Joseph Grasset. Les faits du spiritisme et nos connaissances sur l’Au-delà. Partie 2. Extrait de la revue « Æsculape », (Paris), 1911, pp. 82-86.
Jean-Joseph Grasset (1849-1918). Médecin neurologue. Il est à l’origine de l’école vitaliste de Montpellier. Professeur agrégé en 1875, il est nommé professeur de thérapeutique en 1881 et, en 1886, professeur de clinique médicale. A partir de 1898, il est membre associé de l’Académie de médecine et en 1899, il a présidé le Congrès de médecine.
Quelques publications :
— Maladies du système nerveux. Leçons faites à la Faculté de Médecine de Montpellier. A Montpellier et Paris-C. Coulet et V.-A. Delahaye, 1878-1879. 2 vol.
— Des localisations dans les maladies cérébrales (3e édition). Montpellier : C. Coulet.
— Étiologie infectieuse de l’hystérie ; leçons cliniques . Montpellier, typ. et lithogr. C. Boehm. 1894.
— Diagnostic des maladies de la moelle : siège des lésions. Paris : J.-B. Baillière et fils, 1899.
— Les maladies de l’orientation et de l’équilibre. Paris : F. Alcan, 1901.
— Les limites de la biologie, Paris, Félix Alvan, 1902. Dans la bibliothèque de philosophie contemporaine.
— Le Spiritisme devant la Science. Nouvelle édition, revue, corrigée et précédée d’une préface par Pierre Janet. Montpellier et Paris-Coulet & fils et Masson & Cie, 1904. 1 vol.
— Les Centres nerveux, physiopathologie clinique. Paris : J.-B. Baillière et fils, 1905.
— Le Psychisme inférieur. Etude de physiopathologie clinique des centres psychiques. Paris, Chevalier et Rivière, 1906. 1 vol.
— L’occultisme hier et aujourd’hui, le merveilleux préscientifique. Montpellier, Coulet et fils. 1907. 1 vol.
— Les faits du spiritisme et nos connaissances sur l’Au-delà. Partie 1. Extrait de la revue « Æsculape », (Paris), 1911, mars, pp. 49-53. [en ligne sur notre site]
— La biologie humaine. Paris, Flammarion, 1917.
Les [] renvoient à la pagination originale de l’article. – Les images sont celles de l’article original. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr
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LES FAITS DU SPIRITISME
ET NOS CONNAISSANCES DE L’AU-DELA
(suite et fin) (1)
par le Professeur GRASSET (de Montpellier)
TOUT ce que je viens de dire ne s’applique, bien entendu, qu’aux faits énumérés plus haut, c’est-à-dire : l’hypnotisme et la suggestion, les mouvements des tables touchées par les médiums, la baguette divinatoire, le pendule explorateur, la cristallomancie, le cumberlandisme avec contact et les romans polygonaux des médiums en transe.
Il faut parler maintenant de faits plus extraordinaires pour lesquels l’hypothèse spirite peut reparaître avec plus de vraisemblance parce qu’ils sont plus difficiles à expliquer par les hypothèses scientifiques ordinaires. Tels sont : la suggestion mentale, la télépathie, la télesthésie et les prémonitions, les déplacements d’objet à distance, la clairvoyance et les apparitions de fantômes.
Un exemple éclatant de fraude. Le médium anglais Chumbers se trouvant dans le « cabinet médiumnunique », on vit en sortir une forme blanchâtre qui, dans l’obscurité presque complet qui règne dans la pièce, paraissait bien un fantôme. Mais un indiscret éclair de magnésium ayant éclaté en ce moment, on fait vite ensuite bien sûr te prie de voir apparaître sur la plaque sensible d’un appareil photographique qui avait été braqué sur le cabinet, le médium a publié de la singulière façon qu’on peut voir dans cette photogravure (2)
Je crois facile de démontrer que l’existence des faits de ce groupe n’est pas scientifiquement établie.
Je rappelle d’abord en quoi consistent ces faits.
On dit qu’il y a suggestion mentale quand on suggère quelque chose à un sujet sans employer la parole, l’écriture ou le geste, c’est-à-dire sans employer aucun des procédés habituels de communication des hommes entre eux.
Le phénomène est le même dans le cumberlandisme sans contact, c’est-à-dire quand on guide un su jet vers une cachette sans le tenir par la main, sans le toucher et sans lui faire aucun signe.
