Jules Séglas. L’hallucination dans ses rapports avec la fonction du langage ; — les hallucinations psycho-motrices. Extrait du « Progrès médical », (Paris), tome 2, 1888, pp. 124-126, 137-139.

Jules Séglas. L’hallucination dans ses rapports avec la fonction du langage ; — les hallucinations psycho-motrices. Extrait du « Progrès médical », (Paris), tome 2, 1888, pp. 124-126, 137-139.

 

Séglas, a étendu la notion d’hallucination à certaines impulsions motrices verbales. Il est de ceux à avoir oeuvrer pour intégrer l’hallucination au délire.

Louis Jules-Ernest Séglas (1856-1939). Médecin psychiatre à l’origine de nombreux travaux et auteur lui-même. Il sera le principal contributeur à l’élaboration du  concept du « délire des négation » initié par Jules Cotard.. Il étudia plus particulièrement la nosographie des délires mais aussi des hallucinations et plus généralement des psychoses.
Quelques publications :
—  (avec Logre). Délire imaginatif de grandeur avec appoint interprétatif. Paris, « L’Encéphale », (Paris), I, 1911, p 6.
—  Des troubles du langage chez les aliénés. Paris, J. Rueff et Cie, 1892. 1 vol. in-8°.
—  Le délire des négations. Séméiologie et diagnostic. Paris, G. Masson et Gauthier-Villard et fils, 1896. 1 vol. in-8°.
—  Leçons cliniques sur les maladies mentales et nerveuses (Salpêtrière 1887-1894). Recueillies et publiées par le Dr. Henry Meige. Paris, Asselin et Houzeau, 1895. 1 vol. in-8°.
—  Note sur un cas de mélancolie anxieuse. Archives de Neurologie, n°22, 1884. Paris, Aux bureaux du Progrès médical et V.-A. Delahaye et Lecrosnier, 1884. 1 vol. in-8°.
—  Un cas de vésanie combiné. Extrait des « Annales médico-psychologiques », (Paris), quarante-sixième année, septième série, tome septième, 1888,  pp. 22-39. [en ligne sur notre site]
—  Sémiologie et pathogénie des idées de négation. Les altérations de la personnalité dans les délires mélancoliques. Extrait des « Annales médico-psychologiques », (Paris), 7e série, T. X, 47e année, 1889, pp. 5-26. [en ligne sur notre site]
—  Hystérie. — Hystérie. — Confusion mentale et amnésie continu. — Anesthésie généralisée. — Expérience de Strümpell. Extrait « Des procès-verbaux, mémoires et discussions du Congrès des Médecins Aliénistes et Neurologistes de France et des Pays de langue française, Cinquième session, Clermont-Ferrand du 6 août au 11 août 1894 »n (Paris), G. Masson, 1895, pp. 77-90.  [en ligne sur notre site]
—  Les phénomènes dits hallucinations psychiques. Extrait du « IVe Congrès International de Psychologie, tenue à Paris du 20 au 26 août 1900, sous la présidence de TH. Ribot. – Compte rendu de séance et texte des mémoires publiés par les soins du Dr Pierre Janet. », (Paris), 1901, pp. 553-558.[en ligne sur notre site]
— Sur les phénomènes dits hallucinations psychiques. Extrait des « Annales des sciences psychiques », (Paris), onzième année, 1901, pp 270-277. [en ligne sur notre site]
—  Notes sur l’évolution des hallucinations. Journal de Psychologie, 10 eme anée, n°3, 1913. Paris, Félix Alcan, 1913. 1 vol. in-8°.
—  Une amoureuse des prêtres. Article paru dans le « Journal de psychologie normale et pathologiques », (Paris), XIXe année, 1922, pp. 720-732. [en ligne sur notre site]
—  Pathogénie et physiologie pathologique de l’hallucination de l’ouïe. Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et des Pays de langue française, septembre. Session de Nancy 1896-Nancy, Imprimerie A. Crépin-Leblond, 1896. 1 vol. in-8°.

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’ouvrage. – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. –  Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

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L’hallucination dans ses rapports avec la
fonction du langage ; — les hallucinations
psycho-motrices ;

Par J. Séglas, médecin-suppléant de la Salpêtrière.

L’hallucination est un des phénomènes psychiques qui depuis longtemps ont le plus attiré l’attention des aliénistes et des psychologues. Mais pour l’avoir beaucoup étudié, on n’en est pas moins encore loin de s’entendre sur sa nature, son siège ou ses causes. Sans rappeler les innombrables théories formulées à ce propos, nous pensons qu’en somme on peut les réduire à quatre : 1° la théorie périphérique ou sensorielle ; 2° la théorie psychique ; 3° la théorie psycho-sensorielle ; 4° celle qui attribue l’hallucination aux centres perceptifs corticaux.

