E. Pascal. La Psychanalyse. Article parut dans la « Revue Métapsychique », (Paris), n°2, mars-avril 1934, pp. 110-113.
Etonnant de trouver un article sur la psychanalyse dans la Revue Métapsychique. Pas vraiment étonnant qu’il soit très critique, démontrant encore les résistances, toujours les mêmes, de l’époque.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original. – Par commodité nous avons renvoyé les notes de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. . – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
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La Psychanalyse
« Dans la psychiâtrie freudienne tout est nouveau, mais rien n’est bon. Dans la psychologie freudienne, il y a du bon et du nouveau, mais ce qui est nouveau n’est pas bon et ce qui est bon n’est pas nouveau. » Ainsi s’exprime le Professeur Achille Delmas (1).
D’autres psychologues, au contraire, tiennent en grande estime la théorie du médecin viennois. Ils y voient la découverte la plus importante de notre époque, dans le domaine de la psychopathologie.
Aux lecteurs de la Revue Métapsychique, familiarisés avec les phénomènes de suggestibilité, nous voudrions montrer rapidement un aspect du problème sur lequel, à notre avis, on n’a pas assez insisté. Nous ne croyons pas sortir ainsi du cadre de cette Revue. En effet, la Psychanalyse pourrait s’appeler l’analyse du subconscient. Or, le subconscient est la zone psychique où s’élaborent la plupart des phénomènes qu’étudie 1a Métapsychique : suggestion, hypnotisme, somnambulisme, transe des médiums, télépathie, lucidité, etc. Il est bon d’étudier une méthode qui tend à explorer cette partie du psychisme, source des phénomènes.
Nous n’avons pas la prétention d’exposer en quelques mots la doctrine psychanalitique. Elle est bien trop complexe pour qu’il soit possible d’en rendre compte si rapidement. Nous en donnerons simplement l’idée générale. Pour le surplus, nous renverrons à l’excellent ouvrage de Régis et Hesnard (2), et aussi à la traduction du Docteur Jankelevitch, de l’œuvre de S. Freud (3).
Pour Breuer et surtout pour Freud les symptômes de névroses ont une origine psychologique inconsciente. Des forces subconscientes ou « complexes » tendent constamment à agir sur la conscience normale. Une faculté spéciale, la « censure » fruit de l’éducation et de l’expérience, empêche le passage dans le conscient de sentiments ou idées pénibles et dangereux. Cependant certains complexes, le plus souvent à caractère sexuel (pansexualisme) peuvent être refoulés par la censure, mais sans éliminer leurs « charges affectives ». [p. 111] Le complexe agit alors indirectement et produit les symptômes des névroses défigurés par la censure : ce sont des « manifestations symboliques de tendances instinctives refoulées ».
Jusqu’à présent, si l’on retient surtout l’idée d’une origine inconsciente de certains troubles psychiques, si l’on n’exagère pas le rôle des complexes sexuels et de la censure, on ne peut qu’être d’accord avec le Professeur Freud. La théorie est séduisante et d’ailleurs, Pierre Janet avait montré depuis longtemps le rôle du subconscient dans la genèse des psychonévroses, Freud, après lui, eut le grand mérite de donner encore plus d’importance au psychisme inconscient.
Mais la théorie prête fortement à discussion lorsqu’on veut appliquer la méthode d’analyse psychologique qu’en tire Freud.
Il s’agit d’explorer l’inconscient et de rechercher les complexes pathogènes refoulés. Il paraît que lorsque ceux-ci auront été amenés à la conscience une décharge affective se produira et la guérison suivra.
Au début, Breuer et Freud utilisaient le sommeil hypnotique pour cette exploration de l’inconscient. (4) Kostyleef, souligne qu’ils obtinrent le plus de succès à cette période. Remarque importante que l’on peut rapprocher de cette autre : Freud racontant ses premières expériences avec un sujet hypnotisé dit : « Il fallait faire de grands efforts pour lui remettre ces scènes en mémoire » (5), preuve évidente de l’intervention de la suggestion.
Mais Freud abandonnera cette pratique pour une méthode comprenant trois procédés.
1° On place la main sur le front du malade étendu et fermant les yeux/ On lui dit de raconter tout ce qui lui vient à l’idée.
2° Dans cet état on note ses mouvements inconscients, ses automatismes.
3°. Enfin, on interprète ses rêves, essais de réalisations déguisées, de désirs refoulés.
On comprend tout de suite le danger de ces pratiques. Les causes d’erreur surgissent à chaque pas. Interroger des sujets hypnotisés, des pithiatiques plongés par la nature même de leur maladie dans une demi-hypnose, des sujets nerveux à moitié endormis eux aussi par la méthode d’examen elle-même, c’est en revenir aux procédés des anciens magnétiseurs qui demandaient conseil à leur somnambules sur le traitement de leur maladie. Quel rôle facile pour la suggestion surtout inconsciente du médecin, Celui-ci obtiendra ce qu’il voudra. Ses déductions les plus étranges seront vérifiées par le [p. 112] malade. Tous les complexes découverts seront, le plus souvent dûs à la suggestion. Comment savoir qu’on a mis à jour la véritable source inconsciente de l’affection ou si l’on en a fabriqué une de toutes pièces ?
