse. S. l., [Paris], 1736, 1 vol. in-12.
L’auteur, selon Barbier, d’après le Catalogue manuscrit de l’abbé Goujet, en serait Philippe Hecquet.
[Références: Y.-P.: 735. – Caillet: 5018. – B. n. F. : ]
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’ouvrage. – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais nous avons corrigé les fautes de composition. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
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LA SUCEUSE
CONVULSIONNAIRE
OU
LA PSYLLE (1) MIRACULEUSE.
C’est la Charlote, Monsieur, qui guérit les écrouelles & les vieux ulceres en les suçant jusqu’à avaler les vers (2) dont grouilloit le pus de tels ulceres, & cette succion est, vous dit-on, miraculeuse. Expliquons nous nous, Monsieur, c’est un miracle à la façon du Convulsionnaire.
Qu’elle guérisse, c’est toujours une question ; quand il s’agit d’affections de Convulstionistes, dont la vertu n’est gueres celle de respecter la vérité ; dès qu’il convient au prétendu divin des Convulsions que l’on publie un miracle à son honneur & gloire. Nos amis sont toujours étonnés, de vous trouver, comme vos autres amis, si mal instruits des effets naturels. Ce n’est pourtant pas que l’on ne commence par vouloir bien vous passer, que la Charlote ait guéri en suçant des
écrouelles. L’on veut donc vous l’accorder, mais pour vous ramener au naturel de tout ce qui surprend vos admirateurs, l’Auteur du [p. 4] Naturalisme a touché cette question en expliquant comment le succement des playes aydé de la salive peut les guérir. La Charlote surtout dans la seconde Requête, cite pourtant avec une modeste complaisance, des succès de succements, qu’elle releve, en les faisant valoir, poit avoir guéri de vieux ulcères scrofuleux, qui avoient été abandonnés ou reconnus incurables. Là-dessus, elle & sa faction, sonne le tocsin du miracle ; jusqu’à faire un crime au scavant Auteur des Réflexions sur sa Requete, de lui contester le titre de miraculeux dans ses operations convulsionnaires. La Physique de la guérison de playes récentes suffiroit grandement pour faire soupçonner le naturel de guérison écrouelleuses qui s’opereroient par le succement. Dans celles-là, il suffit de comprendre que par la succion d’une forte poitrine, s’attirent des grumeaux de sang, lesquels dans une plaie récente deviendroient la matiere des inflammations, des douleurs, & des suppurations, de manière que la réunion se fait en pareil cas sans inconvenient, quand la playe ne dicise que les chairs, sans qu’aucun viscere soit interessé. La guérsison de vieux ulceres par le succement ne peut-elle pas arriver aussi naturellemnt ? Etoit-ce des miracles que les guérisons attribuées aux Psylles, qui tiroient en suçant le venin intimement mêlé dans le sang, par la morsure des erpents ? Caton, au rapport de Plutarque, [p . 5] ayant à voyager dans la Lybie parmi les serpens, se munit de Psylles, pour se désempoisonner par le succement, en cas qu’il vînt à être pîqué par ces animaux venimeux, & un celebre Historien, (3) rapporte d’Auguste, qu’il fit desempoisonner Cleopatre, par la succion de Psylles qu’il employa. Le virus écrouelleux, tant malin fut-il, est-il aussi intimement mêlé au sang, que le venin des serpens lancé par leur morsure, dans le corps, l’est avec les esprits ? Voilà donc d’abord moins : des merveilles dans la prétenduë guérison d’écrouelles operée par le succement de la Charlote, que dans celle des plus fameux Suceurs de playes.