Cette dernière qui repose sur les données les plus récentes de l’anatomie, de la physiologie et de la pathologie cérébrales est, à notre avis, celle qui donne le mieux la clef du symptôme hallucination en général (1). Mais, en outre, elle nous permet de pousser plus avant l’étude de ce curieux phénomène et nous semble éclairer certains points restés obscurs de la psychologie morbide. C’est un de ces points-là, peu étudié encore, que nous nous proposons d’examiner aujourd’hui : l’hallucination dans ses rapports avec la fonction du langage.  Cette question qui, au premier abord, paraît n’être que celle des hallucinations de l’ouïe, n’y touche au contraire que par un seul côté, comme nous le verrons tout à l’heure. Mais avant d’aborder ce sujet et pour en faciliter l’étude, qu’on nous permette de résumer brièvement le mécanisme de la fonction du langage. Rappelons d’abord que le mot n’est que l’auxiliaire de l’idée qui peut exister sans lui et se forme d’ordinaire sans le mot ou avant le mot. Cette idée n’est qu’une association de souvenirs ou d’images résultant d’impressions sensorielles qu’on peut localiser dans les centres perceptifs communs, auditif, visuel, etc… et qui peuvent se réveiller l’une l’autre.

De même que l’idée, le mot n’est qu’un complexus, constitué par l’association de quatre espèces d’images, mais qui sont alors spécialisées, et, d’un autre côté, ne peuvent réveiller l’idée d’un objet qu’autant qu’une opération cérébrale supérieure les associe aux différentes images, auditive, visuelle, etc… de cet objet. Les images associées, constitutives du mot, sont au nombre de quatre : auditive, visuelle, motrice d’articulation et motrice graphique. Ce sont ces images, qui pendant la réflexion, servent à donner un corps à notre pensée, en se présentant à notre esprit plus ou moins vives suivant nos aptitudes personnelles ; si bien, que suivant la prédominance de telle ou telle d’entre elles, nous sommes des auditifs, des visuels ou des moteurs. Entre ces opérations, et celles qui nous font communiquer avec nos

semblables, il n’y a qu’une différence, c’est que les premières sont des phénomènes intérieurs (langage intérieur) et que les secondes supposent une excitation extérieure ou un acte réel. Dans les deux cas ce sont les mêmes centres qui entrent enjeu. A l’état ordinaire, les images du langage intérieur sont faibles et demandent une certaine observation, mais en d’autres circonstances et, c’est là le sujet de notre étude, leur [p.124, colonne 2] intensité peut augmenter jusqu’à atteindre celle des images du langage extérieur, amenant ainsi une véritable hallucination.

Cela dit, abordons maintenant l’étude de ces hallucinations. « C’est par l’oreille, a dit N. Gueneau de Mussy, que nous recueillons les notions les plus importantes et les plus nombreuses. » Cette pensée, si vraie à l’état physiologique, peut nous expliquer facilement dans les cas pathologiques, chez les aliénés par exemple, l’importance et la fréquence des hallucinations de l’ouïe. Mais toutes n’offrent pas, au point de vue clinique comme au point de vue psychologique, le même caractère et il importe de les distinguer attentivement, car il y en a de simples et de complexes.

Les plus simples sont celles qui ne consistent qu’en des bruits confus, que le malade traduit par des onomatopées pch… ps… ou des sons mieux déterminés qu’il rattache, à un objet quelconque, ce sera : le son d’une cloche, le bruit du canon, le sifflement des balles, etc… Dans les cas plus complexes, ce sont de véritables voix qui se font entendre. Or, ce sont là des phénomènes assez différents si l’on veut bien se rapporter aux quelques considérations que nous avons précédemment exposées. Dans le premier cas, en effet, l’hallucination s’adresse seulement à une idée en intéressant une ou plusieurs de ses images constitutives.

Prenons, par exemple, l’hallucination du son d’une cloche. L’idée d’une cloche s’est formée de la façon suivante. — Une cloche a résonné à notre oreille. Les vibrations transmises par le nerf sensoriel jusqu’à l’écorce cérébrale dans la partie qui est destinée à percevoir les sons et les bruits, c’est-à-dire le centre auditif commun, s’emmagasinent dans les cellules de ce centre qui sont, dès ce moment, fonctionnellement différenciées. Mais à côté de cet image auditive qui seule ne pourrait donner que la sensation ou le souvenir d’un son, il faut pour compléter l’idée de la cloche, l’association d’autres images sensorielles, visuelle, tactile, etc.  Toutes ces images, une fois associées, pourront se réveiller réciproquement en produisant toujours désormais l’idée de cloche.