Si cette transmission de la pensée d’un cerveau à un autre se fait à distance, c’est la télépathie. L’impression télépathique peut précéder et annoncer un événement futur : c’est alors une prémonition ou une prophétie : appliquée à un événement présent, c’est une divination. Si l’impression télépathique s’applique au passé et vient d’un sujet mort, c’est la psychométrie ou télépathie rétrocognitive. [p. 82, colonne 2]
Si la sensation perçue en dehors des moyens connus part d’un objet c’est-à-dire si le sujet voit un objet invisible pour tout le monde ou s’il entend un son que personne ne peut percevoir, on dit qu’il y a clairvoyance ou clairaudience. C’est la faculté de voir à travers les corps opaques, c’est la faculté des voyantes.
Mme CORNER, née Florence Cook
Le médium avec lequel le professeur William Crookes, obtint les
fameuses « matérialisations » du fantôme de « Katy king ».
A distance el toujours par des procédés et des intermédiaires inconnus jusqu’ici, peut être transportée une impression, non plus sensitive ou sensorielle, mais motrice : ce sont alors les déplacements d’objet sans contact.
Le plus ancien exemple de ces déplacements [p. 82, colonne 3] sans cause immédiate connue est fourni par les maisons hantées. Tantôt on entend des bruits sur le plateau de la table, sur les meubles, sur les murailles ou an plafond : ce sont les raps. Tantôt ce sont les déplacements d’objets volumineux comme les produit Eusapia Paladino ou seulement l’ascension d’un pèse-lettres sans contact de la main ou les apports lointains de fleurs ou de fruits, comme les réalisait Anna Rothe.
Dans ces mouvements à distance il faut placer aussi l’écriture sur une ardoise séparée par une table de la main du médium.
Enfin on a observé des matérialisations : apparition de phénomènes lumineux, de véritables fantômes, dont on a pu prendre des photographies et des moulages… Voilà les faits vraiment extraordinaires sur lesquels s’appuie surtout aujourd’hui l’hypothèse spirite.
Sans avoir le temps de développer mon argumentation sur ce point capital, je crois pouvoir dire que l’existence positive de ces faits n’est pas scientifiquement démontrée. Voici le plan et les idées principales de cette démonstration.
Il faut d’abord bien rappeler qu’un fait peut apparaitre tout à fait extraordinaire et inexplicable, alors qu’il est absolument naturel : il suffit que nous n’en voyions pas le mécanisme et que nous ne connaissions pas le truc. C’est ce qui nous arrive à toutes les représentations de prestidigitateurs habiles.
Nous savons qu’il n’y a rien de supranaturel dans leurs expériences ; mais nous ne nous expliquons pas comment ils peuvent faire sortir d’un chapeau des fleurs, des cigares et un lapin vivant.
Tous les faits des médiums ont été reproduits par des prestidigitateurs. On sait comment Robert Houdin reproduisit et dévoila les expériences de l’armoire mystérieuse que les frères Davenport attribuaient aux esprits. Kellar, prestidigitateur très connu, imite avec grand succès l’écriture sur [p. 83, colonne 1] ardoises et finalement se fait « fort d’imiter n’importe quel phénomène médianimique après l’avoir vu trois fois ». De même, Davey a merveilleusement reproduit, avec les seuls procédés des prestidigitateurs, l’écriture directe sur l’ardoise, les raps et les matérialisations. Davis a réalisé des séances dont le compte rendu a été publié comme un succès par le spiritisme et, le lendemain, il déclara que tout avait été de la supercherie et il dévoila ses trucs. Un autre prestidigitateur a parié deux cents livres qu’il répéterait en public une scène de spirites très admirée et a gagné son pari. Tout le monde connaît ces prestidigitateurs qui font pousser le blé ou un yucca ou éclore des petits poissons ronges avec du caviar (Paris les a revus encore tout récemment).
A côté de ces prestidigitateurs qui, par des moyens naturels, simulent les phénomènes du spiritisme, il faut placer les médiums qui trompent, qui simulent ou truquent. Ils sont légion. Les uns trichent volontairement (c’est l’exception) ; les autres trichent involontairement et inconsciemment : ceux-ci ne sont pas coupables ; réellement ils ne fraudent pas, ils ne trompent pas sciemment ; mais leurs expériences n’ont plus de valeur pour démontrer l’existence des esprits.
Ainsi le médium aux fleurs, Anna Rothe, a été démasquée en Allemagne et on lui a fait un procès.
Jules Bois a constaté les trucs puérils et grossiers de la fameuse Florence Cook qui dupa magnifiquement le grand savant William Crookes par le fantôme de Katie King, comme, à la villa Carmen, on a trompé Charles Richet lui-même.
