Joseph Babinski. Définition de l’hystérie. Extrait de la « Revue neurologique », (Paris), Tome IX – Année 1901, pp. 1074-1080.

Joseph Babinski. Définition de l’hystérie. Extrait de la « Revue neurologique », (Paris), Tome IX – Année 1901, pp. 1074-1080.

 Le texte que nous proposons ici est d’une importance capitale pour l’épistémologie et l »histoire de l’hystérie  puisque c’est ici que Babinski propose pour la première fois de remplacer le terme d’hystérie par celui de pithiatisme. Terme qui fera pourtant long feu.

Józef Julian Francisez Feliks Babiński ( 1857 – 1932]. D’abord interne en médecine dans le Service de Victor-André Cornil (1837-1908) à l’Hôtel-Dieu (1879), puis chef de clinique dans le service de de Jean-Martin Charcot (1825-1893) à la Salpêtrière 1884. Il soutient en 1885 sa thèse de doctorat sur Étude anatomique et clinique sur la sclérose en plaques, Paris, G. Masson, 1885. 1 vol. in-8°, 151 p. En 1886 il publie un article étonnant Recherches servant à établir que certaines manifestations hystériques peuvent être transférées d’un sujet à un autre sujet sous l’influence de l’aimant, Paris, Au bureau du Progrès médical et A . Delahaye et E. Lecrosnier, 1886. 1 vol. in-8°, 8 p. Nommé médecin des hôpitaux en 1890, sa carrière se déroule à la Pitié. Dans le service de Charcot, qui soignait ce que l’on rassemblait à l’époque sous le nom d’hystérie, il distingue les paralysies hystériques des paralysies organiques, et à partir de 1893 il recherche les signes objectifs des maladies organiques permettant de les distinguer des névroses (Démembrement de l’hystérie traditionnelle, 1909).

En 1896, il découvre le signe universellement connu maintenant sous le nom de signe de Babinski : inversion du réflexe cutané-plantaire en rapport avec une perturbation du faisceau pyramidal, qui se traduit par l’extension du gros orteil. En 1903, il complète ce signe par le signe de l’éventail. D’autres signes deviendront classiques en neurologie, tels que le signe du peaucier, le réflexe achilléen, le réflexe paradoxal du coude. Par ses travaux sur la sémiologie cérébelleuse, il a créé un syndrome clinique et indiqué l’analyse physiologique de l’asynergie, l’adiadococinésie, l’hypermétrie, la catalepsie cérébelleuse. Ses tests par les épreuves du vertige voltaïque et de la désorientation spontanée ou provoquée (épreuve de Babinski-Weill) permettent de déceler les lésions du cervelet ou de l’appareil vestibulaire. Ses recherches sur la pathologie de la moelle épinière l’ont amené à décrire la paraplégie spasmodique en flexion et à en fixer les règles précises de diagnostic. On lui doit la notion de l’exagération des réflexes de défense dans la maladie de Friedrich (ataxie), la première observation typique du syndrome adiposo-génital (syndrome de Babinski .
Quelques références bibliographiques :
— Recherches servant à établir que certaines manifestations hystériques peuvent être transférées d’un sujet à un autre sujet sous l’influence de l’aimant, A. Delahaye et E. Lecrosnier (Paris), 1886.
— Notice sur les travaux scientifiques du Dr J. Babinski, G. Masson (Paris), 1892.
— Recherches servant à établir que certaines manifestations hystériques peuvent être transférées d’un sujet à un autre sujet sous l’influence de l’aimant. Paris  aux bureaux du Progrès médical et A. Delahaye & E. Lecrosnier, 1886. 1 vol. in-8°, 8 p. [en ligne sur notre site]
— De l’asynergie cérébelleuse. Extrait de la Revue Neurolplique (Paris), 7 (1899), p.  806-81.
Définition de l’hystérie. Extrait de la « Revue neurologique », (Paris), Tome IX – Année 1901, pp. 1074-1080. [en ligne sur notre site]
— Ma conception de l’hystérie et de l’hypnotisme (pithiatisme), Conférence à la société de l’internat des hôpitaux de Paris, Durand, Chartres, 1906. [en ligne sur notre site]
— Démembrement de l’hystérie traditionnelle : pithiatisme, Impr. de la Semaine Médicale (Paris), 1909. [en ligne sur notre site]
— De l’Hypnotisme en thérapeutique et en médecine légale, Imp. de la Semaine Médicale (Paris), 1910. [en ligne sur notre site]
— (avec Jean Dagnan-Bouveret). Émotion et hystérie. Extrait du « Journal de psychologie est normal et pathologique », (Paris), neuvième année, 1912, pp. 97-146. [en ligne sur notre site]
— Exposé des travaux scientifiques du Dr J. Babinski, Masson et Cie (Paris),

Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Par commodité nous avons déplacé les notes qui se trouvaient en bas de page, en fin d’article. — Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection privée sous © histoiredelafolie.fr

[p. 1074]

Définition de l’Hystérie, par M. J. Babinski.

Malgré le grand nombre des travaux dont l’hystérie a été l’objet, les médecins ne semblent pas se faire tous une conception identique de cette névrose. Dans notre Société même, composée cependant de membres élevés pour la plupart à la même École, il y a eu plusieurs fois des discussions tendant à montrer qu’il y a de notables différences dans la manière dont, les uns et les autres, nous comprenons l’hystérie.

Le désaccord tient sans doute à ce que les auteurs qui ont traité de l’hystérie n’en ont pas donné une définition suffisamment nette, que même beaucoup d’entre eux n’ont pas cherché à la définir, semblant ainsi donner raison à Lasègue, qui a déclaré que « la définition de l’hystérie n’a jamais été donnée et ne le sera jamais ».

Or une définition étant « une énonciation des attributs qui distinguent une chose, qui lui appartiennent à l’exclusion de toute autre » (Dictionnaire de la

langue française, par Littré), soutenir que l’hystérie n’est pas définissable équivaudrait à dire que l’hystérie ne se distingue par aucun caractère d’autres affections nerveuses et qu’il y a lieu de rayer cette prétendue névrose spéciale des cadres nosologiques. Tout médecin qui a porté, ne serait-ce qu’une fois, le diagnostic d’hystérie, à moins d’employer des mots qui soient pour lui dépourvus de sens, doit s’être formé au préalable une idée plus ou moins nette de ce qui distingue cet état névropathique, ce qui revient à dire qu’il doit au moins l’avoir définie dans son esprit à sa façon.

Mais pour s’entendre sur les questions relatives à l’hystérie, qui sont encore l’objet de discussions, il serait indispensable de posséder une définition de cette névrose unanimement admise et qui de plus fût claire et précise. Ces dernières conditions seront remplies si l’on arrive à déterminer des caractères faciles à observer, communs à toutes les manifestations de l’hystérie et qui leur soient exclusivement propres.

Pour atteindre ce but, il faut passer en revue les divers syndromes que tous les médecins s’accordent à appeler hystériques, les analyser et les rapprocher des divers troubles nerveux que l’on est unanime à séparer de l’hystérie.

Considérons les grandes manifestations de l’hystérie, les crises nerveuses, les paralysies, les contractures, les anesthésies. Quels en sont les attributs communs ? On peut dire que ces divers troubles sont purement fonctionnels, mentaux, qu’ils sont susceptibles d’être provoqués par des causes psychiques, de se succéder sous différentes formes chez les mêmes sujets, qu’ils ne retentissent pas gravement sur la nutrition générale et sur l’état mental des malades qui en sont atteints.

Mais est-on en droit, comme certains auteurs l’ont pensé, de se servir de ces caractères pour définir l’hystérie ?