Par suite, si au lieu d’une impression extérieure, nous avons affaire au trouble fonctionnel tout’ intime qui constitue l’hallucination, que se passera-t-il ? Alors (pour ne parler que des hallucinations de l’ouïe) le trouble pathologique peut n’intéresser que des cellules

différenciées au point de vue de l’image auditive, mais cette image n’ayant pas été associée à d’autres images sensorielles et ne pouvant par suite réveiller une idée, nous aurons seulement affaire, dans ce cas, par l’extériorisation de l’image à des hallucinations très simples, élémentaires, reproduisant des bruits plus ou moins distincts que le malade ne reproduit qu’en les imitant, qu’il ne rattache, à l’idée d’aucun objet ou qu’il ne juge tout au plus que par comparaison.

Si au contraire ces images de sons ou de bruits ont été primitivement associées à d’autres images sensorielles pour constituer une idée, sous l’influence du processus hallucinatoire qui intéresse l’une d’elles, cette idée reparaît à nouveau et c’est ainsi que le réveil de certaines images auditives chez un halluciné pourra par association, lui donner l’idée qu’il entend le glas d’une cloche.

Mais dans ces deux cas le trouble fonctionnel n’intéresse que les cellules du centre auditif commun destinées à la perception des sons, les images qu’elles donnent associées ou non à d’autres images, pouvant ou non [p.125, colonne 1] réveiller une idée, mais une idée seule, nous appellerons ces hallucinations des hallucinations auditives simples.

Si nous continuons à étudier les hallucinations plus complexes, celles où le malade entend des voix, nous voyons intervenir un autre élément et c’est alors que s’établissent les rapports de l’hallucination avec la fonction du langage. Prenons ces hallucinations dans leur forme la plus simple, celle où elles se réduisent à un mot, le mécanisme étant d’ailleurs le même quand il s’agit d’une phrase entière.

Nous avons vu que le mot était formé de quatre images, localisées dans certains centres spéciaux. Qu’un de ces centres devienne le siège du trouble fonctionnel qui produit l’hallucination, l’image qui y est emmagasinée devient suffisamment vive pour s’extérioriser et est perçue alors dans les mêmes conditions que si elle avait été produite par une excitation extérieure. Dans le cas particulier qui nous occupe, c’est le centre auditif des mots qui entre en jeu et donnera au malade l’hallucination auditive du mot. C’est l’hallucination verbale auditive.

Mais ce n’est pas tout. Au premier abord on pourrait croire que c’est par l’oreille seule qu’un halluciné peut percevoir les mots ou les phrases. Sans doute, c’est le cas le plus fréquent ; mais il ne faut pas oublier que le langage intérieur comprend quatre images constitutives du mot sous lesquelles nous pouvons nous le représenter. L’image auditive est la plus fréquente et la plupart d’entre nous sont naturellement des auditifs : il en est probablement de même des aliénés chez lesquels l’hallucination de l’ouïe surtout verbale est aussi la plus fréquente. D’ailleurs il ne faut pas oublier que si on n’est pas auditif, on peut le devenir par l’exercice : et l’aliéné lui-même nous en donne une preuve. Car dans les formes chroniques de la folie ou l’hallucination de l’ouïe prédomine, dans le délire des persécutions, par exemple, le malade au bout d’un certain temps est devenu tellement auditif qu’il ne peut penser sans entendre formulée nettement à son oreille sa propre pensée. C’est là le phénomène de l’écho de la pensée. Parmi les images du langage intérieur, l’auditive est alors devenue tellement vive qu’elle s’extériorise sous forme d’hallucination, reproduisant la pensée intime du malade.