Le médium australien Bailey a été confondu par de Vesme et par le romancier italien Fogazzaro. Hodgson a démontré que Slade, un des plus célèbres médiums, écrivait sur les ardoises à la façon du prestidigitateur Davey dont j’ai parlé plus haut. Eldred, qui réalisait de merveilleuses matérialisations, a été trouvé en possession de tout un appareil de truquage. Le lieutenant colonel Mayhew saisit à pleines mains un fantôme matérialisé par le célèbre médium Craddock et reconnut le médium lui-même qui se débattit furieusement ; il poursuivit el fit condamner le mystificateur devant un tribunal de police de Londres en vertu d’un article de la loi édictée par Georges IV, « qui considère comme un coquin et un vagabond (a rogue and a vagabond) quiconque a recours à certains stratagèmes subtils de divination et prétend évoquer les esprits de personnes décédées »…
Eusapia Paladino elle-même, dont les expériences sont si remarquables et connues du monde entier, a été convaincue de supercherie. En Angleterre, ses tromperies se multiplièrent tellement que la Société des recherches psychiques de Londres n’a pas voulu insérer le compte-rendu de ses expériences dans ses mémoires et a décidé qu’à partir de ce moment elle ignorerait ce que ferait Eusapia Paladino, comme elle ignore « ce que font les autres personnes adonnées a ce métier malhonnête »
Plus récemment, à New-York, une commission de savants et de prestidigitateurs a surpris Eusapia trichant, quoique, dit le médium, elle n’ait pas été assujettie à la moitié des contrôles employés à Rome et à Paris.
Je ne multiplierai pas ces exemples ; mais je les terminerai par cette déclaration de Flammarion : « Je puis dire que, depuis quarante ans, presque tous les médiums célèbres sont passés par mon salon de l’Avenue de l’Observatoire, à Paris et que je les ai, à peu près tous, surpris trichant ». Certes, [p. 83, colonne 2] comme le dit encore le même auteur, cela ne veut pas dire qu’ils trichent toujours. Mais cela suffit à frapper de suspicion toutes leurs expériences. Dès qu’un médium a certainement trompé une fois, on peut toujours se demander si, dans les autres expériences du même médium, la supercherie n’a pas été seulement plus habile et mieux dissimulée.
A côté des médiums qui trompent, il faut placer les spectateurs qui se trompent. Ceci paraît extraordinaire, mais existe parfaitement : il ne s’agit peut-être pas souvent d’hallucination, mais on est très souvent victime d’illusion.
Il est plus difficile qu’on ne croit de bien observer, dans une demi-obscurité, un phénomène extraordinaire, alors qu’on est ému par les circonstances ambiantes et qu’on s’attend à voir quelque chose de surprenant, sans savoir exactement ce que ce sera.
Ainsi dans des séances de matérialisation dans lesquelles la supercherie a été ensuite démontrée, ici, une assistante avait reconnu sa mère ; là, un assistant reconnaît sa vieille nourrice, son enfant. Avec le même Eldred, convaincu ensuite de tricherie, un contre-amiral reconnait dans an fantôme matérialisé une de ses proches parentes, récemment décédée, qui avait antérieurement manifesté le désir de lui apparaître.
Dans un fantôme matérialisé par Craddock, une assistante reconnut son beau-père ; son mari s’écria d’abord : « C’est bien lui ! » mais puis se ravisa et dit : « Non. C’est ma mère ! ».
Ces erreurs d’interprétation et même d’observation se produisent avec des expérimentateurs exercés.
On sait combien l’homme le plus savant est faillible dans ses constatations. Comme démonstration de ce fait, Le Bon a récemment rappelé [p. 83, colonne 3] l’histoire des rayons N que des savants très consciencieux et très avertis ont constatés, analysés, dont ils ont mesuré la déviation par le prisme et qui n’existe pas.
Ses erreurs involontaires sont bien plus fréquentes quand il s’agit de phénomènes occultes.
J’ai signalé ailleurs (3) le curieux entraînement que subissent les expérimentateurs, quand une fois ils sont entrés dans ce genre d’études, et l’évolution que subit leur mentalité. Il commencent en savant, des expériences étroites, précises, limitées, de nature, par conséquent, à donner des conclusions vraiment scientifiques. I Puis ils étendent leur champ d’observation, généralisent leurs conclusions et citent, à côté de leurs expériences, d’autres faits infiniment moins scientifiques.
