Jules Sageret. De l’esprit magique à l’esprit scientifique. Extrait de la « Revue philosophique de la France et de l’Etranger », (Paris), trente-deuxième année, tome LXIII, janvier-juin 1927, pp. 289-305 et 366-382.
Jules Sageret (1861-1944). Romancier et essayiste, membre de l’Académie française. Vulgarisateur scientifique.
Quelques publications:
— La révolution philosophique et la science : Bergson, Einstein, Le Dantec, J.-H. Rosny aîné. Paris : F. Alcan , 1924. 1 vol. 252 p.
— La vague mystique. Paris : E. Flammarion, 1920. 1 vol. 180 p.
— L’Amour menteur. Paris : Calmann-Lévy , 1913. 1 vol. 335 p.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité nous avons renvoyé les notes originales de bas de page en fin d’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr
[p. 289]
DE L’ESPRIT MAGIQUE
A L’ESPRIT SCIENTIFIQUE
Le problème des origines et de l’évolution de la science, souvent abordé par les plus grands philosophes, ne peut recevoir encore une solution totale ni définitive. Toutefois il ne saurait être inutile de le traiter. Nul n’en contestera l’intérêt. La question : « Qu’est-ce que la science ? » est d’une actualité grandissante qui se mesure à la place tenue par la science dans notre civilisation. Or, pour connaître une chose, il faut la suivre depuis sa naissance dans toutes ses modifications successives. Ni les limites d’un article, ni celles de la vie humaine ne permettent d’achever un tel travail en ce qui concerne la science. Aussi nous bornerons-nous à étudier ici quelle modification principale de la mentalité humaine a pu permettre à la science de naître et de se développer.
Si nous trouvions un temps où prédominât parmi tous les hommes une mentalité bien caractérisée et manifestement différente de l’esprit scientifique, nous pourrions, en dégageant les lois et les caractères de cette mentalité, montrer quel chemin la pensée humaine a dû suivre nécessairement pour parvenir à la science.
Or une telle mentalité existait presque partout avant les premières civilisations et elle ressemblait absolument à celle des sauvages modernes. C’est donc à ces derniers qu’il suffira de nous en référer.
La preuve de ce que nous venons d’avancer est acquise aujourd’hui grâce aux travaux considérables des ethnographes et anthropologistes. Les Anglais Tylor et Lang particulièrement ont eu le mérite immense d’ériger ces travaux en science véritable, science que M. Salomon Reinach, entre autres éminents spécialistes de notre pays, contribue brillamment à développer par sa pénétrante ingéniosité. [p. 290]
I
Avant de poursuivre il convient de rappeler en peu de mots les éléments de la preuve à laquelle nous venons de faire allusion. Pour de plus amples développements on pourra consulter Mythes, Cultes et Religionsde M. A. Lang (1).
Si l’on recueille les mythes de toutes les tribus sauvages contemporaines on remarquera aussitôt que le même mythe est le plus souvent commun à un certain nombre de ces tribus et à quelque peuple civilisé de l’antiquité. La répartition de ce mythe dans le monde sera en outre assez indépendante de la race et du voisinage, pour que tel vieux mythe indo-aryen puisse se rencontrer chez une tribu américaine, une tribu australienne, une tribu cafre, une tribu groënlandaise, et non chez les tribus congénères ou voisines de cette tribu américaine, australienne, cafre, groënlandaise.
A titre d’exemple, citons le mythe de la séparation du Ciel et de la Terre. Le Ciel et la Terre sont époux, ils ont engendré par leur union toutes les choses, ou au moins beaucoup de choses. Il devait donc y avoir un temps où leur contact devait être aussi intime qu’il appartient à un couple. Comment et pourquoi sont-ils séparés maintenant par une énorme distance ? Le Ciel, Ouranos, répondent les Grecs, privait ses fils de lumière en les enfermant dans une cavité de leur mère Gaïa, la Terre. Ils en furent mécontents, et Gaïa joignit ses plaintes aux leurs. C’est pourquoi l’un d’eux, Cronos, s’arma d’une faux, mutila le vieil Ouranos, et le repoussa jusqu’à la place qu’il occupe encore aujourd’hui. Les Néo-Zélandais racontent la même histoire, à cela près que Gaïa s’appelle chez eux Papa, Ouranos, Rangi, et Cronos, Tane-Mahuta, que Papa n’entre point comme Gaïa dans le complot de ses enfants et que Tane-Mahuta n’imite pas tout à fait la barbarie de Cronos. Ce mythe, commun aux Grecs et aux Nouveaux-Zélandais, se retrouve encore chez les Acagchemnenm (Californie), et chez les Chinois (2). [p. 291]
En voici un autre relatif à la formation au moins partielle du monde et de l’humanité.
Comme les Chaldéens, les Égyptiens, les Aryens de l’Inde et les Grecs, des sauvages modernes racontent que certains objets, sinon tous, ont été formés par les membres déchirés d’un personnage héroïque ou divin (3)
Enfin le mythe grec qui nous représente Cronos avalant ses enfants a des parallèles chez les Australiens et les Boschimans (4). Les Grecs trouvaient un sujet de scandale dans ces histoires barbares que les sauvages d’aujourd’hui racontent comme eux, et cependant ils y tenaient. Aussi essayaient-ils de se tirer d’affaire par des explications symboliques. Ils nous prouvent ainsi tout d’abord que ces mythes pris au sens direct ne correspondaient plus à leur mentalité ; tel était le cas notamment pour le mythe de la séparation qu’ils ont en commun avec les Néo-Zélandais. Aux temps historiques tout nous montre que la religion et la philosophie des Grecs ne considéraient plus la Terre et le Ciel comme des personnages. Cette manière de se représenter le monde est au contraire absolument adéquate à la mentalité des Néo-Zélandais comme u celte de tous les sauvages modernes, et, en fait, ces sauvages ne cherchent pas à justifier symboliquement leurs mythes cosmogoniques. Les Grecs avaient donc une mentalité semblable lorsqu’ils inventèrent ou adoptèrent des mythes semblables; en se civilisant ils les conservèrent par esprit religieux, mais ils durent les revêtir de subtiles interprétations afin de pouvoir continuer à les respecter. Les Grecs ont donc passé par un état d’esprit semblable à celui des sauvages actuels. Conclure autrement serait supposer qu’un peuple au goût raffiné, aux mœurs policées, ait été de propos délibéré choisir des symboles pour lesquels son goût et ses mœurs lui inspiraient le plus d’aversion. Des contes sacrés pareils à celui de Cronos ne peuvent être chez les Grecs que des survivaces. Il y a mille autres survivances dans les religions, les coutumes, les lois, les superstitions des peuples civilisés, tant [p. 292] anciens que modernes. Et leur caractère général est qu’on ne les comprend pas si on les considère en elles-mêmes, tandis qu’elles apparaissent le plus souvent comme un corollaire naturel des croyances d’un Australien, d’un Esquimau, d’un Galibi ou d’un Zoulou. On répéterait au sujet de ces survivances ce qui vient d’être dit au sujet des mythes grecs les plus grossiers, de sorte que nous devrons reconnaître dans la mentalité sauvage contemporaine celle de l’humanité immédiatement antérieure aux premières civilisations.
II
En prenant donc la mentalité sauvage comme point de départ, et la mentalité scientifique comme point d’arrivée, nous connaîtrons dans quel sens l’évolution a dû agir pour permettre à la dernière de se développer.
Cette étude nous sera encore facilitée parce que la mentalité sauvage engendre une manière de science et de philosophie qui se sont perpétuées jusqu’à nos jours sous le nom de magie. La mentalité sauvage n’a jamais cesser d’exister ; aujourd’hui encore elle tient une place considérable dans nos esprits. Ainsi, une fois que nous aurons trouvé ses traits constitutifs là où il faut les chercher, c’est-à-dire chez le sauvage moderne, nous pourrons la suivre chez les peuples civilisés de tous les temps. On verra quels principes essentiels sont à la base de l’espèce de science et de philosophie qui lui correspondent. La différence entre ces principes et ceux de la vraie science apparaîtra sans peine. Il ne restera plus qu’à formuler cette différence pour déterminer par là même les changements qui présidèrent à la naissance de la mentalité scientifique.
« Le sauvage, dit Lang (5) ne tire pas de ligne de démarcation entre lui et les autres choses qui existent en ce monde. Il accorde la parole et les sentiments humains au soleil, à la lune, aux étoiles, aux vents, tout aussi bien qu’aux bêtes, aux oiseaux et aux poissons. » » Cette confusion entre l’homme et la nature pourrait s’appeler personnification universelle. Conçue comme doctrine philosophique elle revient à un subjectivisme puisqu’elle consiste [p. 293] pour le sujet à se retrouver dans tous les objets. Le sauvage fabrique ainsi l’univers à sa propre ressemblance. Sauf la forme, chaque chose est un homme. Les animaux sont des hommes, et même souvent des hommes sorciers, des hommes supérieurs, ou si l’on veut divins, comme le montre l’énorme diffusion du culte des animaux. Le totémisme, également très répandu, suppose une parenté immédiate réelle entre l’homme et l’animal, voire la plante. Le soleil et la lune sont deux personnes de sexe différent ; leur course céleste, leurs éclipses, résultent des sentiments qui les animent l’un pour l’autre à la suite d’histoires calquées sur les amours ou les querelles humaines. Il faut, à l’occasion, ménager les susceptibilités humaines d’un rocher, d’une mare, d’une brise, d’une parcelle de terre.
Cette personnification générale n’est pas du tout absurde si l’on se met à la place du sauvage. Il est un homme déjà un peu évolué, il commence à penser, d’une manière sans doute intermittente et obscure, il ébauche une explication de l’univers. Expliquer c’est comparer à un terme considéré comme parfaitement connu. Or ce terme, pour un homme d’une culture primitive, est la propre personne de cet homme qui rapportera donc tout à lui-même et au petit cercle de ses semblables. Les objets extérieurs deviendront des sauvages comme lui, à la forme près.