Mais pour combattre les merveilles de ma Charlote à armes égales, il faut les comparer avec des guérisons de maladies , qui ne sont point dans les esprits, & qui se guérisent par la succion, qui dégage des sucs morbifiques infiltrés dans le profond des vaisseaux capillaires. Le poil, c’est-à-dire le lait engrumelé dans les mammelles d’une nourice, se guérit tous les joues par la succion d’une forte bouche, car celle d’un jeune enfant n’y pouroit rien : des succeuses donc, femmes versées dans cette manœuvre, sucent vigoureusement la mammelle malade & attirent dans leur bouche le lait arrêté & croupissant dans les vaisseaux Secretoires de cette partie, elles la dégonflent, & voilà une guérison ordinaire [p. 6] qui réussit par le succement. D’autres maladies (car il y en a bon nombre de ce genre) sont entretenuës par un sang melancolique, épaissi ou scorbutique, arrêté çà & là dans les vaisseaux capillaires, varigueux ; tous les remedes y auront échoué ; des sansües s’appliquent sur la peau, très éloignées souvent du siege de la maladie, elles sucent & attirent à elles ce sang croupissant, & voilà qu’un mal jugé très profond dans les chairs, quelque fois dans un viscere, où les remèdes n’ont pu penetrer, guérira pr la succion de ces bêtes, & quelque fois en assez peu de tems.
Mais même sns attirer hors du corps du sang, ou des sucs qui font de grandes maladies ; n’est-ce point une espèce de succion que l’attraction des ventouses seiches terminent de très facheux symptomes. Ainsi, les miracles opérés pars les sucemens de la Charlote, si elle a faut des guérisons, rentrent parfaitement dans les forces, l’ordre & les manieres naturelles. Surquoy posera après cela le cri triomphant de la Requête, si la Charlote est aussi peu miraculeuse, que peu jalouse ou curieuse de pudeur ? Car ses aveux là-dessus & ses tendres démonstrations pour un jeune homme qu’elle embrasse, peuvent prouver tous seuls, que la nature (peut-être la plus honteuse pour une Chrétienne) a bien plus de part dans ses opérations, qu’une grace ou une vertu miraculeuse. [p. 7]
Donc, qu’à la gloire & honneur de l’œuvre des Convulsions, la Charlote passe pour la suceuse guérissante, & par là qu’on le donne pour la corriphée des Sœurs Convulsionnaires, sera-ce la Psylle miraculeuse dans l’ordre du Convulsionnat ? Les Psylles de l’antiquité passoient pour avoir une vertu bien supérieure, & certainement suréminente à celle de la Psylle Convulsionnaire, puisque leur sucemens guérissoient du poison, c’est-à-dire, d’un mal qui étoit profondément dans le corps, & intimement mêlé au suc nerveux ou dans les esprits ; les écrouelles ou quelques vieux ulceres que ce soit, n’occupent guere, pour ainsi dire, que la superficie de la partie malade ; surquoy par conséquent le sucement doit avoir plus efficace, comme plus de prise. C’et donc encore en cela, que la vertu de Chalote la prétenduë miraculeuse, est beaucoup au-dessous, de comme des suceurs nés, ou naturels &de profession. Ce sont des glandes, reprend-on, qui sont le siège des affections écrouelleuses, é est-ce rien moins dire ou faire comprendre, que ce sont des entortillemens de vaisseaux, dont le sucement de la Charlote fait le dégagement. D’ailleurs, de quelle humeur ? d’une lymphe aigre, d’une sérosité corrosive filtrée dans le labyrinte de vaisseaux. De plus encore, de quelle étenduë seront ces vaisseaux, jusqu’où l’art chirurgical, avec sous ses resolutifs, ses fondans, ses [p. 8] supuratifs, ses detersifs, n’avoient pu atteindre ; puisqu’il est des glandes, dont le détortillement donne jusqu’à trois cens aulnes de longueur ? Tous cela est vrai à plusieurs égard ; mais les glandes qu’occupent les écrouelles sur les genoux, les pieds, les doigts, sont-elles du genre & du nombre de ces glandes énormément vasculeuses ? Ce font des glandes vesiculaires, absorbantes, à la maniere des éponges, qui sans beaucoup de masse, & fans une grande profondeur se sont de nombreuses capacitez cellulaires poreuses. Ainsi la salive de la suceuse, & la force de la sucion auront eû peu à profonder ; & c’est autant à rabatre sur sa vertu miraculeuse. Faut-il pourtant accorder, que les glandes écrouelleuses soient de celles dont l’on compte les vaisseaux par aulne, seroit-ce une succion miraculeusement opérante ? C’est mal connoître la prodigieuse force de la succion, qui fe trouve dans celle des êtres de la nature, telle qu’elle se prouve par la Physique experimentale. Elle montre (cette Physique) que l’ostersion, ou la montée de la seve dans les