Jean Vinchon et Henri Desoille. Bouffée délirante chez une démoniaque, guérie par suggestion. Article paru dans la revue « L’Encéphale », (Paris), 1928, pp. 944-957,
Jean Vinchon nait à Ennemain près de Péronne en 1884, et meurt à Paris le 15 novembre 1964. Sa thèse de doctorat en médecine, ayant pour thème le délire des enfants, en 1911 devant un jury de la Faculté de médecine de Paris. Il sera un collaborateur de Gilbert Ballet, et Médecin assistant du service de psychiatrie à l’Hôpital de la Pitié de Laignel-Lavastine. Psychiatre et historien de la médecine il s’intéressera beaucoup au paranormal, au diable, à l’hypnose, mais aussi à l’art dans ses rapports avec la folie. Il collaborera avec Maître Maurice Garçon dans un ouvrage qui reste une référence : Le Diable. Il sera membre de l’Institut Métapsychique International (IMI). Quelques titres de travaux parmi les 500 publications connues :
— Délires des enfants. Contribution à l’étude clinique et pronostique. Thèse de la faculté de médecine de Paris n°388. Paris, Jules Rousset, 1911. 1 vol. in-8°, 165 p., 2 ffnch.
— Hystérie. Paris, Stock, 1925. 1 vol. in-16, 122 p.
— L’art et la folie. Paris, Stock, 1924. 1 vol. in-18, 127 p. Illustrations. Dans la collection « La culture moderne ».
— La conception de la folie chez Schopenhauer. Article paru dans le « Journal de psychologie normale et pathologique », (Paris), XXIe année, 1924, pp 488-493. [en ligne sur notre site]
— Le songe de Poliphile ou la tradition dans Freud. Article parut dans la publication « Le Disque vert », (Paris-Bruxelles), deuxième année, troisième série, numéro spécial « Freud », 1924, pp. 62-69. [en ligne sur notre site]
— La part de la maladie chez les mystiques. L’article que nous proposons est extrait d’une revue devenue fort rare : Pro Medico, revue périodique illustrée. Paris, 3e année, n°2, 1926, pp. 36-44. [en ligne sur notre site]
— L’interprétation psychanalytique du rêve]. Extrait de la revue « Le Progrès médical) », (Paris), n°31, 31 juillet 1926, p. 1187. [en ligne sur notre site]
— Essai d’interprétation des phénomènes de l’incubat. Article parut dans le « Journal de Psychologie normale et pathologique », Paris, 1927, 24, pp. 550-556. [en ligne sur notre site]
— Bouffée délirante chez une démoniaque, guérie par suggestion. Article paru dans la revue « L’Encéphale », (Paris), 1928, pp. 944-957, [en ligne sur notre site]
— Les guérisseurs – Du rôle de la suggestion dans les succès obtenus par les guérisseurs (Institut International d’Anthropologie n°13 de 1928).
— Sur quelques modalités de l’Art inconscient. 1928.
— Les faux Dauphins et leurs prophètes. 1929.
— Une extatique stigmatisée : Maria de Mörl. Article paru dans les « Études carmélitaines – Douleur et stigmatisation », (Paris), Desclée de Brouwer et Cie, 20e année, — vol. II, octobre 1936, pp. 79-80. [en ligne sur notre site]
— Le fluide de Mesmer est-il une énergie physique ou une force métapsychique. 1935.
— Le problème des stigmates et son intérêt métapsychique. 1936.
Diagnostic entre la transe médiumnique et les états similaires pathologiques. 1937.
— La psychothérapie dans l’œuvre de Mesmer. 1939.
— La part de la maladie chez les mystiques. Pro Medico, revue périodique illustrée. Paris, 3e année, n°2, 1926, pp. 36-44. [en ligne sur notre site]
Les aspects du diable
à travers les divers états de possession. Article paru dans le numéro spécial des » Études carmélitaines » sur « Satan ». (Paris), Desclée De Brouwer, 1948. 1 vol. in-8°, 666 p. – pp. 464-471. [en ligne sur notre site]
— Les formes et les éléments de la psyché dans la conception de Jung Marcel Martiny, 1964.
— Avec Maxime-Paul-Marie Laignel-Lavastine. Une observation d’incube à la Renaissance.] in « Annales médico-psychologiques », (Paris), douzième série, tome premier, quatre-vingt-unième année, 1923, pp. 203-206. – Et tiré-à-part : Paris, Masson et Cie, 1923. 1 vol. in-8°, pp. 203-206. [en ligne sur notre site]
Henri Desoille (1900-1990). Médecin diplomé de Médecine du travail, crée en 1934. Puis Professeur honoraire de médecine du travail à l’Université de Paris VI. Directeur de l’Institut d’hygiène industrielle et de médecine du travail (en 1975). Son oui-vrage de référence :
— Médecine du travail et maladies professionnelles. Paris, Editions médicales Flammarion, 1957. De très nombreuses éditions suivirent.