Mais la confusion des choses avec soi-même et de soi-même avec les choses ne suffit pas à déterminer les principes fondamentaux de la science et de la philosophie sauvages (qui pour nous ne sont pas de la science ni de la philosophie) ; il faut y joindre la croyance à des êtres généralement invisibles qui sont pareils aux êtres visibles, sauf la visibilité et la consistance, les âmes, les esprits, les ombres, les fantômes, en un mot il faut y joindre l’animisme.
« Autant que j’en puis juger par la masse énorme des témoignages recueillis, dit Tylor, nous devons admettre que la croyance en des êtres spirituels existe chez toutes les races inférieures avec lesquelles nous avons pu nouer des relations suffisamment intimes ; tandis que l’assertion contraire ne s’applique qu’à d’anciennes tribus, ou à des tribus modernes plus ou moins imparfaitement décrites (6). » Lang met aussi la croyance aux esprits parmi les [p ; 294] traits essentiels de la mentalité sauvage (7). Et presque tous les anthropologistes modernes partagent ces opinions de Lang et de Tylor ; ceux qui ne les partagent pas ne parviennent à citer qu’un très petit nombre de tribus d’où l’animisme serait absent; encore disent-ils plutôt « religion » qu’« animisme ». Or si l’on considère le culte et les cérémonies comme nécessaires pour constituer la religion, on trouverait sans doute des sauvages sans religion et croyant tout de même aux esprits. Bref, l’animisme est de règle chez les sauvages et cette règle comporte peu d’exceptions, si même elle en comporte.
Il est assez naturel, pour un homme primitif, de croire aux esprits. Le vent tout d’abord lui donne l’idée d’un être invisible et doué de force. En comparant les cadavres aux vivants, le sauvage pensera que la vie est une sorte de personne surajoutée au corps, une âme formée de souffle, puisque respirer ou ne plus respirer marquent la présence ou l’absence de la vie. Les rêves, les hallucinations, les visions, vous font voir les défunts dont le corps est pourtant immobile dans une tombe, donc ces défunts ont une image qui leur survit ; cette image est intelligente, elle parle, elle gesticule, elle agit, elle a même faim et soif, elle serait un homme si elle n’avait une consistance pareille à celle de la fumée et une visibilité intermittente. Les maladies entrent dans le corps ou en sortent sans qu’on les voie entrer ou sortir, et pourtant elles produisent des effets surprenants et quelquefois très rapides, d’où les primitifs concluent que ce sont des esprits.
Les mêmes raisons qui conduisent à prêter une âme aux hommes sont également valables pour les animaux. Quant aux objets inanimés, on connaît trois races inférieures qui les regardent très explicitement comme pourvus d’âmes (8). Implicitement tous les animistes ont la même croyance ils se représentent les fantômes des morts comme vêtus, armés, buvant, mangeant, se servant des mêmes ustensiles ou meubles que les hommes, d’où résulte qu’il faut admettre l’existence de doublesspirituels pour les vêtements, les armes, la boisson, la nourriture, les ustensiles, les meubles. Que deviennent les âmes des hommes après la mort ? A cette [p. 295] question le primitif donne plusieurs réponses qui se ramènent pour la plupart aux quatre suivantes L’âme demeure en paix dans le sépulcre ou dans ses environs, à moins que les cérémonies funèbres n’aient pas été accomplies, négligence qui la rend vagabonde et malfaisante (9). Ou bien l’âme habite parmi les vivants et s’intéresse à eux (10). Elle peut encore émigrer vers un royaume des morts, assez analogue à celui des vivants, comme le rapportent plusieurs témoins oculaires (11).
On admet enfin souvent que l’âme se réincarne dans un nouveau corps humain (12) ou dans le corps d’un animal (13), ou même dans un arbre (14).
Le même sauvage peut cumuler plusieurs de ces croyances ; c’est ainsi que le Zoulou loge à la fois les âmes de ses défunts en des formes humaines qui habitent un Hadès souterrain pareil à notre monde et dans les corps de serpents terrestres. Il arrive engouerai qu’on ne tient pas compte de la contradiction. Parfois on l’explique, et cela d’une manière bien simple l’homme a deux, trois, quatre âmes, suivant la conciliation que l’on choisit d’établir entre les solutions précédentes. A celles-ci, nous aurions pu ajouter l’évanouissement de l’âme-fumée ou âme-souffle et le châtiment ou la récompense de l’âme responsable. Mais il faut mettre à part ces deux dernières solutions, parce que, dans le cas de la pluralité des âmes, nous voyons toujours une âme fumée, soluble dans l’air, accompagnée d’une âme persistante, et que la croyance aux peines et à la rémunération futures s’accommode, sauf chez un peuple (les Konds d’Orissa aux Indes), de quelqu’une des solutions-types énumérées (15). [p. 296]
Les âmes et les esprits ne constituent pas pour les primitifs tout le monde invisible. Ils croient encore implicitement à des essences, matières subtiles qui sont fixées sur les choses et leur transmettent certaines qualités. Ainsi la vie, si on ne la confond pas avec l’âme, sera une essence mêlée au sang et dont les esprits pourront se nourrir, comme le pensent tous les sauvages si nombreux qui offrent des sacrifices sanglants. La vie se répandra parfois sur une partie du corps et y restera fixée, même si cette partie est retranchée du corps, tels les cheveux et les rognures d’ongles. La force musculaire aussi est une essence que Cagn, héros Coschiman, tenait concentrée dans une dent (16), comme Samson dans sa chevelure. Ces essences, qualités, vertus, pouvoirs, se communiquent par le contact ; ils sont funestes ou bienfaisants. Les objets tabous, par exemple, ne peuvent être touchés sans grave danger ; or le contact des choses tabouées se neutralise par un autre contact on s’applique sur la poitrine la plante du pied d’un chef. Les bains, pris à temps, amènent parfois le même résultat. Tout se passe donc comme si le caractère de tabou était un poison matériel superposé aux objets, poison intelligent aussi, car il sait distinguer les personnes et les choses très spéciales auxquelles il doit s’appliquer pendant une période souvent variable, il comprend et exécute ponctuellement les ordres des gens qualifiés pour le mettre en œuvre. L’institution des tabous, à la vérité, est, en quelque sorte, une spécialité des Polynésiens, en raison du développement extraordinaire que lui donnent ces peuples, mais on ne trouve guère de sauvages qui ne connaissent au moins un ou deux tabous, et M. Frazer signale des traces ou survivances des tabous chez les Juifs, les Grecs et les Romains (17).
Les essences ne se distinguent guère des esprits ; comme eux, elles ont un entendement. Elles sont donc humanisées. Ajoutons, relativement à l’humanisation des esprits, que l’on agit sur eux comme sur des hommes en chair et en os on les chasse à coups de bâton, on les enferme ; ils laissent des traces de leur passage [p. 297] sur les cendres, si l’on en croit les indigènes des îles Philippines, les Hos du nord-est de l’Inde et les tribus du Yucatan (18). Et ainsi l’assimilation des choses et de l’homme se trouve absolument généralisée chez les sauvages par les croyances animistes, puisque celles-ci l’étendent au monde invisible. On conçoit, sans qu’il soit besoin d’insister, comment les esprits et les essences peuvent résider dans toutes les forces et tous les phénomènes de la nature et leur communiquer ainsi quelque chose d’humain. De là découle ce qu’on appellerait science et philosophie sauvages, s’il n’était plus simple de mettre à la place de ces deux mots le mot de magie.
La magie, on le sait, comporte une doctrine et un art. Bien entendu, on ne déduira les doctrines du magicien sauvage que de ses pratiques elles-mêmes.
III
De ce que les choses et l’homme, en particulier l’animal et l’homme, ne se distinguent entre eux par rien d’essentiel aux yeux du sauvage, celui-ci conclut à la facilité relative des métamorphoses, comme les mythes en témoignent déjà ; mais, en outre, les primitifs croient fort souvent que certains hommes de leur entourage immédiat se changent en bêtes. Tylor cite quatre peuples sauvages de l’Asie chez lesquels la métamorphose de l’homme en tigre passe pour un phénomène courant. II y a des hommes-léopards, des hommes-hyènes, en Afrique. Chez les Abipones du Brésil un sorcier s’enferme dans sa tente et se met à rugir ; aussitôt les voisins s’enfuient en criant : « Hélas ! tout son corps est déjà couvert des taches du tigre ! Regardez, ses ongles croissent (19) ! » Comme l’ordre spirituel et l’ordre matériel se touchent au point de se confondre, le sauvage admettra implicitement qu’un objet peut se dématérialiser puis se rematérialiser, et que, ce faisant, le même objet montrera une certaine perspicacité un tesson de bouteille, enterré profondément sous le passage d’un homme déterminé, distinguera cet homme parmi tant d’autres et se glissera dans son pied sans y laisser aucune trace extérieure de blessure. [p. 298] Du poison, mis sur la porte d’une maison, empoisonnera les habitants de cette maison, mais non ceux qui passeront devant (20). Tout le monde sait quel rôle considérable joue le contact dans la magie primitive. Nous avons montré déjà, à propos du tabou, que ce rôle impliquait la croyance à des espèces de fluides quasi intelligents, donc analogues aux esprits, qui se répandent sur les choses ; nous les avons appelés essences. Par le contact on soutire plus ou moins l’essence attachée à un objet. Le vêtement d’un homme s’imprègne de la vitalité de cet homme et la conserve. « Le prêtre des fétiches nègres, sans que le malade soit près de lui, peut en reconnaître le mal, à l’aide des habits que celui-ci a portés et surtout de son bonnet (21). » Certains sauvages pensent que pendant la grossesse d’une femme, le père du futur enfant doit s’abstenir de toucher un singe, sans quoi cet enfant serait affligé d’une tête simiesque (22). Outre l’action par contact, il y a encore autre chose dans ce dernier exemple, mais le départ n’est point difficile à faire Deux principes très importants et très généraux sont encore impliqués dans l’empirisme de la magie sauvage. On peut formuler l’un d’eux comme il suit : la partie équivaut au tout. Il a la même origine que la croyance aux communications d’essences par contact. La vie d’un homme est une essence elle se répand sur toutes les parties de son corps, notamment sur ses cheveux et ses ongles, de sorte que si l’on peut se procurer les cheveux ou les rognures d’ongle d’un ennemi, on a une fraction de sa vie entre les mains. En détruisant ces cheveux ou ces rognures d’ongle on ne laisse pas entière la vie de son ennemi, ce qui peut la détruire puisqu’il suffit parfois de détruire une partie minime d’un corps pour le tuer. « Les Australiens mélangent avec un peu de graisse des cheveux d’un ennemi et des plumes d’aigle, puis ils brûlent le tout, cela constitue le « Bar ou magie noire » (23). Du même principe découle que l’on peut offrir en sacrifice aux dieux et aux fétiches une partie insignifiante de la victime, comme c’est la pratique à Madagascar, sur la côte de Guinée, chez les Tongouses (24). Une telle manière de procéder paraîtrait œuvre de mauvais [p. 299] plaitsants si l’on ne savait qu’il n’y a pas de plaisanterie possible dans les débuts au moins d’un rite religieux. Le rite a sans doute plus de chances pour durer s’il favorise l’homme aux dépens du dieu, mais il a toujours fallu pour t’établir une justification, et une justification considérée comme très sûre.