plantes, part du plus profond de la terre (4) par la succion qui s’y fait par les racines des grands arbres ; celles-ci transmettant la matiere de la seve dans le tronc de l’arbre, puis dans ses branches, puis enfin dans chacune de ses feuilles. Est-ce rien moins que voir traverser à la seve sucée, & parcourir des [p. 9] milliers de pieds (5) combien seront-ce d’aulnes de vaisseaux lignaux, seveux, &c. De chacune des feuilles d’un arbre haut & large ; lesquelles, comme autant de petites pommes aspirantes attirent à elles des extremitez des racines, la matiere de la seve. Que cette succion paroisse un mot, ou un terme sans realité, l’on en jugera ci-après. Mais elle est tellement en propre aux feuilles, que ce sont autant de passoires transpirantes, par les ports desquels s’évapore la seve, comme fait la matiere de la transpiration à travers les pores de la peau dans les animaux. Cette Phisique va encore plus loin : elle apprend à ramasser cette transpiration effective par une sorte de distillation, faite de dessus la plante en pied & vivante sur la terre; (6) & cette transpiration de seve est une liqueur aqueuse, toute semblable à l’humidité qui passe en forme de vapeur des racines dans le tronc, & du tronc dans les branches d’un arbre. Voilà le prodige operé par la vertu toute seule d’une succion naturelle, sans y faire intervenir la miraculeuse.
Après cela voudra-t-on contester, cette vertu de succion ? Elle est autant réelle, qu’il est vrai que la sublimation de la seve n’est aidée dans les plantes par rien du mecanisme, qui fait dans les animaux la sublimation [p. 10] du sang et des esprits animaux, des parties basses aux parties superieures ; & qui ramene le sang de la circonference ou habitude du corps au centre. C’est le cœur, qui comme une puissante pompe, lance le sang de haut en bas & de bas en haut en même tems; en même tems qu’un autre double mecanisme continue cette sublimation & ces distributions, jusqu’à leur terme. D’une part la systole, ou l’elasticité des parties solides ou contenantes, qui comme autant de ressorts montent le fang des pieds à la tête, tandis que d’autre part des valvules placées d’espace en espace sur le chemin du sang, le soutiennent comme des échelons dans sa marche. Tout cela manque dans les plantes ; pour operer la prodigieuse sublimation & distribution de la seve. Cependant ces operations dans les vegetaux sont autant certaines qu’il en resulte une transpiration prodigieuse, puisqu’il est une plante (c’est le Soleil) (7) où masse pour masse la transpiration est sept fois plus abondante , que celle qui arrive dans l’homme. Ces merveilles naturelles sont démontrées par des experiences faites & pratiquables : rien peut il davantage donner échec aux miracles de Charlote la suceuse, & de les faire tomber ? Ses Fauteurs, Procecteurs , Apologises & Prôneurs de l’œuvre divine des Convulsions, essayeront-ils à vouloir ridiculiser la succion naturele, comme tenant à l’atraction bafouée de l’ancienne Philosophie ? Ils auront à combattre ce que nous avons aujourd’hui de plus celebres Physiciens, Messieurs Newton, (8) Derham, (9) Freind, (10) Hales, (11) chez qui ils trouveront plus au long l’art de la succion attratracive. Car c’est si peu un simple terme, qui ne signifieroit rien de connu comme dans l’ancienne PhiIosophic, qu’ils en montrent la notion réellement prise dans l’agent le plus connu, l’universel & le plus puissant qui soit dans la narure. C’est le Soleil, dans les rayons & la chaleur duquel, se trouve une force évidemment attractive & sublimatoire. L’Esprit de vin qui s’éleve si étrangement dans le Thermometre, lorsqu’on l’expose à l’ardeur du Soleil, est-il une preuve équivoque de la force qu’il a pour élever vers lui ce qui est spiritueux. Mais les vapeurs du fond de la terre sont un spiritueux, & l’élevation qu’en fait le Soleil, est une succion par laquelle la seve qui s’en forme est sublimée en haut & au large. La chaleur du Soleil en pénétrant la terre , met en rarescence l’humidiré qui y est contenuë ; un air abondant mêlé dans ces humiditez, déploye l’élasticité de toutes les particules humectantes ; ce sont donc comme autant de ressorts qui dilatent ces matieres, & comme de petites visses qui les font monter de bas [p. 12] en haut. (12) Car les racines se trouvent à portée de s’impregner de ces humiditez, elles enfilent les vaisseaux lignaux & seveux, qui se terminent en montant dans les feuilles criblées comme de milliers de troux d’arosoirs. Une pompe aspirallte seroit-elle mieux ?