Bien que cela soit moins fréquent, les autres images du mot peuvent, tout comme l’image auditive, s’extérioriser sous forme d’hallucinations. Nous sortons alors du domaine des hallucinations de l’ouïe, mais en revanche nous empiétons sur celui des hallucinations de la vue. Nous pourrions en effet répéter pour celles-ci ce que nous avons dit pour les hallucinations de l’ouïe et distinguer d’abord des hallucinations visuelles simples : lumières, couleurs, et des hallucinations d’objets, produits par l’extériorisation d’images emmagasinées dans le centre visuel commun et associées ou non entre elles pour pouvoir constituer et reproduire, ou non, une idée ; puis des hallucinations visuelles plus complexes, intéressant la fonction langage en s’adressant au centre visuel des mots. Il peut arriver, en effet (bien que cela soit, croyons-nous, assez rare), que certains hallucinés voient apparaître, devant leurs yeux, des mots écrits qu’ils peuvent lire. C’est ainsi qu’une dame à laquelle j’ai donné mes soins, pour un accès de mélancolie anxieuse, avec craintes religieuses, idées de damnation, hallucination de divers sens, voyait quelquefois des mots écrits sur le mur, par exemple les mots « maudite » ou « damnée ». Un malade que j’ai observé jadis à Bicêtre voyait dans l’espace des mots écrits en lettres de [p.125, colonne 2] feu. Une autre voit souvent des lettres noires sur un fond couleur de feu. Le Mané, Thecel, Pharès du festin de Balthazar n’est qu’une hallucination visuelle de ce genre. Qu’est-il arrivé dans ces cas ? C’est que c’est le centre visuel du mot qui est le siège du processus hallucinatoire, lequel donne aux images une intensité telle qu’elles peuvent s’extérioriser sous le même aspect que si le malade avait devant lui à lire les mots écrits par un agent extérieur. Nous pouvons donc dire que s’il y a des hallucinations verbales auditives, il y a aussi des hallucinations verbales visuelles.

Mais il nous reste encore deux images du mot, d’une nature bien différente, les images motrices. L’hallucination peut-elle intéresser cette partie de la fonction du langage ? C’est là le point que nous allons examiner maintenant. Mais auparavant une courte digression est nécessaire.

Il est des malades qui disent qu’une voix leur parle, mais qui cependant ne perçoivent aucun son. Ils entendent la pensée, le langage de la pensée ; c’est une conversation toute intérieure. Ce phénomène particulier dont on trouve de nombreux exemples dans les livres de théologie a été longtemps confondu avec les hallucinations de l’ouïe. C’est M. Baiilarger qui a distingué nettement ces faits des hallucinations ordinaires et en a fait une classe d’hallucinations à part, les hallucinations psychiques. Si la dénomination a été adoptée généralement, l’entente est loin d’être faite sur la nature de ce phénomène : la majorité se rangeant à l’opinion de M. Baillarger, d’autres n’admettant pas que ce soit une hallucination, d’autres encore n’y voyant qu’une variété d’hallucinations auditives, psycho-sensorielles comme les autres. Enfin quelques écrivains, pour expliquer ces faits particuliers, font intervenir un nouveau facteur, la fonction du langage. C’est ainsi que M. Ed. Fournié (2) voit là une hallucination de la fonction langage et M. Max Simon (3) une impulsion de cette même fonction. C’est dans cette voie, pensons- nous, qu’il faut chercher l’explication de l’hallucination psychique; cependant notre opinion diffère un peu de celle des médecins que nous venons de citer. Pour nous, en effet, l’hallucination psychique est une véritable hallucination au même titre que les hallucinations psycho-sensorielles. Mais elle en diffère par sa nature même : c’est surtout une hallucination psycho-motrice, intéressant la fonction du langage dans ses éléments psycho-moteurs. C’est ce que nous allons essayer de démontrer.

Parmi les éléments constitutifs du langage intérieur figurent les représentations mentales des mouvements d’articulation. Assez souvent effacées chez certains individus aux dépens des images auditives et visuelles, chez d’autres, au contraire, elles deviennent prépondérantes (Montaigne, Maine de Biran, Bana, Stricker), et les individus pendant, la réflexion parlent alors mentalement leur pensée au lieu de la lire ou de l’entendre. Si la représentation mentale est plus vive, il arrive qu’au lieu d’une parole intérieure, la pensée soit articulée à voix plus ou moins haute. « Chez moi, dit M. Ballet (4), comme chez la plupart des moteurs, quand je pense, la parole intérieure devient souvent assez vive pour que j’arrive à prononcer à voix basse les mots que dit mon langage intérieur. C’est là notre forme d’images vives, [p. 126, colonne 1] à nous moteurs ». Il peut même arriver que la pensée soit formulée à voix haute comme chez les personnes qui parlent toutes seules ? L’image motrice d’articulation peut donc devenir assez vive pour provoquer l’articulation même du mot, passant ainsi du langage intérieur au langage extérieur.

Les personnes familiarisées avec l’étude de la psychologie morbide ont toutes vu de ces malades, obsédés par un mot qu’ils finissent par projeter au dehors. Quoiqu’il y ait là en plus une lésion de la volonté qui caractérise le terrain pathologique, n’est-ce pas toujours un phénomène du même genre : le mot s’impose à l’esprit d’un aboulique, l’image motrice qui y correspond finit au bout d’un certain temps par acquérir une intensité telle que le mot est articulé.