L’autre principe fondamental de la magie sauvage est que le semblable agit sur le semblable ; en d’autres termes, ou par extension le semblable présage, attire, produit le semblable ; le semblable équivaut au semblable, l’image, le signe, le symbole, à l’objet représenté. Ce principe correspond aux conséquences tirées instinctivement de la personnification universelle et de l’animisme. Les forces naturelles étant des personnes humaines, on peut agir sur elles par la suggestion de l’exemple ; quand on leur demande la production d’un phénomène, on imite soi-même ce phénomène ; quand on désire un événement, on représente cet événement réciproquement les forces naturelles annoncent leurs manifestations futures par des images présentes de ces manifestations. Il arrive aussi que les phénomènes et les événements eux-mêmes sont personnifiés. Les phénomènes, les événements semblables auront une affinité mutuelle par raison de sympathie comme des gens appartenant à la même tribu. Parfois on se servira au contraire du semblable pour repousser le semblable quand un phénomène paraîtra nuisible, on l’imitera pour le faire cesser ; en effet ce phénomène sera considéré comme une bête féroce sur laquelle on lancera une bête apprivoisée de la même espèce, ou bien encore, la personnification étant moins immédiate, on le tiendra pour une arme maniée par l’ennemi invisible, et l’on retournera cette arme contre l’ennemi.
La prise que l’image donne sur l’objet représenté, suivant la magie sauvage, peut s’expliquer par la nature attribuée à l’âme. L’âme, ou du moins une des âmes, est une image. Quand on rêve des morts, on voit leurs images. Réciproquement l’image de quelqu’un est son âme. Aussi les primitifs se refusent-ils en général à laisser faire leurs portraits ils craignent d’aliéner leur âme. Le monde des esprits étant le monde des images, on agira sur lui et il agira lui-même par elles. Du pouvoir de celles-ci on passe tout naturellement à la vertu des signes, des symboles.
Le principe de l’action du semblable sur le semblable et ses [p. 300] corollaires reçoivent chez les sauvages un nombre immense d’applications.
Amollissez un morceau de bois par la mastication et vous amollirez le cœur des marchands de bestiaux ou des femmes. Une pluie de larmes présage une pluie atmosphérique (25). Mais si l’on veut provoquer soi-même la pluie du ciel, il suffit d’amener la production de nuages noirs le cultivateur allumera donc des feux qui fassent beaucoup de fumée, ou, puisque les nuages souhaités sont noirs, il sacrifiera des bœufs noirs (26). Craignez-vous que vos enfants naissent avec des queues de singes ? coupez des bâtons, images de ces queues (27). II faut recueillir avec soin les pierres en forme d’objets utiles ou précieux car elles assurent la possession de ces objets. Elles sont souveraines pour faire bonne chasse quand elles représentent un gibier (28). A leur défaut, on obtiendra également un bon résultat si l’on imite par des danses les allures de ce gibier -ou si on a soin de le reproduire en effigie (29). Les effigies permettent encore une opération souvent bien utile les frapper équivaut à frapper l’objet représenté, que ce soit une maladie ou un homme. Dans ce dernier cas le sauvage pratique, tout comme les civilisés, un envoûtement (30).
Nous terminerons ici notre esquisse de la magie sauvage, mais nous allons voir que l’épithète de sauvage est superflue parce que la magie sauvage n’est autre chose que la magie telle qu’elle a toujours existé, telle qu’elle existe encore.
IV
Toute la magie sauvage, en effet, s’est transmise à des peuples civilisés avec les croyances qui en forment la base.
Il est superflu de rappeler la place que la doctrine générale de l’animisme a occupée jusqu’à nos jours parmi les philosophies et les théologies. Nous allons passer au détail et montrer par quelques exemples combien la tradition magique s’est conservée intacte d’un étage de culture à l’autre. [p. 301]
On retrouve dans l’antiquité gréco-latine et dans les civilisations orientales les opinions des sauvages relatives au sort de l’homme après la mort. C’est ainsi que les Grecs, les Romains, les Égyptiens, les Chinois, pensent que l’âme reste dans le tombeau ou se tient aux environs du tombeau, si toutefois les rites funèbres ont été célébrés convenablement ; faute de ces rites, disent les mêmes peuples, l’âme devient errante, effrayante, dangereuse. Les Grecs avaient l’Hadès, les Romains l’Orcus ou les Enfers, les Égyptiens l’Amenti, ceux des Chinois qui ne sont ni bouddhistes, ni purement confucianistes, ont le pays des neuf fontaines. Hadès, d’eus, Amenti, pays des neuf fontaines, sont, sous des noms différents, la région où les morts vont mener en commun une existence effacée mais assez pareille à l’existence humaine. Le Chinois fixe l’àme de ses ancêtres sur des tablettes, et la fait résider ainsi au foyer où elle continue d’aimer et de protéger les siens. Enfin la croyance à la métempsycose forme un des points principaux du bouddhisme et du brahmanisme ; c’est dire qu’elle est professée par des centaines de millions d’individus dans l’Asie civilisée. Les pythagoriciens et les néo-pythagoriciens croyaient aussi à la métempsycose.
Ces diverses doctrines sur le sort futur de l’âme sont inconciliables, ce qui n’empêche pas d’en adopter simultanément deux ou trois. Alors, comme chez les sauvages, on ne pense pas à la contradiction, ou si on y pense on la résout par la pluralité des âmes. Les Chinois ont trois âmes l’inférieure, semi-matérielle, appelée Koweï, est fixée pendant la vie au bas-ventre, elle réside au tombeau après la mort, à moins que la célébration nulle ou défectueuse des rites funèbres n’en fasse un spectre vagabond et terrible le houen, âme affective, âme de la poitrine, se distingue souvent assez mal du ling, âme de la tête ; toutes deux, unies ou non, s’établissent, à la fois ou non, sur les tablettes des ancêtres et au pays des neuf fontaines. Ce sont les Chinois du Ho-nan qui indiquent le mieux une séparation nette le houensuivant eux reste sur terre à jouer le rôle d’un lare familial, tandis que le lingest soumis à la métempsychose (31). L’analogie entre les croyances chinoises et les croyances grecques, romaines, égyptiennes, est [p. 302] frappante (32). Et le catholique moderne lui-même n’aura-t-il pas deux âmes après le jugement dernier l’âme proprement dite, et le corps glorieux ? car celui-ci, incorruptible, impalpable, généralement invisible, n’a plus d’un corps que le nom.
Sur tout ce qui concerne les âmes, nous voyons ainsi une croyance de civilisés répondre à une croyance de sauvages. Le même parallélisme va persister pour ce que nous avons appelé plus haut les essences. Dans l’Odyssée les esprits évoqués hors de l’Hadès viennent boire l’essence vitale que contient le sang des victimes égorgées, afin de pouvoir parler à haute et intelligible voix. C’est aussi de l’essence vitale que les vampires, goules, les lamies, du moyen âge et de l’antiquité, appelés broucolaques par les Grecs modernes, soutirent au sang et à la nourriture des vivants, afin de conserver dans la tombe une sorte d’existence végétative. Suivant les occultistes, les vampires ou broucolaques sont des sorciers fraîchement enterrés, et ceux-ci ne déplacent pas leur corps matériel quand ils vont se repaître, mais leur corps astral, une âme semi-matérielle analogue à l‘ombredes Latins et au koweïdes Chinois (33).
L’essence vitale reste fixée à toutes les parties du corps et même sur les ongles et les cheveux. Nous savons par l’Écriture Sainte que la force musculaire de Samson était concentrée dans ses cheveux. Ces essences ont souvent la propriété de rester indéfiniment adhérentes et de ne pas s’épuiser par les effets qu’elles produisent telles sont les vertus curatives pour l’âme et le corps qui résident, même de nos jours, sur les reliques des saints. Quelle différence y-a-t-il entre ces essences et une sorte de matière spirituelle ? Aucune, suivant les occultistes, et ils ont raison.
Cette matière spirituelle qu’ils appellent lumière astrale, est intermédiaire entre la matière ordinaire et le pur esprit. Elle a cette consistance fluide et intermittente attribuée aux âmes par les sauvages. Quelques-uns de ceux-ci répandent des cendres sur le sol pour déceler les traces des esprits. Nous apprenons par le [p. 303 Talmud qu’il faut opérer de la même manière si l’on veut constater la présence des démons en maraude autour des dormeurs. « Dans les traditions allemandes, ajoute Tylor, les petits lutins laissent sur les cendres des empreintes qui ressemblent à celles d’un canard ou d’une oie (34). N’avons-nous pas vu, dans ces dernières années, un prêtre attester la semi-matérialité des esprits en s’armant d’une épée pour chasser les hôtes invisibles et importuns d’une maison hantée ?