On connaît l’histoire de l’hystérie ou plutôt du pithiatisme. Babinski a démontré d’une façon irréfutable que la plupart des symptômes de la névrose étaient dûs à la suggestion médicale. Le médecin produit les troubles en les recherchant. Pour la psychanalyse, il semble bien qu’il en est souvent de même. On suscite des complexes en explorant le subconscient. Et cela d’autant plus facilement que le rôle de la suggestion, surtout inconsciente, est de plus en plus méconnu. Le professeur Dide de Toulouse est d’ailleurs arrivé aux mêmes conclusions. Il croit que les psychanalistes cultivent la suggestibilité des malades inorganiques (6). Quelque pratique de la méthode et aussi de l’hypnothérapie suggestive ne laissent aucun doute sur ce point.
D’ailleurs Freud lui-même ne parait pas se méfier beaucoup de l’influence suggestive qu’il peut mettre en jeu. Ainsi sur des sujets à demi hypnotisés par les procédés cités plus haut, il ne craint pas d’agir par de pures suggestions verbales. « Lorsqu’ils prétendaient, dit-il, ne plus rien savoir, je leur affirmais qu’ils savaient, qu’ils n’avaient qu’à parler et j’assurais même que le souvenir qui leur viendrait au moment où je mettrais la main sur leur front serait le bon » (2). Voilà un bel exemple de suggestion armée.
Il est vrai que les partisans de la méthode répondent que la guérison prouvera qu’on a bien découvert le complexe pathogène. La décharge affective n’aura lieu que dans ce cas seulement. On nous permettra d’être sceptique. La guérison, quand elle sera possible, suivra la mise à jour de n’importe quel complexe, si l’on a suggéré consciemment ou inconsciemment au sujet qu’il doit en être ainsi.
« On obtient des guérisons en provoquant volontairement des complexes par suggestion, ce gui n’est qu’un jeu, et en faisant croire au malade que tel complexe, artificiellement libéré, est la cause cryptique de ses perturbations mentales ». (Dr. Osty).
Il s’agit d’un pur artifice suggestif. On connaît ces magnétiseurs spirites pour lesquels certaines psychonévroses sont dues à l’intervention de « mauvais esprits ». Leurs malades endormis partagent bien entendu, cette opinion. Lorsque le méchant esprit a donné l’assurance qu’il cesse de persécuter le sujet, la guérison s’ensuit très souvent. On aurait pu obtenir le même résultat par la psychanalyse, mais on aurait découvert un complexe sexuel quelconque au lieu d’un esprit. [p. 113]
Et puis, le retour à la santé ne suit pas toujours la découverte du complexe. Freud le reconnaît bien. Il doit se produire un « changement intérieur du malade », c’est-à-dire, selon nous, une action suggestive efficace. Enfin le médecin viennois constate que la psychanalyse compte le plus de succès dans les psychonévroses. Justement là où la suggestion agit le mieux. Les psychoses sont réfractaires à ce mode de traitement, malgré la découverte des plus beaux complexes. On sait que la suggestion est inactive dans les maladies mentales.
Inutile de dire que la recherche des complexes pathogènes est longue et difficile. On risque à chaque pas de se tromper sur la valeur de tel ou tel signe. Il arrive même fréquemment ce fait curieux que deux médecins étudiant successivement le même malade découvrent des complexes différents, Preuve nouvelle de l’influence de l’idée préconçue et de la suggestion,
Cette objection est tellement forte que les psychanalystes les plus convaincus n’ont pu la passer sous silence. Ils ont tourné la difficulté d’une façon fort originale en englobant la suggestion dans leur doctrine, Elle serait un phénomène dû au « report affectif ». Grâce à l’hypnotisme et aux manœuvres suggestives, il se révèle dans le sujet un « complexe paternel projeté sur le médecin ». L’affectivité du malade est reportée sur celui qui le soigne. La décharge affective a lieu en quelque sorte sur le médecin. Et voilà, paraît-il, éliminée une objection embarrassante,
Il faudrait vraiment autre chose que cette théorie obscure et aussi mystique pour trancher la question, Ce transfert d’affectivité se comprend difficilement. II est de plus loin d’être démontré, D’ailleurs s’il y avait vraiment là une explication légitime de la suggestibilité, elle ne résoudrait aucune des difficultés que nous avons signalées. Notre critique reste entière.
La Psychanalyse est donc une hypothèse intéressante, surtout parce qu’elle a montré l’importance de l’inconscient dans la vie mentale. Mais son application à la thérapeutique est hérissée de difficultés. au risque, dans son emploi, d’être dupe de ses idées préconçues ou de celles du malade, Nous ne parlons pas, bien entendu, de la Psychanalyse dans la critique religieuse, artistique, littéraire, Elle devient alors une doctrine purement philosophique à tendances mystiques, grâce à l’importance exagérée donnée à la « libido ». Comme dit Janet, elle est un véritable « dogme ».
E. PASCAL
NOTES
(1) Cité par Génil-Perrin in Maladies mentales et nerveuses, 1931.
(2) La psychanalyse des névroses et des psychoses, Paris, Alcan, 1914.
(3) Introduction à la psychanalyse, Paris, 1921.
(4) Journal de Psychologie normale et pathologique, 1911.
(5) La Psychanalyse, Trad. Y. Le Lay, Paris, 1921, p. 32.
(6) Congrès de Médecine légale, mai 1932.
(7) La Psychanalyse, Op. cit., p. 37.
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