Mais nous n’en sommes pas encore à l’hallucination complète ; car si l’image motrice est devenue assez vive pour se traduire au dehors par un mouvement, le sujet reconnaît toujours qu’il s’agit là d’un phénomène subjectif. C’est dans l’ordre moteur un fait comparable aux hallucinations des sens dites avec conscience et compatibles avec la raison. Encore un pas et le même phénomène perdra pour le malade tout caractère de subjectivité. Nous entrons alors de plein pied dans le domaine des hallucinations dites psychiques. Prenons d’abord les cas les plus complets.

( A suivre).

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L’hallucination dans ses rapports avec la
fonction du langage ; — les hallucinations
psycho-motrices ;

Par J. Séglas, médecin-suppléant de la Salpêtrière.

Parmi les aliénés qui entendent des voix intérieures, le langage de la pensée, il en est qui expriment nettement par la parole cette voix intérieure, la pensée de leur interlocuteur. Nous en empruntons un bel exemple à M. Motet (5) : « Mme X… entend à l’épigastre des voix qu’elle appelle des voix intérieures et qu’elle distingue très nettement des voix extérieures. Celles-ci, elle les reconnaît : ce sont la voix du père X… la voix de sa fille aînée, celle de son fils ; elles lui parlent, elle les écoute ; celles-là, c’est la parole prononcée sans bruit, mais si distincte, qu’elle est obligée de répéter les mots qu’on lui impose, mots orduriers, obscènes, qui la révoltent et que jamais les voix extérieures n’auraient prononcés. »

Griesinger (6) rapporte un fait du même genre :

« … Trois ans après le premier début de la maladie, C. S. commença à entendre parler en elle. A dater de ce moment, il lui vint des pensées, et elle dit des mots qu’elle n’avait pas l’intention de dire et qu’elle exprima bientôt avec une voix qui différait de sa voix ordinaire. »

Une de nos malades, qui a des voix épigastriques, parle la plupart du temps en même temps qu’elles. « Il y en a qui viennent parler dans la bouche et qui obligent la langue à remuer : mais, la bouche reste fermée et il ne sort aucun son. Je comprends ce que les voix disent aux mouvements de la langue, sans prononcer rien ni haut, ni bas. » D’autres fois, elle prononce les paroles à voix basse ou même à voix haute. Elle dit que par moments la voix intérieure ne s’accompagne pas de phénomènes de ce genre, mais pour nous ils passent inaperçus. Ainsi, devant nous, elle entend deux voix intérieures qui conversent. L’une dit : « Il est une bête », l’autre répond : « Non, il n’est pas une bête ». Or bien que la malade dise que cette dernière phrase seule ait été articulée en même temps, par elle-même à voix basse, nous avons très nettement entendu les deux phrases prononcées à voix basse Sur le même ton, sans aucune différence. Nous avons maintes fois constaté ce fait. Elle entend aussi les angéliques rire dans son estomac et en même temps elle rit elle-même. D’un autre côté, quelques-uns de ses interlocuteurs s’exprimaient par sa bouche et lorsqu’elle parle, elle distingue sa voix des autres (celle de Dieu, de son père), dont le timbre, l’intonation sont différents. Souvent aussi elle dit à voix basse des mots qui ne sont pas d’elle, car ils ne s’accordent pas, dit-elle, avec ses idées habituelles. Notons encore un fait qui nous semble tout en faveur de l’explication que nous proposons, c’est que cette malade nous paraît appartenir à ce qu’on appelle le type moteur. On peut en juger par cette phrase qu’elle nous dit un jour : « Je ne puis pas penser bas, cela m’étouffe, et il me faut parler soit bas, plus souvent tout haut, [p. 137, colonne 2] quand je pense ». Ici, comme dans ses conversations intérieures, le mécanisme psychologique est le même : la seule différence réside en cela que le caractère de subjectivité du phénomène, reconnu dans une circonstance, est méconnu dans l’autre.

Une conséquence de cet état est un véritable dédoublement de la personnalité, dédoublement subjectif bien différent du faux dédoublement par écho de la pensée, qui n’est qu’une sorte de dédoublement objectif.