La magie des civilisés implique, après la sauvage, une certaine confusion de la matière et de l’esprit. Elle admet aussi la métamorphose des hommes en animaux, comme l’attestent Apulée par son Ane d’or chez les Romains et les nombreux sorciers qui furent brûlés au moyen âge pour s’être changés en loups. Le tesson de bouteille perspicace du sauvage se retrouve dans les charges d’empoisonnementdes Européens. En 1687 un berger appelé Hocque fut condamné par quelqu’un de nos tribunaux français pour avoir empoisonné magiquement des bestiaux. Voici comment il s’y était pris il avait enterré dans une étable des morceaux d’hostie consacrée, des excréments d’animaux, un écrit fait avec le sang des mêmes animaux mêlé d’eau bénite. Cette sale mixture constituait la charge. On ne connut que plus tard la profanation des hosties, et Hocque fut bien condamné seulement pour emploi de procédés magiques. Certains tribunaux admettaient donc l’efficacité de ces procédés au XVIIe siècle. Dans la charge de Hocque une substance invisible prend naissance, elle traverse le sol, elle pénètre le corps des bestiaux, elle s’y change en poison matériel dénué de tout rapport physique avec les ingrédients qui la composent, il y a là matérialisation à distance, et la substance émanée de la charge est certainement douée de perspicacité. Hocque fit appel on l’enferma en compagnie d’un certain Béatrix aux gages de la police, ce qui n’empêcha point la mortalité des bestiaux de persister. Grisé par l’espion, Hocque lui dicta une lettre aux termes de laquelle un certain sorcier appelé Bras de fer était prié de lever la charge. Ce qui fut fait. Bras de fer déterra la charge et la brûla. De quoi Hocque mourut aussitôt avec de terribles douleurs d’entrailles [p. 304]parce qu’on l’avait nommé, malgré ses instances. C’est en effet une doctrine constante en magie qu’un charme, au moment où il est rompu, se retourne contre son auteur, à moins que celui-ci ne reste à couvert sous l’anonymat (35). Il y a donc dans l’essence du charme quelque chose d’intelligent, le diable, disaient les sorciers qui croyaient sans doute à cette explication, mais ils étaient bien plutôt les adeptes inconscients d’une doctrine venue jusqu’à eux par survivance, doctrine qui humanisait à demi la matière.
La croyance aux essences, comme nous l’avons vu, fait penser tout naturellement que le contact produit des effets merveilleux. C’est aussi l’opinion de la magie des civilisés. Il n’y a pas lieu de s’étendre sur ce point. Tout le monde connaît les guérisons opérées par imposition des mains. Nul pays et nulle époque n’ont été privés du spectacle de ces prodiges, souvent réels d’ailleurs. Les vêtements d’un saint prennent par contact ses vertus miraculeuses, et il n’est pas besoin pour cela qu’ils aient été portés à même sur la peau. Un objet pieux, mis en contact avec un morceau de ces vêtements, puisera, sans la diminuer, à l’essence curative dont la relique est le support. Ainsi le contact peut agir de proche en proche, mais non pas indéfiniment. Toutes les religions modernes et anciennes utilisent le pouvoir du contact lorsqu’elles comportent une magie appliquée, c’est-à-dire des sacrements, des rites, des pratiques de dévotion.
Si nous passons au principe : la partie équivaut au tout, nous le voyons en honneur aussi bien chez les peuples de culture relativement avancée que chez les sauvages. Posséder les cheveux et les rognures d’ongle de quelqu’un c’est tenir sa vie entre les mains ; on incorpore donc ces détritus aux poupées de cire des envoûtements et l’opération en devient beaucoup plus efficace ; c’est ainsi qu’opérait notre magie du moyen âge. « Il est prescrit aux Parsis dans leur rituel sacré d’enterrer les rognures de leurs cheveux et de leurs ongles, de peur que les démons et les sorciers n’en fassent mauvais usage contre eux (36). » Les mêmes Parsis ont fait une application heureuse du principe la partie vaut le [p. 305] tout —en brûlant les poils d’un bœuf pour remplacer le sacrifice du bœuf entier (37). Sans aller aussi loin dans l’économie, les Grecs et les Romains en arrivèrent à ne plus offrir aux dieux que les parties à peine comestibles des victimes.
Le principe fondamental de la magie sauvage, le semblable équivaut au semblable, avec toutes ses extensions et ses corollaires, domine aussi la magie civilisée. Celle-ci par exemple croira provoquer la pluie par une imitation de la pluie et des phénomènes qui l’accompagnent (38). La sorcellerie du moyen âge savait même faire pleuvoir sur un espace restreint, comme un potager, par exemple, mais elle employait à cette fin un de ces procédés scatologiques pour lesquels sa prédilection était si grande l’opératrice urinait dans un trou.
Nul n’ignore la place considérable que tenait l’envoûtement dans notre magie européenne. On envoûte encore aujourd’hui chez quelques amateurs européens aux croyances distinguées, comme chez les nègres, les Hindous modernes (39), et comme on envoûtait dans l’Inde antique (40). C’est toujours une poupée de cire ou d’argile qui représente la personne sur laquelle on veut agir. On perfectionne l’opération en infusant au simulacre le principe vital de la future victime sous forme d’ongles, de cheveux, de morceaux de vêtements, et quand celle-ci est chrétienne, les sacrements qu’elle a déjà reçus sont conférés à la poupée, de la main d’un vrai prêtre autant que possible. Puis l’image est percée d’aiguilles ou jetée au feu, et l’on frappe ainsi à distance l’être humain que l’on visait. La logique magicienne démontre l’infaillibilité de ce procédé. Ce que subit le semblable est subi par le semblable, donc ce que l’on fait à l’image, on le fait à l’objet représenté. En résumé nous avons constaté jusqu’ici une similitude complète entre la magie sauvage et celle des peuples relativement avancés.
(La fin prochainement.) SAGERET.
[p. 366]
DE L’ESPRIT MAGIQUE
A L’ESPRIT SCIENTIFIQUE
(fin (41)
V
Il est incontestable que les progrès de la culture ont influé sur la magie en la rendant plus subtile et plus complexe. On va voir cependant que les procédés appartenant plus spécialement à la magie civilisée n’apportent aucun changement fondamental à la magie sauvage.
C’est ainsi que la première voit dans la ressemblance des noms un rapport de similitude suffisant pour permettre l’application du principe le semblable équivaut au semblable. Quand il s’agissait de faire cesser un orage excessif, les Hindous de l’époque védique récitaient des hymnes appropriés, puis ils enfouissaient vivement une plante appelée arka, or arkasignifie lueur (42). Du coup, la lueur céleste, l’éclair, se trouvait enterré ; on comprend aussi qu’il fallût opérer rapidement puisque l’éclair est rapide. Nous qui tournons volontiers en dérision une telle pratique, nous sommes encore sensibles aux rapports des noms avec les événements. Romulus a été le fondateur de Rome, Romulus Augustule fut le dernier empereur romain. Qu’est-ce que cela prouve ? rien, assurément, mais si l’on s’interroge avec sincérité, on découvrira peut-être en soi une tendance obscure à croire que cela prouve tout de même quelque chose. M. Stanislas de Guaita montre dans nos terroristes les exécuteurs testamentaires de Jacques Molay, grand-maître des Templiers, qui, supplicié par un pape et un roi, voulut tirer une vengeance terrible des papes et des rois. Remarquons en effet ce nom de Jacques. La Révolution, destructrice de la papauté et de la royauté, compta parmi ses plus grands précurseurs Jean-Jacques [p. 367] Rousseau. Elle suivit de près une jacquerie. Pour couronner le tout, la Révolution fut achevée par les Jacobins et Louis XVI enfermé au Temple. Combien y-a-t-il de gens qui éprouvent une mystérieuse émotion en présence de cas analogues. Ils se figurent que le destin a parlé ; le destin, pour eux, n’est ni Dieu ni le Diable, mais une force vague qui se manifeste par des procédés humains. Pour tout le monde les coïncidences comme celles qui précèdent sont un élément de drame employé encore avec succès par les romanciers historiques.
Si les noms possèdent une telle vertu, on ne s’étonnera pas de celle qui réside dans les signes, les symboles, les mots, les formules. Le magicien ayant tracé autour de lui un cercle avec certaines figures se trouvera ainsi à l’abri des puissances formidables dont il veut jouer. Pourquoi ? parce que le cercle et les figures sont les signes d’autres puissances protectrices. Il faut sans doute être bien avancé dans la pratique des arts occultes pour comprendre tous les sens renfermés dans les pantacles ou dans les lettres hébraïques dont les manieurs d’invisible font usage. Mais on a beau pénétrer jusqu’à des vertigineuses profondeurs dans l’étude d’un assemblage de traits, si l’on estime que cet assemblage est une protection efficace, cela veut dire clairement Un écriteau remplace un garde champêtre, et cela ne veut pas dire autre chose. Dans la société humaine on emploie les écriteaux avec un succès variable pour empêcher les gens de pénétrer quelque part. C’est ainsi que le magicien opère à l’égard des forces de l’astral. Il écrit pour elles : — Défense de passer. — Il les traite donc en êtres doués d’une intelligence humaine. Le plus étrange est que ces forces paraissent sourdes à un langage clair. On se fait d’autant mieux obéir d’elles qu’on s’exprime par des allégories plus complexes et plus lointaines.
Les cercles magiques sont périmés aujourd’hui, mais nous avons des exemples modernes et quotidiens du pouvoir attribué aux signes dans la magie religieuse. Quelques gouttes d’eau versées sur le front d’un enfant le purifient de la tache originelle dont, suivant les chrétiens, nous sommes tous souillés en naissant. C’est une tache d’ordre moral s’il en fût, puisqu’elle nous vient d’une désobéissance d’Adam et d’Ève aux ordres de Dieu, et cependant un peu d’eau matérielle jointe à des paroles suffit [p. 368] à l’effacer. Que signifie une telle singularité sinon que le signe d’une action équivaut à cette action elle-même ? La purification physique entraîne la purification morale qu’elle symbolise. Toute l’antiquité a cru cela, comme en témoignent les bains rituels qui faisaient partie des initiations aux mystères, et les aspersions lustrales pratiquées par les prêtres égyptiens, hindous, grecs et romains.
