La convoitise incestueuse dans la doctrine de Freud et les conditions du désir sexuel. Par Paul Courbon. 1914.

COURBONINCESTE0002Paul Courbon. La convoitise incestueuse dans la doctrine de Freud et les conditions du désir sexuel. Article paru dans la revue « L’Encéphale », (Paris), neuvième année, premier semestre, 1914, pp. 346-353.

Paul Courbon (1879-1958). Médecin de l’asile public d’Amiens, qui, de son côté, y va de sa critique d’un supposé pansexulisme freudien. Courbon sera par la suite affecté à l’hôpital de Stephansfeld (Alsace) où il permettra à Blondel de faire des observations et il sera, en 1927, avec Gabriel Fail, l’inventeur du syndrome d’illusion de Frégoli. Gendre de Paul Sollier.
Quelques publications : Asthénomanie et psychose maniaque dépressive. Extrait de la Revue de Psychiatrie de juillet 1912. Paris, Octave Doin et Fils, 1912. 1 vol.
Interprétations délirantes et perceptivité cénesthésique. Extrait de la Revue de Psychiatrie. 1910. S. l. n. d. [Paris, 1910]. 1 vol.
Étude psychiatrique sur Benvenuto Cellini : 1500-1571. Paris, A Maloine, 1904.
Interprétations délirantes et perceptivité cénesthésique. Extrait de la Revue de Psychiatrie. 1910. S. l. n. d. [Paris, 1910]. 1 vol.
Sollier Paul et Courbon Paul. Pratique sémiologique des maladies mentales : guide de l’étudiant et du praticien. Éditeur: Paris. Masson et cie, 1924. 457 p.
Sur la pensée mystique et la pensée morbide. In « Journal de psychologie normale et pathologique », (Paris), XXIVe année, 1927, pp. 146-161. [en ligne sur notre site]

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Nous avons gardé l’orthographe, la syntaxe et la grammaire de l’original, mais avons corrigé quelques fautes de typographie.
– Par commodité nous avons renvoyé les notes de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

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La convoitise incestueuse
dans la doctrine de Freud
et les conditions du désir sexuel.

Par Paul Courbon
Médecin del’asile public d’aliénés d’Amiens

La doctrine de Freud sur le rôle de la sexualité dans les psychonévroses est bien connue en France à l’heure actuelle. Elle a été exposée avec détail ici même, dans les études que lui consacrèrent Ladame (1), puis Régis et Hesnard (2).

Nous croyons intéressant d’apporter quelques nouveaux arguments que le professeur de Vienne (3) invoque pour consolider un point de sa théorie, celui de l’existence naturelle de la convoitise incestueuse chez l’homme dès la première enfance.

Ces arguments, il les trouve dans l’étude des mœurs des sauvages qui étant plus près que nous de la nature, doivent présenter avec plus de netteté que les civilisés les appétits innés à tout être humain.

on constate, dans toutes les tribus primitives actuellement connues, une foule de pratiques et de règlement tendant à éviter et à punir l’inceste. La constatation de ces mesures préventives et répressives dont les civilisations avancées sont dépourvues, trouve, dit l’auteur, que la convoitise incestueuse et plus grande chez le sauvage que chez nous. S’il en est ainsi chez l’homme le moins éloigné de l’État naturel, c’est que, réellement, l’appétit incestueux est un attribut essentiel de l’humanité.

C’est dans les travaux des ethnologues, notamment de Fraser, que Freud puise les faits nécessaires à sa démonstration. Le totémisme est un des principaux.

Chaque tribu sauvage à son totem, c’est-à-dire un objet sacré : [p. 347] animal, végétal ou élément naturel, eau, vent, pluie, feu, etc. Ce totem est héréditaire par les pères ou par les mères, et la parenté totémique comporte l’interdiction des relations sexuelles entre ceux qu’elle unit.

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Cette loi de l’exogamie totémique oblige les individus d’un même totem à ne jamais se marier entre eux et édicte des peines sévères contre ceux qui la transgressent. L’homme est mis à mort, la femme est frappée cruellement, par ce que présumée avoir subi la contrainte de son complice.

Mais suivant le régime héréditaire du totem de la tribu, les relations entre père et fille, mère et fils, sont ou non incestueuses.

Supposons le mariage d’un homme appartement au totem kangourou une femme hémon. En cas d’hérédité maternelle, les enfants sont hémon. Et le fils ne peut pas avoir de rapports sexuels avec sa mère et ses sœurs, car elles sont hémon comme lui. Mais le père kangourou ne sera pas incestueux avec ses filles hémon, et aucune interdiction ne pèse ni sur lui, ni sur elles, à cet égard.