Ainsi Lombroso, qui commence son Mémoire sur les expériences très précises et limitées, avec le cardiogragraphe, parle ensuite dans le même travail, des fantômes et apparitions de défunts, les auto-lévitation comme celle de Home « qui tourne horizontalement autour de toutes les fenêtres d’un palais et celle de deux petits frères de Ruvo qui parcourent quarante-cinq kilomètres en quinze minutes » ; des « êtres » ou des « restes d’êtres » qui pour « prendre une complète consistance » doivent « pour s’incarner » emprunter « momentanément une partie de la substance du médium, qui est en ce moment assoupi, presque agonisant. »
Quand on voit des hommes de cette valeur scientifique laisser dévier leur esprit averti dans de pareilles constatations et des publications de ce genre, on ne s’étonne plus de l’emballement des assistants ordinaires, non savants exercés, naïfs, confiants dans l’honnêteté du médium comme dans la leur propre et désireux de voir de vraies révélations de l’au-delà.
Ces mêmes erreurs d’interprétation apparaissent de la même manière quand il s’agit d’apprécier des prophéties et des prémonitions.
La plupart des prophéties, depuis celles de Mlle Couesdon jusqu’à celles de Mme de Thèbes sont rédigées dans un style vague qui permet de les considérer comme réalisées par les événements les plus opposés et les plus contradictoires.
S’il s’agit d’une guerre ou d’une catastrophe, on ne dit ni le pays où cela se passera, ni quel sera le vainqueur, ni la date précise ou cela se produira. Or, dans un temps indéterminé, il y a toujours une guerre quelque part ou un événement quelconque auquel on peut appliquer le mot de catastrophe.
Comme exemple, je citerai le quatrain suivant de Nostradamus, dans lequel on a voulu voir la prédiction de la catastrophe de Courrières :
Pères et mères morts de deuls infinis.
Femmes à deul, la pestilence monstre,
Le grand n’être plus, tout te monde finir.
Soubz paix, repos et restons allencontre.
Voici comment on adapte : deul est un calembour et indique qu’il y aura un grand deuil sur les bords de la Deule (qui passe à un kilomètre de Courrières) ; la pestilence monstre viendra des cadavres ; le Grand qui n’est plus, c’est le président Loubet qui achevait, cette année-là, son septennat ; et tout le monde finir, c’est la Chambre qui achève son mandat… Si les circonstances l’avaient exigé, n’aurait-on pas, aussi bien, pu voir la réalisation du même quatrain dans la guerre russo-japonaise, la guerre de 70, la catastrophe de la Martinique, le [p. 84, colonne 1] perte du Lutin, l’explosion du Iéna, ou les tremblements de terre du Sud de l’Italie ?
La confiance est à la hauteur de l’ingéniosité chez les croyants. Deux voyantes ont, l’une et l’autre, la vision de la guerre probable ; seulement l’une dit que nous serons vainqueurs, l’autre dit le contraire. Le baron de Novaye écrit à ce sujet : « Ce qu’il y a de curieux, c’est que pour celui qui a étudié les prophéties, cette contradiction inconciliable en apparence est parfaitement explicable. »
C’est ce que Racine dit dans Iphigénie :
Un oracle toujours se plait à se cacher :
Toujours avec un sens il en présente un autre.
En 1906, on n’a parlé longtemps que du sabbat réuni pour découvrir le curé de Châtenay et clans lequel collaboraient, avec des moyens différents et le même insuccès, un juge d’instruction et les gendarmes, le spirite hindou Devah et ses nécromanciennes, le mage Ramana, Pickmnnn et l’hyène Carlos. Pendant les opérations de ces « devins d’instruction », comme dit Émile Faguet, le curé dont on repérait le cadavre, préparait en Belgique la publication de ses Mémoires. Comme dit alors le Cri de Paris :
Chacun â son tour retourna
Le sol el découvrit… des poires.
Il y a cependant dans le chapitre des télépathies des faits curieux e troublants. Chacun en connaît quelques-uns personnels ou arrivés à ses proches. Gurney, Myers et Podmore en ont réuni un grand nombre dans leur livre sur les Hallucinations tétépathiques.
Ces faits ne sont pas des hallucinations des observateurs ; mais leur existence comme faits télépathiques n’est pas scientifiquement démontrée.
Photographie d’un phénomène de « lévitation « du corps du médium Zuccarini, prise par M. Murani. professeur à l’école polytechnique de Milan et M.Patrizi, professeur de physiologie à l’université de Modène. Des expériences faites ensuite ne confirmèrent pas la réalité de ce phénomène.