Comparant cette élevation de séve jusqu’au sommet des plus hauts arbres avec l’élevation que fait le Soleil des vapeurs de la terre, jusqu’à la hauteur où elles se portent dans les airs, l’on trouvera que la force de succion dans les plantes est immense, étonnante même. Ce n’est donc point une simple dénomination, mais une puissance admirable que l’Auteur de la nature a mise dans les corps. Or la succion étant d’un si grand effet par elle-même dans les plantes, est-il mal aisé à concevoir que la succion d’une bouche forte, comme pourroit être celle de la . Charlote, fut capable de faire sur le corps d’un écrouelleux de puissantes attractions ?
Seroit-ce même s’éloigner des idées du systeme convulsionniste ? avantagé, se dit-il, de tant de graces & de prérogatives, que de penser combien la nature aura fait pour une fille distinguée par les dons du Ciel ? N’aura-t-elle pas receu de la nature ce qu’elle a accordé à tant d’autres qui ne la valaient pas, n’étant pas du ressort du Convulsionnat ? Elle a compensé à plusieurs, par un excès de force en des organes, les défauts ou [p. 13] affoiblissement qui étoient en d’autres. Ainsi elle aura donné à la Charlote des jambes manquées, mais en récompense une poitrine forte et une succion ferme. Au surplus le Convulsionnisme accoutumé à attribuer à ces filles les dons du Ciel, ne soupçonnera-t-il point dans le soufle de la Charlotte quelque chose de divin, à l’exemple du soufle de dieu ? (Car jusqu’à quel point ne profane-t-on point les textes de l’Ecriture les. plus savans dans le Conlvulsionnat !) Ne sera-ce pas encore pour lui un beau jeu à se donner en considerant avec une secrete complaisance que la salive du Sauveur a guéri un Aveugle ? Sont-ce là des idées si éloignées de celles du Figurisme ? Car comme il a scs singes dans ses Disciples, pourquoy n’auroit-il point ses guenons dans les filles Convulsionnaires ? Ce fut même ce qui faisoit partie de l’art de sucer dans les Psylles de l’antiquité, que de certaines paroles faisoient l’efficace & la salubrité de la cérémonie suceuse. Mais ici sans avoir recours aux superstitions payennes ; il n’y a quoi que ce fut qui put leur ressembler dans le Christianisme, la Medecine fait apercevoir le pouvoir & la raison physique par où la succion peut devenir un remede, & ce remede paroîtroit d’autant meilleur qu’il rempliroit toutes les indications de la Chirurgie, pour parvenir à la guerison des ulceres dysepulotiques, c’est-à-dire de ceux qui se refusent à la cicatrisation. [p. 14]
La Chirurgie ne reussit pas à mordifier, ni à deterger efficacement ces fortes d’ulceres, parce que le fond des chairs glanduleuses se trouve dans les écrouelles, non seulement imbibé d’une lymphe aigrie, gluante & d’une sanie purulente, intarrissable d’ailleurs ; parce que continuellement elle se reproduit dans un aussi mauvais fond. Ajoutez, qu’une disposition, calleuse, qui durcit les fibres dont la souplesse auroit dû faire la reunion, s’oppose à l’aglutination des sucs, & à la liaison des chairs. Or à tout cela peut remedier sans miracle la succion, à l’aide de la salive. Une salive donc bien faisante, comme celle des chiens qui surent lecher les ulceres du pauvre Lazare, venant par sa chaleur, & son humectation naturelle laver un ulcere, elle le déterge, en même tems qu’en attendrissant les fibres des chairs elle les assouplit, & en les netoyant de la glue sanieuse qui en bouchoit les excretoires, elle les met en état de se reunir. C’eft comme la rosée qui tombant sur