En cas d’hérédité paternelle, c’est l’inverse. Le père étant kangourou, ses enfants le seront aussi ; ses pratiques avec ses filles seraient incestueuses, tandis que celle de la mère avec les fils, ne le serait pas et sont, par conséquent, autorisées.

Les sauvages, dit Freud, ont, au suprême degré, l’horreur de l’inceste, puisqu’ils substituent à la parenté sanguine, la parenté totémique et interdisent les rapports sexuels entre gens n’ayant pas une goutte du même sang dans les veines, mais possédant le même totem.

Cette prescription de l’exogamie totémique n’est, d’après Freud, que la survivance d’une autre interdiction plus ancienne, correspondant à une institution antérieure ou totémique, celle de l’interdiction de l’inceste collectif. À cette époque reculée dit Frison, existait le mariage collectif. Un certain nombre d’hommes avait le droit de copulation et de mariage avec un certain nombre de femmes ; les enfants avaient raison d’appeler pères les maris de la femme dont ils étaient nés, et de se considérer entre eux comme frères.

La coutume conservée, de nos jours, par les chrétiens, de se dire frères en Jésus-Christ, ne serait, d’après Freud, qu’un vestige de ces temps antérieurs.

mais, à côté de ces prescriptions, ci-dessus décrite, qui interdisent l’inceste sous menace de sanctions répressives, il est des usages de la vie courante qui ont pour but de prévenir la tentation incestueuse elle-même.

C’est ainsi que, dans l’île Seper, des Nouvelles-Hébrides, le garçon, p. 348] arrivé à un certain âge, quitte la maison maternelle et ne revient qu’en l’absence de ses sœurs.

Il ne doit pas suivre leurs traces sur le rivage, ni même prononcer un non ou celui d’un objet quelconque désigné par un mot rappelant le nom de ses sœurs. De même entre fils et mère, et de plus la transmission d’un ustensile, ne se fait qu’indirectement et non de la main à la main ; ils ne se tutoient pas.

Dans les iles Sumatra, un frère Batta ne sort pas avec sa sœur, un père ne restera pas seul au logis avec sa fille.

Freud site mainte aux autres exemples du même genre. Nous les passons sous silence et terminons par la description de la conduite qu’observent entre eux le gendre et la belle-mère, en Australie et dans les îles environnantes. Ils ne se parlent pas, il ne prononcent pas le nom l’un de l’autre : loin de se saluer, quand ils se rencontrent, ils se cachent, l’un derrière son bouclier, l’autre derrière une motte de terre ; dans la case, ils ne s’adressent la parole que séparés par une cloison.

Toutes ces pratiques, dit Freud, n’ont d’autre but que d’échapper à l’attraction sexuelle que le gendre et belle-mère exerce l’un sur l’autre. Il n’est pas bien, expliquait une Zoulou, qu’un homme voit le sein que sa femme têté.

Et, voici, en résumé, dans quelle attitude psychologique son vis-à-vis l’un de l’autre, aussi bien chez les sauvages que chez les civilisés, un gendre et une belle-mère. Il y a ambivalence chez chacun.

la belle-mère éprouve à la fois de la répulsion pour celui qui lui enlève sa fille chérie, et du désir pour celui que sa fille elle-même désire. L’amour maternel aboutit, en effet, à l’identification complète des sentiments et même des appétits de la mère avec les sentiments et les appétits de la fille. Bien souvent, les névroses des maires ne sont rendues qu’à la lutte contre l’attrait amoureux qui les pousse, à travers leurs filles, vers leur gendre.

Le gendre, lui aussi, ressent une aversion pour celle dont l’influence peut contre-balancer la sienne sur sa femme, et en même temps une attraction pour celles dont la l’âge, lui rappelant sa propre maire à lui, réveille le premier émoi sexuel qu’il est éprouvé.

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Car, de par la psycho-analyse, il est établi que le petit garçon commence par désirer sa mère, puis sa sœur et que les autres objets, auxquelles s’attachera plus tard sa convoitise sexuelle, ne sont que des substitutions à l’objet incestueux. Au moment où le futur gendre voit apparaître sa belle-mère, il se développe en lui une tendance à retomber dans son choix initial, dit l’auteur.

Dans le conflit entre ces deux tendances, c’est la composante sadique [p. 349] qui l’emporte ordinairement et voici pourquoi gendre et belle-mère ne peuvent ordinairement pas se sentir. C’est parce qu’il sait trop sans le savoir.