Les [p.] renvoient aux numéros de la pagination originale de l’article. – Les images ont été rajoutées par nos soins. – Nouvelle transcription de l’article original établie sur un exemplaire de collection personnelle sous © histoiredelafolie.fr
[p. 944]
Bouffée délirante chez une démoniaque, guérie par suggestion
par Jean VINCHON et Henri DESOILLE.
Nous voudrions rapporter à la Société l’observation d’une femme de 43 ans, chez laquelle apparurent des troubles mentaux à la suite de pratiques magiques auxquelles un ami l’avait entraînée. Nous pûmes d’ailleurs l’en guérir très rapidement.
Mme X., est âgée de 43 ans. Elle est suisse d’origine et protestante, mais elle ne pratique plus depuis longtemps. Il n’y a rien de spécial à relever dans ses antécédents familiaux, ou personnels : elle s’est mariée à 22 ans et a eu [p. 945] deux enfants bien portants. C’est une femme d’un caractère très sérieux, légèrement contemplatif et cherchant à s’instruire.
Il y a sept ans elle commence à s’intéresser au spiritisme, lit les ouvrages d’A. Kardec et de Léon Denis, et correspond avec certains cercles spirites dont elle reçoit les revues. Mais elle-même ne pratique pas et n’invoque pas les morts.
C’est deux mois avant son entrée à l’hôpital que survient un changement complet dans ses habitudes. Un jour en effet vient chez elle M. P., envoyé par des amis communs : il lui propose d’acheter des pastels dans lesquels il a représenté le Christ. Emus par la misère de cet étranger, elle et son mari lui donnent 200 francs (somme relativement élevée pour leurs ressources). Les visites se multiplient et M. P. s’introduit rapidement dans l’intimité du ménage. Il révèle alors qu’il est occultiste, inspiré de Dieu et qu’il cherche à reconstituer et faire revivre sa propre femme, morte depuis plusieurs années. Il prête à notre malade des livres d’un tout autre genre que ceux qu’elle a lu jusqu’à présent, livres traitant de Magie proprement dite : le grand et le petit Albert, les œuvres de Papus, d’E. Levy, etc.
Puis il demande à Mme X sa collaboration : il a surtout besoin de savoir s’il est dans la bonne voie. Aussi Mme X. se met-elle à converser avec les esprits par le truchement classique d’une planchette.
Au cours de ces séances, du moins les premiers temps, elle se protégeait à l’aide d’un Pentacle qu’il lui avait donné pour la protéger du mal. Bientôt la planchette est inutile. Mme X. entendant en elle les réponses des esprits.
Il nous faut d’ailleurs préciser quelle était la valeur que le couple attribuait aux pratiques magiques de leur ami : M. X. ne pensait pas qu’il fut possible de réincarner ainsi un mort. Mme X. non plus (1) mais pleine d’admiration pour M. P. et trouvant son œuvre belle, elle croyait du moins qu’il pourrait découvrir la Panacée universelle. Aussi l’aidait-elle de tout son pouvoir, lui fournissant même ses menstrues, indispensables paraît-il.
Une nuit, à 3 heures du matin, Mme X. entend en elle une voix d’enfant. Ce dernier dit qu’il va naître grâce aux incantations, et qu’il faut de toute urgence porter chez M. P. la layette nécessaire. Mme X. et son mari obéissent, emportant par surcroît un portrait de famille pour chasser les mauvais esprits. Le couple se précipite chez M. P. (qui dormait). Une cérémonie a lieu, sur laquelle nous avons peu de détails : il s’est agi surtout semble-t-il de « passes magnétiques » devant des portraits, au-dessus d’un baquet contenant entre autres choses le sang fourni par Mme X.
Nous hésitons à spécifier qu’aucun enfant ne naquit cette nuit-là chez M. P. Tout au plus Mme X. ressentit une sensation désagréable de « dédoublement » qu’elle précise peu.
Mais peu après les esprits deviennent menaçants, prédisent à Mme X. sa mort et sa damnation. Elle ne dort plus et une nuit, très anxieuse, elle se sauve dans son jardin, et y reste sous la pluie, ayant peur de rentrer chez elle. Son mari va chercher des médecins qui appellent l’un de nous en consultation. Ce dernier se trouve en présence d’une grande anxieuse, ne dormant pas,
Pensant à fuir et dont l’interrogatoire même n’est rendu possible qu’après l’ingestion d’un comprimé d’opium.