les feuilles des arbres, les amolit, ouvre leur pores, & les rend transpirables. Mais la principale vertu de la succion c’est l’attraction qu’elle feroit sur la partie ulcerée, elle a besoin etant bien detergée, de sucs nourissiers dont un renouvellement fasse sonder les extremitez des fibres de la partie ulcerée ; & c’est le pouvoir de la succion forte & reïterée. Par-là s’attire dans les vaisseaux excretoires, & par eux sur la partie malade, une lymphe [p. 15] pure, adoucissante, telle qu’elle abonde dans la masse du fang, dont elle fait les deux tiers. Donc, comme une seve balzamique, elle vient remplir les vaisseaux lymphatiques de la partie ulcerée. A cet abord , les fibres se reconciliant se prennent les unies aux autres, comme en s’embrassant ; elles s’abouchent, & s’entre-communiquant cette gluë naturelle, c’est comme les faire vegeter ; & en cela consiste tout l’art d’une cicatrisation qui guérira naturellement les écrouelles. Aussi adieu les miracles de la Charlotc.
Mais quoi, pas de prodige dans la Chirurgie suceuse de la Charlore ? Faisons en donc un miracle de Theatre, comme parle S. Jerôme, miracle dont s’amuse un peuple prévenu, & qui n’en sçait pas davantage, par où il en est aisé à surprendre. Thetrale miraculum… nihil tam facite, quam vilem plebeculam, & indoctam decipere potest, quae quidquid non intelligit, plus miratur. Passe (me direz vous Monsieur) tout est naturel dans l’art de la Charlote. Mais ce naturel n’a-t-il rien de rare, qui désigne quelque chose de distingué du commun ? Est-il à la portée de tout le monde ? Un sçavoir faire aussi peu vulgaire est-il à mettre dans le courant des événemens & des talens ordinaires ? Aussi veut-on y voir un pareil égard à celui que Louis XIII ordonna que l’on eut pour l’adresse admirable d’un de ses sujets. (13) C’étoit un homme [p. 16] si adroit de ses doigts, & si juste dans son coup d’œil, que sans y manquer, il scavoit jetter de loin un grain de millet, avec une telle justesse dans un petit trou qui ne comportoit point un plus gros volume, sans jamais se tromper. On le presenta au Roy, pour lui faire admirer une adresse si surprenante. Il loüa hautement cette merveilleuse adresse, en presence de toute la Cour : l’on crut qu’il alloit ordonner quelque récompense notable à cet habile joueur à la fossette. En effet, la récompense fut plantureuse. Le Prince ordonna qu’on lui donnât un septier de grains de millet, de peur (dit-il) qu’un secret singulier ne se perdît, faute de matiere ; que cet homme auroit abondamment pour s’exercer à ce jeu, & ne le point oublier. C’est donc un fecret que la nature a mis dans la Charlote, de guérir les ulceres en les lechant, & en les suçant ; les Chirurgiens se lavent les doigts qu’ils ont été obligé de mettre dans le pus. Il est de l’honneur du Convulsionnaires de lui fournir dequoi cultiver un si beau talent, & pour cela de lui donner un sou pour avoir une voye d’eau, afin qu’elle se lave la bouche, autant de fois qu’elle aura à succer des ulceres.
Je raille, dites-vous, Monsieur, & vous vous en plaignez, parce que c’est faire entrer le mepris & l’ironie dans votre chef-d’œuvre des convulsions. Mais est-ce à l’improviste que je parle, & sans reflexion ? C’est donc, [p. 17] Monsieur, qu’il y a si long temps que se traite serieusement, gravement & theologiquement l’affaire des Convulsuions sans pouvoir ramener les esprits au bon sens, qu’il ne reste que de faire répondre la sotise aux folies du Convulsionnat. Responde stulta stultitiam suam.