Il peut arriver que les choses se passent d’une façon moins évidente. L’articulation des mots qui accompagnent la voix intérieure, au lieu d’être faite à voix haute, peut l’être à voix basse. M. Baillarger (7) tout en en donnant une interprétation différente, a déjà lui-même noté ce phénomène : « Quelques malades ont, dit-il, une sensation auditive bien réelle, mais tout à fait différente des perceptions sensorielles des hallucinés. Je veux parler des aliénés qui, en même temps qu’ils croient entendre parler à l’épigastre, prononcent eux-mêmes des mots la bouche fermée et comme le font les ventriloques. Les sons le plus souvent sont si faibles que le malade seul les perçoit… Dans ces cas analogues, il ne saurait y avoir de doute. L’hallucination consiste évidemment à entendre des paroles que les malades prononcent très bas, à leur insu et la bouche fermée, et qui semblent en effet sortir de la poitrine et de l’épigastre. Les aliénés méconnaissent alors leur propre voix comme on la méconnaît dans les rêves. »

Dans ces faits, où les choses sont encore moins accentuées, la parole n’est pas articulée ni haut ni bas, mais les voix intérieures s’accompagnent seulement de mouvements dans les organes nécessaires à l’articulation des mots. Nous donnerons comme exemple le malade de M. Charcot, cité par M. Ballet (p. 64), qui avait des voix extérieures et intérieures : « La langue de M. X… se meut, malgré lui, au moment où parle la voix intérieure… Je ne crois pas, ajoute M. Charcot, que les voix intérieures, quelque intenses qu’elles aient pu être, aient jamais été accompagnées chez M. X… de mouvements de la langue. » Un malade de M. Baillarger, pendant ses conversations mentales, remuait un peu les lèvres (p. 413).

Une de nos malades, atteinte du délire des persécutions, entend aussi des voix extérieures et intérieures. Quand ce sont les voix intérieures qui parlent, elle a dans la bouche la sensation d’un effort comme si elle voulait parler, mais « ça ne sort pas »,dit-elle.

Une autre, également persécutée, et qui accuse les mêmes symptômes, ajoute : « C’est comme si je me parlais à moi-même. »

Il nous semble donc qu’en somme, dans tous les cas, les hallucinations psychiques ne soient que des hallucinations psycho-motrices intéressant le centre du langage articulé.

Mais, nous dira-t-on, cette explication ne peut s’appliquer à tous les cas, car il est des malades chez lesquels on ne constate pas nettement ces phénomènes d’ordre moteur. A cela nous répondrons que l’étude de [p. 138, colonne 1] ces hallucinations est toujours des plus difficiles : et comme le dit justement M. Motet, un grand nombre de ces malades dont l’intelligence a toujours été peu active, ou s’est affaiblie, ne peuvent rendre un compte exact de ce qu’ils éprouvent. Aussi a-t-on beaucoup de peine à constater l’existence de l’hallucination psychique dans ces cas divers ? » Que dira-t-on dès lors de l’observation des symptômes minutieux qui peuvent mettre sur la voie du mécanisme psychologique. D’un autre côté, il est encore possible que chez certains de ces malades, ils n’existent qu’à l’état faible de représentations mentales, sans aller jusqu’à l’hallucination. Aussi, nous ne pouvons guère que déduire nos conclusions des faits que nous observons sur des malades chez lesquels les phénomènes en question sont plus accentués, ou qui plus intelligents et plus instruits, les analysent mieux dans tous leurs détails.

D’ailleurs même dans les cas où l’examen d’un malade ne semble pas donner raison à notre théorie, il est quelquefois certains faits plus ou moins voisins qui militent cependant en sa faveur. Une femme d’ailleurs peu intelligente que nous avons observée et qui avait des voix épigastriques, assure que ni ses lèvres, ni sa langue, ne remuent quand elle les entend, mais que « cependant c’est comme si c’était elle qui parlait » ; et à côté de cela, elle ajoute que l’esprit qui lui parle à l’épigastre, la fait parler malgré elle.

Une autre de nos malades qui a des voix intérieures, nous dit qu’elle ne les entend pas dans l’oreille, mais « ce sont des mouvements qui se font en moi qui me disent tout cela, tantôt dans la tête, tantôt de la poitrine. » Elle dit ne rien sentir dans la langue, les lèvres, la gorge quand elle entend la voix intérieure. Mais par moments on la voit l’œil fixe, attentive, remuer les lèvres et prononcer des mots indistincts. Elle les répète ensuite tout haut en disant que c’est la voix intérieure qui vient de parler. Cela se présente parfois, lorsqu’on l’interroge, au milieu de ses réponses qui se trouvent ainsi interrompues. — Quelquefois, ajoute-t-elle, je suis obligée de parler tout à fait ma pensée et je cause toute seule tout le temps. Autrefois, je pensais sans parler. » Elle n’avait d’ailleurs pas à cette époque de voix intérieures.