Néanmoins la confiance réapparaît assez vite, les voix menaçantes se taisent et l’on peut facilement hospitaliser Mme X. dans une salle commune du service de notre maître, M. Laignel-Lavastine que l’un de nous avait l’honneur de remplacer.
Le lendemain matin après une nuit calme grâce à une dose moyenne de somnifère en injection, nous trouvons Mme X. étendue dans son lit, les yeux fermés, parlant d’une voix étrange, saccadée, pour nous dire qu’elle ne peut se lever. [p. 946]
Son état ressemble si l’on veut à « l’état de transe des médiums » mais, croyant ces symptômes d’ordre hystérique surtout, nous la forçons à se lever et à marcher seule, puis à ouvrir les yeux, et à raconter son histoire d’une voix plus naturelle. Nous obtenons ces résultats très facilement. La malade se sentant mieux, va alors se recoucher. A dater de ce moment elle ne ressent plus aucun trouble, il est absolument inutile d’employer des drogues, et elle peut rentrer chez elle peu de jours après, paraissant normale, et nous promettant de ne plus revoir M. P. et de laisser de côté l’occultisme.
L’interprétation de ce cas appelle plusieurs remarques.
1° Y-a-t-il d’abord un terrain spécial ?
Autrement dit n’importe qui est-il susceptible d’être en proie à une pareille crise ? Nous sommes forcés de relever chez Mme X, et chez son mari, une crédulité excessive entretenue par l’interpsychologie, une suggestibilité dépassant la normale, et les amenant à donner une somme importante à un inconnu, puis à se prêter à des manœuvres qui demandent à tout le moins une sérieuse réflexion avant que l’on s’y livre.
2° La crise morbide lut un délire accompagné d’anxiété.
Il y a délire étant données les hallucinations, la malade percevant en elle les voix des esprits et surtout étant donnée la croyance irraisonnée à ces hallucinations, croyance dont nous trouvons les preuves (malgré les allégations postérieures de notre malade) dans la précipitation qu’elle mit à rassembler une layette et à l’anxiété qu’elle ressentit lorsque les voix lui prédisirent sa mort et sa damnation.
De quelle nature est-ce délire ? Les éléments qui le constituent (croyance aux voix des esprits, etc.) sont nés par suggestion, ils ont cédé par suggestion. Suivant la doctrine de Babinski c’est donc un délire hystérique. La folie hystérique était d’ailleurs décrite par l’école de Charcot.
L’anxiété nous parait la conséquence de la croyance à la damnation chez une prédisposée à l’hyperémotivité.
3° Nous avons employé à dessein le terme de démoniaque.
C’est en effet une expression très ancienne, au sens très précis et consacré par des siècles. Quelles que soient les divergences de doctrine des spirites, des diverses écoles d’occultisme, des diverses religions, tous leurs adeptes croient aux démons. A partir du moment où un croyant a maille à partir avec les forces surnaturelles mauvaises il s’agit de démonologie, terme plus compréhensif que celui de spiritisme. Il serait abusif de soutenir qu’en psychiatrie les croyances et les conflits moraux du sujet n’ont jamais aucune importance et ne doivent jamais entrer en ligne de compte. Dans un diagnostic on doit donc, quand il y a lieu, indiquer la nuance de ce conflit et parler de démoniaques comme on parle, par exemple d’obsédés génitaux.
4° Mais il faut distinguer la croyance du délire.
Nous avons précisé quels éléments nous firent ici parler de délire. Quant à la croyance à l’existence des démons, enseignée par toutes les religions, c’est une question de conviction personnelle. Il y a là une distinction dont l’intérêt est non seulement dogmatique mais pratique et médico-légal, un expert n’ayant pas à juger la croyance d’un individu.
Nous n’avons pas revu notre malade ; si elle est retombée dans le même milieu, les troubles auront sûrement repris.
Avec le développement des doctrines spirites à l’heure actuelle il est possible que nous assistions un de ces jours à une nouvelle épidémie de démonopathies, les manifestations de l’inconscient collectif se reproduisant à certaines époques sous l’influence des mêmes facteurs. Il est certain qu’il existe un danger réel pour les gens qui se livrent sans discernement à des pratiques que nous sommes forcés de qualifier de démoniaques, même quand elles essaient de se justifier par d’autres étiquettes.
Note
(1) Du moins c’est ce qu’elle nous a dit lorsque nous l’avons interrogée. Nous doutons de sa sincérité parce qu’elle entendait en elle les esprits lui prédire la date de la résurrection. Elle est même allée d’elle-même, comme nous le verrons, porter les vêtements nécessaires pour habiller la réincarnation qu’elle croyait imminente.
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