Tel n’est pas mon avis, car aucun d’eux n’appartient exclusivement à cette névrose. Il existe, en effet, bien d’autres affections qui sont fonctionnelles, mentales. [p. 1075] L’hystérie n’est pas seule susceptible d’être provoquée par des causes psychiques ; les commotions morales peuvent exercer une influence sur la genèse de troubles mentaux indépendants de l’hystérie, elles sont même capables de faire apparaître chez les diabétiques des accidents nerveux et de déterminer des troubles circulatoires graves chez les sujets atteints de lésions vasculaires ; c’est ainsi que l’hémorragie cérébrale peut être consécutive à une vive émotion. De même que l’hystérie, la goutte peut se manifester par des accidents variés qui se succèdent et se substituent les uns aux antres; c’est là une notion si bien établie qu’il est inutile d’insister sur ce point. Enfin il y a d’autres affections nerveuses qui ne retentissent pas gravement sur la nutrition générale et sur l’état mental des malades ; la neurasthénie peut durer des années sans amener aucun trouble de la nutrition; il en est de même de la maladie du doute, qui n’apporte aucune perturbation dans l’état général et n’affaiblit pas les facultés intellectuelles.

Il faut donc poursuivre l’examen et rechercher d’autres caractères, à la fois communs à toutes les manifestations hystériques et spéciaux à l’hystérie.

La possibilité d’être reproduits par suggestion avec une exactitude rigoureuse chez certains sujets et de disparaître sous l’influence exclusive de la persuasion me paraissent être des caractères de ce genre. Mais avant de chercher à le prouver, je crois indispensable d’indiquer le sens qu’il faut, selon moi, donner à ce mot « suggestion », qui, comme le mot « hystérie », ne me semble pas avoir été défini avec une précision suffisante.

Le mot « suggestion » signifie généralement, dans le langage courant, « insinuation mauvaise » Dictionnaire de la langue française, par Littré). Dans le sens médical, ce mot me parait devoir exprimer l’action par laquelle on cherche à faire accepter à autrui ou à lui faire réaliser une idée manifestement déraisonnable. Par exemple, dire à quelqu’un qui se trouve dans un endroit obscur qu’il est entouré de flammes éblouissantes constitue de la suggestion, car cette idée est en désaccord flagrant avec l’observation ; soutenir à un individu dont les muscles fonctionnent d’une manière normale qu’il est paralysé d’un bras, que désormais il ne pourra plus le remuer est encore de la suggestion, car cette affirmation est contraire au bon sens. Si ces idées sont acceptées, si l’hallucination visuelle ou si la monoplégie brachiale est réalisée, on peut dire que le sujet en expérience a subi la suggestion, qu’il a été suggestionné. Le mot « suggestion » doit donc impliquer que l’idée qu’on cherche à insinuer est déraisonnable. En effet, si on ne donnait pas à ce terme ce sens spécial, il serait synonyme de persuasion ; c’est cette confusion, du reste, que Ton commet quand on prétend obtenir des guérisons par suggestion. Déclarer à un malade atteint d’une paralysie psychique que ce trouble est purement imaginaire, qu’il peut disparaître instantanément par un effort de volonté, et obtenir ainsi la guérison n’est pas une suggestion, bien au contraire, car l’idée émise, loin d’être déraisonnable est éminemment sensée ; le médecin en agissant ainsi, loin de chercher à suggestionner le malade, tend à annihiler la suggestion ou l’autosuggestion cause de la maladie. Il n’agit pas par suggestion, mais par persuasion.

Ainsi donc, comme je le disais plus haut, je soutiens que tous les grands accidents hystériques, toutes les variétés de paralysies, de contractures, d’anesthésies, toutes les formes d’attaques peuvent être reproduits par suggestion chez certains sujets, en particulier chez les grands hypnotiques ; cette reproduction est rigoureusement exacte et il est impossible de distinguer les troubles hystériques de ceux qui sont créés par la suggestion expérimentale, ce qui conduit à admettre qu’ils résultent d’une autosuggestion. Au contraire, aucune des affections actuellement [p. 1076] bien classées hors du cadre de l’hystérie ne peut être reproduite par suggestion ; il est tout au plus possible d’en obtenir par ce moyen une imitation très imparfaite, qu’il est facile de distinguer de l’original (1). Que l’on essai par exemple de reproduire chez un grand hypnotique l’hémiplégie faciale périphérique, la paralysie radiale vulgaire, le sujet en expérience quelque que soit sa suggestibilité et quelle que soit la patience de l’expérimentateur, ne parviendra jamais au but qu’on se propose de lui faire atteindre ; il ne serra pas  en son pouvoir de réaliser l’hypotonicité musculaire d’où dérive la déformation caractéristique de la face dans la paralysie du nerf facial ; il sera incapable aussi de dissocier dans le mouvement de flexion de l’avant-bras sur le bras l’action du long supinateur de celle du biceps, comme le fait la paralysie radiale.