Charles Richet, dont on connaît la largeur de vues et le libéralisme scientifique, dit dans sa Préface au livre de Gurney, Myers et Podmore : « La conviction que donnent de pareils récits est fragile… Hélas ! les démonstrations expérimentales sont assez faibles pour qu’il soit bien permis d’être incrédule… Les alchimistes parlaient avec envie de la dernière expérience, experimentum crucis, qu’ils méditaient comme couronnement de leurs efforts. Eh bien, cet experimentum crucis, personne n’a pu encore le produire. »
Il y a d’abord, comme je l’ai dit plus haut, beaucoup de réminiscences polygonales, qui apparaissent comme des impressions télépathiques, et sont uniquement du « déjà vu » et de l’inconsciemment retenu par le psychisme inférieur.
Puis il y a également les coïncidences, dont il faut tenir très grand compte, ainsi que de ce fait capital, qu’on raconte et répète à satiété les faits positifs, tandis qu’on néglige et qu’on oublie les faits négatifs, c’est-à-dire les faits sans coïncidence.
On raconte souvent dans ma famille l’histoire très curieuse de la femme de soldat qui, pendant la guerre de 70, a eu, à Montpellier, la sensation télépathique, malheureusement réalisée, de la mort de son mari à la frontière de l’Est. Mais personne n’a relevé les heures d’angoisse antérieures, pendant lesquelles elle avait cent fois pensé à la mort violente de son mari. On n’a retenu que le cas où il y a eu coïncidence avec la réalité.
« Pour quelques cas, dit très justement Bourdeau, où des pressentiments, des hallucinations coïncident [p. 84, colonne 2] avec des maladies et des morts, combien s’en trouve-t-il où la concordance ne se réalise pas ! Si vous faites tirer un régiment à la cible, dans la nuit, quelques balles sans doute atteindront le but, sans qu’on en puisse conclure que les tireurs sont doués d’une seconde vues. »
De même, pour chacun de nous, les rêves ne prennent d’importance et ne sont retenus que quand ils se réalisent.
On a beaucoup étudié, il y quelques années, le problème suivant : « Pourquoi, après avoir cru à tort reconnaître un passant, rencontre-t-on souvent, peu d’instants après, la personne que l’on croyait avoir aperçue ? » C’est le fait courant qu’expriment des proverbes en toutes langue : « quand on croit voir le loup, c’est qu’il n’est pas loin » ou « on en voit la queue ». Il n’y a là ni télépathie ni prémonition. Roch a très bien montré que ces cas se raportent à un acte de psychisme inférieur, ou à une coïncidence,
D’ailleurs, la concordance n’est pas toujours parfaite, entre la sensation dite télépathique, et l’événement qui en serait le point de départ. Il y a des sensations fausses, à vérification incomplète, d’autres qui sont vagues, prêtant à des interprétations diverses, et alors sont a posteriori adaptées aux faits, grâce à des raisonnements compliqués et discutables.
Charles Richet a obtenu un message « Banca, la mort guette famille » le jour et à l’heure où était assassinée la reine Draga. Suffit-il que le [p. 84, colonne 3] père de la malheureuse reine s’appelât Panta pour que ce fait ait une valeur quelconque ?
Dans les expériences de Phaneg, on prédit à un malade qu’il aura une maladie grave de l’intestin ; en réalité, il meurt de congestion cérébrale. Il est vrai qu’il eût, paraît-il, une paralysie de l’intestin. Mais, comme il eut aussi très probablement une paralysie de la vessie, d’un bras et d’une jambe, le médium aurait pu, avec le même succès, prédire la mort par un de ces organes ou même par les poumons on le cœur. Cela rappelle les descriptions de maladies auxquelles s’appliquent les pilules Pink et dans lesquelles chacun retrouve fidèlement tous les symptômes de son propre cas.
En somme, on ne saurait trop le redire, pour la télépathie, les faits isolés ne prouvent rien alors même qu’on en réunirait un très grand nombre. Pour donner de la valeur à un fait positif, il faudrait une longue contre-épreuve avec le même sujet, c’est-à-dire que la même personne devrait, pendant des mois et des années, noter exactement toutes les impressions fortes qu’elle éprouve, pouvant être interprétées comme télépathiques ; elle devrait les noter au moment où elle les éprouve ; puis on noterait la concordance ou la non concordance de l’événement et on verrait si la proportion des concordances est réellement, pour certains sujets, bien plus grande que ne le veut la loi des probabilités et des coïncidences.
Tant que ce travail n’est pas fait (et il n’est pas fait) on peut maintenir que l’existence de la télépathie et de la prémonition n’est pas scientifiquement démontrée. Or, cette démonstration positive serait nécessaire pour étayer l’hypothèse spirite que je combats.