Tels sont les nouveaux arguments apportés par Freud pour appuyer sa thèse.

Est-il besoin de discuter celui qu’il donne pour expliquer la mésintelligence des gendres et des belles-mères ? Il y a tant d’autres motifs plus simples à invoquer. Et d’abord, il est des exceptions relativement nombreuses à cette prétendue loi ; ensuite le désaccord est bien plus marqué entre la belle-mère et sa belle-fille qu’avec son gendre.

Le faite que certains sauvages interdisent rigoureusement l’inceste dans certains cas, et l’autorise dans d’autres, gros, ce que nous savions déjà, qu’aucun obstacle naturel ne se dresse entre les complices pour leur empêcher d’accomplir l’acte incestueux.

Mais se faites ne diminue en rien la valeur des objections soulevée contre un point capital de la doctrine freudienne : celui de la sexualité congénitale et de la convoitise incestueuse du nouveau-né.

Examinons pour commencer la question de la sexualité.

Donner à tous les actes du nourrisson une fin érotique, c’est non seulement admettre l’existence de l’instinct sexuel dès la naissance, mais encore faire de cet instinct l’unique source de jouissance. Et si la psycho-analyse de névropathe plus ou moins suggestive, permet cette affirmation, l’observation impartiale des êtres normaux ne semble par la confirmer.

Il est bien certain que si l’enfant répète certains mouvements, c’est parce qu’il éprouve une jouissance à les accomplir. Mais la libération même de l’énergie contenue dans les organes mis en action suffit à elle seule pour faire naître la sensation agréable. Le nourrisson prend plaisir à se sucer le pouce, parce qu’il soulage l’attention des forces accumulées dans ses muscles buccaux, de même qu’il prend plaisir à regarder, à voir, à crier, à remuer, à être caressé, par ce qui est le seul soulage à dépenser l’énergie de ses yeux, de son tympan, de son larynx, de son corps, de ces papilles tactiles, etc. Son activité s’explique par la satisfaction même qu’elle a à se dépenser. Le sentiment de tension plutôt pénible, que Irenol d’y être, avec le prurit, les deux éléments simples du besoin sexuel, mais, en réalité, que le besoin de faire fonctionner l’organisme, et c’est l’instinct de conservation qui commande ici, ce n’est pas l’instinct sexuel.

Celui-ci n’entre en jeu que lorsque, à côté de la jouissance, née du simple fonctionnement normal des organes, il en apparaît une autre, conditionnée, elle, par le caractère sexuel de l’excitation exercée sur [p. 350] l’organe. Il y a alors jouissance sexuelle véritable, ou volupté érotique. Quand un individu est capable de la ressentir, c’est que, chez lui, l’instinct sexuel est éclos. Rien n’autorise à dire que cette capacité existe dans les premières années.

L’instinct sexuel et mal désigné par l’expression synonyme d’instinct de reproduction ; il n’y a pas que les organes de reproduction qui soit le siège des réactions qu’il produit. Il étend son domaine surtout l’organisme. Le contact des organes génitaux n’est pas le seul à pouvoir être voluptueux. N’importe quelle région du corps est susceptible de donner naissance à la volupté, lorsqu’il y a perception des caractères sexuels, de la pression qui se produit. Le frôlement de l’oreille, cité par Freud, provoque, par le fait même qu’il irrite les terminaisons nerveuses de la peau, une sensation caressante qui dépend uniquement les qualités physiques de l’agent irritant. Il n’y a là qu’un phénomène de sensibilité affective ou, si l’on veut, de sensualité. Pour qu’il y ait sexualité, il faudrait que la jouissance ressentie soit subordonnée au caractère sexuel de l’excitation. Or, si cette condition existe lorsqu’il s’agit de la caresse de l’amant à sa maîtresse, rien ne nous prouve qu’il en soit de même dans le cas du bébé. Chez lui, les qualités physiques de l’excitation suffisent à lui faire rechercher cette caresse, qui reste, pour ainsi dire, pour lui, purement mécanique.

Si le petit enfant prend plaisir à ceux se blottir contrôle sa nourrice, c’est parce qu’il n’y trouve d’abord l’agrément des conditions physiques ci-dessus indiquées, et plus tard la protection dont il a besoin. Il agirait de même avec un homme s’il était élevé par lui. C’est d’ailleurs ce qui se passe parfois dans les nombreuses familles du peuple, pour le frère aîné donne le biberon, change, nettoie et promène le dernier-né. Celui-ci n’est jamais aussi tranquille il ne manifeste jamais autant de contentement que lorsqu’il est contre la poitrine de son aîné, véritables nourrices sèches.