De même que tous les grands accidents hystériques peuvent être reproduit par suggestion, ils sont tous susceptibles de disparaître sous l’influence exclusive de la persuasion ; il n’y a pas un seul de ces accidents qu’on n’ait vu parfois s’éclipser en quelques instants après la mise en œuvre d’un moyen propre à inspirer au malade l’espoir de la guérison (2). Aucune autre affection ne se comporte de cette manière et, si l’on n’a pas l’expérience de ce mode de traitement, on est même surpris des échecs que l’on essuie quand on cherche à guérir par persuasion certains malades sur lesquels ce moyen semble a priori devoir agir efficacement. Voici, par exemple, un sujet atteint de la maladie du doute bien caractérisée et tourmenté par des phobies diverses ; c’est, du reste, un homme intelligent, n’ayant aucune idée délirante, se rendant parfaitement compte de l’absurdité des pensées qui l’obsèdent, sachant bien que ses craintes ne se réaliseront pas et animé d’un ardent désir de se débarrasser d’un trouble qui rend sa vie intolérable ; admettons de plus que ce malade soit hypnotisable. Il semble vraiment qu’un cas de ce genre réunisse les meilleures conditions pour guérir sous  l’influence de la persuasion. Or l’observation vient donner un démenti à ces vues préconçues ; la persuasion pourra procurer à ce malade un peu de calme, mais elle est incapable de le guérir. Il n’y a pas une seule affection nerveuse bien définie et située hors des limites de l’hystérie que la psychothérapie seule soit en mesure de faire disparaître ; si son intervention est utile, ce que je reconnais volontiers, elle n’est pas suffisante ; ce qui le prouve bien, c’est que jamais, dans les cas de cet ordre, la persuasion n’est suivie d’une guérison immédiate. On a affaire, par exemple, à un neurasthénique, qui, alarmé de son affaiblissement cérébral, est tourmenté par de sombres pensées, des idées hypocondriaques qu’il ne peut pas chasser ; il se voit menacé de folie cette obsession, qui constitue un véritable travail de l’esprit, aggrave les phénomènes neurasthéniques. Si l’on arrive à persuader au malade que ses craintes ne sont pas fondées et qu’il doit nécessairement guérir, on procure à son esprit le repos qui lui est indispensable et l’on accélère ainsi le retour à l’état normal. En réalité, la psychothérapie a rendu service, elle a eu pour résultat d’empêcher la neurasthénie de s’accentuer, mais elle n’a pas été le seul agent de la guérison qui a nécessité l’adjonction d’autres moyens ; en particulier d’un repos cérébral plus ou moins prolongé.

Tout ce qui précède s’applique aux accidents que j’appelle primitifs, de beaucoup [p. 1077] les plus importants, du reste, les anesthésies, les paralysies, les contractures, les crises, etc., qui sont susceptibles d’apparaître sans avoir été précédés d’autres manifestations de l’hystérie. Je crois qu’il est légitime d’appeler encore hystériques des troubles qui, sans présenter les caractères des accidents primitifs, sont liés d’une façon très étroite à un de ces accidents et lui sont subordonnés ; mais il faut ajouter à ces troubles l’épithète de secondaires. L’atrophie musculaire dans l’hystérie (3) est le type du genre ; elle n’apparaît jamais primitivement ; la suggestion ne peut la faire naître ; elle est liée à la paralysie ou à la  contracture hystérique qu’elle ne précède jamais, dont elle est la conséquence et elle ne tarde pas à disparaître quand la fonction musculaire est redevenue normale. Ce sont là les caractères dont la réunion peut servir & définir les troubles secondaires ; c’est parce qu’ils sont intimement liés à des phénomènes  hystériques primitifs qu’on doit les rattacher à l’hystérie.