On a été, jusqu’à une époque récente, aussi loin qu’on peut aller dans la théorie des symboles ; on a dit toutes les choses matérielles sont les signes des choses spirituelles qui seules ont de la réalité. Ainsi parlait Swedenborg. Pour lui un agneau représentait la douceur, et ce qui existait, c’était la douceur, non l’agneau. Tous les mystiques de tous les temps ont eu la même pensée. « Le moyen âge, écrit M. Huysmans, savait que sur cette terre tout est signe, tout est figure, que le visible ne vaut que par ce qu’il recouvre d’invisible ; le moyen âge n’était pas, par conséquent, dupe, comme nous le sommes, des apparences (43). » Au lieu de « moyen âge », il faudrait lire, bien entendu, « mystique du moyen âge », et à cette correction près, on trouve une définition très exacte de la mystique dans le passage que nous venons de citer. Celle-ci est, on le voit sans peine, une humanisation de l’univers, puisqu’elle représente chaque objet comme un caractère hiéroglyphique tracé pour notre usage.
Il s’agit ici de ce que l’on pourrait appeler la mystique intégrale, encore professée de nos jours par des hommes éminents comme M. Huysmans, et par des femmes d’une piété exaltée. Mais, à côté de ces adeptes, parfaitement initiés, le mysticisme en trouve un, au moins intermittent et inconscient, dans tout cœur un peu idéaliste. Ce cœur, en effet, lorsqu’il sera en état d’idéalisme, ne s’attachera aux réalités que pour les muer en symboles. Le mysticisme est donc très répandu. Aussi, sa logique, employée souvent par les apologistes chrétiens, possède-t-elle encore une certaine force pour agir sur les raisons humaines. D’après cette logique, un signe est une preuve si vous trouvez quelque part dans l’univers sensible des objets ou des faits que l’on puisse interpréter facilement comme des symboles chrétiens, l’existence réelle de ce que [p. 369] représentent ces symboles sera démontrée. Les images de la croix, deux lignes qui se coupent à 90°, sont répandues dans la nature et l’industrie humaine un oiseau qui vole, un homme debout qui écarte les bras, un mât de navire avec sa vergue, une poignée d’épée, etc.; d’où il est confirmé que le Christ a bien racheté les hommes en mourant sur la croix. Un certain abbé Orin nous fait remarquer qu’il y a trois lacs traversés par le Jourdain. Celui d’amont, le lac Mérom, signifie manifestement le Ciel en raison de son altitude et parce qu’il est hanté par les oiseaux, habitants du ciel. La Terre est figurée par le lac de Tibériade placé au milieu. Dans les poissons très nombreux de ce lac, où saint Pierre autrefois faisait des pêches miraculeuses, il faut voir de toute évidence les fidèles de l’Église militante. Ils peuvent remonter au ciel, ou Mérom, en luttant contre le courant très violent du Jourdain supérieur, ou se laisser emporter mollement par les eaux plus tranquilles du bas Jourdain jusque dans la mer Morte. Quelle saisissante image de l’enfer ! s’écrie l’abbé Orin, que cette mer de mort creusée par le péché de Sodome et ne contenant aucun être vivant ! que ce lac, dont le niveau, phénomène unique au monde, est inférieur de près d’un demi-kilomètre (392 m.) aux niveaux des mers voisines… Voilà trois lacs très caractéristiques et bien malencontreusement placés pour la libre pensée. Pourquoi se trouvent-ils précisément sur la terre natale du Christ, sinon pour servir de témoins de la doctrine qu’il a prêchée ? Étrange e hasard ! diront certains libres penseurs. peu sérieux (44). » Telle est l’argumentation de l’abbé Orin. Nous ne l’avons pas choisie en raison de sa célébrité, mais parce qu’elle pourrait servir de modèle aux apologistes chrétiens et mystiques ; ceux-ci en effet attribuent presque tous au symbole la puissance d’une preuve, mais il est rare qu’ils montrent l’ingéniosité de l’abbé Orin à découvrir et à interpréter les images.
Il faut noter que si on enlevait au morceau précédent les intentions théologiques, cette ingéniosité garderait une valeur littéraire. Un poète libre penseur écrira fort bien en substance la même chose que l’abbé Orin, sauf à conclure Les dogmes chrétiens se sont exhalés des trois lacs de Judée, lacs mystérieux, lacs [p. 370] étranges. etc. — Affirmation fantaisiste, elle aussi, mais qui ne laissera pas d’être goûtée, parce qu’on la verra édifiée sur un ingénieux agencement de symboles. Ici encore, le symbole joue le rôle d’une preuve. C’est ce qui a lieu pour toute littérature dans sa partie purement littéraire, mettons comme expression équivalente pour toute poésie. On parle de « la magie du style », c’est un vieux cliché, mais plus significatif qu’on ne le croit. La poésie, en effet, quand nous la prenons au pied de la lettre, reproduit la vieille magie des primitifs avec ses croyances. Elle personnifie tout, elle fait revivre les mythes les plus barbares (pour le poète, le ciel du soir saigne encore), ou elle invente des mythes nouveaux que nul explorateur ne s’étonnerait de rencontrer chez les sauvages. Un dieu cultivateur avait pour champ la voûte céleste, il y sema du grain, la moisson mûrit : ce que voyant, le dieu résolut de récolter, mais comme il était paresseux, il laissa sur pied la plus grande partie de son blé, et même il jeta sa faucille sans se donner la peine de la remporter chez lui. On a deviné que les épis de blé se changèrent en étoiles et la faucille en croissant de lune. Qui nous raconte cette histoire ? Est-ce un anthropologiste ? un ethnographe ? Non, c’est un poète français du XIXe siècle, et le plus grand de tous, Victor Hugo (45). La poésie connaît les essences, fluides qui participent de la matière et de l’esprit on sait qu’elle fait une âme d’un parfum et un parfum d’une bonne action : elle dit que l’insulte, chose morale, se lave dans le sang, liquide matériel; le contact, si nous l’en croyons, transmet aux choses un peu de la vie humaine, c’est pourquoi l’amoureux écrira qu’il a baisé sur la poussière la trace des pas de sa bien-aimée; des âmes de toute espèce sont attribuées à l’homme par la poésie, mais elle s’intéresse particulièrement à l’âme la plus grossière, sans doute la plus ancienne, celle qui reste attachée au cadavre. De là l’importance de la sépulture ; les malheureux qui périssent dans un naufrage ont froid après leur mort, la tempête les ballotte, nous les plaignons dans nos pièces rimées, et nous comparons leur infortune [p. 371] au bonheur relatif de ceux qui reposentparmi les fleurs d’un joli cimetière. On n’insistera pas sur les applications que fait la poésie du principe : « le semblable équivaut au semblable », puisqu’elle vit d’analogies et d’images de toute sorte. En un mot, il y aurait un étroit parallélisme entre la mentalité d’un sauvage et celle d’un poète, si ce dernier croyait à ce qu’il dit.
On peut cependant, et c’est fort heureux, allier la poésie à la recherche de la vérité. Il suffit pour cela de penser dans le mode rationnel et de s’exprimer dans le mode magique. Nos habitudes nous permettent de n’être point trompés par cette méthode qui est absurde du point de vue de la raison pure. Elle est cependant efficace, elle ajoute une force immense aux idées scientifiques des bons écrivains, parce qu’elle permet d’amuser et d’émouvoir. Que la poésie, comme langage magique, nous amuse, cela n’a rien de surprenant ; elle nous montre un esprit humain jonglant avec les mots et les images, et nous divertit ainsi au même titre que n’importe quel jeu difficile. D’où vient qu’elle nous émeuve ? Si on l’analyse avec une froide exactitude, on constate qu’elle ajoute seulement au langage vulgaire des expressions qui n’ont pour nous aucun sens raisonnable. Elles en auraient un pour les sauvages. Elles en avaient un pour nos ancêtres préhistoriques. Dans les anciens temps elles répondaient à un monde conçu comme réellement composé d’objets et de forces pareils à l’homme. Elles émouvaient donc. Les croyances parties, l’émotion demeure. Elle est profonde, héréditaire, gravée par des siècles, et l’éloignement de son origine la fait paraître mystérieuse.
II arrive donc, en vertu de ce mystère, que certaines gens attribuent à la poésie une valeur intrinsèque ; ils oublient qu’elle est seulement un mode d’expression, ils confondent avec des vérités les procédés qu’on peut employer pour sertir les vérités. C’est ainsi que l’on voit des littérateurs et des artistes, des savants même, nullement religieux, et pourvus cependant d’une mentalité presque mystique. Ils s’appuient sur les raisons du cœur que la raison ne comprend pas ; ces raisons du cœur sont, comme nous avons pu l’entrevoir, les raisons magiques, raisons comprises par la raison des peuples primitifs. Qui pourrait d’ailleurs, aujourd’hui encore, se flatter d’être complètement affranchi de mysticisme ? [p. 372]
VI
On peut ici résumer ce qui précède.
Il existe une manière de penser commune aux sauvages modernes et aux ancêtres des peuples cultivés, cette manière de penser a survécu jusqu’à nos jours dans la magie, la religion, le mysticisme et la poésie. Nous pouvons l’appeler esprit magique, parce que la magie renferme tous les principes qu’il enfante. Ce qui différencie notre civilisation de toutes les autres, sauf la civilisation grecque, c’est que l’esprit magique n’y donne plus le ton, il s’y trouve en concurrence avec l’esprit scientifique, lequel prédomine même dans plusieurs intelligences, mais sans avoir nulle part un empire exclusif. Comme d’autre part l’esprit magique et l’esprit scientifique sont en opposition à peu près complète, chaque individu résout leur incompatibilité en obéissant alternativement à l’un et à l’autre.