Aussi pensons-nous que les cas en apparence négatifs, sont loin d’être contradictoires, et nous pourrions presque résumer ce que nous venons de dire par ces paroles textuelles d’une de nos malades : « Quand je pense, je ne puis le faire sans parler, autrement cela m’étouffe. Aussi faites attention, même lorsque je ne parle pas haut, vous verrez toujours mes lèvres remuer, mais plus encore quand j’entends les voix épigastriques. »

M. Baillarger d’ailleurs a (loc. cit. p. 422) dit aussi que « à part le délire, l’état intellectuel des malades qui ont des hallucinations psychiques diffère peu de celui des personnes qui ont l’habitude de parler seules, à leur insu; et il est probable que la cause immédiate des deux phénomènes est la même. »

Mais il reste encore un centre de la fonction langage celui des mouvements de l’écriture ; et quelqu’étrange que cela puisse sembler au premier abord, lui aussi peut être le siège de phénomènes analogues à ceux que nous venons d’étudier. Une malade imbue des idées d’Allan Kardec dont nous avons parlé plus haut, qui avait des voix épigastriques et qu’un esprit faisait parler malgré elle, écrivait aussi malgré elle. En écrivant l’esprit lui donne la pensée par l’estomac comme s’il dictait ; elle sent qu’on lui prend la main et elle ressent dans cette main comme un fluide froid : et elle écrit malgré elle toute seule, elle n’a qu’à, tenir la plume. [p. 138, colonne 2]

 

L’écriture change à chaque fois; elle écrit ainsi, dit- elle, de la ronde et demi-ronde qu’elle ne sait pas et signe d’un nom qui n’est pas le sien. Quand elle écrit elle-même elle ne sent pas sa main prise et apprécie la différence.

Comment interpréter ce fait? Tout en faisant la part de l’altération de la volonté, il nous semble alors rationnel de supposer que la pensée de la malade prend corps surtout au moyen des images graphiques qui dans ce cas acquièrent une intensité suffisante pour s’extérioriser sous forme de mouvements nécessaires pour tracer les signes graphiques qui sont la traduction matérielle de la pensée.

On trouvera de nombreux exemples analogues dans les traités du spiritisme, et notre malade présente à la fois certains caractères de ce qu’on y trouve désigné sous le nom de medium écrivain automatique, qui écrit en quelque sorte en dehors de sa volonté et de medium écrivain intuitif, qui entend « dans le cerveau >/une voix qui lui dicte ce qu’il écrit.

Nous voyons donc qu’en somme l’hallucination peut intéresser dans tous ces centres la fonction du langage : et que dès lors aux points de vue de ses rapports avec cette fonction on pourrait distinguer des hallucinations de deux ordres : 1° psycho-sensorielles ; 2° psycho-motrices. Par la première appellation et sans vouloir dire qu’il y ait là deux éléments dans la constitution de l’hallucination, nous désignerons seulement celles qui prennent naissance dans les centres psycho-sensoriels corticaux ; les autres étant dues à une excitation, analogue des centres psycho-moteurs de l’écorce. Si l’on admet avec Schröder, van der Kolth, Kahlbaum, Hagen, Kopp, Jolly, Hoffmann, Tamburini, que la cause fondamentale des hallucinations du premier genre est un état d’excitation des centres sensoriels de l’écorce ; les phénomènes psycho-moteurs nous paraissent bien rentrer dans la classe des hallucinations. Dans les deux cas, en effet, nous assistons simplement à l’extériorisation d’une image vive ; provoquant en raison même de sa localisation et de sa nature une sensation ou un mouvement. Le mécanisme cérébral est le même, seule la traduction au dehors diffère à cause des questions différentes des organes qui sont enjeu.

On pourra si l’on veut ranger plus particulièrement sous le nom d’impulsions les cas dans lesquels il y a en plus une altération primitive de la volonté, nous avons rapporté ses phénomènes surtout à cause de leur analogie avec les autres et pour en faire mieux saisir le mécanisme. Mais il nous semble qu’on peut donner à juste titre le nom d’hallucinations aux phénomènes désignés par M. Baillarger du nom d’hallucinations psychiques et que nous appellerions volontiers, en nous plaçant au point de vue du rapport des hallucinations avec la fonction du langage des hallucinations verbales psycho-motrices.