Mais, me dira-t-on peut-être, jusqu’à présent vous avez cherché à définir les accidents hystériques ; comment définissez-vous l’hystérie elle-même ? Je répondrai que l’hystérie sans manifestations hystériques est en quelque sorte une abstraction ; on peut dire que c’est un état d’esprit en vertu duquel on est apte à présenter des manifestations hystériques.

En résumé, voici la définition que je propose :

L’hystérie est un état psychique rendant le sujet qui s’y trouve capable de s’auto-suggestionner.

Elle se manifeste, principalement par des troubles primitifs et accessoirement par quelques troubles secondaires.

Ce qui caractérise les troubles primitifs c’est qu’il est possible de les reproduire par suggestion avec une exactitude rigoureuse chez certains sujets et de les faire disparaître sous l’influence exclusive de la persuasion.

Ce qui caractérise les troubles secondaires, c’est qu’ils sont étroitement subordonnés à des troubles primitifs(4).

Comme on vient de le voir, j’ai été conduit à déterminer les attributs qui sont propres à l’hystérie et qui, par conséquent, la définissent par une analyse comparative des divers troubles sur la nature desquels il n’y a plus de discussion, que l’on s’accorde à classer les uns dans le cadre de l’hystérie, les autres en dehors de  ce cadre. [p. 1078]

Pour ce qui concerne les troubles qui sont l’objet de discussions, j’estime qu’il y a simplement lieu de rechercher s’ils possèdent ou non les caractères de la définition proposée ; c’est tout bonnement une question d’observation et d’expérimentation cliniques.

Je prévois une objection que l’on pourrait me faire. Il n’est pas rare d’observer des cas d’hystérie incontestable se manifestant par des crises ou quelque autre accident bien caractérisé qui sont réfractaires à la persuasion, au moins en apparence ; soutiendra-t-on pour ce motif que l’hystérie n’est pas en cause ? Je ne prétends pas, répondrai-je, qu’on soit toujours sûr de guérir par persuasion les manifestations hystériques, je dis seulement qu’elles sont toutes susceptiblesde guérir par ce moyen et si, dans un cas donné, malgré l’échec essuyé par la psychothérapie, j’affirme qu’il s’agit d’hystérie, c’est que j’ai observé au préalable d’autres cas ayant un aspect clinique identique et tout à fait spécial, que j’ai pu reproduire par suggestion et faire disparaître par persuasion. Pour préciser ma pensée, je prendrai un exemple. Soit un malade atteint d’une monoplégie brachiale flasque et complète, de plusieurs mois de durée ; les réflexes tendineux et osseux du membre paralysé sont normaux et les muscles ne présentent pas la D R ; nous pouvons affirmer, même si les tentatives psychothérapiques ont échoué, que la monoplégie est hystérique ; en effet, si elle dépendait d’une lésion cérébrale, le membre devrait être contracture et les réflexes tendineux exagérés ; si elle était due à une névrite, les réflexes tendineux seraient affaiblis ou abolis et il y aurait de la D R ; aucune autre cause que l’hystérie ne peut produire une paralysie de ce genre ; mais si nous sommes arrivés à cette notion, c’est que nous avons auparavant observé des cas de monoplégie ayant les mêmes caractères cliniques, qu’il nous a été possible de guérir exclusivement à l’aide de la persuasion et que nous avons été en mesure de reproduire par suggestion la même forme de monoplégie. Je demande qu’on procède de la même manière en présence d’un trouble encore non classé qu’on veut faire entrer dans le cadre de l’hystérie ; qu’on le reproduise d’abord par suggestion, qu’on le guérisse, au moins dans un cas, par persuasion, et que l’on démontre qu’il a des caractères cliniques spéciaux, distinctifs ; on sera ensuite, mais alors seulement, en droit, en présence d’un nouveau cas identique, de diagnostiquer l’hystérie, même si le traitement psychique reste sans effet. Du reste, j’ajouterai que, dans les cas d’hystérie où la psychothérapie ne semble pas donner de résultats, l’échec est toujours dû à ce que l’autosuggestion ou la suggestion plus ou moins consciente de l’entourage vient contre-balancer ou annihiler la persuasion du médecin ; s’il est possible de placer le malade dans des conditions qui entravent cette action pernicieuse, on arrive généralement à le guérir.