L’esprit magique, comme nous l’avons vu, a pour caractère essentiel l’humanisation générale de l’univers, un subjectivisme presque absolu par lequel l’homme, sujet, se voit dans tous les objets. Il ne peut d’ailleurs en être autrement. Cela résulte de la force véritable qu’a possédée la magie. La magie blanche ou noire, ancienne ou moderne, laïque ou religieuse, diabolique ou chrétienne, sauvage ou civilisée, les incantations, les pantacles, les grimoires, les amulettes, les scapulaires, les médailles, les sacrements, ne sont pas du tout inventions d’imposteurs ou d’imbéciles. Le sorcier et le magicien, comme le prêtre qui est aussi un magicien, opèrent des miracles. Ils infligent des maladies, ils guérissent. L’art qu’ils professent consiste à donner des illusions. Or l’illusion produit sur l’homme des effets réels ou qu’il ne distingue pas de la réalité. Un rêve cohérent qui se répète se confond pour le rêveur avec un fait de sa vie ordinaire, et c’est ainsi que pendant le moyen âge on allait au sabbat ; après avoir absorbé le soir un narcotique mélangé de drogues aphrodisiaques, on assistait en rêve à une cérémonie dont le programme était tracé d’avance par des superstitions communes à tout le monde. Nous admettrons même que certains sujets de choix prenaient part au sabbat tout éveillés l’hallucination périodique n’a rien d’invraisemblable. Bref la magie a toujours eu dans son ressort ce que nous appelons [p. 373] suggestion, hypnotisme. Non seulement elle contient ainsi une part de vérité expérimentale, mais ce qui est mensonge en elle a eu tous les effets de la vérité, même dans les esprits des magiciens. Ceux-ci furent de bonne foi. Ils n’auraient eu aucun pouvoir s’ils n’avaient cru les premiers à ce pouvoir. Avant de donner des illusions aux autres ils ont dû s’en donner à eux-mêmes ; ce n’est pas à dire qu’ils n’aient jamais pratiqué l’imposture, mais ils n’ont pu avoir l’idée de se faire sycophantes professionnels qu’aux époques où leur art déclinait. Les magiciens avaient bien l’air à leurs propres yeux comme aux yeux du public de gouverner le monde visible par l’invisible ils en avaient l’air seulement, et cela suffisait. Leur action chimérique sur les choses était une action parfaitement efficace sur les hallucinations humaines de là un système de doctrines où les rapports entre les objets se trouvaient déterminés par la condition de frapper le plus vivement possible le cœur et l’imagination. Ces rapports devaient être a priori des rapports humains. On ne s’étonnera pas si la poésie, qui a précisément pour but d’émouvoir et d’illusionner, se rencontre avec la magie dans l’humanisation générale de l’univers.
Puisque l’esprit magique vit ainsi de subjectivisme presque pur, l’esprit scientifique diffère de lui radicalement. Toute science en effet doit être objective sous peine de ne pas être. La science a fait son apparition pendant le passage du subjectif à l’objectif. C’est par la déshumanisation progressive des choses que l’esprit scientifique s’est développé en opposition avec l’esprit magique. Déshumaniser revient aussi pour l’homme à se désintéresser, à ne plus chercher dans les objets que les objets et non lui-même. Tout sentiment se trouve ainsi banni de l’esprit scientifique, excepté bien entendu celui qui fait aimer la connaissance. L’esprit magique au contraire n’est que sentiment, sa logique est la logique des sentiments. On a reconnu dans ce dernier mot le titre du livre de M. Th. Ribot où il a montré l’opposition qui existe entre la logique rationnelle, instrument de l’esprit scientifique, et la logique des sentiments. « Le raisonnement intellectuel, dit-il, n’a qu’un but connaître la vérité objective. II est une adaptation aux faits. L’émotionnel est une adaptation aux croyances, aux désirs et aversions. Sa position est subjective… (46) M. Ribot met [p. 374] aussi en évidence comme principe directeur de la logique des sentiments le principe de finalité, « finalité » n’ayant ici d’autre signification que recherche d’un but (47) Autrement dit, la logique des sentiments est intéressée. Voilà un de ses traits les plus essentiels. Et l’opposition des deux logiques apparaît ainsi tout à fait pareille à l’opposition de l’esprit magique et de l’esprit scientifique. Passer d’une logique à l’autre, c’est passer d’un esprit à l’autre. Soulignons l’importance de l’ouvrage de M. Ribot auquel toute étude positive sur l’évolution de la pensée finit par remonter comme a une source.
VII
Nous pouvons d’après ce qui précède montrer comment on peut suivre le développement de l’esprit scientifique en prenant comme fil conducteur l’idée de déshumanisation progressive. La religion elle-même en évoluant créa des circonstances favorables à ce développement. Elle offrit l’occasion de retirer la personnalité humaine aux choses pour la repousser peu à peu jusqu’au lointain inaccessible de la cause première. On trouvera peut-être contradictoire que certains peuples, les Grecs surtout, aient réalisé un premier effort dans ce sens quand ils attribuèrent aux dieux la forme humaine. Ce paradoxe n’est qu’apparent. Le soleil du sauvage pouvait agir, penser, sentir lui-même comme le sauvage, quand on ne lui attribuait pas d’une manière précise la structure humaine : il n’y avait pas de contradiction trop forte entre sa personne morale supposée et son aspect extérieur. Mais le jour où il eut un tronc, une tête et des membres, il dut paraître compliqué de le tenir en même temps pour un globe enflammé. La solution qui consistait à faire de ce globe la demeure ou l’instrument du dieu se présentait d’elle-même. Dès lors, les dieux-hommes étant sortis des choses, l’homme ne conçut plus celles-ci à sa ressemblance directe, elles commencèrent pour la première fois à devenir de véritables objets.
Cette objectivation devait théoriquement recevoir une vive impulsion du monothéisme. Le Dieu unique se prête à devenir un ouvrier qui crée la machine du monde physique, la met en branle [p. 375] d’un tour de clef et n’y touche plus la machine est remontée pour un nombre de siècles considérable. Rien n’empêche alors les physiciens de collaborer, quelles que soient les divergences de leurs opinions religieuses. L’univers matériel du monothéiste pur se trouve en effet déshumanisé jusqu’au tour de clef donné par le Créateur ; cela suffit à procurer les aises que réclame la science spécialement physique.
Malheureusement le monothéisme n’a pas produit tous les bons effets qu’il parait impliquer. Musulmans, chrétiens et juifs ont été pénétrés d’esprit magique. Le catholicisme du moyen âge prouvait sa ferme croyance au pouvoir des sorciers en les brûlant. La kabbale était juive et arabe. Mais la magie n’existait point seulement en opposition avec le culte officiel du Dieu unique, elle faisait partie de ce culte lui-même. Sacrements, rites, formules traditionnelles d’invocation, symboles, exorcismes, miracles, mysticisme, tout cela est magie. Les religions monothéistes opposaient encore un grave obstacle au développement de l’esprit scientifique par leurs livres sacrés qui furent l’expression de la vérité totale et définitive. Leur étude devait suffire. Aussi voit-on que les Juifs de la Bible n’eurent aucune science. Les premiers successeurs de Mahomet, comme le remarque Renan (48), furent de tièdes observateurs des prescriptions islamiques, ils ne professèrent pas pour leurs textes sacrés un respect superstitieux ; d’autre part la très belle floraison scientifique dite arabe coïncide avec leur empire. Mais le parti des théologiens dévots l’emporta. Cette victoire fit du Coran le répertoire complet de tout ce que l’on peut connaître. Il devint une borne où l’Islam demeura dès lors attaché par une longe très courte. Si les Saintes Écritures n’ont point immobilisé aussi les peuples chrétiens nous le devons sans doute au prestige d’Aristote. En faisant d’Aristote une sorte de Père de l’Eglise, les Scolastiques introduisirent le loup dans la bergerie, c’est-à-dire une autorité païenne parmi les chrétiennes. La considération immense qu’ils inspirèrent aux gens instruits pour un philosophe grec se répandit naturellement sur toute la pensée grecque. La science d’Hipparque, d’Euclide, d’Archimède et d’Hippocrate put entrer en Europe avec le bienveillant appui de l’Église et c’est de cette [p. 376] science que la nôtre dérive tout entière, car jusqu’au XVIe siècle on n’avait rien ajouté aux acquisitions des Grecs, sauf les chiffres dits arabes, en réalité hindous, mais ceux-ci malgré leur prix inestimable sont des instruments, non des connaissances. Le monothéisme enfin n’offrait guère à la déshumanisation que de théoriques possibilités. Il était armé pour lui résister. Si nous comparons l’univers à une horloge, on pouvait bien supposer que Dieu l’avait construite et remontée une fois pour toutes, mais il était plus simple d’admettre qu’il faisait marcher les aiguilles avec ses doigts invisibles on supprimait ainsi les rouages et par conséquent leur étude. Arrêté à ce point, le progrès de la déshumanisation ne dépassait guère celui que le polythéisme anthropomorphe des Grecs avait réalisé, car le Dieu unique eut toujours en religion une âme d’homme.
Ce furent des philosophes qui le réduisirent à l’état de cause première, ouvrant ainsi à l’objectivité un vaste terrain entre lui et nous. Si les théologiens du moyen âge n’avaient été des philosophes aristotéliciens, leur monothéisme eût sans doute gêné l’esprit scientifique encore bien plus qu’il ne l’a fait. Devrons-nous donc attribuer à la philosophie l’essor de ce dernier. Oui, mais pour une part seulement. Les vieilles écoles d’Ionie avaient déshumanisé l’univers en faisant dériver ses diverses parties d’une seule matière primordiale dépouillée elle-même, en totalité chez quelques philosophes, d’attributs moraux. Mais le recul qui se fit après eux montre quel appui instable et fragile offre la philosophie pure. Puisqu’elle a parfois refusé toute réalité aux objets extérieurs, elle peut tuer l’esprit scientifique aussi bien que l’enfanter. Rien ne serait plus injuste cependant que de la déclarer inutile. Elle nous a rendu le service immense, dès le temps des Grecs, de préparer à peu près toutes les combinaisons d’idées possibles sur le monde et sur l’homme ; elle fabriquait ainsi tous les instruments possibles pour l’induction scientifique, la plupart sans doute destinés à tomber au rebut, mais quelques-uns d’une valeur inappréciable et quand bien même elle eût fait travailler l’esprit humain à vide, n’était-ce pas au moins d’une bonne hygiène que de l’exercer ?