En appliquant toutes ces règles de critique aux différentes observations de faits de ce groupe, on arrive à cette conclusion que l’existence scientifique légale ou positive n’est démontrée pour aucun de ces groupes de faits non explicables par le psychisme Inférieur et invoqués pour étayer la démonstration scientifique de l’au-delà.
IV
Ma démonstration pourrait s’arrêter là : 1° les faits, autrefois qualifiés occultes, dont l’existence positive a été démontrée scientifiquement, sont explicables par le fonctionnement des centres psychiques inférieurs ; — 2° les faits, qui restent encore occultes et sont inexplicables par le psychisme inférieur et qui pourraient servir de base à l’hypothèse spirite, ne sont pas démontrés comme existence.
Donc, rien ne justifie l’hypothèse spirite et par conséquent aucun des groupes de l’occultisme ne peut servir à étendre on à préciser nos connaissances sur l’au-delà.
On peut encore ajouter un mot qui rendra ma démonstration plus complète.
Alors même que la science de demain établirait péremptoirement et indiscutablement l’existence des faits occultes de noire second groupe, cela ne rendrait pas nécessaire et ne prouverait pas l’hypothèse spirite.
Ainsi il y a deux ordres de faits qui ne sont pas démontrés mais qui pourraient très bien l’être, un jour ou l’autre : c’est la suggestion mentale et c’est [p. 85, colonne 1] le déplacement sans contact d’un objet rapproché, comme la lévitation d’un pèse-lettres.
Empreintes dans la glaise, produit à distance par Eusapia Paladino au moyen d’un dédoublement supposé
de son corps, et photographiées par le colonel A. de Rochas.
Ceci, je le répète et le dis bien nettement, n’est pas encore démontré : tous ceux qui se sont beaucoup occupés de suggestion comme Charcot, Bernheim, Pitres, ont vainement cherché à donner des ordres mentaux et l’expérience du pèse-lettres n’a jamais réussi dans des conditions rigoureuses d’observation et de contrôle scientifiques.
En 1907 (4), je disais qu’on n’avait pas réalisé encore les expériences idéales (auxquelles je voudrais que jusqu’à nouvel ordre on se limitât) c’est-à-dire les expériences de lévitation sans contact (pèse-lettres ou table) en pleine lumière. Depuis lors, les expériences n’ont pas été réalisées davantage.
Plus récemment, après avoir assisté à une série de séances avec Eusapia Paladino, d’Arsonval conclut : « A l’heure actuelle, une constatation ayant un caractère rigoureusement scientifique ne permet ni de nier ni d’affirmer la réalité des phénomènes de lévitation ».
Donc, personne n’a encore répondu à l’appel de Babinet déclarant que l’Académie des Sciences proclamerait le premier des savants du monde entier celui qui « sans contact aucun et à distance » suspendrait « en l’air, sans autre support que la volonté, un corps pesant plus compact que l’air et tout à fait en repos ».
L’apparition d’un prétendu fantôme avec le médium Miller ; dessin d’après
nature de M. Malteste, dessinateur du Monde Illustré.
En 1908, Gustave Le Bon a offert un prix de 500 fr. (porté à 1.000 fr. par le prince Roland Bonaparte et à 2.000 par Dariex] au médium qui réalisera une lévitation d’objet sans contact dans les conditions scientifiques qu’il indique. Tout récemment (mars et avril 1910) Le Bon a déclaré que ce concours n’a donné aucun résultat.
Eh bien ! revenant an but plus spécial de cet article, j’ajoute : alors même qu’un jour ou l’autre des concurrents sérieux se présenteraient, gagneraient le prix et établiraient la possibilité du déplacement sans contact et de la suggestion mentale, cela ne prouverait nullement l’existence des esprits réincarnés et de l’au-delà.
Cela prouverait l’existence d’une forme, jusqu’ici inconnue, de radiation, qui va, soit d’un sujet à un autre pour Je suggérer, soit d’un sujet a un objet pour le mouvoir. [p. 85, colonne 2]
La découverte d’une forme nouvelle de radiations agrandirait et étendrait merveilleusement la science, mais ne la révolutionnerait pas et ne la transformerait pas dans ses bases.
Nous savons que si nous connaissons beaucoup de formes de l’énergie comme la chaleur, la lumière, le son et l’électricité, si le champ de nos connaissances sur ce point s’étend tous les jours par la découverte des rayons X, des ondes hertziennes, du radium, etc., le champ des radiations inconnues est encore immense et probablement beaucoup plus grand que le champ des radiations connues.