Il est vrai que, d’après Freud, l’enfant est bisexuel. Mais le faite qu’il ne réagisse pas différemment suivant le sexe de la personne avec qui il est en contact, ne peut-il pas être invoqué comme preuve que les caractères sexuels de l’excitation reste sans effet sur lui ? La bisexualité auto-érotique n’est-elle pas au fond que de la neutralité sexuelle ?

Cette anesthésie sexuelle semble toute naturelle chez un être qui ne possède lui-même qu’à un degré infime es attributs de la sexualité. Combien minimes sur les distinctions entre bébés de sexes opposés ! De toute excitation ils ne perçoivent que ce qu’elle a de mécanique ; sa spécificité sexuelle leur échappe.

Que la perception aux impressions sexuelles soit beaucoup plus précoce [p. 351] qu’on ne le croit, qu’elle devance la puberté humaine, on peut le procédé à Freud. La mentalité d’une fillette est différente de celle d’un garçonnet, et cela n’est pas l’unique fruit de l’éducation. Mais il ne faut pas exagérer les conséquences de cette sexualité naissante. Dans la tige qui sort de terre, il ne faut pas avoir des fleurs sous prétexte qu’elles pousseront un jour. Et, par conséquent, il ne faut pas attribuer à l’instinct sexuel le déterminisme des sentiments affectueux de l’enfant vis-à-vis de son entourage.

L’enfant, en grandissant, recherche la compagnie de celui dont la fréquentation lui donne le maximum de satisfaction. La sexualité n’a pas à intervenir dans ce choix. La preuve, c’est que, lorsque, dans une famille, l’un des deux parents est préféré, il est aussi par ses filles que par se garçons.

Ici encore, c’est l’instinct de conservation et non l’instinct sexuel qui détermine la conduite de l’enfant.

Les préférences des pères pour leurs filles et des mères pour leurs fils sont la règle, dit-on. Il se peut que la sexualité du jour un rôle plus considérable qui ne se l’imaginent ceux qui manifestent ses préférences ; mais ce rôle est bien indirect. Il n’y a pas plus de convoitise incestueuse dans la galanterie d’un père pour sa fille, qu’il n’y a pas de désir véritable pour la matière même de la statue qui évoque, aux yeux d’un amant, le souvenir d’une maîtresse.

En tout cas, la réciprocité de ses préférences est loin d’exister, comme nous le faisions remarquer plus haut. Et, lorsqu’elle existe, la sexualité n’a pas besoin de prendre part à sa jeunesse. L’intérêt que trouve l’enfant dans l’influence exercée par lui sur celui de ses parents, qui, étant de sexe opposé est plus indulgent, explique suffisamment la préférence. C’est parce que le père selon l’expression vulgaire tous les caprices de sa fille, que celle-ci aime mieux avoir affaire à lui que sa mère.

Bien plus, il semblerait même, par la façon dont on voit s’évanouir les convoitises amoureuses entre adultes, que les conditions mêmes de la vie de famille doivent empêcher le désir sexuel de naître spontanément entre les membres de la même famille.

Nous sommes ainsi amenés à considérer le second point de la doctrine freudienne : celui de la convoitise incestueuse. Celle-ci ne saurait exister chez les nouveau-nés, s’il est réellement asexuel ; mais elle n’existerait qu’exceptionnellement chez le pubère, ou du moins ne serait jamais le mode initial de sa concupiscence, si l’on admet que chez l’adulte le rôle joué par l’inconnu dans l’éveil de l’appétit sexuel est indispensable.

Ne voyons-nous pas chaque jour s’éteindre cet appétit, lorsque l’objet [p. 352] qui l’a le plus ardemment allumé, sans rien avoir perdu de ses vertus excitantes, est devenu trop familier. Quelques années après un mariage d’amour, les plus passionnés maris se sentent attirés par des femmes moins belles que la leur, par ce que la traite de l’inconnu est plus fort que les charmes réels, et il en est de même des épouses. Aussi plus qu’entre fiancés, la coquetterie est-elle indispensable entre les époux, parce qu’en les rendant sans cesse nouveaux l’un à l’autre, elle est la seule sauvegarde de la fidélité.

Or, si les circonstances dans lesquelles le désir finit par mourir existent dès le premier jour de la vie, elles l’empêcheront forcément de naître, semble-t-il. Aussi peut-on ériger en loi l’affirmation qu’il y a indifférence sexuelle entre gens vivant ensemble depuis leur naissance.