Toutefois on ne se dissimulera pas que certaine branche de la philosophie n’ait gêné à ses heures la déshumanisation. Nous [p. 377] faisons allusion à la métaphysique que la magie rappelle par certains traits. Le cas de Hocque, déjà cité, nous servira d’exemple. Hocque est un croyant, comme d’ailleurs tous ses confrères les sorciers : il raisonne ainsi (ou plutôt son charme implique le raisonnement suivant) rien n’est plus salutaire qu’une hostie consacrée, mais d’autre part rien n’excite plus la colère de Dieu que la profanation d’une telle hostie, donc cette profanation doit changer en poison infernal ce qui est par sa nature une ambroisie céleste. En second lieu, c’est évidemment le profanateur qui doit être empoisonné, donc si je fais profaner l’hostie par des animaux, ils en mourront. Même raisonnement pour l’eau bénite. De là les mixtures employées par Hocque. Nous avons vu que celui-ci avait pris la précaution, grâce à l’on ne sait quelles pratiques, de rester anonyme vis-à-vis de son charme, parce que si l’auteur d’un crime demeure inconnu, ce sont les agents subalternes d’exécution qui peuvent seuls être poursuivis par la vengeance. On juge en cela du monde invisible par le monde visible. De ridicules contradictions existent sans doute dans cette sorcellerie; elles proviennent du mélange des croyances chrétiennes avec celles de l’antique magie qui survivait. Ainsi l’offense faite à un Dieu clairvoyant se trouvait être en même temps une essence à demi spirituelle, à demi matérielle, clairvoyante aussi, mais grossièrement, et que l’on pouvait gouverner comme une force automatique. C’est toutefois le point de vue de la magie sauvage qui explique toute l’opération de Hocque : la foi chrétienne n’y entre que pour donner de la force à un ingrédient. Si, en considérant ce point de vue, on procède à une analyse, on verra que tout le poison infligé par Hocque aux animaux (nous ne parlons que du poison magique) était en réalité une combinaison de raisonnements. La magie en usait ainsi elle attribuait directement une efficacité matérielle aux opérations de l’esprit humain. Des analogies enterrées sous un édifice valaient un baril de dynamite pour le faire sauter. N’y-a-t-il pas quelque chose de semblable dans la métaphysique lorsqu’elle érige les abstractions en soutiens et régulateurs de l’univers ?
A ce compte, dira-t-on, les mathématiques méritent le même reproche. Elles sont bien, elles aussi, le résultat de pures opérations de l’esprit. Quand on les applique à l’étude du monde [p. 378] extérieur, on se trouve porté à croire que ce sont elles, opérations de l’esprit, qui gouvernent ce monde extérieur. Elles tendent par conséquent à enraciner l’humanisation plutôt qu’à la combattre. Malgré leur défaut cependant, notre science expérimentale, objective, dut attendre pour naître que l’on introduisît chez nous les mathématiques grecques, et après cette introduction, elle prit un essor très rapide. On s’expliquera une telle anomalie en considérant que le danger des mathématiques n’est pas dans les mathématiques elles-mêmes. En leur qualité d’instrument elles sont indifférentes. Elles vous mèneront à la vérité ou à l’erreur suivant que vous serez parti de la première ou de la seconde, mais non de l’erreur à la vérité et inversement. Tout en combinant les matériaux qu’on leur donne à élaborer, elles sont incapables d’en modifier la nature ; c’est là leur grande qualité; leur machine, une fois mise en branle, se garantit d’elle-même contre toute introduction subreptice de corps étrangers parmi ceux qui se trouvent soumis à ses rouages. On comprend dès lors que les mathématiques fussent une voie nécessaire à suivre pour s’éloigner de l’esprit magique. Celui-ci, comme nous l’avons fait remarquer, emploie la logique des sentiments. Or la logique des sentiments est tout arbitraire, elle s’accommode à merveille de la contradiction, et elle ne voit pas les parasites qui envahissent en foule ses files de raisonnements. Rien ne sert avec elle de posséder un fonds de vérités objectives, puisqu’elle les dénature aussitôt. On a dû remplacer par un autre cet instrument qui humanise tout ce qu’il touche, et d’abord apprendre à s’en passer, avant de rien pouvoir déshumaniser. Les mathématiques seules se prêtaient à une telle révolution parce qu’elles sont réfractaires par essence à la logique des sentiments. L’esprit scientifique devait donc faire avec elles ses premiers essais. Nécessaires à l’esprit scientifique, les mathématiques ne sont pas suffisantes. L’histoire le prouve. La science grecque, où les mathématiques tenaient une place prépondérante, s’éclipsa dans l’empire romain d’Occident et s’ankylosa dans celui d’Orient, au moment où elle allait passer aux Arabes. La civilisation scientifique des Arabes eux-mêmes, celle des Hindous, celle des Chinois n’évitèrent pas la décadence, malgré un brillant développement des mathématiques.
Et malgré l’astronomie, devrons-nous ajouter. C’est elle cependant [p. 379] qui devait sous le nom d’harmoniesuggérer aux premiers penseurs l’idée de loi scientifique. Le peuple des astres montrait par la régularité inflexible de ses mouvements qu’il ne ressemblait pas aux nations humaines ; il constituait une immense collection d’objets déshumanisés. L’observation méthodique des cieux devait en outre, semble-t-il, commencer de très bonne heure à combattre l’esprit magique puisque le calendrier se trouve à l’aube même de toute civilisation. Or il n’en fut rien. Sauf chez les Européens, l’astronomie se figea, même quand elle avait obéi pour un temps à l’impulsion de la science grecque ; elle se trouva réduite à servir les astrologues pendant les loisirs que lui laissait la publication des éphémérides. La magie régnante avait besoin d’un calendrier exact, afin qu’on célébrât les cérémonies du culte au moment précis où elles concordaient avec les influences supraterrestres nécessaires et aussi pour connaître l’avenir une petite erreur dans la prévision de la position relative des astres ne pouvait-elle pas entraîner un changement complet dans les prophéties, puisque les bonnes et les mauvaises chances peuvent alterner à quelques instants d’intervalle ? Une fois que les horaires des révolutions célestes paraissaient déterminés avec précision, on n’avait plus rien à demander il l’astronomie sinon de persévérer dans une routine. On voulait un calendrier irréprochable, on croyait le posséder, on en vint à regarder comme un délit toute tendance au progrès parce qu’elle entraînerait peut-être une altération dans une œuvre considérée comme parfaite. Cet avortement de l’astronomie chez la plupart des peuples vient de ce qu’elle était pour eux finaliste ils lui avaient imposé de ne poursuivre qu’un but intéressé.
Nous touchons là un défaut commun à tout un ordre d’expériences objectives que l’on peut ranger sous la rubrique d’industrie. Toute industrie ne devrait-elle pas faire naître une science expérimentale puisqu’elle consiste en une répétition d’expériences ? On constate au contraire que l’industrie existe indépendamment de toute science : on la rencontre chez les êtres les plus dégradés, même chez les animaux la guêpe savait fabriquer du papier de fibre de bois bien avant que l’homme connût seulement l’écriture Les Australiens ont inventé le boomerang, espèce de bâton courbe ils savent le lancer devant eux de telle sorte qu’il revienne ensuite [p. 380] en arrière sans avoir ricoché sur aucun obstacle. C’est là un tour de force balistique. Il ne viendra cependant à l’idée de personne d’attribuer aux Australiens la constitution d’une science balistique. Quant aux civilisés, nous les voyons atteindre à un très haut degré de développement industriel, comme les Hindous et les Chinois, et rester pour ainsi dire dépourvus de toute science expérimentale. Les Grecs et les Romains eux-mêmes n’avaient pas de chimie et cependant ils provoquaient tous les jours des réactions chimiques entre les corps ils fabriquaient du verre, ils extrayaient des métaux de leurs minerais, ils teignaient des étoffes, ils combinaient des drogues pharmaceutiques.
L’expérience industrielle réduite à elle-même demeure stérile, bien qu’objective, parce qu’elle est intéressée. Un besoin la suscite, mais une fois ce besoin satisfait, son rôle est fini. Pour la féconder de nouveau il faudrait la grouper avec d’autres expériences, idée qui ne pouvait venir à l’esprit de l’ancien industriel, en tant qu’industriel. Le verrier, par exemple, songeait peut-être à perfectionner le verre, mais pourquoi, s’il n’était ce qu’on appelait philosophe, eût-il étudié les métaux ? Se fût-il dévoué aux intérêts aléatoires des verriers à naître dans plusieurs siècles en espérant que ses recherches lui feraient entrevoir les lois générales de la combinaison des corps ? Les expériences industrielles restaient isolées dans les métiers, ou même dans les familles : isolées, elles n’arrivaient pas à devenir scientifiques. L’industrie de tout un peuple ne formait qu’un archipel de minuscules îlots objectifs sans lien entre eux et disséminés au milieu d’un océan de magie. Aucun remède n’existait alors contre la décadence amenée par les tempêtes économiques qui submergeaient tout le reste de la civilisation. Considérons aussi que les progrès d’une industrie demeurent impossibles, quand ils sont parvenus à un certain point, sauf par des moyens échappant à toute prévision raisonnable. Les anciens entrepreneurs de transport par terre devaient se croire limités dans l’amélioration de leur industrie au perfectionnement des chevaux, des routes et des véhicules. On leur eût fait hausser les épaules en disant : — Étudiez l’élévation de l’eau dans les conduites au moyen des pompes aspirantes. — Et cependant c’eût été là un sage conseil profitable à leurs descendants lointains. Les fontainiers de Florence constatèrent en effet que l’eau ne pouvait [p. 381] monter par aspiration plus haut que trente pieds. D’où Torricelli puis Pascal conclurent à la pression atmosphérique. Papin cherchant à utiliser la force de cette pression condensa la vapeur d’eau amenée sous un piston. Tels furent les débuts de la machine à vapeur qui révolutionna les transports, entre autres choses. Les savants du XVIIe siècle étudièrent la propriété que possédaient certaines substances préalablement frottées d’attirer les corps légers, L’électricité entrait ainsi dans le laboratoire des physiciens. On n’a pas besoin de rappeler ce qu’il advint quand elle étendit ses visites à l’usine. Mais n’y-a-t-il pas un immense détour de l’attraction des corps légers à l’éclairage, pour ne prendre qu’une seule des applications les plus familières de l’électricité ? Nous voyons donc que l’expérience industrielle reste acculée à des impasses quand elle n’a pas le secours de l’expérience scientifique. La première, nullement imprégnée de magie à coup sûr, demeure cependant humanisée par son but elle a beaucoup de passions et d’intérêts humains à satisfaire. La seconde n’en a aucun. Elle se détache de tout sinon de connaître, ce qui lui permet de s’appliquer à une foule d’objets dénués en apparence d’utilité. Elle explore ainsi les chemins très détournés qu’il faut prendre le plus souvent pour aboutir aux grands progrès.