De la télégraphie sans fil ou des rayons Roentgen il ne faudrait pas, comme on le fait trop souvent, conclure à l’existence de la télépathie et de la suggestion mentale ; mais on peut parfaitement conclure à la possibilitéde la démonstration ultérieure d’une forme encore inconnue de radiations psychiques qui ne serait perceptible par aucun de nos sens et qui permettrait l’action psychomotrice à distance.
Donc, si la démonstration était faite, un jour, de cette radiation psychique nouvelle, cela ajouterait un chapitre très nouveau et très important à notre science actuelle, mais cela ne prouverait nullement l’existence des esprits réincarnés et ne nous donnerait aucune lumière sur l’au-delà.
*
* *
Ce que je dis des phénomènes occultes les plus simples, les plus proches de la désoccultation scientifique peut se dire identiquement, même des manifestations les plus mystérieuses, les plus ascientifiques, comme les matérialisations de fantômes. [p. 85, colonne 3]
Certes, ces matérialisations ne sont pas démontrées. Avant les expériences de la villa Carmen à Alger, Charles Richet écrivait que la preuve n’avait pas été faite de ces apparitions de fantômes ; et je ne pense pas que la démonstration ait été faite ni même approchée par les aventures de Bien Boa ni même par les dernières expériences de Miller ou d’autres.
Je crois donc que non seulement la démonstration scientifique des matérialisations n’est pas fait mais encore la question ne parait pas encore mût pour une étude scientifique actuelle.
Malgré tout, je suppose même que cet impossible soit réalisé, que l’on arrive à démontrer que certains médiums peuvent matérialiser des fantômes, cela ne prouverait encore pas l’existence des esprits réincarnés, cela prouverait uniquement une forme nouvelle, visible, des radiations psychiques du médium ; c’est le médium qui aurait la puissance d’extérioriser et de condenser hors de lui sa force psychique en un fantôme, qui n’aurait toujours rien à voir avec l’autre monde et n’en prouverait nullement l’existence.
Je pense qu’on comprend ma pensée. Je ne suis pas de ceux qui admettent comme démontrée l’existence d’une force psychique radiante, « sortie du corps astral » des occultistes, « od » de Charles de Reichenbach, « rayonnement humain » de Boirac, « magnétisme vital « de Gasc-Desfossé ; je pense que les divers appareils imaginés pour mesurer ces radiations psychiques, depuis le magnétomètre de l’abbé Fortin et le biomètre de Baraduc jusqu’au sthénomètre de Joire expriment des formes déjà connues de radiation et en tous cas ne prouvent nullement l’existence d’une force psychique, agent de l’extériorisation psychique.
Mais si un jour (qui ne paraît pas proche) on démontrait réellement l’existence des matérialisations de fantômes, cela prouverait simplement l’existence de radiations psychiques, assez puissantes chez certains individus pour produire, en [p. 86, colonne 1] dehors d’eux, des impressions lumineuses et tactiles de forme et de dimensions, qui donnent la sensation du fantôme.
Avec cette théorie qui était ou est celle de Mac-Nab, de Lombroso, de Charles Richet, de Ségard, de Maxwell, on ne pourrait plus objecter aux fantômes la coupe et la forme de leurs vêlements, la langue qu’ils parlent, la mentalité qu’ils accusent. Tout cela ne serait que l’expression du psychisme du médium, on verrait le fantôme comme le médium le pense.
Mais alors aussi la démonstration scientifique de ces matérialisations ne prouverait nullement la réincarnation des esprits et prouverait uniquement une objectivation puissante de la pensée du médium, aboutissant à un objet capable d’impressionner nos sens et la plaque photographique.
On m’accordera qu’en concédant ainsi, par la pensée, la démonstration ultérieure des matérialisations de fantômes, j’ai abordé de front l’argument qui paraissait le plus en faveur de l’hypothèse spirite.
V
Cette fois, ma démonstration est donc bien complète et définitive.
Il ne reste rien de la tentative laite pour éclairer scientifiquement l’au-delà par les faits de l’occultisme.
Il est antiscientifique de dire, avec le Dr Bonnaymé, que les expériences de Blondlot et Charpentier sur les rayons N, celles de Collongues sur la dynamoscopie el la bioscopie, et celles de Joire avec le sthénomètre, nous font avancer « peu [p. 86, colonne 2] à peu vers la connaissance de l’âme par la voie de l’expérimentation » et nous font penser « qu’un jour viendra où le sublime espoir de la survivance et de progrès indéfini parmi les peuples d’outre-tombe nous sera confirmé positivement par la science ».