Mais le sens ce qui vous blesse singulierement. Avoir confondu la Charlote avec ses miracles, c’est avoir donné échec à toutes les requêtes. Indè irae, indè lachrimae. Car c’est montrer le Convulsionnat & son œuvre noyé dans le cracaht de la suceuse Convulsionnaire, la Psylle miraculeuse du parti ; ell pour qui de celebres plumes se sont interessées, elle qui a tant de protecteurs en tout genre, en tout sexe, & dans un ordre distingué. Mais, Monsieur, la chute du Convulsionnat pouvoit-elle se faire avec moins de désavantage, qu’en le faisant tomber dans le Naturalisme ? N’est)ce pas lui prêter un titre d’honneur ? A la vérité, c’est aux dépens de son divin. Mais dès que ce divin devenoit un Surnaturalisme, qui fait voir le Convulsionnat en démence, ne lui est-il pas glorieux de se retrouver dans l’ordre raisonnable & sensé de la nature ?
Ainsi, Monsieur, tout le fracas, toute la forfanterie, toute la vanité des requêtes se réduit au Naturalisme, avec toute l’histoire comique de la Charlote. En effet, si le miraculeux de cette histoire avec son lustre [p. 18] tombe si bas, les avantures de la Nizette dans la double fable de ses deux miracles ; le faux divin de la bastonade, de la Turpin ; tout dela destitué des pompeux appuis de la cause la Charlote, court grand risque de dégringoler de l’étonnant, sur tout dans la scene de la Turpin. Sçait-on l’artifice (qui souvent n’est qu’une bagatelle, comme dit Cardan) qui cependant couvre tout l’admirable d’un joüeur de gobelets ? L’on gage, par exemple, contre un homme, qu’il ne poura casser in œuf à deux pas de lui, quoiqu’il ait à la main un long & gros bâton ; il ne peut comprendre cette impossibilité. Mais l’évenement qui ouvre les yeux, on le met, une muraille entre lui et un œuf ; on lui donne un long bâton, la muraille interposée l’empêche de s’en servir, il perd son argent, & on se moque de lui ? Ce n’est donc pas mettre les requêtes au rabais, que de mettre les évenemens qu’elles contiennent dans l’ordre de la nature. Peut-être même ne seroit-ce que remettre les filles Convulsionnaires à l’état d’infirmités naturelles, où elles étoient autrefois, de maniere que leurs Convulsions prétenduës divines, seroient en effet les restes et les copies des Convulsions morbifiques qu’elles auroient souffertes dans un plus jeune âge. Ce soupçon paroîtroit-il temeraire ou malin ? L’histoire qui se débite parmi d’honnêtes gens, justifieroit cette pensée. Une Demoiselle d’un nom & d’une famille connuë dans Paris, s’est mise [p. 19] en spectacle pendant du tems sur le Theatre Convulsionnaire, où elle a donné de celebres scenes. C’étoit la prude de cette Comedie, pour la réputation de sagesse & de probité où elle étoit, de sorte que le divin des Conculsions auroit paru lui convenir préférablement à bien d’autres Convulsionnaires. Un Medecin ayant voulu juger de ce divin, alla la voir dans ses accès, il rouva que ses Convulsions étoient les mêmes que celles dont il l’avoit guérie deux fois dans sa jeunesse. On ne veut pas presser de telles preuves, mais en vérité elles disent beaucoup pour la justification de l’Auteur du Naturalisme & de son ouvrage. Teste aux fauteurs des Convulsions à voir devant Dieu, ce qu’ils auront à lui dire pour expier les fautes qu’ont occasionnées des scandaleuses requêtes, grosses de mensonges, enflées et faussetez, ou de faits naturels mal interpretés & exagerés, enluminées enfin de parures séduisantes, dont on a sçu les masquer aux yeux du public ; si aisé à suspendre quand d’heureuses précautions ne l’ont pas instruit. Un Theologien, autant sçavant que religieux, s’oppose à ce torrent