Ce que je viens de dire s’applique aux accidents primitifs. La définition que j’ai donnée des accidents hystériques secondaires suffit pour connaître les conditions qu’un trouble doit remplir afin d’être admis dans ce groupe. Je le répète, pour éviter tout malentendu, il est nécessaire que la relation de cause à effet entre les troubles en question et une manifestation hystérique primitive s’impose; il est indispensable que le lien entre l’accident primitif et l’accident secondaire soit intime et il faut bien se garder de se laisser tromper par de simples coïncidences. Si, par exemple, on n’avait observé qu’une seule fois l’amyotrophie liée à la paralysie hystérique, malgré l’apparition de l’atrophie musculaire très peu de temps après le début de la paralysie et la disparition rapide de l’atrophie suivant de très près la guérison de la paralysie, il eût été impossible d’affirmer l’existence d’une amyotrophie hystérique ; ce n’est qu’à la suite de nombreuses observations identiques que l’affirmation a été permise. [p. 1079]

C’est en m’appuyant sur ces idées que je soutiens depuis longtemps, contrairement à la plupart de mes coIlègues, que l’exagération des réflexes tendineux ne peut être provoquée par l’hystérie (5). Je dis qu’il est impossible d’exagérer par suggestion les réflexes tendineux et de ramener à l’état normal par la persuasion des réflexes tendineux exagérés ; donc ce phénomène ne peut être rangé dans le groupe des manifestations hystériques primitives. Je dis de plus qu’il n’existe pas de faits bien nets où une exagération des réflexes tendineux aurait accompagné une paralysie hystérique et aurait disparu après la guérison, que, par conséquent, on n’est pas autorisé à considérer ce phénomène comme un accident hystérique secondaire. J’en dirai autant du phénomène des orteils, de l’immobilité pupillaire, de la paralysie limitée du territoire d’un nerf, comme, par exemple, la paralysie du moteur oculaire commun ou la paralysie du moteur oculaire externe. Les observations de ce genre qu’on a publiées et qui ont été rangées dans l’hystérie sont loin d’être démonstratives selon moi, car elles ne remplissent pas les conditions exigées.

La définition que je viens de donner me paraît tout à fait satisfaisants au point de vue nosographique, car, parmi les affections névropathiques et mentales, il n’y en a pas une autre de laquelle on puisse tracer des traits distinctifs aussi spéciaux. Elle me semble aussi inattaquable au point de vue pratique ; n’est-il pas essentiel, en effet, de réunir dans un même groupe tous les troubles sur lesquels la persuasion peut avoir une pareille action et d’en éliminer tous ceux qui sont privés de cette propriété ?

On est même en droit de dire que l’hystérie ainsi définie est l’affection mentale qu’il importe le plus au point de vue du traitement de savoir reconnaître, car un trouble hystérique peut guérir rapidement, instantanément, sous l’influence des pratiques de la persuasion mises en œuvre avec habileté, ou durer des années, la vie entière, suivant que sa nature est reconnue ou méconnue.