La preuve en est dans la rareté même de l’inceste et dans la rareté des mariages entre camarades d’enfance ne s’étant jamais quittés. S’il est vrai que souvent les premières notions sur les mystères de l’union d’essence se donnent entre cousins et cousines, c’est qu’ils ne cohabitent pas constamment ensemble et ne se voient qu’aux vacances.

Quant aux exceptions incestueuses, elle ne constitue pas, au fond, une infraction à cette loi. À bien les examiner, on constate que la convoitise incestueuse n’est jamais primitive, mais toujours secondaire. Ou bien elle a été précédée d’une période d’absence qui a doté le patient de l’attrait de l’inconnu, ou bien elle ne fait que se substituer à une autre convention dont l’objet était étranger.

Œdipe n’épouse Jocaste que parce qu’il ne la connaissait pas. Bonaparte avait 20 ans de plus que sa sœur Pauline et n’avait jamais vécu avec elle. Il arrive parfois que l’initiation sexuelle est donnée par un parent, mais alors l’initié subit l’étreinte dont il n’avait pas convoité l’auteur. Celui-ci désira et prit d’abord un ou plusieurs objets différents de celui qu’il choisit actuellement, et qui avait, pour lui, l’attrait l’inconnu.

Enfin, il faut mettre à part les sujets plus ou moins malade ou plus ou moins perverti, qui se livrent à l’inceste pour savoir s’ils y trouveront des sensations nouvelles. C’est plus un calcul de l’esprit qui les fait agir qu’une tentation de la chair qui les attire. La preuve en est que pour vaincre leur instinctive répugnance, ils ont recours, lors de leurs premières tentatives, à la stimulation de l’ivresse.

C’est à la fin de banquet copieusement arrosé Agrippine, selon Tacite, venait s’offrir à Néron, et dans les mêmes conditions que le père et le frère de Lucrèce Borgia se la disputaient.

Le désir sexuel ne s’allume donc que jamais spontanément entre gens ayant toujours vécu en communauté. Or, l’homme vit en communauté [p. 353] avec ses consanguins depuis sa naissance. Donc le désir sexuel ne peut s’éveiller entre lui et eux. Et, par conséquent, la convoitise incestueuse n’est jamais primitive. Quand elle existe, elle est toujours secondaire à une autre convoitise dont l’objet n’était pas incestueux.

Les conclusions, que nous nous voyons autorisés à tirer de cette discussion sur l’un des points les plus contestables de l’œuvre si légitimement apprécier par ailleurs du savant professeur autrichien, peuvent se résumer dans les lignes suivantes :

Les réactions du nourrisson sont déterminées exclusivement par les éléments mécaniques, physiques ou chimiques de l’excitation et non par les éléments sexuels qu’elle peut contenir.

Les sensations agréables que, d’après Freud, le nouveau-née recherche dans la succion, le frottement, la défécation, l’addiction, etc., s’expliquent suffisamment par la satisfaction concomitante à l’exercice de toute activité physiologique normale. Il suce son hochet avec autant de plaisir que son doigt, que le doigt de sa mère, que celui de son père ou de n’importe qui. Dans tous ces actes, il y a soulagement consécutif à une libération d’énergie et non assouvissement d’un appétit sexuel, c’est-à-dire manifestation de l’instinct de conservation, mais non de la sa sexuelle.

La capacité de percevoir les attributs sexuels d’un objet et de réagir à cette perception marque, pour le sujet, le passage à l’état actuel de son instinct sexuel demeuré l’attente jusque-là. Cette capacité est beaucoup plus précoce qu’on ne l’admet ordinairement ; elle devance de beaucoup la puberté ; mais elle ne prend aucune part dans le déterminisme de la conduite de l’enfant vis-à-vis de ses parents.

La convoitise incestueuse, loin d’être naturelle et innée, semble ne pouvoir apparaître que dans des circonstances exceptionnelles. Les conditions mêmes de la vie en famille s’opposent à la naissance de cette convoitise, le facteur « inconnu » nécessaire pour éveiller le désir sexuel faisant défaut entre individus qui se connaissent et cohabitent depuis la naissance.

NOTES

(1) Ladame. Névroses et sexualité. (L’Encéphale, janvier 1913).

(2) Régis et Hesnard. La doctrine de Freud et son école. (L’Encéphale, avril, mai, juin 1913).

(3) Freud, Totem et Fabon. Inzestschen : l’horreur de l’inceste. Wienn, 1913.

 

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