Une remarque assez curieuse c’est que dans les affections mentales où ces deux ordres d’hallucinations existent, elles apparaissent en suivant une marche parallèle à celle delà formation du langage. L’enfant entend le son d’une cloche, le différencie en y associant l’image auditive du mot cloche, prononcé à son oreille, dont il n’acquiert qu’ensuite l’image motrice. Le persécuté de son côté entend d’abord des sons indistincts, (hallucination auditive commune) puis des voix différenciées (hallucinations verbales auditives), et n’arrive que plus tard à noter voix intérieures (hallucinations verbales psycho-motrices). [p. 139, colonne 1]

D’un autre côté, on pourrait reproduire ici les distinctions établies à propos des aphasies, suivant que les centres du langage sont atteints isolément ou simultanément. Jusqu’ici nous ne nous sommes occupés que de la première question ; mais on sait que si « l’indépendance des différents centres peut être réelle chez certains individus et à un certain âge ; ils n’en ont pas moins, comme le fait remarquer M. Ballet, des relations étroites entr’eux : ils s’influencent réciproquement les uns les autres à des degrés variables suivant les personnes… Le centre qui est le plus intimement relié au centre auditif est celui du langage articulé. Cela se comprend aisément puisque quand nous apprenons à parler nous ne faisons que répéter ce que nous entendons. La pathologie met d’ailleurs bien en relief ces relations réciproques des deux centres et par conséquent des deux ordres d’images qui y sont emmagasinées. J’ajouterai que, pour ma part, j’ai pu maintes fois constater sur moi-même l’association des images auditives et motrices. Ainsi lorsque je pense à un morceau de musique vocale, j’ai d’abord la représentation mentale des mouvements nécessaires à l’émission des différents sons et ce n’est que secondairement que se trouve éveillée chez moi l’image auditive. De même que la perte des images auditives entraîne des troubles marqués dans le rappel des images motrices d’articulation, de même Une hallucination verbale auditive peut provoquer une hallucination verbale motrice et réciproquement (8). Le malade de M. Charcot, en même temps que sa langue remuait, entendait sa voix intérieure qui avait moins de timbre que l’extérieure.

Une de nos malades présentait nettement le même phénomène et entend ses voix épisgastriques et distingue cependant parfaitement les deux sortes de sensations auditives, et il nous semble qu’un certain nombre des aliénés ayant les hallucinations dites psychiques entendent réellement : les voix ont peut-être moins de timbre, sont moins distinctes, mais il y a cependant hallucination. D’autrefois l’image auditive peut n’être pas assez vive pour s’extérioriser sous forme d’hallucination, mais peut cependant être éveillée : et c’est peut-être pour cela que les malades, fixant surtout sur ce point leur attention, disent qu’ils entendent la pensée, qu’ils ont des voix intérieures. Tandis que certains d’entr’eux présentent nettement les troubles psycho-moteurs que nous avons signalés, sans troubles auditifs constatables, d’autres présentent les deux Ordres de symptômes associés, l’un ou l’autre pouvant prédominer. D’autres enfin n’ont peut-être qu’une image auditive ou une image motrice, associées ou non, mais à l’état faible de simple représentation mentale.

Nous terminerons cet exposé par les conclusions sui¬ vantes :

1° En dehors des hallucinations visuelles et auditives communes, il y a, si l’on considère les rapports de l’hallucination avec les centres du langage, des hallucinations verbales, visuelles et auditives. — Ces hallucinations sont des hallucinations psycho-sensorielles en raison des fonctions des centres qu’elles intéressent.

2° Les centres moteurs du langage peuvent être le siège des phénomènes du même genre : parmi lesquels Cous distinguerons les impulsions verbales dans le cas eu en plus il y a lésion primitive de la volonté et les hallucinations verbales psycho-motrices proprement dites.

3° Les hallucinations dites psychiques comprendraient le plus souvent un élément moteur. On pourrait les classer en trois groupes. Les unes serait des hallucinations verbales motrices pures. [p. 139, colonne 2]

Les autres comprendraient en même temps un élément sensoriel et seraient à la fois et dans des proportions diverses auditives verbales et motrices.

Enfin dans les cas où ces phénomènes ne sont pas apparents, il faut remarquer qu’ils peuvent exister cependant sans que l’état mental particulier du malade permette de les constater, ou qu’ils restent peut être à l’état faible de simples représentations mentales auditives ou motrices associées ou non sans aller jusqu’à l’hallucination vraie.

Notes

(1) Tamburini.— La théorie des hallucinations. Revue scientifique, 29 janvier 1881. [en ligne sur notre site]

(2) Ed. Fournié. — Physiologie du système nerveux, 1872, p. 818.

(3) Max Simon. — Lyon médical. 1880, n° 48 et 49, et le Monde des rêves, 2° édit., Paris, 1888, p. 106.

(4) G. Ballet. — Le langage intérieur. Paris, 1886, p. 52.

(5) Motet. — Dict. de Jaccoud. Art. hallucinations, p. 181.

(6) Griesinger. — Maladies mentales. Trad. franc, de Doumie, 1865, p. 286.

(7) Baillarger. —Des hallucinations, 1846, p. 406.

 

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