Si l’on m’objectait que ma délimitation de l’hystérie est arbitraire, voici ce que je répondrais. Il est, comme je l’ai déjà dit, légitime et même utile de faire avec les troubles présentant les caractères sur lesquels je viens d’insister un groupe nosologique spécial, quelle que soit l’étiquette qu’on y applique. On pourrait, en se servant d’un néologisme, leur donner la dénomination de troubles pithiatiques (6), qui exprimerait an moins l’un de leurs caractères distinctifs et dissiperait tout malentendu ; il serait en effet impossible de confondre dans une classification des phénomènes dénommés « pithiatiques », c’est-à-dire guérissables par la persuasion, avec des accidents que la persuasion ne peut faire disparaître. Si je me sers du mot hystérie, quoiqu’il fût plus raisonnable d’abandonner l’usage d’un terme qui n’a plus pour personne son sens primitif et étymologique, c’est pour ne pas rompre trop brusquement avec la tradition. Mais si l’on continue à appeler hystériques ces troubles dont la propriété essentielle est leur dépendance intime de la suggestion et de la persuasion, il est logique de refuser cette épithète à des [p. 1080] manifestations qui n’ont pas cet attribut ; il est logique, en effet, de ne pas désigner par un même mot deux choses profondément différentes.

J’espère avoir bien fait comprendre ma pensée et, comme il me parait essentiel de s’entendre une fois pour toutes sur la définition de l’hystérie, j’invite mes collègues, s’ils n’acceptent pas celle que je proposé, à nous faire connaître leur manière de concevoir l’hystérie et à indiquer le sens qu’ils attachent à ce mot, c’est-à-dire à la définir à leur tour.

Notes

(1) J’ai déjà développé cette idée dans mon travail sur la migraine ophtalmique hystérique, paru en 1891 dans les Archives de Neurologie.

(2) Voir : Hypnotisme et Hystérie. Du rôle de l’hypnotisme en thérapeutique. Leçon faite à la Salpêtrière, par J. Babinski, et publiée en 1891 dans la Gazette hebdomadaire.

(3) Voir à ce sujet : De l’atrophie musculaire dans les paralysies hystériques, par J. Babinski. Travail publié en 1886 dans les Archives de Neurologie.

(4) Dans mou travail intitulé « Hypnotisme et Hystérie », que j’ai mentionné plus haut, j’ai développé la thèse que les phénomènes hypnotiques sont de même essence que les phénomènes hystériques ; cette idée ressort aussi de ma définition de l’hystérie. Mais je voudrais être plus précis et déterminer avec exactitude le lien qui unit l’hystérie à l’hypnotisme. On peut définir l’hypnotisme de la manière suivante :
L’hypnotisme est un état psychique rendant le sujet qui s’y trouve, susceptible de subir la suggestion d’autrui.
Il se manifeste par des phénomènes que la suggestion fait naître, que la persuasion fait disparaître et qui sont identiques aux accidents hystériques.
Les manifestations de l’hystérie sont donc exactement semblables à celles de l’hypnotisme. Ce qui distingue ces deux états c’est que dans le premier les troubles sont le résultat de l’autosuggestion, qu’ils sont dus, dans le second, à la suggestion d’autrui et cèdent plus facilement à la persuasion ; l’hystérique est en quelque sorte actif, l’hypnotique est passif. Mais, à la vérité, cette distinction est quelque peu artificielle, car généralement un sujet qui est susceptible de subir la suggestion d’autrui est capable de s’autosuggestionner à l’occasion, et réciproquement.

(5) Voir : Contracture organique et hystérique, par J. Babinsky, Soc. médicale, 5 mai 1893, et aussi Diagnostic différentiel de l’hémiplégie organique et de l’hémiplégie hystérique, par J. Babinski. Leçon publiée dans la Gazette des hôpitaux, 5 et 8 mai 1900.

(6) Les mots grecs « πειθώ » et « ιατος » signifiaient le premier « persuasion », le second « guérissable » ; le néologisme « pithiatisme » pourrait fort bien désigner l’état psychique qui se manifeste par des troubles guérissables par la persuasion et remplacerait avantageusement le mot « hystérie ». L’adjectif « pithiatique » serait substitué à « hystérique ».

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