Non, aucun des faits de l’occultisme ne nous éclaire sur l’au-delà : les uns, déjà désoccultés, sont entrés dans le domaine de la science ordinaire depuis les études sur le psychisme inférieur et ne justifient aucune hypothèse spirite ou supranaturelle ; les autres ne sont pas scientifiquement démontrés et, le seraient-ils un jour, ils formeraient un nouveau chapitre de la science ancienne sans nécessiter, eux non plus, une hypothèse spirite ou supranaturelle.
Le commandant C. ayant pris deux photographies de sa fille et ensuite développé lui-même les plaques, vit
apparaître sur celle-ci des figures fantômales parraissantt un dédoublement de sa fille même.
(Clichés communiquer par le colonel de Rochas).
Donc, il ne faut pas, comme on l’a dit, donner dans l’illusion des savants ou journalistes catholiques, protestants ou juifs, « qui se sont hâtés d’échafauder une apologétique nouvelle sur les données de l’occultisme, qui identifieraient, pour un peu, spiritualisme et spiritisme ».
Au point de vue doctrinal et métaphysique, l’occultisme ne mérite ni anathème, ni canonisation. Il reste simplement un chapitre préscientifique, dans lequel les faits attendent leurs lettres de naturalisation scientifique.
A ceux qui seraient tentés d’oublier cette doctrine, il faut rappeler ce qui s’est passé pour l’hypnotisme, pour les tables tournantes, le cumberlandisme avec contact, etc. Toutl cela a été, en son temps, considéré comme occulte, supranaturel, justiciable de la seule hypothèse spirite ; tout cela aujourd’hui est désocculté et est devenu de la science courante et classique. Il en sera de même pour les autres faits : on ils seront définitivement démontrés faux et inexistants ou s’ils sont démontrés exacts, ils entreront, eux aussi, dans la science normale, et ne nécessiteront aucune hypothèse spirite ou supranormale.
Et l’au-delà ? me dira-t-on : que concluez-vous ?
Je conclus que, comme je le disais en commençant, le problème de nos origines et de nos destinées n’est pas de ceux que la science positive étudie et résout. Est-ce à dire que nous devions nous déclarer irrévocablement ignorants de ces questions, si angoissantes, qui s’imposent si impérieusement à notre attention ? [p. 86, colonne 3]
Non. Je ne le crois pas. Seulement, notez que dans cette conclusion, je ne parle plus au nom de la science en général, je parle maintenant en mon nom personnel et exprime une opinion qui n’engage que moi.
La science positive dit ce qu’elle sait, décrit le domaine qui lui appartient, mais ne sort pas de ses limites, ne se prononce pas sur les « terres inconnues » qu’elle ignore.
L’homme reste libre de chercher dans d’autres modes de connaissance les solutions désirées sut· ces graves et mystérieuses questions.
On peut même dire avec Jules Soury : « plus l’homme de science sera savant, plus il aura conscience de son ignorance et de son néant, plus il trouvera digne de lui et de ses pères de s’incliner très bas sur les dalles de la vieille église, prostré dans un spasme de pitié, d’humilité infinies. »
Chacun peut, s’il le croit bon et sans contradiction, aller successivement à son laboratoire et à son oratoire (5).
Au laboratoire il demandera de l’éclairer sur les mystères de notre vie actuelle ; à l’oratoire il demandera la lumière sur les mystères de nos origines et de nos destinées.
Loin de considérer, avec Sergi, les religions comme des maladies de l’esprit, il faut dire avec Secrétan : « la religion, la philosophie et la science ne sont point trois procédés d’inégale valeur pour atteindre la solution du même problème ; elles ont, chacune au contraire, leur problème et leur objet distincts ».
Ce sont des modes parallèles de connaissance qui voisinent et se complètent dans l’esprit humain sans jamais se croiser ou se couper et qui ne peuvent se rencontrer et se confondre qu’à l’infini, c’est-à-direlors de la connaissance absolue, complète et définitive de la vérité : ce qui n’est pas de ce monde.
Le stémomètre du Dr P. Joire, de Lille, destiné à prouver l’action
des radiations neuriques sur la matière.
Notes
(1) Voir Æsculape, Mars 1911.
(2) Ce cliché et la plupart des suivants sont dues à l’obligeance de M. de Vesme..
(3) L’Occultisme, 2e éd., p. 402.
(4) Page 385 de la 1ère édition de mon livre sur l’occultisme.
(5) Voir : Les limites de la biologie, 6e édition, avec une préface de Paul Bourget.
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