C’est donc bien en résumé la déshumanisation des choses qu’il a fallu opérer petit à petit depuis les origines jusqu’à notre temps pour développer l’esprit scientifique aux dépens de l’esprit magique. Cette œuvre, il faut en convenir, est loin d’être achevée, et l’on excéderait les limites que nous nous sommes imposées dans le présent article si l’on étudiait tout ce qui reste à faire. Répondons cependant à une objection. Quand il s’agit d’étudier l’homme on ne saurait parler de déshumanisation. Le terme, en effet, paraît contradictoire. Toutefois si le chercheur, en tant que sujet, doit rester homme et même humain, il n’aura aucune garantie pour la valeur de ses recherches sans faire abstraction de tout sentiment à l’égard de l’homme objet. Là encore s’impose le désintéressement ou la déshumanisation qui en ce sens lui reste à peu près synonyme. Sans lui la sociologie, par exemple, n’est qu’un plaidoyer des sociologues pour eux-mêmes, et, par extension, pour les gens de leur classe ou contre les gens qui leur déplaisent.
Peut-être, dira-t-ou, ce désintéressement, qui a permis l’essor de [p. 382] l’esprit scientifique, ne tardera-t-il pas à susciter pour lui un grave péril. N’y-a-t-il pas entre cet esprit et les préoccupations sociales grandissantes un antagonisme absolu ? Elles sont alimentées, en effet, par l’amour, sincère ou non, de l’humanité, tandis que lui se refuse à tout sentiment. On l’accusera d’être antisocial. Toute la force collective se liguera contre lui pour l’étouffer. Gardons-nous de considérer ce danger comme purement imaginaire. Une menace pas sans doute les sciences physiques et naturelles qui sont pour le peuple une magie couronnée par le succès en opposition avec la religion tenue pour une magie banqueroutière. Qui sait en revanche si l’esprit scientifique ne sera pas entravé dans les sciences traitant plus spécialement de l’homme, sciences morales et politiques, qu’il aborde à peine aujourd’hui ? Quoi qu’il arrive, on pourra le défendre. Si l’esprit scientifique, dira-t-on, réclame le désintéressement général, il réclame le désintéressement personnel d’abord avec une insistance particulière ; la suppression en science de l’altruisme ne vient qu’en seconde ligne. L’esprit scientifique est objectif par essence. On lui donnera donc une première emprise par le dépouillement de son moi, quand même on resterait altruiste ; on lui opposera au contraire une barrière absolue si après, s’être détaché de ses semblables, on rattache toute chose à son moi. Entre deux savants de valeur égale, l’un égoïste et qui voit seulement dans la science la satisfaction de son orgueil personnel, l’autre humanitaire, mais capable de travailler sans souci de gloire ni de profit, celui-ci a l’esprit beaucoup moins anti-scientifique ; il s’entêtera peut-être dans ses erreurs par amour du prochain, mais son confrère s’entêtera par vanité or la première cause d’entêtement est fort inférieure à la seconde en fréquence et en intensité qui le niera ?
Ainsi, bien que l’esprit scientifique soit amoral et, si l’on peut dire, asocial, les moralistes et les artisans de la cité future devraient s’en accommoder. En faisant la balance, ils verraient qu’ils ont beaucoup plus à gagner qu’à perdre avec lui. Sauront-ils le peser ainsi équitablement ? Ayons-en l’espoir, mais rien que l’espoir.
JULES SAGERET.
Notes
(1) Traduction de Léon Marillier, Paris, Félix Alcan, 1896.
(2) Edward-B. Tylor, La civilisation primitive, Paris, 18T6, I, p. 373.
(3) Omoroca, alias Tiamat, reine du Chaos chez les Chaldéens, Lang, p. 272. Le chien divin des Tinnehs, Purusha (Inde Aryenne), ibid., p. 177. Le Chokanipok des Iroquois (Amérique du Nord), Ymir (Scandinavie), le Ru des Mangaïens (Sud Pacifique), le Set et l’Osiris des Égyptiens, le Dionysos Zagreus des Grecs, ibid., p. 225.
(4) Lang, p. 275.
(5) Loc. cit., p. 46. État mental des sauvages, ch. III et IV.
(6) Tylor, I, p. 492.
(7) Lang, p. 46-47.
(8) Tylor, I, p. 557 Algonquins (Amérique du Nord), Fidjiens (Océanie), Karens (Birmanie).
(9) Australie, Nouvelle-Zélande, Iroquois, Brésiliens, Karens de Birmanie, etc.
(10) Chickasaws (Amérique du Nord), indigènes des îles Aléoutiennes, Africains.
(11) Kamtchadafes, Ojibwas et Algonquins dans l’Amérique du Nord, Zoulous, Néo-Zelandais, peuples de l’Asie septentrionale et de l’Afrique occidentale.
(12) Côte occidentale d’Afrique, Amérique du Nord, du Nord-Ouest, Groënland, Guinée, Nouvelle-Calédonie.
(13) Amérique Nord-Ouest, Hurons, Tlascalans du Mexique, Içannas et Abipones du Brésil, Chiriquanes de l’Amérique du Sud, Zoulous, Nègres de la Côte d’Or.
(14) Dayaks de Borneo, Santals du Bengale. — Cf., pour la destinée de l’âme, Tylor, I, ch. XII et XIII.
(15) Deux âmes chez les Fidjiens : une pour les enfers, une pour la tombe. Trois chez les Malgaches une se détruit, une se transforme en air pur, une pour la tombe. Deux chez les Algonquins une pour la tombe, une autre pour le royaume des esprits. Quatre chez les Dakotas les deux précédentes, plus une qui habite au village et une autre qui voltige dans les airs. Quatre pour les [p. 296] Konds d’Orissa : une est susceptible de s’unir à une divinité, la seconde se réincarne indéfiniment dans la même tribu, la troisième est pour le royaume des morts, la quatrième se dissout. Cf. Tylor, I, ch. XI.
(16) Lang, p. 330.
(17) Salomon Reinach, Cultes, Mythes et Religions, Paris, 1906, II, pp. 18-36.
(18) Tylor, II, p. 257-258.
(19) Tylor, I, p. 353-357.
(20) Lang, p. 95.
(21) Tylor, p. 137.
(22) Salomon Reinach, I, p. 141.
(23) Lang, p. 94.
(24) Tylor, II, p. 513-514.
(25) i. Tylor, p. 138: Zoulous, Kounds.
(26.) Lang, p. 9i-94 Zoulous, Boschimans.
(27) Tylor, J, p. 443 Indigènes du Brésil.
(28) Lang, p. 94-92 Canaques, Zunis.
(29) Salomon Reinach, I, p. 129-133.
(30) Lang, pp. 91-94 Dacotahs, nègres.
(31) Lieutenant-colonel Bouïnais et A. Paulus, Le culte des morts en Annam et au Tonkin, p. 10-12, Paris, 1893.
(32) Nous, psyché, pneuma, des Grecs. Ombre, mânes, esprit, des Romains. « L’ombre, dit Ovide, voltige autour du tombeau, l’Orcus reçoit les mânes, l’esprit monte vers les étoiles. » Ba, Akba, Kaet Khabades Égyptiens. La négligence dans les rites funèbres ont, chez ces trois peuples anciens, la même conséquence que pour le koweïdes Chinois.
(33) Stanislas de Guaita, La clef de la magie noire, p. 639-641, Paris, 1891.
(34) Tylor, II, p. 258.
(35) Stanislas de Guaita, Le temple de Satan, p. 177-183, Paris, Librairie du Merveilleux, 1891.
(36) Tylor, p. 436.
(37) Tylor, II, p. 515.
(38) Les Hindous, Bergaigne cité par Lang, p. 93. —Les Serbes modernes, Tylor, I, p. 139. — Les Livoniens modernes, Salomon Reinach, II, p. 164.
(39) Sir Alfred C. Lyall, Mœurs religieuses et sociales de l’Extrême-Orient, Paris, Ernest Thorin, 1885.
(40) V. Henry, La Magie dans l’Inde antique, p. 121, Paris, Dujarric, 1904.
(41) Voir le numéro de mars.
(42) V. Henry, La magie dans l’Inde antique, p. 110.
(43) La Cathédrale, p. 476.
(44) J.-M.-H. Orin, Le plan divin dévoilé aux libres penseurs comme aux croyants, p. 134-136, Paris, 1890.
(45) La légende des siècles. Booz endormi
…et Ruth se demandait
Quel dieu, quel moissonneur de l’éternel été
Avait, en s’en allant, négligemment jeté
Cette faucille d’or dans le champ des étoiles.
(46) Th. Ribot, La logique des sentiments, p. 59-60 (F. Alcan).
(47) Th. Ribot, p. 49 et note.
(48) E. Renan, Études d’histoire religieuse. —Mahomet et l’origine de l’islamisme.
LAISSER UN COMMENTAIRE