d’illusions, de scandales & de tentations, d’illusions, de scandales, & de tentations, pour les ignorans du manège convulsionnaire ; il le fait par des réflexions autant modestes que solides ; ont l’accable d’injures atroces : ce sera à l’équité de ces Messieurs à accorder avec des procedez si mesurés & si raisonnables, les calomnies, dont le Convulsionnaire essaye [p. 20] de la noircir dans l’esprit des Magistrats & aux yeux du public. Aorès cela quelle idée restera-t-il à la posterité, des requêtes des Convulsionnaires, si non après avoir été les tocsins du Convulsionnisme, d’avoir été les Seraphins de son sanctuaire, ou les idoles, qu’ils ont promenées par les Provinces (où l’on a envoyé ces requêtes par milliers) pour les exposer à la vénération des peuples. Qu’en croiront nos neveux ? Quels titres pour les requêtes, sinon qu’elles seront les monuments d’un fanatisme, qui a saisi & dominé des hommes sages, que la présomption du désir de dominer a aveuglé, pour s’arroger le droit de donner le ton aux affaires Ecclesiastiques : & cela pour avoir secoué, comme on l’a dit ailleurs, le joug des maîtres qui les élevoient dn-ans la science, la discretion & la vertu, en se donnant pour les Docteurs d’un nouvel Israël, dont ils amusent (comme d’une chose très-prochaine) l’attente de leurs fidelles. Quelle attente au reste qui a autorité, si non de faux Christ, du moins de faux Elies, & Enochs : simulacre qui deshonore à la Bastille, si follement la faction Convultionniste, ses provins & ses sectaires. Mais, vous recriez-vous, Monsieur, tout ceci est insulter les Docteurs & les Disciples du Convulsionnisme, les freres & les sœurs de tout l’ordre Conculsionnaire. Au contraire, monsieur, c’est des donner à plaindre, parce qu’on les honore, on les aime sincerement ; de sorte [p. 21] que quand S. Paul, comme il en a usé autrefois envers les freres qui se fourvoyoient, viendront livrer les Convulsionnistes à satan, on ne voudroit point les tenir pour perdus ? Est-ce même, comme ils le pratiquent si insolemment envers leurs anciens amis, hommes irréprochables à tous les égards, vouloir les déclarer sortis de la deffense de la bonne cause, & tombés dans leur foy ? L’on condamne donc leur opiniâtreté sans les juger, en attendant que finissent les scandales qu’ils donnent, mais en demeurant fermement attaché à la doctrine de l’Eglise & des mœurs. Qui tenet teneat, donec de media fiat. Au surplus sous la tutelle des illustres guides, les trente Docteurs consultans, l’Auteur du Naturalisme se trouve en sureté de creance sur le divin des convulsions qu’ils ont condamné ; car il n’eût jamais dessein de décrier que es actions criminelles des filles Convulsionnaires, & d’en exposer les scandales, sans aller au devant du jugement de Dieu, parce qu’il a ses reserves sur la conversion des plus grands pécheurs. Ce sont les sentiments d’équité, de bienveillance, & de charité avec lesquels je vous laisse, Monsieur, & vos amis, en vous abandonnant avec moi à la miséricorde du Souverain Seigneur qui jugera nos justices, que sera-ce de nos injustices ?
FIN
NOTES
(1) Les Psylles étoient un peuple en réputation de guérir en suçant les morsures des serpents. V. Pline, Plutarque, Aug. De la Cité de Dieu.
(2) V. V. sa seconde Req. p. 13)
(3) Sueton
(4) V. Hales. Traité de la Statique des vegetaux.
(5) V. Hales. Traité de la Statique des vegetaux.
(6) Ibid.
(7) V. Hales. Traité de la Statique des vegetaux.
(8) V. Optique, &c.
(9) Physique & Astronomie théologique.
(10) Operat. Chymize.
(11) La Statique des vegetaux
(12) Ibid.
(13) V. Erasme.
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